La Grande dame : revue de l'élégance et des arts / publiée sous la direction de F.-G. Dumas (2024)

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Titre : La Grande dame : revue de l'élégance et des arts / publiée sous la direction de F.-G. Dumas

Éditeur : ancienne Maison Quantin (Paris)

Date d'édition : 1894

Contributeur : Dumas, François-Guillaume (1847-19..). Éditeur scientifique

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327836435

Notice du catalogue : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb327836435/date

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

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Description : 1894

Description : 1894 (A2).

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k54307110

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-Z-946

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 19/01/2011

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SALON DE LA VILLA DE TAMARIS

La Comtesse de Puiseux

La comtesse de Puiseux est sans contredit une des femmes les plus sympathiques de la société. Bien qu'aimant peu le monde et n'y allant qu'à son corps défendant, elle y occupe une place d'autant plus flatteuse et enviée qu'elle ne la recherche pas. Ses enfants l'absorbent et sont sa principale, pour ne pas dire son unique préoccupation. Sa vie est celle d'une mère de famille dévouée à tous ses devoirs, désireuse de rester ignorée. Peu lui importent les intrigues, les ambitions et les rivalités

rivalités absorbent d'autres femmes. Elle n'est mondaine que pour plaire à son mari qui, lui, est mondain par goût et par tempérament.

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2 LA GRANDE DAME.

Et cependant ses allures, sa démarche, la façon dont elle s'habille lui assurent de véritables succès, même parmi celles de nos Parisiennes qui font la mode et ne vivent que pour elle. Elle a d'ailleurs les allures aristocratiques des Autrichiennes. Elle en a l'élégance de la taille, la beauté des cheveux, la parfaite distinction, ce je ne sais quoi qui constitue un charme à part, sui generis ; le charme irrésistible des jolies Viennoises qu'on est toujours tenté d'entrevoir dans le tourbillon entraînant d'une valse de Strauss.

Quand, arrivant à Paris immédiatement après son mariage, elle fit son apparition dans les salons du faubourg Saint-Germain, son excessive fraîcheur, les ondulations gracieuses de sa taille, le modelé parfait de ses épaules, ses cheveux blond cendré, sa réserve et sa distinction firent sensation. Elle n'y prêta aucune attention, ne soupçonnant pas la sympathique admiration dont elle était l'objet.

Ses succès personnels, au fond, ne l'ont jamais intéressée. Elle n'a même pas su se rendre compte qu'elle remportait le plus flatteur de tous : celui qui consiste, étant jolie et séduisante, à plaire aux plus jolies femmes et à s'en faire des amies.

On peut dire que son bonheur a toujours été fait de celui de ceux qui l'entourent. Sévère pour elle-même, elle se montre indulgente pour les autres, et pousse ce sentiment jusqu'à excuser parfois certains écarts, qu'au fond elle réprouve.

La comtesse, avant son mariage, se donnait tout entière aux sports. Dès son enfance, elle avait été habituée à tous les exercices qui, en Autriche comme en Angleterre, font partie de l'éducation d'une femme. C'est dans son pays, en Hongrie, qu'elle fit l'apprentissage du cheval, dressant à force de patience et de douceur ceux qu'elle montait; menant à quatre avec une maestria et un sang-froid remarquables. Elle restait une partie de l'année dans les immenses domaines de sa famille, jouissant d'une vie libre, indépendante, vivant au milieu de populations dont elle partageait les joies et les deuils; récoltant partout de leur part des témoignages de reconnaissance et de respect. Devenue Française par son mariage, la comtesse l'est surtout de coeur et de sentiment. La France est le pays qu'elle préfère à tous, et, Parisienne jusqu'au bout des ongles, elle a le goût de toutes les élégances, celui de la toilette, celui des jolis meubles et des bibelots. Elle est au courant de tout ce qui se publie et écrit elle-même d'une manière charmante.

Sa villa de Tamaris, bâtie sur les côtes de Normandie, à Hermanville,

LA COMTESSE DE PUISEUX. 3

semble se baigner dans les flots. Des fenêtres de la salle à manger, on n'aperçoit que les vagues, tant est étroite la chaussée qui l'en sépare.

C'est dans ce petit logis de style Henri II, élevé il y a une vingtaine d'années par le caprice d'un Anglais, que la comtesse de Puiseux reçoit l'été les amies intimes qui viennent la retrouver.

Rien n'est Joli comme l'intérieur de cette maison où se concentrent toutes les recherches du confort. Par de grandes baies donnant sur la mer, on aperçoit Sainte-Adresse, Le Havre, la pointe de Trouville, Houlgate, Cabourg. Le soir, les feux des phares s'entre-croisent à l'horizon avec ceux des casinos. C'est une solitude, une façon d'oasis perdue sur la grève, une clairière ignorée des mondains, où viennent expirer les bruits des orchestres et le mouvement des plages tapageuses.

Les amies de la comtesse de Puiseux la retrouvent là, telle qu'elle est à Paris, d'une gaieté entraînante, d'une bienveillance qui ne se dément jamais ; accueillante, bonne, affectueuse, ayant le charme irrésistible que donne une constante égalité d'humeur. Pendant son séjour en Normandie, elle vit retirée chez elle, ne fait pas de visites, n'accepte aucune invitation et se repose des fatigues de Paris.

Le comte, un ancien zouave de Charette, sous les ordres duquel il a combattu en Italie, puis en France, pendant la dernière guerre, est resté soldat d'allures et de langage. Au Jockey-Club, à l'Union, dans les grands cercles de Vienne, dans le monde où il va beaucoup, ses boutades lui ont valu une certaine réputation d'originalité et... quelques duels. Au demeurant, excellent ami, prêt à tout pour servir et obliger ceux qu'il affectionne.

C'est un gourmet qui porte son attention jusque sur les moindres détails de la cuisine et du service. Aussi, à Tamaris, fait-on chair délicate ; les vins sont vieux et de premier choix, l'argenterie, merveilleuse.

La vaisselle plate des Puiseux est la plus massive qui ait jamais été poinçonnée à l'Hôtel des Monnaies. Chaque assiette porte son poids gravé à côté du millésime.

Ces préoccupations de maître de maison n'empêchent pas d'ailleurs le comte de Puiseux de prendre la plume et, à l'occasion, de publier quelque fantaisie littéraire.

UNE PARISIENNE.

Mlle BERTHET ET M. RENAUD

GWENDOLINE

Il y a dix ans que la Gwendoline de M. Chabrier est écrite ; il y en a huit, ou peu s'en faut, que le théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, fit entendre l'oeuvre au public pour la première fois ; il y a trois ans que les théâtres de Munich et de Carlsruhe l'ont mise à leur répertoire; il y a un an que le théâtre de Lyon lui a fait accueil ; il n'y a pas quinze jours que l'Académie nationale de musique a daigné, enfin, la représenter. C'est là,

EDME-COUTY.DEL

OPÉRA — GWENDOLINE

6 LA GRANDE DAME.

si l'on veut, une preuve nouvelle que les belles oeuvres font leur chemin en dépit de tout. C'est aussi la preuve, malheureusem*nt, que Paris n'a pas très bien conscience de son rôle. Mais nous n'avons nulle envie de récriminer à l'heure où il nous est permis d'applaudir une partition d'un mérite supérieur. Comment ne pas se dire, néanmoins, avec tristesse, que, si l'on avait voulu, M. Chabrier en serait à son second ou à son troisième drame, au lieu d'en être encore à son premier? On peut acclamer Gwendoline. Un succès tardif remue souvent au coeur de l'artiste plus d'amertume que de joie.

D'un chant de guerre poétique et retentissant, plein de sensations primitives, inséré par Augustin Thierry dans son Histoire de la conquête de l'Angleterre, M. Catulle Mendès a tiré le sujet de ses trois tableaux lyriques. Sa pièce offre cette particularité qu'elle est un poème et non pas un livret. Extrêmement simple, elle vaut par sa simplicité même, par son humanité intense et naïve et aussi par les riches couleurs, les rythmes onduleux, les rimes sonores dont elle est revêtue. La fiction se meut dans un monde légendaire. Elle évoque des deux lointains que la musique peut remplir et des personnages d'une réalité confinant au rêve, aux lèvres desquels le chant s'épanouit de lui-même. Le musicien trouvait devant lui tout l'espace qu'il faut aux franches inspirations. Richard Wagner avait cent fois raison : il n'est rien de si lyrique, au sens musical du mot, que les légendes,—à tel point que si l'on tient à chanter des figures et des faits d'histoire, le mieux est de les transposer, tout d'abord, légendairement.

Au lever du soleil, sur une falaise d'Irlande, un petit village de pêcheurs s'éveille. Aux champs, les filles! C'est le temps de la moisson. Les hommes, à la haute mer! C'est toujours la saison de la pêche. Un grand vieillard commande aux hardis marins : Armel, le père de Gwendoline. Mais pourquoi, tandis qu'il s'éloigne, la jeune fille se sent-elle agitée de sombres pressentiments? On a vu les rôdeurs danois errer parmi les vignes. Et, justement, un tumulte éclate sur la plage. Le choc des épées et des haches sonne au milieu des cris. Les Scandinaves ont débarqué : ils vont tout massacrer, tout brûler, tout mettre au pillage. Harald les conduit, un vrai roi de la mer,— beau comme un jeune dieu du Walhall. Rien ne lui résiste; Armel va tomber sous ses coups. Seulement, devant Armel se lève une apparition blonde, une vision de charme et de lumière. Une déesse? Non, une jeune fille. Et dans cette humanité obscure et brutale du Danois pénètre un rayon inconnu. La barbarie va progressivement s'éteindre en cette âme de proie.

Devant la vierge au regard clair, Harald est comme un enfant. Elle ordonne; il obéit. Il lui plaît qu'il ramasse sa couronne de fleurs tombée à terre; il la ramasse. C'est sa fantaisie qu'il file le lin à son rouet en

GWENDOLINE. 7

répétant sa douce cantilène, et il file, — et il chante, et il est heureux. Qu'importe que ses durs compagnons le surprennent en ce servage ? Son seul souci, présentement, est de s'unir à Gwendoline.

Au second acte, le théâtre représente la chambre nuptiale dans l'humble maison de bois aux poutres enguirlandées de fleurs. Le vieil Armel, à la joie de tous, bénit les amoureux, en des termes d'une onction qui ne laisse guère soupçonner la trahison prochaine. Après le chant sonore et moelleux de l'épithalame, pirates et pêcheurs abandonnent les époux à leur ivresse et, tous ensemble, s'en vont s'asseoir à la table du festin. Aux extases infinies de l'amour, l'orgie des buveurs d'hydromel répond, comme un écho farouche. Or, brusquement, le tumulte de joie se change en angoisse. Quelles sont ces clameurs? Les Danois ont vu leurs glaives entre les mains des Saxons qui les frappent à coups redoublés. Harald entend son nom prononcé dans la tuerie. Il s'élance... Il est trop tard.

Pour la troisième fois, le rideau se lève. Nous sommes au bord de la mer, illuminée des rouges flammes des navires embrasés. Sur le sable, pareils à un troupeau de bêtes affolées, viennent mourir les Scandinaves. Harald accourt, sans épée, hurlant de douleur et de colère, ses longs cheveux fauves flottant au vent de mort, Au poing d'Armel, qui l'unissait tout à l'heure à Gwendoline, le héros reconnaît son propre fer dentelé comme une scie, jetant dans la nuit des éclairs. C'est son propre fer qu'il reçoit au coeur. Mais la vierge, à laquelle il a consacré sa vie, est en ses bras. Elle maudit ses meurtriers : elle partage son sort. L'incendie fait, à leur dernier soupir, une apothéose. Enlacés, inséparables, ils expirent, flétrissant par leur trépas même, et sans phrases, l'éternel malentendu humain.

On a vu, plus haut, l'estime que nous faisons de la partition de M. Chabrier. S'ensuit-il que nous la considérions comme pure de tout défaut? Non, sans doute. Seulement, on connaît des défauts de trois sortes qui ne sauraient être, confondus. Les uns viennent de la personnalité d'un homme; d'autres tiennent à l'époque où l'on vit; les derniers — de beaucoup les plus graves — sont des insuffisances. Aux premiers l'artiste doit une part de sa physionomie, à ce point qu'ils valent presque des qualités et que souvent, à les perdre, on s'améliore, selon la boutade célèbre de M. de Bulow, à son désavantage. Nous ne noterons donc qu'à titre de signes personnels certaines allures brusques, fantasques, un peu turbulentes, de l'auteur de Gwendoline. Il est, en second lieu, des influences ambiantes, contre lesquelles on peut réagir, mais dont on réussit malaisément à s'abstraire. Ainsi M. Chabrier, se croyant uniquement impressionné de l'esthétique wagnérienne, se souvient quelquefois; un peu plus que de raison, des procédés de Richard Wagner,

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associés, dans sa manière, à des effets tout berlioziens, et, par intervalles, à des mélodies apparentées à celles de M. Gounod, — le tout, d'ailleurs, sans ombre de pastiche. La troisième catégorie de défauts, absence d'originalité, faiblesse technique, manque de sens musical, est totalement étrangère à notre compositeur. Libre à chacun d'étudier son oeuvre par le menu; on la jugera trop recherchée de facture ou trop poussée, en quelques pages, aux complications et aux outrances chromatiques; elle n'est jamais ni pauvre, ni basse, ni commune. L'individualité y domine très nettement, très hautement. Gwendoline atteste, d'un bout à l'autre, un musicien de naissance et d'indépendance. A côté de la violence, le charme y apparaît. Quoi de plus frais que la pastorale du début? Quoi de plus exquis que la Fileuse de la fin du premier acte, si bien reliée au drame par sa texture et son accent? Le second tableau, avec son épithalame sonore et son grand duo d'amour, étincelle de beautés. Toute la scène finale du massacre et de l'apothéose est d'un maître. Notre école est fière à bon droit d'un tel ouvrage et l'Opéra l'inscrit à son répertoire en passe de se renouveler.

Nous dirons d'un mot que les trois rôles principaux sont tenus honorablement par Mlle Berthet, par M. Renaud et par M. Vaguet. Les choeurs ne sont pas au-dessous de leur tâche, et, si l'orchestre était plus soucieux des nuances, on n'aurait presque plus rien à désirer. Au demeurant, nous ne sommes plus aux mauvais jours où il fallait sortir de France pour aller entendre de la vraie musique. Lorsqu'on aura joué, dans une semaine, sur notre première scène lyrique : Lohengrin, la Walkyrie, Samson et Dalila et Gwendoline, les amateurs pourront regarder la série des affiches de Munich et de Vienne: ils n'y verront rien de mieux. Le tout est que l'on ne s'arrête pas en si bonne voie. Nous échappons aux routines; ne nous laissons plus gagner de vitesse par les rivaux d'aucun pays.

G. DE C.

AU RIDEAU!

On moissonne en été; on vendange en automne; on cueille les roses au printemps. C'est en hiver que les théâtres font leur récolte. La saison dramatique et lyrique bat son plein; il y a des attractions sur toutes les affiches, et il faut se faire inscrire un mois à l'avance pour voir une pièce à succès.

La Comédie-Française répète sans impatience les Cabotins, de M. Edouard Pailleron, en jouant alternativement Bérénice et Antigone.

Mlle Bartet, avec ses grâces d'ingénue, toujours jeune, est l'incarnation idéale de ces belles princesses, filles des rois et des grands poètes, avec lesquelles la Muse tragique s'attendrit jusqu'aux larmes. Elle est toujours exquise dans son rôle de reine, sacrifiée et elle prête des accents singulièrement pathétiques à la fille de Créon, victime de son amour fraternel. Elle fait couler chaque soir des larmes très douces aux plus beaux yeux de Paris.

On se console, en allant, à deux pas de là, rire avec les joyeux compères du Palais-Royal, qui, chaque soir, brûlent les planches de leur théâtre en l'honneur du nouveau chevalier, Georges Feydeau. Le Fil à la patte n'est qu'un long éclat de rire, de la première scène à la dernière. L'esprit du jeune auteur n'a pas toujours la délicatesse du sel attique, mais il a du moins le pétillement du sel gaulois. M. Georges Feydeau a la force comique très naturelle et très puissante, et, dans son action toujours rapide, marchant au but sans jamais s'en détourner, il semble trouver, sans les chercher, et comme en se jouant, des situations et des mots qui révèlent chez lui le tempérament d'un homme de théâtre. L'auteur, s'il est reconnaissant, avouera qu'il doit une forte chandelle — le théâtre du Palais-Royal étant un peu bien profane, je n'ose pas dire un cierge — à sa gracieuse interprète Mlle Chériel, qui a su faire de son personnage de Lucette, simple diseuse de café-concert, une étoile — peut-être une comète — cherchée aujourd'hui par les lorgnettes de tous les astronomes.

Tandis que Sarah Bernhardt attire toujours la foule aux matinées de la Renaissance, avec Phèdre, le chef-d'oeuvre des chefs-d'oeuvre, où elle nous prouve qu'elle a gardé le trésor sacré des grandes traditions, la Comédie-Parisienne, très coquette, dans sa salle arrangée comme une bonbonnière, a fait, ces jours passés, un intéressant début, en donnant à Mlle Raphaèle Sisos l'occasion de rajeunir la Veuve de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy. A salle nouvelle, on eût voulu peut-être pièce nou2

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velle aussi. Mais la jolie veuve, que nous avions jadis applaudie au Gymnase, porte si galamment ses crêpes que le public convole avec elle avec plus de plaisir peut-être que ne lui en donnerait une fiancée toute neuve. Et, comme dit le proverbe : « Tout est bien qui finit bien. »

C'est un jeune— un sympathique— dévoré par le zèle du théâtre — qui vient enfin réconcilier ce pauvre Gymnase avec la fortune. Malgré de courageux efforts, malgré la persévérance d'un zèle infatigable, il roulait de chute en chute. M. Bertal vient de l'arrêter sur cette pente qui le précipitait aux abîmes. Sa pièce en trois actes, Une Dette de jeunesse, à laquelle, je le sais, on a fait le reproche d'être un peu trop coulée dans le vieux moule du Gymnase, a réussi à souhait auprès de la très grande majorité du public. L'action en a paru intéressante, les sentiments honnêtes, la conclusion morale et le style d'une qualité littéraire distinguée.

Rigoureusem*nt analysée, la Dette de jeunesse n'est que le débat très dramatiquement mené, et dont la vie réelle nous a donné plus d'un exemple, entre la paternité naturelle, dont on a négligé les devoirs, et la paternité d'adoption qui a su se créer des droits par l'affection, la tendresse et le dévouement envers un fils qui n'est point de ses oeuvres.

L'auteur développe ces sentiments au moyen de péripéties bien conduites, parfois très émouvantes et qui ne blessent jamais ni la droiture ni la délicatesse du spectateur qui veut être respecté. Cette pièce romanesque, à laquelle on peut souhaiter plus d'ampleur dans ses développements, a été interprétée avec beaucoup de chaleur et d'entrain par la troupe vaillante du Gymnase : MM. Duflos, Esquier et Numes; Mmes A. Laurent, Fériel et Darlaud. Mlle Darlaud, dans son rôle de jeune peintresse indépendante, rend l'atelier sympathique.

Napoléon continue à traiter le théâtre comme jadis les champs de bataille — et il poursuit ses victoires au Vaudeville et à la Porte-SaintMartin— sans toutefois faire pâlir la jeune gloire de Mlle Carabin-Girard (Simon à la mairie) sur les planches brûlées des Bouffes-Parisiens.

La Gigolette, de M. Pierre Decourcelle, promet de ne pas s'arrêter avant d'avoir doublé le cap de la centième. J'en félicite l'auteur d'un talent très franc, qui trouve clans une émotion très sincère le moyen le plus sûr de nous émouvoir à notre tour. On applaudit chaque soir la virtuosité de cette vaillante Félicia Mallel, condamnée jusqu'ici aux rôles silencieux de muettes pantomimes, et qui nous prouve aujourd'hui qu'elle est aussi puissante par la parole et l'accent que par le geste si juste et la physionomie si expansive. Voilà donc une artiste complète!

Louis ÉNAULT.

LES DERNIÈRES MODES

LES GRANDS MARIAGES

TOILETTE DE VILLE

On se marie beaucoup à Paris depuis le nouvel an. La mode ayant rayé de la vie élégante l'aimable coutume de célébrer le carnaval, le grand monde célèbre ses mariages.

Ces solennités, étant autant de prétextes de luxe et de toilettes, sont pour toutes les femmes des occasions de plaisir.

L'exposition de la corbeille et des cadeaux donne à ces cérémonies un attrait de plus.

Aujourd'hui le seul fait de relations suivies avec la famille des fiancés oblige à un souvenir. Le côté artistique du bibelot, son cachet ancien, le fait rechercher et particulièrement apprécier.

En Angleterre, cet usage a pris une forme plus pratique : non seulement les habitués sont admis à faire des cadeaux, mais aussi à envoyer de l'argent sous la forme d'un chèque, glissé dans un carnet ou clans les feuillets d'un billet de félicitations. C'est ainsi qu'il y a quelques années le monde aristocratique de la fière Albion

Albion grand bruit autour de l'union d'une charmante miss, qui, en additionnant les chèques ainsi reçus, se trouva à la tête d'un gentil présent de plus de six cent mille francs en BANKNOTES.

L'usage de ces dons en nature n'a point encore passé la Manche, et les cadeaux que se permet notre société sont infiniment plus suggestifs pour les visiteurs et surtout les visiteuses.

A l'occasion du récent mariage du duc d'Uzès avec Mlle Marie-Thérèse de Luynes, la corbeille et les cadeaux ont été l'objet de la plus vive admiration.

La corbeille, splendide, comprenait deux magnifiques parures de gros diamants, un superbe diadème également en diamants, la bague des fiançailles très

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LA GRANDE DAME.

TOILETTE DE VILLE

remarquée par sa richesse princière se composant d'un seul merveilleux solitaire, des éventails, des dentelles de toute beauté, le voile nuptial, des fourrures, des robes, etc.

Parmi les cadeaux, l'attention s'est portée sur un splendide collier, don de M™ la duch*esse d'Uzès, composé de superbes rubis et diamants avec trois rubis en pendeloque ; celui du milieu se détachant peut servir de broche, les deux autres de boucles d'oreilles. Mme la duch*esse de Chevreuse a offert le trousseau avec un nécessaire de toilette en ivoire rehaussé d'argent. A côté de ces cadeaux princiers il y avait des merveilles qu'admiraient les connaisseurs, mais dont la seule nomenclature remplirait plusieurs pages.

MIIede Luynes, d'une idéale beauté, brune, grande, la taille fine et divinement, modelée, portail avec une élégance de Parisienne moderne sa toilette nuptiale,

TOILETTES DE SOIRÉE

14 LA GRANDE DAME.

un chef-d'oeuvre de Worth, faite de satin blanc à jupe unie formant d'amples godets de côté et sur le milieu de la traîne. Le corsage, absolument gracieux, était orné de mousseline de soie plissée enserrée dans un corselet de malines ; de chaque côté, près de l'épaule, étaient placées deux touffes d'oranger. Les manches, volumineuses, se composaient de volants en point à l'aiguille et d'un bavolet de salin fendu sur l'épaule où venait se draper la dentelle. Le long voile en point à l'aiguille, rejeté derrière à l'espagnole, laissait voir son joli visage.

La jeune duch*esse de Luynes, née d'Uzès, portait une ravissante toilette également créée par Worth. Elle était en satin gris à longue traîne unie, le devant orné d'un double volant d'Alençon drapé en serpentin, séparé par des queues de zibeline. Le corsage formait une veste Louis XV, ornée de larges revers sertis de

zibeline, s'ouvrant sur un devant très flou en mousseline de soie et point d'Alençon. La petite capote en point d'Alençon avec queues de zibeline et aigrette noire était rehaussée de superbes perles poires.

Les autres toilettes, créées par Félix, étaient portées par Mlle de Crussol, ravissante en robe à mille raies gris perle et blanc avec jupe unie et corsage à grands revers mous s'ouvrant sur un flou de mousseline de soie blanche. Un ruban de satin gris faisait un gentil col Pierrette et la petite basque froncée tombant en longs pans derrière. Sur ses cheveux blonds, une jolie toque de feutre de soie blanc, ornée d'un turban de velours noir et d'une aigrette blanche avec voilette de vraie dentelle.

Mme la duch*esse de Luynes, en robe de soie Phébus améthyste incrustée de velours et de point

TOILETTE D'INTÉRIEUR

LES DERNIERES MODES. 15

de Venise, était coiffée d'une capote de Venise avec aigrette de fleurs améthystes.

Mme la duch*esse d'Uzès, en velours dahlia forme habit Louis XV avec panneaux richement brodés et jabot d'Alençon. Comme coiffure, un diadème de jais combiné avec des choux de velours dahlia et une aigrette noire.

Les jeunes épousées font assaut d'élégance, mais aussi de simplicité; c'est ainsi que Mlle Blanche d'Adhémar, aujourd'hui Mme Georges Hainguerlot, a été fort admirée le jour de son mariage; sa coiffure, très simplement agencée, faisait ressortir l'ovale de son gracieux visage. Auguste Petit lui avait, il est vrai, composé une coiffure ravissante.

Les cheveux étaient très légèrement noués sur la nuque, soutenant les plis

neigeux de la longue écharpe d'Alençon fixée au sommet de la tête par une mignonne couronne de boutons d'oranger. Le voile, soutenu sur les épaules, s'épanouissait sur la longue traîne de satin.

La mode est cet hiver aux cheveux plus tombants relevés sur la nuque en un petit chignon léger, d'où s'échappent des boucles vaporeuses qui accompagnent la physionomie et lui donnent plus de douceur.

Les ornements sont très ténus : petit* noeuds en velours contournés et tordus, ailes d'oiseaux sombres ou papillons, ce dernier ornement tout nouveau, et le plus gracieux, le papillon morpho, est une trouvaille d'Auguste Petit, qui le pique, léger, sur le sommet de la tête, où les ailes jettent des feux de pierreries.

Le bandeau Empire en satin ou en velours incrusté de pierres précieuses,

précieuses, le maître de la coiffure entoure si coquettement le petit chignon sur le sommet de la tête, est une fantaisie seyante et nouvelle dont les femmes aiment à se parer.

Le collier de nuance et d'étoffe assorties, pouvant se fixer sur la robe

GYMNASE. — LA duch*eSSE DE MONTÉLIMAR (Mme Léonie Yanne)

GYMNASE. - LA duch*eSSE DE MONTELIMAR

(Mme Léonie Yanne.)

16 LA GRANDE DAME.

montante ou au cou avec les toilettes décolletées, rehausse singulièrement

singulièrement du teint; il s'agrafe au moyen d'une boucle en diamants; on y pique des épingles de pierreries, des perles dites solitaires. Ce rien charmant, que la femme peut varier à l'infini,

donne de l'élégance à la toilette la plus simple, et criblé de pierres et de diamants il vaut souvent une petite fortune.

N'oublions pas le capuchon de bal ou d'opéra, une merveille faite en mousseline de soie sur fond de surah tout coulissé et vaporeux, orné au sommet par un

chou de velours noir; il encadre le fin minois des Parisiennes d'un flou aérien de l'effet le plus heureux.

Si Auguste Petit a su conquérir la confiance des grandes dames, il a su également attirer celle des actrices en renom. Mlle Bartet, la si charmante sociétaire de la Comédie-Française,

qui possède la plus belle chevelure que puisse rêver une femme, en prend un soin minutieux, et dans toutes ses créations elle a recours aux perruques légères et très ingénieusem*nt

ingénieusem*nt d'Auguste Petit. M. Monfine, le premier artiste de cette maison,

maison, créé pour Bérénice cette coiffure à la grecque d'un grand caractère, que nous reproduisons, ornée du superbe diadème d'or incrusté d'étoiles en diamants et de pierres précieuses formant auréole. Au troisième acte, c'est la coiffure Tanagra reconstituée d'après les documents conservés au musée, du Louvre, qui accompagne à merveille le joli visage de la gracieuse comédienne.

ZIBELINE.

SUITE DES POEMES IDYLLIQUES

Bas—relief en terre cuite par J.—A. INJALBERT

L'ART DECORATIF FRANÇAIS

L'EXPOSITION DE LONDRES II

Le triomphe des arts décoratifs a passé, et passe encore auprès de quelques-uns, pour une révolution. C'est, apparemment, qu'on ne s'est pas rendu suffisamment compte de leur nature et de leur rôle. Ces arts familiers, soumis étroitement aux exigences de la vie privée et des moeurs nationales, ont le privilège d'être indispensables en tout état de civilisation. Ils ont devancé les recherches de haute expression aux époques primitives ; ils se perpétuent aux époques de crise; ils possèdent une force d'expansion singulière, jamais entravée. Les envahisseurs germains de la Gaule, Franks et Burgondes, Visigoths et Northmans, n'ont assurément pas grandes ressources supérieures, mais ils se prévalent d'artisans adroits, de batteurs de fer, d'entailleurs de bois, de potiers, de fabricants de fibules et de boucles de ceinturons, d'ornemanistes, enfin, qui imposent à la matière des caprices bizarres, et dont le goût ne sera pas sans ascendant sur l'avenir.

A Byzance, l'art en vient à ne plus s'exercer que sous la forme architecturale et sous la forme industrielle. On exporte à profusion, de la grande ville du Bosphore, des meubles, des reliquaires, des orfèvreries, des miniatures, des pièces de toute sorte, où s'épanouit le style ornemental. Ces objets, et les similaires des ateliers syriens, importés couramment en pays gaulois, y réveillent le génie artiste endormi ou engourdi et, d'ailleurs, en enfance. Nous voyons, au cours du XIe siècle, les sculp3

sculp3

18 LA GRANDE DAME.

teurs romans transposer sur les faces des chapiteaux, des données authenliquement orientales, empruntées aux tissus et aux ivoires. Que dis-je? C'est de la transposition d'un Christ bénissant de triptyque, oeuvre d'art industriel au premier chef, que se dégage, à Vézelay, la statuaire moderne, car d'une figure de quelques centimètres de proportion, on fait, par déduction délibérée et avec une observation manifeste du réel, une figure colossale. Si l'industrie gréco-orientale, dite byzantine, n'avait pas été si féconde, il eût manqué à notre renaissance du XIIe siècle un élément constitutif.

En d'autres périodes, nous constatons de même la puissance expansive des arts industriels et leur influence, tantôt bonne et tantôt mauvaise, sur ce qu'on nomme « les beaux-arts ». Ainsi, durant le siècle de Charles V, les Flamands envoient partout quantité d'ouvrages de bois ou de métal, ustensiles, statuettes, objets mobiliers et plaques tombales, dont l'action est certaine sur les artistes. Un peu plus tard, c'est l'Italie qui fait pénétrer chez nous des figurines et des groupes quasi d'ameublement. Il n'en faut pas plus pour montrer, dans la production des industries somptuaires, un des plus actifs agents de transmission des idées d'art et des styles, même à longue distance. Et si l'on en voulait une preuve encore, je n'aurais qu'à invoquer, par exemple, la récente et complète transformation du décor céramique, sous l'inspiration des Japonais. Aucune intervention n'a été plus efficace à nous détacher des modes traditionnels, à nous ramener au sens de la vérité vivante. Ce n'est point là, je pense, un signe à négliger de l'importance des arts décoratifs.

Pendant le moyen âge, la hiérarchie esthétique est si bien ignorée que chaque artiste exécute également tout ce qui ressortit à sa technique. Un sculpteur sur bois taille à son gré les ornements d'un coffre ou d'une crédence et des sujets héroïques, plaisants, profanes ou sacrés. L'imagier décore un pilier, un chapiteau, une tombe, un retable, avec autant de motifs meublants qu'il en faut, tirés de la géométrie et de la flore. A l'orfèvre on demande de merveilleux reliquaires, des calices et des ostensoirs éblouissants, des anneaux, des chaînes d'or, des couronnes et de la vaisselle ordinaire. Un peintre, comme Jehan Perréal, peint des compositions religieuses, des portraits, des bannières, des cartons de tapisserie et jusqu'à des portes d'armoire. Ainsi des autres gens de métier. La différence entre les artistes naît de leur talent et du crédit dont ils jouissent, jamais du genre de travail réclamé d'eux. On ne connaît, dans l'intérieur des corporations, qu'une distinction respectable : les maîtres et les apprentis. Il est entendu que les corporations se valent. Par suite, les princes attachent à leur personne, et au même titre, sinon pour la même utilité, des imagiers, des armuriers, des orfèvres, des brodeurs... Avant le XVIIe siècle, nul n'a pensé à rétrécir le champ de l'art et

L'ART DÉCORATIF FRANÇAIS. 19

à denier à un producteur de race le droit de ne se point cantonner dans un seul domaine. Le Brun, premier peintre du roi, placé à la tête de la manufacture des Gobelins, tient encore pour l'indépendance et le montre en dessinant des modèles en quantité à l'intention des bronziers, des tapissiers, des ébénistes; mais déjà le paradoxe de l'infériorité des arts utiles prend vigueur. Au XVIIIe siècle, le préjugé s'enracine, tandis que, par la plus étrange des contradictions, tant d'écoles gratuites se fondent, de tous côtés, au profit des industries de luxe. Il y a désormais une classe d'oeuvres réputées aristocratiques et transcendantes, parce qu'elles servent uniquement les vanités, et une classe d'oeuvres déprisées, parce qu'elles sont d'usage pratique. Les raffinés, en recueillant ces dernières, croient se devoir à eux-mêmes d'y attacher peu d'intérêt.

On serait tenté de croire que la Révolution de 1789 va mettre fin à cet état de choses.

Non; l'esprit de l'ancien régime se maintient dans les ateliers, tout au moins pour l'intolérance. Les « artistes » sont mal venus à

prêter un concours régulier à l industrie. Plus que jamais les gens de métier sont des artisans — et les plus déconsidérés des artisans peutêtre. Je ne crois pas qu'en aucun temps, sous l'empire de doctrines plus opposées à notre génie, la liberté imaginative ait moins régné dans le domaine de la décoration.

Mais il n'est pas de malentendu qui ne finisse par disparaître. L'Exposition universelle de Londres, en 1851, vint à son heure, avonsnous dit, pour donner à réfléchir. Le temps et les moeurs ont fait le reste. En notre société renouvelée, constituée sur le droit individuel et sur le travail, la circulation de l'argent, le rapprochement des classes, la facilité des déplacements, l'instruction publique propagée, ont suscité partout des délicatesses auxquelles la science et l'art fournissent les moyens de satisfaire. Simplification des procédés, invention de précieuses machines, abaissem*nt des frais cle tout ordre, rien n'a manqué. Au goût de l'oeuvre d'art exemplaire, promise aux seuls privilégiés, s'adjointle goût des choses accessibles à tous, où un peu d'art est entré. On a le légitime désir de recevoir de tout ce qui encadre la vie des impressions

SIEGE EN BOIS SCULPTE

par R. CARABIN

20 LA GRANDE DAME.

heureuses, des suggestions fécondes. Aussi nos maîtres des industries somptuaires ont-ils libre chemin devant eux. Ce n'est pas un ouvrier vulgaire qui peut mettre en accord avec la sensibilité humaine une tenture, un meuble, un vase ornemental, un bijou. Beaucoup exposent annuellement des tableaux convenablement brossés, des statues modelées habilement, à qui l'on a peine à décerner le nom d'artiste. D'autres ne font que des assiettes, que l'on doit saluer poètes et charmeurs. Le tout est, quoi que l'on entreprenne, qu'on subisse l'intime entraînement et qu'on arrive à l'exquis par sa propre pente.

Il ne m'appartient pas de qualifier les personnalités d'exposants dont on a vu à la Grafton galerie figurer une série d'ouvrages. J'ose dire, cependant que leurs envois représentent la fleur actuelle des arts décoratifs en France. Il y avait là quelques pièces dignes de prendre rangdans les collections les plus fermées et quelques autres faites pour ajouter une splendeur au plus somptueux appartement. On a pu tirer surtout, de la contemplation de ces vitrines, abondance de réflexions et d'idées. C'est plaisir de noter, par exemple, l'étonnante diversité des inspirations puisées dans la simple observation du détail de la nature. Les volutes des lianes, les mousses des arbres, les prestiges incessamment modifiés de la fleur, les irisations des coquillages, les changeantes moires des fontaines, les animaux, les insectes, tout ce qui s'offre à nos yeux, tout ce qui se peut décomposer dans sa forme et analyser dans sa couleur dégage mille et mille insinuations pour le renouvellement des formules. Dans les infiniment petit* comme dans les infiniment grands de l'univers, surgit à tout coup l'inattendu. Les vieux gothiques avaient bien senti qu'il n'est de vrai rajeunissem*nt de l'art que par l'étude passionnée du réel et l'étude du réel nous assure, à notre tour, la liberté même de la fantaisie. Qui peut se vanter d'être aussi varié, aussi fantasque, aussi chimérique, aussi neuf que la nature?

Seulement, il importe que les amateurs ne s'enferment pas dans le goût du passé et qu'ils favorisent la production nouvelle. Admirons les aïeux et ne pastichons point leurs chefs-d'oeuvre. Chaque génération qui a sa vie propre doit avoir ses modes d'expression particuliers. Ni excentricités, ni pastiches. La grande affaire, c'est d'être de son temps.

L. DE FOURCAUD.

A. JACQUIN

PRÈS D'ANTIBES, EN AVRIL

C. OGIER. — CHRYSANTHÈMES

PEtit* SALONS

M. DALPAYRAT — M. LACHENAL — MM. OGIER ET JACQUIN - LES FEMMES ARTISTES

Le mois dernier, la galerie Georges Petit a eu deux expositions de céramique de qualités bien différentes : dans la grande salle, les faïences de M. Lachenal; clans la salle de la rue Godot-deMauroi, les grès flammés de M. Dalpayrat.

M. Lachenal est un habile et amusant décorateur

décorateur pâtes. Il a essayé de tous les styles et de toutes les ornementations, sans paraître avoir de préférence; il a souvent rencontré l'effet brillant; quelquefois, par surcroît, des dessins heureux, des harmonies délicates de couleur. Les très nombreux objets qu'il a présentés au public témoignent tous d'une grande facilité et d'un penchant vers l'art gai, on pourrait dire bon enfant. En les passant en revue, nous nous rappelions ce précepte du plus intelligent directeur

22 LA GRANDE DAME.

de Londres : « Faisons de l'art en nous tenant dans le cadre populaire. » S'il était céramiste, sir Augustus Harris modèlerait et peindrait la faïence comme M. Lachenal.

Entre tant de motifs, imitations orientales, réminiscences de Deck, modernisation extrême de Palissy, M. Lachenal revient souvent au décor persan, dont il fait de jolies applications en vert et rouge. Il met aussi en scène les animaux de la basse-cour ou des alentours : le coq, le canard, la grenouille. Ce n'est pas certes une innovation en céramique : nous nommions à l'instant Palissy, dont presque toutes les pièces ressemblent à un petit aquarium. Mais ce qui donne à la zoologie de M. Lachenal son caractère particulier, c'est qu'elle n'est pas, comme

chez son grand ancêtre, agencée pour la beauté des formes et des couleurs. Nous l'avons dit : il met en scène sa petite ménagerie, et le public ne pense plus qu'à s'amuser de l'ahurissem*nt d'un jeune canard pincé par une écrevisse ou du port de tête contemplatif de deux grenouilles qui donnent la sérénade. Le sujet, l'anecdote tire parfois l'oeil

de façon exclusive; on oublie la pièce de céramique pour le tableau de genre.

A côté de ces petites choses amusantes et même un peu « farce », il convient de signaler comme recherche technique différents essais d'émail mat, notamment sur un grand vase à fond vert d'eau orné de branchages en relief d'un bleu céruléen. Cette pièce intéressante a été acquise par le Musée des Arts décoratifs.

Bien différents, à l'antipode, semblent avoir été modelés et émaillés les grès de

M. Dalpayrat, que les amateurs ont admirés derrière les vitrines et dans le demi-jour de la petite salle. C'est de l'art pour initiés,

initiés, il n'y a rien pour la curiosité, ni pour la mode. S'il fallait résumer en un seul mot le jugement qu'inspirent ces travaux, nous dirions : c'est de la céramique en soi. Un très remarquable effort dans lequel

FAIENCE DE LACHENAL

FAIENCE DE LACHENAL

PEtit* SALONS. 23

la condition de la matière et les lois du genre sont observées avec une rigueur que rien ne dément. On sent, devant ces formes simples, ces couleurs sévères et unies, que le fervent artiste n'a pas songé un instant à sortir de ce problème : montrer ce qu'on peut faire avec certaines pâtes, certains émaux fusibles, certains feux. Et le plus profane a l'impression bien nette que les séries de vases qu'il a sous les yeux, depuis la plus grande amphore jusqu'à la plus petite ampoule, démontrent la pleine réussite de la tâche entreprise. Ici pas de décor, pas de polychromie, pas de sujet ; à peine çà et là un rappel de forme animale ou végétale ; un goulot en bec d'oiseau, l'enroulement d'un lézard encore à demi engagé dans la pâte, et qu'on dirait saisi par le feu avant d'être arrivé à la vie. Ces formes d'une belle nudité sont revêtues de rouge sombre, de vert bronze, de bleu lapis, comme des liquéfactions de métaux opérées au sein même de la terre. Et voici que l'imagination se sent gagnée à son tour, et derrière les coulées d'émail, la belle égalité du ton des couvertes, elle rêve d'un mystère que connaîtraient les émérites ouvriers de l'argile et du feu, et d'une profusion d'êtres confusément entrevue

dans la matière pétrie de leurs mains. Avec quelques lignes, quelques rondeurs, deux ou trois sobres couleurs

et autant de formes vivantes, sans plus, l'artiste évoque l'idée d'un monde en train de naître et de se préciser. Les connaisseurs sont unanimes sur le rare mérite technique de l'oeuvre de M. Dalpayrat. Il nous a paru juste de noter aussi l'impression esthétique qu'elle suggère.

MM. Jacquin et Ogier ont déjà exposé l'an dernier, chez Petit, une série

de pastels et d'aquarelles, dessins, etc., qui avait attiré l'attention du public. Cette

année ils en ont envoyé une nouvelle série.

Les uns et les autres sont très frais de ton, d'une touche libre et légère. Paysages et figurines sont pris dans une lumière gaie et aimable, dans des saisons heureuses ; cela se regarde avec agrément. M. Jacquin,

LACHENAL. — JARDINIÈRE DU SERVICE SARAH BERNHARDT

c. OGIER. — HÊTRE DE GOURZY (Eaux-Bonnes)

D A L P A Y R A T. GRES FLAMMES

PEtit* SALONS. — GALERIE GEORGES PETIT

Mmo F, FLEURY. — ETUDE

EXPOSITION DES FEMMES ARTISTES. — GALERIE GEORGES PETIT

26 LA GRANDE DAME.

2 6

Mme MURATON (Euphémie). - TANT-BELLE ET RADIVEAU

lui aussi, ne dédaigne pas l'anecdote et la pointe, témoin la fillette qui frappe à la porte de l'école fermée et le marmiton qui joue de la clarinette au bec d'un perroquet effaré. La vision de M. Ogier a quelque chose de plus pénétrant : signalons, par exemple, un ou deux effets d'aurore embrumée et quelques notations fines de mer sous différents états de ciel.

L'Exposition actuelle des

Femmes artistes a plus d'unité que les précédentes et un meilleur niveau.

On n'y voit plus guère l'aquarelle de jeune fille attestant, comme un

certificat d'études, une brillante

éducation. Le pot de fleurs assorties, la faïence italienne au col garni de roses, le déballage de chrysanthèmes ou de lilas se font rares. Mais l'ensemble de ces tableaux montre une fois de plus l'influence d'une école ou d'une mode d'art plus sensible chez la femme peintre que chez l'homme. Le pinceau est plus facile et habile que la vision n'est originale. Nous saluons au passage plus d'une ancienne connaissance. Ainsi, Mme Marie Duhem a des personnages de Baslien Lepage dans des paysages de Cazin. Les pastels très mondains de MIle Jeanne Rongier, très veloutés et frais de ton, sont des Lévy. Mlle Emma L. Chadwick estompe ses tètes d'enfants,

modelées en traits heurtés, dans les ombres bleues et violettes des Monet et des Sisley. Les affinités de ce genre sont encore faciles à déterminer dans des oeuvres plus personnelles et plus dégagées, telles

Mme SPARRE (Emma). — TYPES SUÉDOIS

PEtit* SALONS. 27

que celles de Mmes Louise Desbordes, Le Roy d'Étiolles et Tynell.

Mme Le Roy d'Étiolles a passé des carnations affriolantes et des éclatantes couleurs à la Chaplin aux demi-teintes discrètes, aux pénombres poétiques, aux expressions songeuses des figures de Point ou de Picard.

Mme Louise Desbordes attire, entre toutes, l'attention par l'étrange harmonie de' floraisons flottantes, comme celles qu'elle intitule : Légende des algues de Plogoff. Ce sont, avec les algues, des roses d'eau, des anémones, toute une flore de limbes sous-marins, parmi lesquelles s'éveillent des têtes de nymphes marines, figures tristes, aux yeux voilés, aux lèvres closes, qui ne voient que des reflets et végètent dans le silence.

Une artiste suédoise, Mme Martha Tynell, a observé, à des heures

choisies, sous des crépuscules or et rose ou gris bleuté, des anses de

rivières, ou des berges de Seine avec, leurs mouches et leurs pontons.

Ces études sommaires, d'une certaine minute de lumière sur l'eau, sont

saisissantes.

Th. L.

Mme VALLET (Frédérique). — TROTTINETTE

LA VENTE GUl

Qui a pu se défendre d'un serrement de coeur en feuilletant le catalogue distribué quelques jours avant la vente de Guy de Maupassant? Un petit cahier à peine grand comme la main, ressemblant à s'y méprendre au prix courant d'une spécialité commerciale. Sous la couverture jaune, en neuf pages de quelques lignes chacune, une désignation sommaire des objets laissés par le grand écrivain.

Que de pensées et de curiosités éveillait cette énumération si courte! Pensées toutes mélancoliques, curiosités souvent déçues. Car, à voir ces meubles, ces tableaux, ces tapisseries, ces porcelaines, exposés à l'Hôtel des Ventes, sous la lumière sale et pluvieuse d'une après-midi d'hiver, on avait l'impression que leur triste désarroi

DE MAUPASSANT

n'était que la dernière étape d'un perpétuel exil, et que bien peu de ces reliques pourraient dire quelque chose sur l'intime de l'homme qui y avait arrêté un instant son choix.

Pendant que s'évertuail, l'expert et que martelait le commissaire-priseur devant ces pauvres objets comme en détresse sous les cent paires d'yeux de rares amis et d'une presse de badauds, nous cherchions du regard laquelle de ces dépouilles nous raconterait le vrai Maupassant. Les tapisseries à personnages et à verdures qui revêtaient les murs de l'hôtel Montchanin ou de l'appartement de la rue Boccador? Non, sans doute. Ce décor, d'une mondanité que le rude artiste a acceptée comme la rançon de son succès, a dû lui rester bien extérieur. Il y a installé, en réalité et en fiction,

30 LA GRANDE DAME.

ces mondaines artificielles qui lui ont inspiré l'Inutile Beauté et Notre Coeur, celles que redoutait son ingénuité et qu'il crut vaincre en les fuyant. Mais le décor, pas plus que les personnages, n'a rien gardé de lui.

Ces fauteuils Louis XVI, bois sculpté et doré, velours frappé, ces paravents de soie à petit* bouquets, ce traîneau Louis XV capitonné de soie pâlie par le temps, celte bergère du siècle dernier, tout ce mobilier qui exhale un dernier relent subtil d'iris et de poudre à la maréchale au milieu des poussières volantes et des odeurs âcres de celle salle des ventes, avait gardé un peu plus de l'homme et de l'artiste qui y avait assis ses réflexions et ses rêveries. Dans les années heureuses de sa jeunesse en fleur et en sève et de son obscurité, Maupassant avait, à certains jours, une couleur d'âme aurore ou céladon. Le joli captivait ce robuste. Le subtil plaisait à cet ami des touches larges et franches. Sur cette bergère il a observé et écouté l'exquise douairière de son Histoire du Vieux Temps. Ni le Bouddha doré rêvant sur son lotus, ni les potiches de vieux chine rose et les cornets en japon ne nous font de ces confidences. Cela, c'est la mode du moment où Maupassant se crut engagé d'honneur à mener une vie représentative. Il a suivi cette mode en enfant docile et intrigué, en jeune Hercule qui veut faire bien plaisir à Omphale. Tout aussi bien il se fût entouré de Burnes Jones et d'objets d'art signés Morris, s'il avait été lié au cheveu d'or pâle d'une Anglaise esthéticienne.

Les quelques tableaux déjà clairsemés chez lui et perdus aujourd'hui sur les hauts murs nus de cette salle Drouot ne donnent aucune idée sur le goût plastique de Guy de Maupassant. Mais en est-il bien besoin après les quelques lignes dont il fit précéder le seul compte rendu de Salon qu'il ait consenti à écrire? On se souvient qu'il déclarait sans ambages que personne ne comprend rien à la peinture et qu'on juge, à le prendre sincèrement, d'après une impression pure et des sympathies personnelles. Sa petite collection était justement un groupe sympathique : des paysages de Le Poitevin, son parent tendrement aimé, et d'autres amis : Raffaëlli, Gervex, Guillemet, René Billotte.

Plusieurs de ces toiles lui rappellent des endroits aimés : ainsi la Mer dans le Midi, de Gervex; une Vue de Normandie, de Guillemet; un fier paysage à belles lignes, d'Harpignies; un Port de pêche, encore clans le Midi, de Jeanniot; un dessin sur bois d'Antibes, par Riou. Eh oui, il n'y a pas à dire : clans les tableaux, c'est le sujet qui plaisait à Maupassant, et l'esthétique picturale est un des soucis dont il s'est le moins embarrassé.

Nous aurons énuméré presque toutes les toiles de sa galerie en miniature, si nous y ajoutons quelques épaves évidemment familiales comme les deux H. Bellangé : le Chasseur poète et Braconnier à l'affut. Ces toiles-là, il les avait dans son premier appartement de Paris, son petit logis des Batignolles, ainsi que les antiques armoires normandes

LA VENTE GUY DE MAUPASSANT. 31

aux belles sculptures qui avaient l'air si dépaysé par celte après-midi drapée de brume, au milieu de cette cohue d'allants et venants.

La vente s'achève à petit* prix. Des inconnus, déménagent les armoires normandes et la bicyclette Humber, plus amies certes du vrai Maupassant que tel ambitieux bibelot ou même telle oeuvre d'art moderne que des fervents font monter. Les amis venus là pour rappeler des souvenirs et emporter une relique se partagent les meubles et les bibelots Louis XV et Louis XVI. Alexandre Dumas se rend ainsi acquéreur d'une glace à cadre sculpté, et Mme Zola se fait adjuger pour son mari un portrait de Tourguenef. Un dernier coup de marteau; c'est fini. Dispersé, le décor éphémère où a si peu habité l'auteur d'Une Vie, de En Yacht, de Sur l'Eau, d'Ailleurs.

« Ailleurs, » c'est le dernier mot et le résumé de l'existence et de l'âme même de Maupassant. La vente de son intérieur ne pouvait en donner qu'un vague et intermittent reflet.

G. DE V.

GROUPE EN BRONZE, par RODIN

(Ayant appartenu à Guy de Maupassant)

L'AN 94 ayant sonné au cadran des Eternités, le vieux Janvier et le jeune Nivôse se coalisèrent pour saupoudrer de neige l'horizon parisiaque.

Janvier, toujours joyeux en sa qualité d'Ancien-Régime,- voulut, selon les coutumes, cristalliser des sucres autour des marrons, et faire luire le flanc rebondi des dindes sous la flamme des rôtisseries, ce dernier temple d'Agni, dieu du Feu.

Mais Nivôse, en sa qualité de révolutionnaire, résolut d'accentuer les rigueurs jacobines du Froid et de cristalliser les pauvres, oh! les

34 PARISIENNES SENSATIONS.

pau... les pauvres hères, sous la fine couche adamantine de frimas.

Certes les thermomètres les plus optimistes reculèrent, descendirent, et s'affalèrent en un effondrement subit, vers le quatorzième degré au-dessous de zéro.

Le seigneur Janvier, attaché à ses usages très

séculaires, souriait, escomptant la froidure. Il

apercevait délicatement, au Bois de Boulogne, l'élite

des patins mondains ou diplomatiques traçant

d'élégantes arabesques sur les lacs devenus

— enfin! — solides.

y avait maints braseros destinés

à rendre aux belles skatineuses

la chaleur nécessaire à des nez

Et le vieux Janvier souriait à

Mais le jeune Nivôse, noir,

impétueux et dur, travaillait le peuple.

D'un souffle amer, il rendit inhabitables les fossés des fortifs, les dessous de ponts, les routes et les bois, et força de mourir, sous un froid bis aigu, mille personnes âgées et même trois pauvres petit* enfants, errant sur la berge de Seine, loin de tout calorifère.

Et le jeune Nivôse méchamment riait, voyant que les Asiles de nuit refusaient du monde et que des barbes de glace poussaient au visage des tritons de la Concorde, à la fière gueule des lions de

PARISIENNES SENSATIONS. 35

Saint-Michel, et jusque, ô irrévérence! sous le nez bleu de la République du Château-d'Eau.

Et Nivôse disait, farouche : « Non, il n'existe pas de braseros pour ceux qui patinent sur la glace de Misère ! »

Or le vieux Janvier, ne comprenant rien, gémissait : « De mon temps ! ah ! oui, de mon temps! on ne songeait qu'à s'égayer sous mon sceptre de fantaisie carnavalesque. On ingurgitait des huîtres et des truffes, et, ferme, l'on buvait du Champagne. »

Or Nivôse de répondre : « Ce n'est plus le temps, père Janvier! Les petit*, qui se contentaient de gémir et de recueillir parfois les miettes du festin, grincent des dents à cette heure. »

Et alors, très ému de ses libations nombreuses et multipliées, Janvier se

leva et dit : « Tu as raison, Nivôse, ô cher fils! Mon froid joyeux doit songer à ton froid sinistre ! »

Et Janvier poussa un long cri de pitié qui, dans tous les palais

ou l'on coupait la galette des Rois, retentit.

L'entendront-ils, les heureux? Et le son des

36 PARISIENNES SENSATIONS.

harpes et violons n'empêchera-t-il pas cette

clameur d'atteindre à leurs oreilles?

Nivôse formula : « Il est temps! J'ai soufflé le froid et la mort. Que va-t-il sortir de ma neige? »

Et le vieux Janvier, toujours optimiste, criait : « Espère ! Espère en la Fraternité ! »

Et les deux mois d'Hiver, l'ancien et le nouveau, s'embrassèrent, en neigeant dans le coeur l'un de l'autre.

Et la glace se fondit entre eux.

Or l'oeil du Dieu de miséricorde s'attendrit devant cette effusion, symbole possible de l'Avenir : lorsque la Charité aura tué le Froid.

Amen !

Emile GOUDEAU.

Madame Robert de Bonnières

James Tissot, le peintre des élégances hautaines d'outre-Manche et des grâces plus fines des bords de la Seine, a fait un pastel de Mme Robert de Bonnières, tout vibrant de modernité

C'était bien le peintre qu'il fallait choisir, pour cette jolie femme dont le parisianisme s'élève à des hauteurs enviées.

Très mince et très blonde, avec ces yeux de pervenche chantés si souvent par les poètes, Mme de Bonnières serait une fleur de chic, si la douceur de son regard et les ornements de son esprit ne la plaçaient pas beaucoup plus haut.

Elle porte volontiers la mode de demain et on lui doit différents changements dans la toilette, faits pour enchanter les plus difficiles.

Mariée à un poète diplomate, la jeune femme, en choisissant par inclination cet homme de valeur pour le compagnon de sa vie, a bien montré qu'elle n'était pas seulement une de ces Merveilleuses destinées à régner sur les chiffons.

Dans ce Paris réputé frivole, les femmes savent ajouter à leurs séductions une science et une élévation de goût, qui leur permettent de causer avec les plus graves ou les plus illustres. Sous le sourire de

Célimène peut se cacher un jeune docteur.

Mme Robert de Bonnières est docte entre

toutes. Elle a pénétré dans les arcanes de la

théologie et lu sans fatigue la Somme, de

saint Thomas d'Aquin. Elle parle de Wagner,

le mystérieux musicien d'aujourd'hui, comme

un grand critique pourrait le faire; elle l'interprète même, en se jouant des difficultés

de cette orchestration touffue; elle a traduit des philosophes allemands et elle cache tous

5

38 LA GRANDE DAME.

ces trésors de connaissances, qui fatigueraient un cerveau masculin, sous la grâce et l'aisance d'une jolie femme paraissant occupée seulement de mondanités.

Elle n'a pas le mauvais goût de professer à tort et à travers. C'est seulement avec ceux qui s'intéressent aux questions sérieuses qu'elle laisse découvrir une partie de ses studieuses occupations.

Très recherchée, elle trouve moyen, malgré sa délicate santé,

d'accorder sa présence à ses brillantes amies, telles que la comtesse Hoyos, ou la comtesse de Mun, et de poursuivre ses travaux intellectuels.

Il y a peu de temps, M. et Mme Robert de Bonnières ont changé d'installation, je voudrais donner le nouvel arrangement de levr intérieur, comme modèle à copier. Le salon, de style Louis XVI, aux boiseries blanches et or, semble fait exprès pour encadrer les toilettes à la Reynolds, ou à la Gainsborough, que portent si volontiers les

MADAME DE BONNIÈRES. 39

Parisiennes de notre fin de siècle. Ce salon est rempli de tableaux et d'objets d'art bien choisis.

Pour le reste de l'ameublement, Mme de Bonnières a voulu se conformer au style britannique. Les papiers de tentures ont été achetés à Londres, et tous les objets familiers portent l'empreinte du confortable et de la simplicité voulue de nos voisins du (RoyaumeUni.

COMMODE LOUIS XIV (SALON DE Mme DE BONNIÈRES)

M. Paul Bourget serait ravi de cette organisation. M. Robert de Bonnières va s'y trouver inspiré plus que jamais. Il nous donnera un pendant des Contes à la Reine, grâce à sa jeune inspiratrice, rivale préférée à toutes les fées de ses songes.

ÉTINCELLE.

Lys Visuel

Comme un beau lys d'argent aux yeux de pistils noirs Ainsi vous fleurissez profonde et liliale, Et tout autour de vous la troupe filiale Des fleurettes s'incline avec des encensoirs.

Dans votre belle forme une pensée égale Mêle à l'éclat du jour la tristesse des soirs, Et vous ne vous penchez avec des nonchaloirs Que pour vous redresser plus fière et plus royale.

Votre arome est votre âme et votre amour est fort; Ils vont au bien, au beau, fixant jusqu'à la mort, — Car le parfum sait bien qu'il se volatilise...

Et montant jusqu'aux dieux dans l'azur qui s'alize Vont les prier pour ceux qui n'ont point vos pouvoirs, Beau Lys qui regardez avec vos pistils noirs!

R. DE MONTESQUIOU.

(Exlrait du Chef des Odeurs suaves.)

Le Comte R. de Montesquiou

Mercredi, à la Bodinière, devant une chambrée des plus élégantes, le comble du joli et le superlativement précieux ont triomphé en la personne du comte R. de Montesquiou-Fezensac.

Dès trois heures, la coquette salle était comble; tous les faubourgs s'étaient donné rendez-vous

rendez-vous y compris le faubourg Montparnasse, représenté par M. Paul Verlaine.

Venait-on s'enquérir

de Mme Desbordes-Valmore, poétesse un peu négligée, à tort du reste, de la génération actuelle? Ou plutôt n'était-ce point le comte poète lui-même, M. de Montesquiou, que l'on avait su jusque-là fort dédaigneux des exhibitions à la Jean Rameau, et que l'on désirait voir, non plus au coin d'une cheminée en quelque aristocratique salon, mais sur les planches d'un vrai théâtre, où naguère encore Félicia Mallet se fit entendre, et où MM. Maurice Lefèvre et Octave Pradels se disputent à tour de rôle, amicalement, la palme du succès.

On contemple sur le programme la tête inspirée du poète, qui ressemble un peu, d'après Renouard, à Capazza, l'aéronaute bien connu. Singulier effet! Un doigt sur le front semble dire: « Il y a quelque chose là! » Et l'on attend ce quelque chose avec cette bienveillance spéciale et hybride d'un public qui vient voir comment un amateur ose entrer dans la cage aux lions.

Car il n'y a pas, dans ce mélange de divers faubourgs, rien que des fanatiques de l'élégant poète. Il y a aussi d'autres poètes, à la dent amère, et plusieurs dessinateurs qui n'ont pas froid au crayon.

Certes on aperçoit des parrains aristocratiques : la reine de Serbie, la comtesse d'Eu, la princesse Ghika, la comtesse Janzé, la princesse de Chimay, la princesse Demidoff, la

42

LA GRANDE DAME.

comtesse Greffulhe et aussi la comtesse Cahen

d'Anvers, la baronne Salomon de Rothschild, et

Mme Maurice Éphrussi et tant et tant d'autres des

faubourgs d'argent ou de gloire; et des faubourgs

faubourgs chic : de Mme Beulé à Mme Gyp, Si et de Mme Lemaire à Mme Sarah Bernhardt. Il

y a là certes M. le prince de Sagan, et maints

comtes ou marquis.

Maison aperçoit aussi les têtes inquiétantes de plusieurs ironistes, apprêtant des sourires malicieux.

Enfin le rideau se lève. On va voir.

Le comte Robert de Montesquiou entre. Grand, svelte, élégant, d'une élégance sobre et correctissime, avec ses cheveux bien plantés et naturellement ondulés, sa redingote (ah! la redingote de l'après-midi, elle en fournira tout à l'heure, à la sortie, des sujets de dissertation esthétique sur l'étiquette). La cravate sombre à gros plis. J'aurais voulu un peu plus de blanc quand même ; rien qu'un mince liséré de col, cela n'éclaire pas assez. Le tout devient un peu trop clergyman. En somme, n'est-ce pas une sorte de prêche que nous fit, à la Bodinière, le comte de Montesquiou?

Un prêche, mais malheureusem*nt un prêche lu. Le conférencier baisse les yeux sur son manuscrit, puis les lève au ciel, en pointant un doigt vers les frises.

Bref, des aperçus délicieux de grâce et de maniérisme sur Mme Desbordes -Valmore. Des dames applaudissent; les ironistes sourient à peine

et discrètement. C'est un succès.

Quelques phrases du noble conférencier :

« ... Celle dont le front se nimbe du halo d'une auréole qui serait une aurore. » « ... qui résume le parfum de ce flacon, la

quintessence de l'essence. »

« ... le puits artésien de sa conscience. »

« ... d'efflorescences et de fluidités, de sourires, de soupirs et de sourires. »

Et, à propos de Mme Desbordes-Valmore que M. de Montesquiou appelle la Sapho chrétienne, il lance un joli couplet sur les ornements à travers les âges, et en conclut à la beauté de la femme nue.

LE COMTE R. DE MONTESQUIOU. 43

Propos entendus à la sortie :

Une très jolie dame : « Ah! si j'avais su, j'aurais inauguré là ma robe feu !»

Une autre dame, qui n'est sans doute pas de ce bateau : « Mais c'est inouï de préciosité, cela! »

Un poète ami du conférencier : « Je crois que je vais taper le cher comte de vingt-cinq louis au moins. »

Et Sarah Bernhardt sort étalant sur ses épaules un singulier mantelet, composé de petit* crocodiles ou de lézards qui, la tête en bas, se mordent la queue; c'est très exotique et amusant.

UN POÈTE.

THEATRES

M. Bisson est un ami du franc rire. Il en est fort peu, parmi nos contemporains les mieux doués, qui aient une gaieté plus épanouie, une force comique plus sincère.

C'est un genre ou il est passe maître, et dans lequel il compte déjà plus d'un chef-d'oeuvre.

L'Héroïque Le Cardunois continue heureusem*nt la série. A vrai dire, Le Cardunois n'est héroïque qu'en paroles — et quand c'est lui qui parle. Au fond, ce n'est qu'un âne revêtu de la peau du lion.

Mari sur le retour d'une femme jeune et jolie, Le Cardunois se dit qu'avec un peu d'habileté on

peut toujours remplacer le principal par des accessoires. Donc, Le Cardunois, piètre sire, clans la réalité, se donne les gants d'un héros. C'est un sauveteur en permanence : il va également à l'eau et au feu; il arrête les chevaux emportés sur la voie publique, et fait rentrer

clans le devoir les tigres et les lions échappés de la cage du dompteur.

La vérité se découvre après une suite non interrompue de drôleries bouffonnes qui font de ces trois actes un long

éclat de rire.

La Famille, qui interrompt la guigne noire sous laquelle le Gymnase menaçait de crouler, est un de ces drames infimes et bourgeois, honnêtes, malgré quelques détails scabreux, où il y a plus de larmes que de rires, mais dont la fable attachante tient en haleine un bon public heureux de retrouver une de ces histoires dialoguées, où l'émotion est suffisante et la morale couronnée au dernier acte.

Voilà bien les oeuvres dramatiques comme les aimaient jadis les habitués du Théâtre de Madame. Elles ramèneront au Gymnase la fortune infidèle.

VARIÉTÉS :

L'Héroïque Le Cardunois

Mlle Lender

L'Héroïque Le Cardunois Mlle Lender

G. DE C.

LA VIE A PARIS

LES DERNIERES MODES

En attendant l'éclosion des brillantes fêtes que décidément le printemps peut seul déterminer, le monde parisien se console en multipliant les réunions intimes, les

soirées artistiques et les matinées musicales.

La princesse Mathilde, dont l'hospitaliLé est une des plus gracieuses et des mieux entendues, cédant aux sollicitations de ses nombreux amis, reprendra cet hiver ses réceptions dominicales toujours si goûtées et si suivies. Les mercredis seront, comme par le passé, réservés aux intimes.

La société que préfère la princesse est celle des gens de talent; musiciens ou littérateurs, peintres ou sculpteurs, forment le contingent habituel de ses réceptions où Règne la plus

franche cordialité.

Mme Aubernon de Nerville, dont le théâtre mondain peut rivaliser avec nos premières scènes parisiennes, a entr'ouvert ses salons de l'avenue de Messine pour une soirée artistique où l'on a entendu tour à tour Mme Sulzbach,

Sulzbach, Vesterbo et Millot, artistes amateurs de talent, et Mlle Auguez, et M. Cooper, dont les succès n'ont pas été moindres.

Mme la vicomtesse de Trédern n'a encore ouvert ses salons qu'aux jeunes amies de sa fille; elle donne en ce moment une série de sauteries, en attendant la reprise de ses mardis artistiques, où sa voix admirable tient sous le charme les heureux élus de ces fêtes de l'esprit et de l'art.

Mme Sulzbach vient de renouveler une tentative qui mériterait de rencontrer parmi les maîtresses de maison un plus grand nombre

L'Héroïque Le Cardunois Mlle Lender

L'Héroïque Le Cardunois Mlle Joissant

6

46 LA GRANDE DAME.

d'adepLes. Les invitations lancées pour son bal du 30 janvier portaient la suscriplion : « De neuf heures à une heure. » L'habitude de n'arriver qu'à minuit dans les bals et de ne rentrer qu'à l'aube est déplorable. Au point de vue de l'hygiène et de la santé, il serait

à désirer que les femmes de notre société, qui

dirigent le mouvement mondain, s'entendissent pour faire adopter définitivement cette heureuse innovation.

Il n'est question que de danse à l'heure

actuelle parmi la jeunesse, et c'est bien permis en temps de Carnaval de rêver bals et cotillons.

cotillons. aristocratiques misses de Londres viennent de révéler à nos jeunes Parisiennes une nouvelle danse : la Gavotte du pas de quatre, qui promet de donner aux bals de cet hiver un piquant attrait de nouveauté. Cette danse se compose de

figures très gracieuses exécutées par couples de quatre.

En ce moment l'art musical sert de prétexte pour entrouvrir les portes des salons de quelques femmes du monde, artistes de talent,

talent, que Mme la

princesse Bibesco, pianiste

pianiste qui

vient de donner une

heure de musique, de

quatre à cinq, en l'honneur de la comtesse d'Eu. Mme la baronne Scotti s'est également fait entendre dans l'intimité.

Si l'hiver continue à nous gratifier d'une aussi clémente température, les stations hivernales verront cette saison peu de Parisiennes, et c'est dommage. Ces sites ensoleillés prêtent un décor admirable aux premières manifestations des modes printanières : robes légères, nuances claires et gaies, chapeaux fleuris y voient le jour bien avant de se montrer à Paris. Cette année, le tulle pailleté, si en faveur pour les toilettes du soir, compose de ravissantes coiffures de printemps. Virot vient de

GYMNASE : Dette de Jeunesse Mlle Fériel

PALAIS-ROYAL : Le Fil à la Patte

Mlle Dalville

47

LA VIE A PARIS.

créer ainsi beaucoup de modèles qui rivalisent d'élégance; parmi eux, le Desaix, d'une allure si charmante en tulle pailleté bleu nuit, tout empanaché de plumes

noires; puis le Niçois, criblé de paillettes noires avec fond de roses couleur de cerises mûres, orné de plumes noires. Pour le théâtre, les five o'clock et les concerts, il y a le petit chapeau Gwendoline, puis l'Attaque du Moulin, très original, pailleté or et noir, formant une sorte d'auréole, piquée d'antennes de jais, avec, au pied, un chou de satin antique noir ; sur la calotte est fixée une touffe de roses noires et jaunes. Je signale également aux femmes coquettes la petite capote Isabeau, si gracieuse, fleurie de roses de mai sur fond de tulle éclairé

de paillettes avec griffe de diamants retenant des barbes de tulle givré.

A propos de l'Attaque du Moulin, un de nos

grands bijoutiers de la rue de la Paix a imaginé une jolie petite broche avec un mignon moulin : le corps est en brillants

de divers tons et les ailes en rubis.

Il y a encore de jolies nouveautés au chapitre des bijoux; ce sont de gentilles bestioles : oies sauvages, grenouilles, sauterelles, tortues en émeraudes et brillants. Pour le soir, on a imaginé des ailes de chauve-souris, des plumes, des épis de blé en diamants que l'on pique au sommet de

la tête. Les colliers de perles ou de diamants s'agrafent devant et sont enrichis de pendeloques pouvant se détacher et servir soit de broche, soit de boucles d'oreilles.

Dans la haute société, le mot d'ordre est à la simplicité; les cartes d'invitations pour un bal, un dîner ou une soirée sont totalement dépourvues d'ornement; elles ont la forme d'un carré de moyenne dimension.

Dette, de Jeunesse Mlle Darlaud

Le Fil à la Patte Mlle Cheirel

48 LA GRANDE DAME.

Carrées également sont les cartes de visite dernier

cri, portant le nom gravé en lettres capitales azurées. Le papier à lettres et les cartes correspondance de nos premières mondaines sont de nuance très pâle

avec chiffre monogramme placé dans le coin de gauche. Il est du meilleur ton de ne pas faire marquer les enveloppes, que l'on scelle d'un cachet de cire de feinte pâle s'harmonisant avec la couleur du papier.

Quant aux menus, la mode, très éclectique en a matière, donne libre carrière à l'imagination

fantaisiste, artistique ou drôlatique des maîtresses de maison. Les événements, les pièces

nouvelles peuvent inspirer et fournir des menus

d'à propos, qui mettent dès le début d'un dîner tous les convives en belle humeur; il n'est question, bien entendu, que de dîners intimes. Pour les repas officiels, le menu est voué à la simplicité, aux ornements de missel sur papier

du Japon et sur parchemin, avec, dans un coin, les armoiries.

Une grande maison de la rue de la Paix prépare pour le printemps des menus de fleurs; ce sera frais, charmant, et, si les femmes qui reçoivent mettent dans la distribution de ces petit* souvenirs le discernement qu'il convient, nous allons voir revivre le langage poétique des fleurs.

ZIBELINE.

Dette de Jeunesse (Mlle Fériel)

S. A. J. LA GRANDE-duch*eSSE XÉNIA

DEUX MARIAGES PRINCIERS

A LA COUR DE RUSSIE

La Russie, un instant inquiète de la maladie inopinée du tsar, et aujourd'hui rassurée, se réjouit sans mélange à la nouvelle des fiançailles de la grande-duch*esse Xénia et du grand-duc Alexandre Michaïlovitch.

Xénia-Alexandrowna est la première fille d'Alexandre III et de MarieFéodorovna. Née à Pétersbourg le 6 avril/25 mars 1875, elle est âgée de dix-neuf ans. Comme tous les enfants de l'empereur et de l'impératrice, elle réunit pour ainsi dire par doses égales les traits de l'un et de l'autre. La figure est étrangement décidée, et la grande-duch*esse Xénia a le regard paternel, fermé et droit, avec la bouche maternelle, qui adoucit la virilité de sa physionomie. Pénétrée de l'esprit de famille, la jeune princesse avait depuis longtemps exprimé le voeu qu'il lui fût permis de fixer sa vie sur la terre de Russie au milieu des siens. Dire que la grande-duch*esse Xénia fait un mariage selon son coeur, ce n'est pas

5o LA GRANDE DAME.

répéter, cette fois, une phrase de circonstance, mais exprimer une vérité

bien connue des initiés.

Le fiancé, Alexandre Michaïlovilch, est né le 13/1er avril 1866, à Tiflis, où son père occupait alors le poste de gouverneur général du Caucase. Le jeune prince est actuellement aide de camp de l'empereur, lieutenant dans la marine russe et chef honoraire du 73e régiment d'infanterie. Il a la réputation d'un officier distingué, qui marchera sur les traces de son père, le grand-duc Michel Nicolaïevitch. Celui-ci, oncle d'Alexandre III, président du Conseil d'État, est bien connu par une brillante carrière administrative et militaire. Lors de la guerre contre la Turquie, en 1877, il s'est signalé par la conduite des opérations en Asie Mineure, où il a battu l'un des meilleurs généraux ottomans, Mouktar-Pacha. et conquis à la Russie les deux importantes places de Kars et de Baloum.

A LA COUR DE BELGIQUE

C'est encore un vrai mariage d'amour qui surprenait ces jours derniers la Belgique et l'Europe. Longtemps, paraît-il, les deux familles de Hohenzollern-Sigmaringen et de Flandre ont hésité, à cause de la proche parenté, à consentir au mariage du prince Charles de Hohenzollern avec sa cousine germaine, la princesse Joséphine de Belgique. L'inclination persistante des deux jeunes gens a vaincu cet obstacle.

Le prince Charles est le fils cadet du prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen. Il est né le 1er septembre 1868. et il est actuellement sous-lieutenant au 1er régiment de uhlans.

La princesse Joséphine est la plus jeune fille du comte de Flandre, frère du roi, et de la comtesse, née Hohenzollern. La jeune princesse est née à Bruxelles le 18 octobre 1872.

Les fiançailles, annoncées en forme à la Chambre des représentants et au Sénat de Belgique, ont été accompagnées d'une série de fêtes intimes à Bruxelles et à la résidence de Laeken.

On ne sait encore si le mariage sera célébré à Bruxelles ou à Sigmaringen. La princesse douairière Frédérique Wilhelmine, soeur de Léopold de Hohenzollern, ne pourrait guère, vu son grand âge, assister au mariage de son neveu en dehors de Sigmaringen; d'autre part, le prince Charles n'étant pas prince héritier, il serait d'étiquette que la cérémonie eût lieu au domicile de la fiancée, donc à Bruxelles. Rien n'est encore arrêté.

T. L.

LE MESSAGER

LES PEtit* SALONS

EXPOSITION DE M. DE MUNKACSY

Durant la dernière semaine de janvier, à la galerie Petit, rue de Sèze, M. de Munkacsy a fait les honneurs de son Arpad à une foule élégante, empressée, venue pour féliciter le grand peintre hongrois du succès de sa composition historique. Comme toutes les précédentes oeuvres de M. de Munkacsy, Arpad est un tableau de dimensions vastes. Le talent de l'artiste se complaît dans ces sortes de manifestations grandioses, où, malgré la complication minutieuse des détails et les soins infinis de la mise en scène, l'intérêt général est d'une belle harmonie et d'une symbolique toujours apparente.

L'idée première d'Arpad c'est la guerre, la royauté conquérante, la puissance, l'époque des féodalités sanglantes ; le peuple acclamant le sceptre qu'une vigoureuse poigne d'aventurier brandit dans la mêlée des batailles; une nation intrépide, trempée d'acier ; tous, seigneurs, manants, évêques, courbant le front devant le chevalier bardé de fer, le chevalier qui domine la foule et se silhouette victorieusem*nt dans une

52 LA GRANDE DAME.

perspective de légende. L'intention de M. de Munkacsy est assurément des plus généreuses ; son idéal est. tout d'enthousiasme patriotique, de belle et orgueilleuse venue; mais sa vision reste à l'état d'ébauche, et rien de ce grand tableau, ni le grouillement théâtral des foules, ni l'abondance des gestes composés, ni les attitudes d'atelier, ne procurent au spectateur la sensation de vie et de mouvement qu'on désirerait trouver. La personnalité de M. de Munkacsy est trop en évidence dans le monde des arts, pour que la critique impartiale n'ait pas à son égard la même liberté de langage et de jugement qu'elle emploie envers les grands maîtres. Ces remarques, d'ailleurs, n'enlèvent rien au labeur du peintre, ni à sa science de mise en scène, de décoration; à son travail consciencieux et patient. Et s'il faut le louer d'avoir voulu atteindre, par la représentation archéologique des événements défunts, aux compositions des maîtres, il faut le louer plus encore pour les six toiles qui accompagnaient son exposition. Les deux paysages, tout en rappelant par leur technie les formules de l'enseignement officiel, se révèlent néanmoins originaux par la recherche de la lumière et la solide disposition des valeurs. Arpad, nous dit-on, est destiné à figurer au Parlement de Pesth.

J. DE MlTTY.

CRAIG-ANNAM ( G. ). — Sur la plage de Zaanvoort.

EXPOSITION D'ART PHOTOGRAPHIQUE

Si le mois de mai appartient aux roses et aux artistes, qui tiennent les grandes assises de la peinture et de la sculpture dans leurs palais du Champ de Mars et des Champs-Elysées, janvier et février préludent par toutes sortes de petites expositions particulières aux fêtes officielles que les deux Salons donnent chaque année au printemps.

Le record de ces premières exhibitions est tenu jusqu'ici par M. Georges Petit, qui leur offre l'hospitalité dans son élégant hôtel de la rue de Sèze. Il serait difficile de trouver mieux à Paris.

La Grande Dame y conduisait récemment ses lecteurs pour visiter la très élégante exposition d'un petit

groupe des femmes artistes. Nous les y ramenons aujourd'hui pour étudier les oeuvres souvent charmantes, intéressantes toujours, des photographes amateurs et professionnels, venus un peu de tous les pays du monde pour répondre à l'appel du PHOTO-CLUB DE PARIS.

Tout le monde connaît le développement inattendu, instantané, en quelque sorte, et vraiment considérable que vient de prendre, en ces dernières années, non seulement chez nous, mais clans toute l'Europe, la photographie d'amateurs.

7

A. BERT. — Souvenir de Tanger.

54 LA GRANDE DAME.

Elle braque hardiment son objectif en face de celui des professionnels, et, non contente d'accepter la lutte, c'est elle qui la provoque. Son jury d'admission me rassure tout d'abord sur l'issue de son entreprise, car. à côté de deux photographes amateurs, MM. Audra et de Saint-Senoch, dont le savoir et l'expérience sont indiscutables, j'y rencontre une élite d'artistes, lauréats de toutes nos expositions, le statuaire René de Saint-Marceaux, le graveur Jules Jacquet, Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts, et des peintres connus, qui ont une large place au soleil, comme Guillaume Dubufe, Rossel-Granger, Montenard

et René Billotte.

Avec de pareils noms, le succès de cette tentative ne pouvait pas êlre un seul instant douteux, et cette Exposition de la rue de Sèze n'est autre chose que la réunion de tous les photographes artistes du monde entier.

Il en est venu, en effet, de partout, de la Belgique et du Portugal ; de l'Angleterre et de l'Autriche; de Naples et de Copenhague, de Rome et de Madrid, de Berlin et de New-York, d'Edimbourg et de Moscou.

La perfection des appareils mis à la disposition de tout le monde, l'excellence des matières spéciales à cet art, la simplicité relative des opérations, en un mot tout un ensemble de conditions favorables, permettant d'obtenir, sans une très longue pratique, des résultats satisfaisants, ont fait de la photographie un art d'amateurs, pour lequel les gens du monde se sont aisément passionnés. La photomanie a pris comme une traînée de poudre, et l'on peut dire, sans exagération, qu'il n'y a guère de famille aujourd'hui qui ne compte parmi ses membres un photographe amateur. Ces amateurs, qui se recrutent, comme on le voit, clans toutes les parties du monde, se sont groupés à Paris : ils y ont leur club : le Photo-Club de Paris. Ils ont aussi leur journal : le Bulletin du Photo-Club de Paris illustré, qui paraît le 1er de chaque mois. Ils ont également leur exposition, dont nous avons le plaisir de rendre compte ici même.

ASSCHE (comte d'). — La Prière.

EXPOSITION D'ART PHOTOGRAPHIQUE 55

Nous en sortons un peu surpris, mais complètement satisfaits; car nous avons vu dans cette jolie galerie de la rue de Sèze un ensemble d'oeuvres toujours curieuses et souvent exquises. Ces esprits éclairés, ouverts à toutes les nouveautés, ardents à la recherche de tous les progrès, vraiment amateurs au meilleur sens du mot, c'est-à-dire travaillant pour leur satisfaction personnelle, pour l'amour de l'art et pour la plus grande gloire de la photographie, sans parti pris, sans étroitesse d'école, sans préoccupation de faire marchandise de leurs oeuvres, devaient conquérir, et ils ont conquis, en effet, une très large place

dans la vie artistique contemporaine : ils ont donné une branche nouvelle à l'arbre fécond des beaux-arts, et ce jeune rameau, en pleine fleur déjà, s'appelle l'ART PHOTOGRAPHIQUE.

L'Exposition internationale. d'Art photographique, dont le but, nous l'avons déjà dit, est essentiellement artistique, comprend un assez grand

nombre de numéros, — un peu plus

de cinq cents.

Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est la supériorité incontestable de ces amateurs sur nos professionnels, supériorité qui éclate dans un grand nombre d'oeuvres exposées.

Lorsqu'on compare les oeuvres de l'Américain Eickmeyer, des Anglais Craig-Annam et Hollyer, des Viennois Albert de Rothschild et de Scolek, on est frappé de la banalité et de la pauvreté d'exécution des Nadar, des Valéry, des Liébert, des Pirou, e tutti quanti, qui sont asservis aux nécessités commerciales.

On peut dire que la plupart de ces oeuvres, dont l'ensemble nous offre une heureuse variété, présentent

BERGHEIM. — Gazaleh.

MAURICE BUCQUET. — Etude.

56

LA GRANDE DAME.

un réel caractère artistique, par le choix du sujet, la recherche de la composition et le bonheur de l'éclairage.

Nous y rencontrons un assez grand nombre de paysages, de jolies scènes de genre et surtout des portraits, ou, pour mieux dire, des têtes d'étude, qui sont, à nos yeux, la partie véritablement attrayante de l'Exposition.

Qu'on nous permette d'attirer plus particulièrement l'attention sur les oeuvres suivantes, qui s'offrent à nous dans des conditions de composition et d'exécution qui doivent satisfaire les juges les plus difficiles.

Voici, d'abord, parmi les sept ou huit envois de M. Eickmeyer, de New-York, deux petit* morceaux hors de pair: En cueillant des nénuphars (n° 225) et la Matinée d'été (n° 229), attrayants comme les plus ravissants tableaux ;

La Plage de Zaanroort, marine vraiment exquise de M. Craig-Annam, de Glasgow ;

Une Cène de M. Scolek (un Viennois) où j'admire des têtes d'une suavité et en même temps d'une intensité d'expression, qui font songer à Léonard de Vinci (n° 459) ;

Une Femme vue de dos (n° 4), par M. Alexandre, de Bruxelles, que l'on dirait modelée par André del Sarte, clans cette pâte souple, claire et lumineuse dont il a gardé le secret;

Un délicieux Paysage, de M. Alfieri, qui travaille à Londres, malgré

58 LA GRANDE DAME.

son nom italien, el dont les Bouleaux (n° 9) sont d'une élégance qui me

rappelle les jolies toiles de notre regretté Chintreuil;

Les jolies et piquantes études des Princes de l'Église, par M. Dumont, de New-York, à qui sa finesse et sa gaieté spirituelle ont fait donner le nom de Vibert de la Photographie ;

Le petit tableau de genre de M. Daws (un artiste anglais), inscrit sous le n° 186 et représentant des paysans, En route pour le marché; c'est enlevé comme par un crayon humoristique;

Les Roseaux, les Prés salés, l'Après-midi d'hiver et l'Avril en fleur, de M. Lorsley-Hinton, d'un sentiment très poétique et très juste.

Je ne me pardonnerais pas d'oublier les types féminins, d'une grâce exquise et d'une intensité d'expression vraiment rares, exposés par un Viennois, M. Bergheim, dont la Juive, les Roses, une jeune fille dans la prime fleur de ses quinze ans; Gazaleh, une Orientale, Helen, et les deux fêtes intitulées : Méditation et Révélation, ont le charme et la suavité des plus délicieuses peintures. Je veux citer encore : Sourire d'enfant, d'un Napolitain, M. Michel Bovi; une remarquable tête d'étude de M. Maurice Bucquet; le Souvenir de Tanger, d'un Toulousain, M. Auguste Bert; deux ravissantes têtes de femmes d'un Genevois, M. Lacroix; la série des Circassiennes, d'un Parisien, M. René Le Bègue, et le portrait du célèbre acteur londonien, Henry Irving, par un Anglais, M. Hay-Cameron.

Un peintre célèbre, se promenant dans les salles le jour de l'inauguration, fit, sans s'en douter, le meilleur éloge de cette Exposition, en disant à son fils qui l'accompagnait :

— C'est trop bien, allons-nous-en. C'est à nous dégoûter de la peinture.

Trop modeste, mon Raphaël! car, si belles qu'elles soient, ces photographies, auxquelles je ne marchande pas l'éloge, elles ne m'empêchent pas de trouver aussi quelque mérite à une tête d'homme de Bonnat, à une tête de femme de Carolus, à un profil perdu du Corrège ou d'Henner.

Louis ÉNAULT.

LES

ARTS SOMPTUAIRES

— LA TABLE —

I

LE LINGE

Tous les animaux mangent. C'est pour eux la condition même de la vie. L'homme seul sait manger. Seul de. tous les êtres de la création, il trouve clans la satisfaction d'un besoin la source d'un plaisir délicat, qu'il entoure de toutes les recherches d'une civilisation raffinée, pour enchanter tous les sens à la fois. Le parfum des fleurs voltige dans l'atmosphère tiède, en subtiles émanations; la musique accompagne discrètement la causerie à demivoix, et tous les objets du service réjouissent les yeux par une note d'art accentuée. Dans les vieilles familles, où

règne la tradition toujours respectée, les argenteries des quatre Louis, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, font des salles à manger aristocratiques de véritables succursales de nos musées, tandis qu'avec l'aide des Bapst, des Odiot, des FromentMeurice et des Taburet, les fortunes modernes peuvent se donner les mêmes joies. Sèvres, Limoges, Gien,

Vierzon ou Choisy-le-Roi mettent à notre portée d'admirables céramiques, dont le décor ne laisse rien à désirer, ni sous le rapport de la forme, ni sous celui de la couleur. Saint-Louis et Baccarat, l'Angleterre, Venise et la Bohême nous présentent un choix très varié de coupes et de flacons, poussant l'art de la taille et la science de la couleur jusqu'aux limites de la perfection.

Au milieu de ce déploiement d'un luxe vraiment mer-

60 LA GRANDE DAME.

veilleux, seul, le LINGE DE TABLE est resté longtemps stationnaire; tout à fait indigne des autres industries artistiques avec lesquelles il est appelé à concourir pour donner plus d'éclat a nos festins. Nous sommes bien forcés d'avouer que, sous ce rapport, notre fabrication française, que nous sommes habitués à voir partout au premier rang, n'était même pas à la

c'est son honneur de l'avoir incontestablement placée à la hauteur de nos autres grandes industries françaises. C'est une véritable révolution qu'elle a faite; mais une révolution pacifique et féconde— ce qui la distingue de beaucoup d'autres.

Cette Maison qui, depuis sa fondation, n'a cessé de réaliser chaque jour d'importants progrès dans la fabrication des tissus et des broderies auxquels leur élégance, la qualité de leur main-d'oeuvre et

hauteur de l'industrie étrangère. Notre linge de table n'était pas capable de lutter avec le linge allemand. Quand on voulait s'accorder le luxe d'un beau service, il fallait aller le chercher jusqu'en Saxe.

Nous avons heureusem*nt changé tout cela. Une maison dans laquelle nous pouvons louer également l'intelligence, le bon goût et la hardiesse de ses directeurs, la Grande Maison de Blanc, a relevé en quelques années cette industrie languissante, et

NAPPE A THÉ (dentelle de Venise)

LES ARTS SOMPTUAIRES.

61

leur grand caractère artistique assurent aujourd'hui le premier rang dans les productions similaires, a fait connaître la supériorité de ses oeuvres dans toutes les expositions, françaises ou internationales, dont elle revient toujours couverte de médailles et de diplômes d'honneur.

En centralisant au château de Villetaneuse, près de Saint-Denis,

correcte et une mise au point exacte aux idées personnelles du client, ou qui modifient, au gré de la demande, les nombreux modèles d'art ancien qu'on leur soumet.

Un petit groupe de dessinateurs héraldiques s'occupe spécialement de la composition ou de la reproduction des chiffres, armoiries ou emblèmes, que la fabrique fait lisser dans la trame même de l'étoffe.

On n'arrive point à de pareils résultats sans de courageux et méri8

méri8

ses fabriques et ses ateliers, autrefois disséminés sur divers points du territoire, elle a pu leur imposer une direction unique, plus énergique et plus intense, en réalisant avec une facilité plus grande toutes les améliorations dont le besoin se fait sentir sans cesse à des gens qui sont continuellement en marche vers la perfection — ce but que l'on entrevoit toujours — et que l'on n'atteint jamais.

Cette Maison, dont l'organisation est véritablement supérieure, possède plusieurs cabinets de dessin, auxquels sont

attachés des artistes de premier ordre, qui donnent une forme

NAPPE A THÉ (dentelle de Venise)

62 LA GRANDE DAME.

toires efforts. Mais on n'a ni le droit ni l'envie de se plaindre quand on obtient les récompenses que, depuis longtemps déjà, nous voyons décerner à cet établissem*nt sans rival. N'a-t-il pas l'honneur de compter parmi ses clients les souverains de presque tous les États d'Europe, de la Russie et de l'Espagne, de l'Italie et de la Bulgarie, de la Serbie et du Portugal, le roi de Suède et les reines de Hollande— sans parler de ces princes qui, pour ne pas porter de couronnes, n'en sont pas moins de sang royal, comme le comte de Paris, les ducs d'Aumale, de Montpensier, de Chartres et de Nemours, le duc de Bragance et Don François d'Assise, mari d'une souveraine !

Tandis que la succursale d'Amérique, dont le luxe étonne la Cinquième Avenue, une des grandes artères vitales de New-York, reçoit les commandes du Nouveau Monde et mérite la confiance des milliardaires qui s'appellent Slaone, Hary Mayer et Vanderbildt, qui sont plus riches que

bien des rois, et dont les femmes achètent le diadème des impératrices; la Maison mère du boulevard des Capucines, à Paris, sous la direction de MM. Meunier et Cie s'occupe de la clientèle européenne, où je rencontre les noms brillants de la princesse de Chimay et de la duch*esse de Doudeauville. du prince Koutchoubey et du prince Ruspoli, du duc d'Audiffret-Pasquier et de la duch*esse de la Trémoille. du prince Giovanelli et des barons de Rothschild, de la marquise d'Aligre et de la comtesse de Pourtalès, reine des élégances, du duc de San-Ccsario et de la comtesse Berlhier. du marquis de Galard et du comte Le Gonidec du prince Sulkowski et de lord Lyons, du comte de Montebello et de la duch*esse de Newcaslle, du prince de Talleyrand et de la duch*esse de Luynes, de la princesse de Metternich et de la duch*esse d'Albe, de la princesse Troubetzkoy et de l'ancien président du Vénézuela, Gusman-Blanco, beau-père du duc de Morny.

Dix grands albums in-folio renferment, exécutées sur vélin par des artistes impeccables, les maquettes, en couleurs héraldiques, or et argent,

LES ARTS SOMPTUAIRES.

63

de gueules et d'azur,

sable ou sinople, les

chiffres, emblèmes

. ou blasons, commandés

commandés celle élite

mondaine, qui honore la

Grande Maison de Blanc,

— Meunalbo, comme on

l'appelle ingénieusem*nt

au télégraphe, — d'une

préférence si bien justifiée.

justifiée.

Je cite en passant,

parmi ces merveilles,

des broderies de couleur, exécutées à la main sur des nappes blanches, posant au milieu même du tissu un décor très ornemental, et l'entourant d'une bordure, dont le motif est toujours très heureusem*nt choisi, et dont les colorations sont toujours vives et réjouissantes, — une vraie fête pour l'oeil des convives ! Parfois aussi des écoinçons historiés égayent les bouts de table. Toutes ces créations nouvelles, ingénieuses et formant le plus heureux ensemble, ont à nos yeux ce mérite particulier d'être toujours exécutées à la main, ce qui assure à la fois leur valeur artistique et leur originalité.

Les nappes légères, pour le thé du five o'clock, pour les lunchs et pour les soupers, sont d'une originalité et d'une fantaisie toujours aimables. Mais nous aimons à signaler des créalions supérieures encore : ce sont les points de Venise que l'établissem*nt, si souvent visité par nos clientes, traite avec une telle légèreté que leur trame se suffit à ellemême sans avoir besoin du support de l'étoffe, et qui, posés sur le transparent destiné à faire ressorlir et valoir tous leurs détails, semblent un lacis aérien, ajoutant un enchanlement nouveau à toutes les merveilles de la table. Ceci est le dernier mot de la décoration somptuaire d'une salle à manger. Nous devions le dire à nos lectrices.

64 LA GRANDE DAME.

Ce point de Venise, d'une telle valeur décorative qu'il se suffit à luimême, est d'un si joli effet, quand on l'emploie à propos, que la table sur laquelle on le dispose devient tout de suite — à elle seule — l'ornement d'un salon, aussi bien que d'une salle à manger.

Si l'on s'en sert comme linge de table — et c'est alors le dernier mot du grand luxe, — il est indispensable d'apporter un soin extrême dans le choix des accessoires du service. Il s'accorderait mal même avec les pièces d'argenterie les plus somptueuses. Sa tonalité bise, un peu trop calme et comme effacée, a besoin d'être soutenue et relevée par une note plus puissante et plus vive. Pour obtenir une harmonie riche et complète, il faut ici le couvert de vermeil, et comme coupes et comme flacons les cristaux de Bohême, dont les colorations puissantes rehaussent la taille, toujours élégante dans son impeccable correction, et les verres de Venise, d'une légèreté aérienne et dont les nuances, adorablement fondues et comme évanouies les unes dans les autres, ont la douceur d'une symphonie de notes tendres, claires et gaies.

Nous avons vu récemment, chez une des femmes les plus distinguées de la colonie américaine, une de ces nappes en point de Venise, jetée sur la table d'encoignure d'un boudoir. Elle avait, comme milieu, une statuette deTanagra, entre deux vases roses, en pâte tendre de Sèvres. Il est inutile d'aller plus loin, car nous trouvons ici le nec plus ultra de la distinction, de la recherche et du bon goût.

II LES FLEURS A TABLE

Le monde qui se pique de recherche et d'élégance a toujours associé la grâce et l'éclat des fleurs au luxe des festins. En Grèce, les convives se couronnaient de violettes; les Romains préféraient les roses et les faisaient venir de Poeslum, où elles fleurissaient deux fois l'an — ce n'était pas encore la rose perpétuelle. — Les Égyptiens, qui avaient parfois la gaieté macabre, faisaient asseoir à la place d'honneur, dans les banquets solennels, un squelette, dont le crâne chauve disparaissait sous un diadème de fleurs de lotus. Ce monsieur sobre et muet les excitait à rire et à boire.

Nous avons, grâce à Dieu, le dîner moins lugubre; nous ne troublons pas les morts par des invitations intempestives, et nous gardons les fleurs de table pour les vivants. Jamais, du reste, ce luxe des fleurs, le plus séduisant de tous, n'a été poussé plus loin qu'aujourd'hui. Il est vrai que la Flore contemporaine a des séductions irrésistibles. L'association de l'Art et de la Nature a produit des merveilles dont nos pères n'eurent pas même le soupçon, les expositions quotidiennes des fleuristes en renom — les Lyon, les Rouzeau, les Lachaume — nous prodiguent des enchantements de couleurs et de parfums.

Nous les associons à notre vie intérieure avec un sentiment très juste de l'appoint décoratif qu'elles nous apportent. Nous ne pouvons plus nous en passer.

Un simple coup d'oeil jeté sur la salle à manger d'une maison qui comprend les exigences de la vie moderne suffira pour en convaincre nos lecteurs.

66 LA GRANDE DAME.

Les fleurs, filles de la Nature, n'en sont pas moins les esclaves de la Mode. La Mode est la reine absolue du monde.

Il y a longtemps que l'on met des fleurs sur les tables. Mais il y a manière de les mettre : hier et aujourd'hui ne se ressemblent point.

Autrefois, quand on en était encore au bon temps du Service à la Française, avec le dessert sur la table avant le potage, et les quatre entrées de rigueur mijotant sur les réchauds, et recouvertes de leurs cloches d'argent, le milieu de ce couvert surchargé était occupé par une immense corbeille de laquelle sortait, en pyramidant vers le plafond, un amoncellement de fleurs et de verdures coupant la perspective et empêchant la moitié des convives de voir l'autre.

C'était un tort; la fleur qui se montre ne vaut pas toujours la femme qu'elle cache, et l'on préfère quelquefois son vis-à-vis à un bouquet. Nous avons donc changé tout cela. La corbeille altière et superbe a vécu. On l'a remplacée d'abord par une garniture de milieu très basse et qui n'arrêtait pas la vue. Certaines maisons ont emprunté à l'Angleterre de petites auges de cristal, de différentes grandeurs, s'emboutant les unes dans les autres, de façon à former comme une petite barrière qui sépare le couvert de chaque convive de la partie de la table réservée aux mets solides, aux pâtisseries et au dessert. Ces augettes remplies de fleurs de diverses couleurs donnaient à la table je ne sais quel aspect bariolé d'une gaieté charmante.

Cette innovation, très goûtée quand elle apparut, n'a pas gardé très longtemps la faveur des gens d'un goût délicat. On lui reprochait une facilité d'emploi qui la rendait banale et ne permettait point à l'invention individuelle de se manifester assez librement. On laisse aujourd'hui une plus large place à l'initiative de chacun. C'est ainsi que, dans certaines maisons, on enguirlande chaque assiette d'une bordure mince et parfumée : les convives semblent ainsi dîner au milieu d'un parterre minuscule. Le plus souvent, alors, on prend des fleurs d'un seul ton, et l'on en décore également toutes les pièces du surtout. On a soin, dans ce cas, d'assortir leur nuance à celle du service lui-même. A un dîner donné récemment chez Mme la comtesse de Ségur, on admira beaucoup l'harmonieux accord des violettes de Parme et de la superbe porcelaine de Copenhague, aux tons gris laiteux et au décor bleu pâle. C'était un ensemble exquis.

A l'un des derniers dîners de Mmc la princesse de Sagan, un hasard, qui devait quelque chose, sans doute, à la finesse et à l'esprit de la maîtresse de maison, répandit çà et là sur la table des gerbes de fleurs du plus aimable effet.

Au dîner de mariage de M. de Vaulgrenant et de MIIe de Chastellux, on admira fort les Cordons à la Reine, appelés aussi Cordons à la Marie-Antoinette, composés de muguels et d'orchidées blanches, entremêlés de fleurs d'oranger, piquées par places, le tout recouvert d'un tulle très; léger, avec des retours de satin blanc.C'était d'une poésie vaporeuse.

A l'ambassade d'Angleterre, le luxe des fleurs vise surtout les flacons de cristal et leurs

EDME-COUTY

CHEMIN DE TABLE EN FLEURS NATURELLES

(violettes de Parme, roses et mimosas).

68 LA GRANDE DAME.

garnitures d'argent. On décore les anses de fleurs piquées, qui se dressent comme les plumes d'autruche, formant le cimier du prince de Galles, tandis que de blanches ailes d'oiseaux palpitent sur la panse du vase et vous font craindre que le nectar ne s'envole. Strange, indeed !

La table de Mme la comtesse de Bestégui est une des mieux fleuries qui se puissent voir. La note dominante est donnée par la tribu splendide des orchidées, posées a plat sur des glaces ou sur des étoffes lamées d'or et d'argent, dessinant des chemins devant les verres et les assiettes.

Mais la décoration florale la plus merveilleuse que l'on ait admirée en ces derniers temps a été offerte aux invités de Mme la duch*esse de Luynes, au déjeuner qu'elle a donné pour le mariage de sa petite-fille, Mlle de Chaulnes, avec le jeune duc d'Uzès.

La violette de Parme, double et à longue tige, était chargée de la note dominante dans cette symphonie en bleu mineur. Elle avait été disposée avec un goût parfait dans toutes les pièces d'une merveilleuse argenterie; des cordons de violettes se rattachaient aux flambeaux par des rubans mauve; ces adorables violettes de Parme se mêlaient aux fruits dans toutes les corbeilles du surtout, en répandant autour d'elles leur parfum suave et doux.

Mais la pièce qui attirait tous les regards, c'était le croissant de la lune de miel, posé sur une des consoles de la salle à manger.

Le corps du croissant était formé par une moire mauvée, aux nuances ondoyantes comme la jupe de Loïc Fuller, et rempli de violettes de Parme, recouvertes d'un tulle Ophélia, d'un mauve rose très pâle, qui caressait le regard. N'y avait-il point là comme une allusion touchante à ces mélancolies qui, même chez les heureux de ce monde, se mêlent parfois aux plus grandes joies de la vie, et qui, au milieu des allégresses du présent, prouvent que l'on n'oublie pas les deuils du passé?

CONSUELO.

R, en ce temps-là, Février amena sur le calendrier un très précoce Carnaval. Le boeuf Apis dut se hâter d'engraisser pour être prêt à l'heure des agapes, et les Oies du Gapitole se virent obligées de mettre les emboquées doubles, afin de ne point faire attendre les broches aiguës et tournoyantes. Et maintes bouteilles de Champagne, lesquelles, coiffées d'or ou d'argent, ressemblaient à des Valkyries, prêtes à geindre « Yo-oh ! To-oh ! » et à lancer leurs casques vers les frises, apparurent debout sur des monceaux d'huîtres, pareils à des rochers de théâtre.

Et les faux nez sortirent de leurs retraites peu connues. Les dominos roses ou sombres, ainsi que les costumes hétérocl*tes, se décrochèrent comme par enchantement des mystérieuses patères

70

LA GRANDE DAME.

où ils dormaient, afin d'envelopper de frivoles êtres humains, auxquels le Roi Carnaval mandait, à son de trompe, d'avoir à projeter au plus vite par les airs les confetti de papier et les sinueux serpentins.

Des chars triomphaux sillonnèrent les rues et boulevards, mettant sous le ciel hivernal et gris les teintes fades des Pierrots et le rhume des Colombines.

Mais, entre-temps, les violons se hâtèrent de s'accorder entre eux, puis de s'entendre avec les rudes cornets à piston, pour que plusieurs valses. et des quadrilles sans nombre puss*nt offrir aux jambes de la Civilisation les tournoiements rythmés,

légués à leurs descendants par des

AR les bams ouvraient leurs larges

troublée toutefois, où les éruptions

de dynamite furent usuelles sur

un sol miné, nul n'hésita à danser quand même. Oui, danser sur un volcan devint un sport excellemment parisiaque. Voire plusieurs railleurs impavides inscrivirent-ils, sur les bristols ou

les aluminiums d'invitation à la valse cette ironie : « On sautera. »

Et le grand peuple des Gaules montra de la sorte qu'il est habitué à tous les volcans.

D'ailleurs, Février-Pluviôse ne sait-il pas éteindre les flammes et les cratères en versant son urne de douches glaçantes sur les asphaltes, les trottoirs et les palais, et aussi sur les foules auxquelles la marâtre Nature n'a point départi quelque soyeux coupé, ou même le demidollar du fiacre nocturne ?

Et Pluviôse transforme le volcan, sur lequel on dansa, en marécages où la cohorte des héroïques Carême Prenants, le dernier carré de la joie qui veut voir se lever l'aube mélancolique, patauge et s'enlise — ô dure expiation! —– que, sages et

72 LA GRANDE DAME.

graves, nos gouvernants ont disparu depuis fort longtemps dans l'officiel landau, ce parapluie de ■la troisième République.

Et le mercredi de la Quadragésime apparaît.

Et pluviôse, sans se lasser, lave de ses ondées' les souillures de la Grand'Ville, à l'heure où la cendre symbolique, imposée au front des pécheurs et des pécheresses, leur rappelle que tout fuit et s'enfonce— joies ou serpentins, rires ou confetti, et maintes autres choses que l'on aima — dans la poussière et dans la boue.

Hélas !

Emile GOUDEAU.

THEATRES

Sur toute la ligne, rive droite et rive gauche, les théâtres déploient une infatigable

activité. C' est à peine si la critique peut arriver à temps pour enregistrer les victoires ou les défaites.

La nouvelle pièce de l'Odéon, Yanthis, quatre actes en vers, par M. Jules Lorrain, est un de ces drames shakespeariens,

shakespeariens, l'action se passe où l'on veut, et qui font à l'idéal une place beaucoup plus grande qu'à la réalité. C'est une oeuvre de lettré, souvent très fine, toujours très délicate, et nous savons gré au public du bon accueil qu'il lui a fait. Myrrhus, Camillus, Leontès et Presca sont bien, comme Yanthis, des personnages un peu fantaisistes, et il ne nous arrive pas tous les jours de les coudoyer dans la vie réelle; mais leur rencontre ne nous en est pas moins agréable.

Yanthis, fille d'un roi, devenue aveugle dans l'incendie du palais paternel, n'en est pas moins adorable et adorée. Elle n'a jamais vu celui qu'elle aime, et peut-être ne l'en aime-t-elle que davantage. Elle recouvre la vue au moment où elle va perdre la vie, et elle meurt heureuse parce qu'elle a pu enfin contempler le visage du bien-aimé.

Il ne faut pas trop tirer sur cette trame légère; nous pourrions la déchirer. Je me contente d'admirer les fleurs dont le poète l'a brodée, et de trouver aimable cette heure passée dans le pays du bleu, en écoutant la mélopée de ces jolis vers, bien rythmés par Yanthis-Dorsy, dont la silhouette ne manquer ni de charme ni de grâce.

9

74 LA GRANDE DAME.

Autrefois, quand un auteur dramatique avait une idée — tragique ou comique — et qu'il l'avait incarnée dans une oeuvre, il cherchait, parmi les personnalités les plus brillantes des compagnies théâtrales en vogue, celle qu'il croyait le plus capable de réaliser devant le public l'idéal qu'il avait rêvé.

Aujourd'hui nous avons changé tout cela, et nos auteurs les plus en vue se vantent de travailler sur mesure et de n'écrire leurs pièces que pour mettre en lumière les qualités dominantes de tel artiste, dramatique ou lyrique, dont ils connaissent l'action sur le public parisien. Il y a là peut-être une notion d'art inférieure; mais non pas une chance moins certaine de succès.

Il est bien certain que si MM. Silveslre et Morand n'avaient pu compter sur le concours très puissant de Mme Sarah Bernhardt, ils n'auraient pas écrit ce beau drame d'Izeyl, dont le but semble être uniquement de lui donner l'occasion de développer, dans le cadre d'une action serrée, les qualités rares et précieuses qu'elle possède à un degré si éminent : la passion, la tendresse, l'enthousiasme, le fanatisme religieux et l'exaltation des sentiments les plus purs et les plus généreux, poussée jusqu'au dernier degré d'une sublimité héroïque.

Mme Sarah Bernhardt a été tout cela tout à la fois, et elle a obtenu un des triomphes les plus retentissants dont puisse s'enorgueillir sa glorieuse carrière.

Nous ne saurions nous attarder dans les détails d'une action complexe et touffue, empruntée aux légendes brahmaniques de la primitive histoire des Hindous, dans lesquelles les auteurs laissent infiltrer çà et là un peu d'esprit chrétien, pour former un ensemble dont, malgré la crudité de certains détails, il se dégage une incontestable impression de pureté et de grandeur. Sarah Bernhardt a cette rare fortune que, dans les pièces où elle paraît, le public ne voit et ne veut voir qu'elle. On est tenté de lui donner raison quand on suit son jeu dans ce rôle d'Izeyl, où elle fait vibrer toute la lyre. Jamais elle ne s'était révélée sous un aspect plus poétique et plus séduisant.

L'Olympia des Bouffes-Parisiens console les admirateurs de cette blonde et charmante divette qui s'appelle Mme Simon-Girard, de ne plus la voir sous les traits de Miss Carabin, en leur permettant de l'applaudir avec le même entrain dans les Forains, où elle représente la Vénus athlétique, en maillot rose et bleu de ciel, maniant les haltères avec une aisance qui témoigne en faveur de ses biceps, et jonglant avec des poids de cinquante mille grammes, comme un autre avec des mandarines. Cette pièce, de MM. Boucheron et Marc, pour les paroles, et de M. Varney pour la mu-

THEATRES.

75

sique, promet aux Bouffes-Parisiens le succès légendaire et pyramidal obtenu jadis par la Cigale et les Saltimbanques.

Le public parisien a toujours eu le goût des Cabotins, alors même qu'ils n'ont pas pour auteur un académicien; or, cette fois, c'est un académicien qui lui montre des Cabotins, à la Comédie-Française.

M. Edouard Pailleron a passé longtemps pour un homme très heureux. Il a eu, dans plusieurs théâtres, des succès fort aimables, et une de ses pièces, le Monde où l'on s'ennuie, est bien près d'être un chef-d'oeuvre. Sa première représentation fut pour l'auteur une longue ovation, et il fut reconduit chez lui par des bravos. L'acclamation n'a pas été aussi unanime à la suite des Cabotins représentés à la Comédie-Française le 12 février. On n'a pas contesté l'esprit de l'auteur; mais on l'a trouvé d'un titre moins fin : il y a du mouvement dans la pièce, mais c'est moins de l'action que de l'agitation; on ne saurait nier l'intérêt de l'oeuvre nouvelle. Mais cet intérêt se disperse, au lieu de se concentrer, et le spectateur n'est point sans éprouver quelque embarras en face d'un petit drame bourgeois sans grande nouveauté, s'enchevêtrant dans une comédie de caractère, où l'étude s'arrête à fleur de peau, sans pénétrer jusqu'au coeur et à l'âme des personnages qui restent à l'état d'ébauche, sans être enlevés par ce trait incisif et emporte-pièce, qui a été longtemps la marque de fabrique de l'auteur de l'Age ingrat, de l'Étincelle et de la Souris. Mais la pièce a pour elle un fonds de gaieté et de belle humeur dont il faut lui savoir gré dans ces temps moroses, où l'on ne rit plus tous les jours. La ComédieFrançaise qui voulait gagner la bataille a fait donner l'élite de sa troupe : MM. Got, Worms; Coquelin cadet, Leloir, Berr et de Feraudy, celui-ci d'une verve endiablée; Mme Granger, pleine d'autorité, Mlle de Marsy, la grâce et la beauté, et M1Ie Brandès, qui faisait ce soir-là son début véritable dans la maison de Molière, où elle est maintenant chez elle.

Louis ÉNAULT.

LE FLIBUSTIER

Ce qui s'est passé à l'Opéra-Comique, à l'endroit du Flibustier, comédie lyrique en trois actes, de M. César Cui, d'après l'oeuvre connue de M. Jean Richepin, mérite qu'on le souligne. Un directeur accueille une partition inédite et la met en répétition. De deux choses l'une : il la croit digne de succès ou il obéit à des motifs inavouables. Dans les deux cas, son strict devoir, par conscience ou par convenance, est de la soutenir. Or le Flibustier n'était pas représenté encore que des bruits fâcheux, venus, à n'en pouvoir clouter, des fonctionnaires du théâtre, se répandaient clans le public au détriment du nouvel ouvrage. Puis, après la seconde représentation, sous le prétexte de l'indisposition d'un artiste, la comédie lyrique était abandonnée. Plus d'un mois s'écoula avant qu'elle fût reprise. Il eût suffi de doubler un rôle ; on a préféré, à ce qu'il semble, quitter la partie. Est-ce là défendre une partition librement acceptée? Est-ce là faire honneur à ses propres actes?

Le procédé nous paraît d'autant plus condamnable que le Flibustier, par ses tendances et par son caractère, sort entièrement de la banalité. Une oeuvre aussi loyale, conçue et exécutée avec une logique parfaite dans sa donnée particulière, mérite d'être jugée en connaissance de cause. C'esl-à-clire qu'il est essentiel de laisser au public le temps de s'accoutumer au point de vue du compositeur. M. César Cui est un des musiciens les plus renommés de l'école russe, dont son talent de critique l'a fait, par surcroît, l'éminent théoricien et le porte-drapeau. De quelque façon qu'on soit conduit à envisager sa conception, il a le droit d'être entendu. Le manque d'égards dont il est victime dans un théâtre subventionné est

78 LA GRANDE DAME.

beaucoup plus qu'un déni à l'hospilaliLé promise à un maître étranger; c'est un déni de respecta l'art, un fait d'arbitraire de nature à décourager les auteurs de tentatives indépendantes, duquel les artistes doivent se sentir atteints. On a eu le tort de souffrir, il y a trois ans, le brusque abandon, en des occurrences presque semblables, de la Thamara, de M. Bourgault-Ducoudray, à l'Académie nationale de musique. Nous verrons, si l'on n'y met bon ordre, où pourront conduire de tels précédents.

Au surplus, le Flibustier est une oeuvre remarquable en sa particularité et, pour sa particularité même, elle vaut un examen sérieux. M. César Cui estime qu'une pièce de théâtre, mise en musique, doit vivre par la continuité des mélodies, indéfiniment renouvelées selon les paroles, se développant et se brisant comme elles et sans rappels thématiques. L'orchestre, à son gré, n'a point à dérouler des leit-motive qui font un drame symphonique sous le drame chanté. Je pense, pour ma part, qu'il se prive d'un grand moyen d'unité, d'une grande force expressive. Trop de variété apparente entraîne la monotonie pour des raisons nombreuses qui ne sont pas à déduire ici. Mais, en tout cas, à suivre à peu près vers par vers la fiction romanesque, d'ailleurs intéressante, de M. Jean Richepin, M. Cui a fait preuve d'une souplesse d'imagination peu commune et dépensé des qualités plus que louables. Nombre de pages de sa partition seraient à relever, soit pour la grâce, soit pour l'émotion, soit pour le mouvement scénique. En outre, d'une façon générale, son écriture vocale et son entente de la prosodie sont des exemples à proposer à plus de musiciens qu'on ne saurait dire.

Les rôles de la pièce élaienL bien tenus par M. Clément, par M. Taskin et par Mme Landouzy. M. Fugère avait fait d'un personnage de vieux matelot une création supérieure. En écartant l'oeuvre du répertoire, on est injuste même envers les interprètes. Tout, se tient.

L. DE FOURCAUD.

LES DERNIÈRES MODES

Février pourrait rester célèbre dans les,

annales de Paris. Jamais mois des frimas

n'est apparu sous un jour aussi séduisant, C'est

un printemps avec son gai soleil, ses tièdes

haleines, ses bourgeons verdis, éclatant

sous le souffle de vie qui monte et fait

f revivre les êtres comme les choses.

La mode, se mettant à l'unisson de la

nature, a déjà déployé toutes voiles dehors.

Cette année, la note dominante est aux

tissus très légers, souples et de nuances.

claires, unis ou façonnés ton sur ton; il y.

CHAPEAU DE VILLE a en ce genre des soieries tout à fait séduisantes

séduisantes taffetas façonnés, imprimés ou brodés en relief, satins souples avec des impressions imitant les

foulards, moires d'été antiques ou françaises,

dans les teintes moyennes ou claires, taffetas sablés, enfin mille nouveautés bien tentantes qui vont apparaître aux fêtes d'après Pâques, en attendant de

voir le grand jour aux séances de l'Hippique. Parmi les tissus de laine,, crépons, serges d'été, lainages. Anligone et gigolette, draps Médicis,

bures bretonnes, toiles d Écosse, veloutines unies, et granitées, royal satin, il y en a de vraiment jolis et nouveaux comme dispositions. Il est à remarquer

que tous les dessins imprimés, brochés ou brodés, ornant les tissus de laine ou de soie, sont d'une délicatesse extrême, d'une ténuité excessive.

Quant, aux formes, on peut dès à présent prédire une transformation apportée dans la coupe de nos jupes.

CHAPEAU DE VILLE

CHAPEAU DE VILLE

8o

LA GRANDE DAME.

Sous l'impulsion de Worth, ce grand maître des somptuosités féminines, elles prennent un tout autre aspect. Tandis que le haut demeure plat et dessine les hanches, le bas est d'une ampleur incommensurable et forme de très nombreux godets.

Pour obtenir cet effet, ces jupes sont faites en deux parties, la première ajustée, la seconde taillée en abat-jour, prenant à mi-hauteur; ce bas de jupe est orné de ruches de ruban ou de tulle disposées en cercles ou en angles. Il y a aussi la jupe drapée sur elle-même, ou encore celle que retiennent de côté des noeuds Louis XV.

Les corsages sont très garnis et d'une manière assez amusante. Tout le corps est recouvert de guipure, ou découpé en boléro très court, fixé par deux choux devant ou replié sur lui-même pour former des revers coquillés. Le col est généralement drapé en velours de teinte vive, tranchant avec la nuance de la robe. Les manches sont de plus en plus capricieuses; serrées à l'avant-bras, elles prennent la forme d'un gros noeud dont les bouts se rattachent à l'épaule, ou encore, taillées comme les pourpoints des chevaliers, elles s'élargissent sur des crevés très bouffants.

Quelques exemples, pris parmi les créations dernières de Worth,

donneront la note exacte des modes de la saison prochaine. Une toilette très élégante est en fleur de soie bleu ancien, avec jupe à godets ornée de trois mignons ruchés de ruban; le corsage, serré dans une ceinture

de satin noir, est terminé par une basquine fort originale que souligne une petite frange Tom-Pouce; cette basque, repliée sur elle-même, forme trois plis derrière. Une draperie de dentelle mélangée à la fleur de soie

orne le haut du corsage; le col drapé est en velours rubis. Les manches, énormes dans le haut, sont tendues au milieu et doublées de

dentelle application; un chou de satin noir est fixé dans l'intérieur.

Une autre toilette plus simple, mais fort jolie, est en taffetas façonné vert, glacé bleu. La jupe est traversée de bandes de guipure noire, brodée de paillettes caméléon. Le corsage,

Mme THIRION

COSTUME DE JEUNE FILLE

LES DERNIERES MODES.

très original, est recouvert de guipure noire

s'échancrant aux emmanchures et vers le col sur des applications de guipure crème. La manche,

très tombante du haut, faite en guipure noire, est taillée en bandes sur une seconde manche en taffetas finement plissé. Col et ceinture en satin noir.

Les jaquettes, telles que Worth vient de les créer, sont pratiques et d'une incomparable

incomparable ; taillées dans des moires antiques, des failles souples, elles s'élargissent sur les hanches où viennent s'étager des volants de dentelle; la dentelle se mélange également

également la soie pour former des berthes d'un dessin absolument gracieux qu'encadrent des revers voilés de guipure crème. Les manches, devenues impossibles avec la forme des corsages, sont remplacées par des volants de soie et de dentelle superposés et diversem*nt drapés, d'un effet très inattendu. À côté de ces jaquettes luxueuses, il

y a une foule de gentils camails aux formes variées : les uns composés de biais de velours bois ou vert prairie, coupés par des bandes de satin noir incrustées de guipure de vieux Venise; sur les épaules, le velours et la guipure simulent un capuchon agrafé devant sous un gros noeud alsacien. D'autres sont en moire rehaussés de guipure crème et de mousseline de soie mélangées avec un art exquis.

Comme complément de la toilette, il faut mentionner le chapeau que, cette saison. Virot orne de fleurs jouant plus que jamais au naturel : violettes de Nice, roses de mai, primevères, résédas, fleurs de serres ou plantes agrestes se mélangent au tulle pailleté, à la moire et à la paille qui commence à faire son apparition.

Les formes sont si diverses qu'il serait difficile de les raconter; disons seulement que leur dimension est raisonnable, les ornements légers, peu volumineux, ni trop élevés, ni trop bas, et par cela forment un cadre jeune et charmant aux visages des coquettes, dont les cheveux aériennement bouclés et très bouffants sont maintenus par le voile, qui, lui aussi, suit les fantaisies capricieuses de la mode. Le dernier créé par Virot est en tulle aérien moucheté de chenille, serti d'une très fine application faisant bordure. Pour le théâtre et les concerts, le petit chapeau

10

COSTUME DE JEUNE FILLE

LA GRANDE DAME.

Givendoline est charmant; à côté de lui rivalise de coquetterie la gentille capote l'Attaque du Moulin. Au concours hippique, les chapeaux ronds de moire ou de paille noire et de couleur feront leur première apparition avec ornements de fleurs disposées sous les bords en cache-peigne encadrant le petit chignon.

De par la mode, le linge de table tissé jusqu'ici de fil et de lin est remplacé par le linge de soie. De fait rien n'est plus chatoyant à l'oeil, ni plus luxueux que ce linge

aux nuances tendres : mauve, rose, bleu ou blé mûr, brodé des armoiries et du chiffre en soie blanche. La table, ainsi parée avec les verreries de Venise, offre un coup d'oeil féerique.

Un accessoire de toilette féminine luxueux et pratique, c'est un gentil petit sac grand comme la main, dans lequel on place la bourse et le mouchoir brodé. Il se fait d'étoffe précieuse coulissée d'une

chaîne d'or munie d'un anneau en brillants, dans lequel on passe le doigt, la main étant gantée, utile dulci.

Le grand chic, en ce moment, c'est la maroquinerie de peau blanche; buvards, porle-monnaie, porte-cartes, sont ainsi d'une haute élégance. La montre incrustée dans un des coins du porte-cartes est complètement abandonnée, on l'a remplacée par le monogramme en or, enrichi de brillants et de pierres précieuses, ou par une incrustation de fleur en émail et brillants.

Au chapitre des dessous, il faut signaler les jupons de soie faits à soufflets, indispensables pour soutenir les jupes à godets dont l'ampleur deviendrait encombrante.

Le Carême va entrer dans sa période austère. On ne se permet plus, après la Mi-Carême, ce que l'on s'accordait jusque-là. Les bals sont supprimés, les dîners somptueux sont remplacés par des déjeuners-causeries après lesquels chacun se rend à ses dévotions. Pour ces jours de pénitence, la Parisienne s'habille de lainage sombre; le violet évêque, le capucin, la couleur Sainte-Thérèse sont les nuances qu'elle choisit. Cette sévérité observée dans la mise et dans les plaisirs est du meilleur ton.

ZIBELINE.

Mme THIRION

COSTUME D'ENFANT

LES PEtit* SALONS

Depuis quelques semaines, la saison artistique bat son plein. Il y a des expositions partout.

Une des plus visitées, c'est à coup sûr celle du Cercle de l'Union artistique.

Il n'en faut pas attribuer la cause au talent seul des peintres et des sculpteurs qui figurent à son catalogue. Elle est plus

complexe, et il n'est que juste de faire aussi sa part à l'élégance de cette jolie salle des fêtes, si fraîche, si pimpante et d'une décoration si attrayante. Les femmes du monde peuvent s'y croire clans un vrai salon, et, s'y plaisant, elles y reviennent. Il y a là d'ailleurs une vingtaine de morceaux d'un réel mérite, qu'on est heureux d'avoir vus et qu'on voudra revoir.

Tels sont, par exemple, deux portraits d'hommes:

l'un de M. de M..., par M. Wauters, conservateur du musée de Bruxelles, d'une maestria supérieure, et

celui de M. de Dramard, par Léon Bonnat, qui, au mérite incontesté de son

modelé tout-puissant, ajoute une intensité de vie et d'expression que nous avons rencontrées bien rarement dans une oeuvre d'art.

Quelques jolis portraits

portraits femmes attirent tous les regards.

J'en citerai deux tout d'abord : l'un est signé Jules Lefebvre et rend

84 LA GRANDE DAME.

avec une sobriété remarquable la distinction quelque peu hautaine du modèle; l'autre, par Chartran, d'une grâce singulièrement attrayante; d'autres portraits, par MM. Benjamin Constant, Blanche, Machard, Gustave

Gustave Weertz, sont aussi très remarquables et méritent de l'être. Peu de paysages : quelques-uns fort aimables. A voir tout particulièrement la Coupe des Roseaux, en Picardie, et la Vallée du Pollet, par

ROULLET (Gaston). — Les Martigues.

86 LA GRANDE DAME.

M. Japy, et une composition très poétique de M. de Clermont, sur des paroles de Lamartine:

Le soir j'amène le silence. Quelques toiles de genre : les Grenadiers à cheval (bataille

d'Eylau), d'une netteté et d'une précision que je qualifierais volontiers d'excessives, par M. Detaille. M. Détaille ne veut pas croire qu'il serait bon parfois de laisser quelque chose à désirer à ceux qui l'admirent. Beaucoup de poésie dans la composition de

AI. Cormon, Vénus et Adonis, dont les formes exquises sont caressées par une douce lumière blonde.

Un peu de sculpture — pas trop; cinq ou six bustes de femmes, par MM. Mercié, Marqueste, Puech, Verlet, Paul de Borde, comte de Gontaut-Biron — et une polychromie un peu compliquée de Gérôme — une jeune fille avec de l'or dans les cheveux, du bleu dans les prunelles, des fleurs au corsage — et une figurine de Tanagra, monlant à l'assaut de sa beauté.

Le Cercle artistique et littéraire, qui tient ses grandes assises rue

Volney, nous convie également à son exposition annuelle. Deux cent cinquante numéros environ se partagent l'allention des visiteurs. Ici encore beaucoup de portraits. Le plus remarquable, celui du docteur Fournier, par Bonnat, est d'une facture très puissante; on loue également celui d'Auguste Cain, le sculpteur, par Carolus Duran, qui affirme une fois de plus sa maîtrise. A voir deux aimables études d'Emmanuel Benner — deux jeunes filles : l'une qui veille, et que l'on voudrait endormir; l'autre qui dort, et que l'on voudrait éveiller; — une tête virginale et sympathique, par Raphaël Collin; l'Entrée du Bois, par Grandjean, qui excelle à rendre les scènes de sport et de high-life; le Soir à Morsaline, par Marie-Joseph Iwill, d'une tonalité très douce et très fine; l' Ermite, de Luc-Olivier Mer-

LES PEtit* SALONS.

87

son, ce peintre doublé d'un poète; les Cloches du Tocsin, mises en branle par le bras vigoureux d'Albert Maignan.

Notons aussi quelques sculptures — mais plus

de plâtre que de marbre, et un bas-relief en

pierre polychrome, par Léopold Savine. — On peut voir tout cela en

une heure — et c'est une heure bien employée.

L'Exposition annuelle de la Société des aquarellistes français est une fête pour le dilettantisme parisien, qui aime celte peinture à l'eau, fraîche, légère, fluide et transparente. Les délicats éprouvent peut-être quelque regret à voir certaines allérations se produire dans ce genre si français, auquel on ne craint pas de mêler aujourd'hui des empâtements de gouache, des adjonctions de pastel, et parfois des coups de plume et des éraflements de grattoir.

Les vraies aquarelles sont donc rares — même à l'Exposition des aquarellistes français. Il est cependant un certain nombre d'artistes qui restent fidèles aux bons principes et qui méritent nos remerciements et nos éloges.

Il nous serait difficile de faire un choix dans cette réunion de choses aimables et brillantes. La foule nous a conduit tout d'abord devant les cavaliers de Detaille, destinés à l'illustration d'un grand livre militaire qui

88 LA GRANDE DAME.

CLAUDE (Georges). — Zaïre.

a pour sujet la cavalerie du premier Empire. Jamais peut-être le jeune maître ne s'est montré plus vigoureux ni plus souple.

Mme Madeleine Lernaire n'a pas envoyé moins de dix cadres; deux nous offrent des figures d'un beau style et d'un grand charme d'expression : une Femme Empire — il faut bien être à la mode— et une Danseuse indienne.

Mais le plus fécond des artistes qui figurent aujourd'hui dans la galerie de la rue de Sèze, c'est M. Emile Adam, qui expose une quarantaine de sujets, dont trente-six sont consacrés à l'illustration d'un roman de feu Flaubert : Coeur simple. L'accessoire ici vaut mieux que le principal.

M. Clairin est toujours un dessinateur-— ou, pour mieux dire, un décorateur facile et brillant, dont la verve déborde de neuf ou dix cadres qu'il expose. M. Rochegrosse nous a paru sur les dernières limites de l'étrange; c'est à faire peur. Français, le vaillant doyen des paysagistes d'aujourd'hui, nous montre deux belles silhouettes de la campagne romaine et comme un ressouvenir de Poussin — cela fait toujours plaisir à voir.

LES PEtit* SALONS. 89

M. Roger Jourdain, M. Gaston Béthune et surlout Mme Nathaniel de Rothschild ont voué leurs pinceaux à la gloire de Venise, dont leurs oeuvres nous rendent l'impression poétique et douce, avec un charme extrême.

LOIR (Luigi). — Sur la plage.

M. Dubufe, à qui rien n'est impossible, a trouvé le moyen d'être suave et mystique dans l'illustration d'un simple calendrier. C'est un des vaillants dans cette belle phalange des aquarellistes que l'on pourrait appeler les

II

90 LA GRANDE DAME.

Quarante-Cinq, comme certain roman de Dumas, puisque, sur les cinquante dont se compose la troupe, cinq sont aujourd'hui restés sous la tente.

Pendant que la galerie de Georges Petit s'ouvrait pour la seizième Exposition des aquarellistes français, MM. Boussod et Valadon nous conviaient à venir voir, en leurs nouveaux salons du boulevard des Capucines, la première Exposition en France des aquarellistes hollandais. Nous y avons pris un plaisir extrême.

Pour celui qui a véritablement le sentiment et le goût des choses d'art, tout est à voir chez ces maîtres hollandais, qui ne datent que d'euxmêmes, assez indifférents aux souvenirs de l'antiquité, mais qui sont des observateurs sincères, subtils souvent, émus toujours, de la Nature qu'ils ont sous les yeux. Rien n'est plus simple que les sujets traités par eux; rien n'est plus profond que l'impression qui s'en dégage.

Cette Exposition, vraiment magnifique, ne comprend pas moins de cent cinquante aquarelles signées des noms les plus honorablement connus du monde artistique néerlandais, les Mauve, les Marris, les Artz, les Mesdag, les Israëls, les Neuhuys et les Blommers.

Je ne puis même pas donner une mention à tout ce qui mériterait une étude. Et, pourtant, comment ne pas citer Van Essen, ce poète attendri, petit-neveu de Corot — par la douceur et l'émotion, — qui peint les crépuscules brumeux, comme l'autre peignait les matins argentés.

CONSUÉLO.

LE CONCOURS

POUR

LES VITRAUX D'ORLÉANS

ANDIS qu'à Rome on béatifiait Jeanne d'Arc, l'evêché

d'Orléans mettait son histoire au concours pour les

verrières de la cathédrale. Le programme comportait

un ensemble de dix cartons, dont un, à grandeur

d'exécution, devait avoir une largeur de 3m,50 et une

hauteur de 6 mètres. Les artistes avaient à représenter successivement : Jeanne d'Arc entendant les voix du ciel à Domrémy; Jeanne d'Arc partant de Vaucouleurs pour se rendre auprès de Charles VII à Chinon; Jeanne d'Arc présentée au roi à Chinon; Jeanne d'Arc à cheval entrant à Orléans, le 29 avril 1429, à la nuit, au milieu de soldats portant des torches; Jeanne d'Arc, dix jours plus tard, à l'assaut du boulevard et de la forteteresse des Tourelles; Jeanne d'Arc, après la délivrance de la ville, rendant grâce à Dieu clans la cathédrale de Sainte-Croix; Jeanne d'Arc dans la cathédrale de Reims, au sacre de Charles VII; Jeanne d'Arc faite prisonnière à Compiègne; Jeanne d'Arc à Rouen, dans sa prison de la Tour du Château; Jeanne d'Arc sur le bûcher.

Dix verriers, pour la plupart assistés d'artistes connus, avaient pris part à ce concours, dont le résultat fut exposé en octobre dernier à l'Ecole des Beaux-Arts à Paris. La critique et le public avaient immédiatement classé hors de pair les cartons de M. Eugène Grasset, associé au verrier Paul Gaudin. Ce projet se distinguait en effet de tous les autres par son entente des lois du vitrail. La suppression, comme clans les exquises tapisseries du quatorzième et du quinzième siècle, de la perspective linéaire qui a le défaut d'ouvrir clans la composition de trop vastes trous de lumière, l'art de la mise en plombs, qui sertit adroitement les figures et leur donne un relief plus puissant sans nuire à l'effet général, la science heureuse des groupements, l'harmonieuse distribution des couleurs, l'exactitude parfaite des costumes, la grâce naïve des personnages, l'ingénieuse disposition des sujets dans un cadre architectural d'une exquise

92 LA GRANDE DAME.

élégance, enfin, dans les motifs accessoires des ajours, l'effet charmant que produisaient les figures symboliques, toutes ces qualités réunies faisaient du projet de M. Etienne Grasset un ensemble aussi distingué que magistral, une oeuvre unique en son genre et appropriée plus que toute autre à l'art si spécial, el si déchu aujourd'hui, du vitrail.

Nos verriers se sont, en effet, presque tous, à l'imitation des artistes entichés de japonisme, éloignés des antiques traditions du vitrail pour faire de la peinture sur verre. Dans leurs compositions chamarrées de tons aveuglants, irradiées de lumière, des horizons lointains et des perspectives infinies se sont ouverts. Il va sans dire que de ces tableaux sur verre la mise en plomb a complètement disparu, parce qu'elle était inutile. Ce sont de jolis morceaux décoratifs qui font illusion un moment, mais qui par malheur ne durent pas. Il suffit de huit à dix années pour en désagréger la peinture qui s'émiette et laisse le verre à nu, dépouillé de son coloris factice et de sa chatoyante, mais trop artificielle parure.

Tel est le sort, de toute évidence, qui eût été réservé au projet présenté par le verrier Champigneulle. Ce projet, un artiste de talent, M. Maignan, l'avait exécuté; il avait retracé, en une série de papillotantes aquarelles, animées d'un esprit tout moderne, mouvementées, curieuses, amusantes, la vie de l'héroïne; mais, si le verrier se flattait de traduire, en leur conservant le charme qu'elles offraient dans les cartons du peintre, toutes ces fumées, tous ces embrasem*nts de soleil, toutes ces flammes, toutes les nuances de ces ciels, toutes les variétés de ces notes colorées, il se faisait une idée singulièrement erronée de son art. L'eût-il pu, que son oeuvre eût été détruite en dix ans.

Des dix autres projets qu'avait fait surgir le concours, trois encore présentaientquelque intérêt; ceux de M. Guillonet, associé au verrier Denis, de M. Prouvé, associé au verrier Carot, de M. Gibelin, associé à M. Galland fils. Mais le projet Guillonet avait contre lui des exagérations de mouvement que la traduction du verrier eût faussées; MM. Carot et Prouvé, tout en ayant fait montre de science dans une partie de leurs cartons, avaient laissé dans les autres des vulgarités et des vides qui rendaient inacceptable l'ensemble; quant au projet Galland et Gibelin, l'énorme dimension de ses figures, à défaut de l'incohérence de sa composition et de la veulerie de son dessin, eût suffi à le rendre inadmissible.

Ajoutons qu'en dehors des cartons, le programme avait demandé aux verriers de présenter un fragment, définitivement exécuté, de la verrière dont ils présentaient le carton à grandeur d'exécution. Comme les compositions de Grasset, le vitrail de M. Paul Gaudin se distinguait par des qualités de premier ordre. La sobriété et l'heureux agencement des couleurs, leur harmonie contenue, mais puissante, la largeur du modelé, la noblesse d'accent des figures en faisaient un morceau d'une inattaquable

LE CONCOURS POUR LES VITRAUX D'ORLEANS.

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valeur, d'une valeur telle que la Société des arts décoratifs en a fait l'acquisition, aussitôt, pour son musée.

Il semblait donc que le projet Grasset-Gaudin eût toutes chances pour être préféré. Le jury, dans lequel on eût été heureux de trouver plus d'indépendance, en a jugé autrement. Grâce à des influences avec lesquelles le souci du beau artistique n'a jamais rien eu de commun, le choix de la majorité s'est porté sur le projet Gibelin-Galland fils. Il n'a pas été ratifié par tout le monde. En même temps qu'une adresse, signée de tous les artistes connus, de tous les littérateurs en vue, signalait au public le déni de justice dont avait été victime Grasset, l'exposition, à Orléans, du concours soulevait contre le projet primé une réprobation à peu près unanime de tout ce qui avait qualité pour juger, et le rapporteur lui-même du jury déclarait, dans un long article tout récemment publié dans la Revue des Arts décoratifs, qu'avant de laisser exécuter le projet primé, il était indispensable de le faire corriger par l'auteur. On n'avoue pas plus nettement son incompétence.

THIEBAULT-SISSON.

SUR

LA GLACE

LE CERCLE DES PATINEURS, établi sur la pelouse de Madrid, au BOIS de

Boulogne, où il occupe le même emplacement, que le Tir aux pigeons, est, par sa composition et le nom de ses membres, une des institutions les plus aristocratiques de notre temps. Je compte parmi ses souscripteurs une Majesté et seize Altesses, royales, impériales ou sérénissimes. C'esL un d'Hozier qui devrait être le secrétaire d'une telle compagnie, où je cueille tout d'abord les noms du roi de Portugal, du comte de Paris, du duc de Chartres, du prince de Galles, des grands-ducs Wladimir et Pierre, du duc de Coimbre, du comte de Flandre, du duc de Leuchtenberg, des comtes de Caserte et de Bari, — deux Bourbons de Naples,— et de quatre princes du sang — devenu royal — de Murât.

Officiellement constituée le 1er août 1872, la Société eut pour fondateurs le prince Murat, le duc de la Force, le marquis du Lan d'Allemane, le marquis de Castelbajac, le comte de Saint-Priest, le comte de POIX, le baron de Soubeyran, MM. Doublat, Blount, Hottinguer et Hennessy.

Le prince Murât en est encore le président aujourd'hui, et l'on peut dire que le Cercle recrute toujours ses adhérents dans les plus hautes régions du monde parisien.

SUR LA GLACE

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Nâturellement et sans efforL, il a' pu, grâce à ce patronage, réunir toutes les élégances et toutes les aristocraties de cette société brillante et aujourd'hui quelque peu cosmopolite qui s'appelle Tout-Paris.

Par suite d'un bail passé avec la Ville, le Cercle des Patineurs assure à ses souscripteurs la jouissance exclusive d'un bassin creusé sur la pelouse de Madrid, et de tous les bâtiments nécessaires pour assurer l'aisance et la confortabilité de tous les services accessoires

La situation est heureuse et réunit tout ce qui peut faire le plaisir des yeux. Le lac est d'un joli dessin, avec des courbes harmonieuses; des bouquets d'arbres sont jetés sur les gazons qui l'entourent, et les grands massifs du BOIS lui ménagent comme un fond de tableau, sur lequel la vue se repose agréablement. Des ruches de paille où les femmes remplacent les abeilles, permettent aux mères de suivre les ébats de leurs filles, escortées d'une foule de cavaliers servants, tandis que de gigantesques braseros invitent à goûter la douceur des grands feux enfermés dans des armatures de fer.

L' élégance vestimentale, comme disait autrefois mon vieil ami Eugène Chapus, dans ces chroniques mondaines et si parfaitement documentées, qui, sous le nom de la Vie à Paris, firent jadis la fortune du Sport naissant, l'élégance vestimentale, dirons-nous à notre tour, devait nécessairement s'occuper du costume que les grandes mondaines adopteraient pour se livrer aux délices du patinage. Le boléro de fourrure a conquis depuis longtemps ses lettres de grande et de petite naturalisation, que rien ni personne ne saurait maintenant lui ôter. Par la

diversité de ses tons et de ses nuances, comme de ses

épaisseurs, la fourrure donne au vêtement une variété réjouissante et pittoresque, et une confortabilité qui brave les rigueurs de la plus basse température.

Aujourd'hui pourtant, la fourrure commence à redouter la rivalité du cuir. Le cuir, tel qu'on l'emploie à l'heure présente, a perdu sa rudesse et sa dureté, et, grâce à l'habileté vraiment supérieure de l'industrie parisienne, il a conquis une souplesse moelleuse et une caressante douceur; il dessine

les formes du corps avec agrément et se prête à ses mouvements avec complaisance, tout en le protégeant avec une efficacité complète contre les inclémences et les caprices de l'atmosphère ambiante. Son grain souple et délicat se revêt de la couleur qu'on veut lui donner. Tantôt il imite la

96 LA GRANDE DAME.

peau lustrée de la loutre, tantôt le vert céladon du myrte; parfois il se contente de ses tons naturels, mordorés et singulièrement harmonieux. Le costume cuir comprend le boléro de même nature avec manches bouffantes et jupe courte, laissant voir le bas de la jambe chaussée de bas noirs, et le pied cambré, bien en équilibre sur la mince lame d'acier du patin.

* *

Le patinage, si à la mode aujourd'hui, que, pendant sa trop courte durée, il détrône à son profit tous les autres sports mondains, a compté cette année, au commencement de janvier, une dizaine de beaux jours, dont ses adeptes ont largement profité.

« Mortels, glissez! n'appuyez pas! »

Tel était le mot d'ordre de la belle compagnie parisienne, qui semblait décidée à ne plus quitter la pelouse de Madrid.

Malheureusem*nt la glace n'a qu'un temps : elle est fragile et périssable ; un souffle tiède l'amollit, et la belle virtuose du patin rentre chez elle, un peu triste, en murmurant avec le poète ami des hivers :

« Maudit printemps, reviendras-tu toujours? »

Vicomte de G.

MM. BOTTET ET J. RENAUD.

L'épée à deux mains contre l'épée et le bouclier.

LA SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT A L'ESCRIME

Ne me tire pas sans raison, Ne me rentre pas sans honneur.

L'antique devise castillane, celle que le chevalier de la légende inscrivait en lettres d'or sur sa loyale lame de Tolède, sert aujourd'hui d'emblème à la Société d'Encouragement à l'Escrime, à cette Société dont les nobles efforts ont fait revivre le culte de l'épée et ont remis en grand honneur cette arme d'une si belle tradition française.

Présidée par M. H. de Villeneuve, la Société d'Encouragement à l'Escrime est une des plus anciennes parmi les sociétés de ce genre : sa salle d'armes, où ont débuté et où se sont formés les meilleurs tireurs de ce temps, réunit non seulement les grands professionnels, les maîtres, pour ainsi dire classiques, dont l'enseignement et la compétence sont universels, mais aussi les amateurs, les friands de la lame, les personnalités en vue du monde de l'escrime, le Tout-Paris de l'épée.

La légitime sympathie dont jouit cette Société s'accuse toutes les fois qu'en une solennité publique, en des assauts officiels, ses membres offrent leur séance solennelle : la fête du fleuret.

Cette année, le programme offrait un attrait de plus : la reconstitution historique, minutieuse,documentée, du duel depuis le seizième

12

98 LA GRANDE DAME.

MM. ANDRIEU ET WEBER-HALOIN. L'Escrime sous Henri III.

siècle, époque à laquelle commence l'escrime proprement dite (règne de Henri II) jusqu'à nos jours.

Cinq assauts, où le costume, les armes, les attitudes, le jeu — réglés par M. Corthey avec une véritable science — procurent au spectateur l'illusion parfaite des époques défuntes, des chevaleries disparues, de ces temps héroïques où notre imagination revoit les romans d'aventures, les équipées illustres, les estocades et les luttes d'épopée : tout Alexandre Dumas, le Pré-aux-Clercs, les Mignons, les mousquetaires, les capitans à longue rapière et à moustache au vent, le matamore guettant dans une ruelle sombre le bourgeois attardé, Saltabadil, don César, Cyrano, Bussy, Saint-Georges, tous ces héros charmants du rêve et de l'histoire, toutes ces figures exquises, perdues dans la grisaille des siècles.

Avec MM. Bottet et Joseph Renaud, c'est l'épée à deux mains contre l'épée et le bouclier; c'est Jarnac et La Châtaigneraie, c'est l'arme formidable que manie le Suisse aux muscles d'acier, et avec laquelle l'Italien subtil fait une escrime savante et traîtresse.

MM. G. Andrieu et Weber-Haloin ressuscitent le règne de Henri III. les Mignons : Quélus, Schomberg, Maugiron, les raffinés d'honneur, fardés, parfumés d'ambre, jolis et pomponnés; la lutte à main armée:

Avec épée el dague, en dignes gentilshommes

Comme il sied, quand on est des maisons dont nous sommes.

La boxe actuelle — avec, au lieu du vulgaire coup de poing, le fer du poignard et de l'épée —donne assez justement l'idée de cette escrime où les passes, les voltes, les sauts, la solidité et l'agilité du jarret tiennent la première place.

LA SOCIETE D'ENCOURAGEMENT A L'ESCRIME.

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MM. DE LABORIE ET DE SAINT-CHÉRON. — Mousquetaire et capitan

Nous sommes sous Louis XIII avec MM. de Laborie et de Saint-Chéron. Ils simulent la rencontre d'un mousquetaire de Son Éminence avec un batteur d'estrade, un de ces coupe-jarrets comme on en voyait surgir, entre chien et loup, aux alentours du Louvre et du Pont-Neuf. L'escrime, à cette époque, devient savante et se dégage sensiblement de la tradition italienne. On emploie encore fréquemment le manteau, le poignard, mais ce ne sont plus que les vestiges d'un art qui commence à avoir ses principes et ses coups classiques. Cette restitution, minutieuse et difficile, due à des recherches qui certainement ont été laborieuses, fait le plus grand honneur à M. Corthey.

Enfin, le clou de la soirée a été l'assaut de la chevalière d'Éon, la fameuse chevalière d'Éon, figurée par Mme Gabriel, avec un professeur (le chevalier de Saint-Georges) figuré par M. Gabriel. M. Gabriel est l'ancien maître d'armes de Saint-Cyr; Mme Gabriel est le professeur du Cercle d'escrime des dames, nouvellement fondé. A eux deux, ils se sont déjà créé une notoriété parisienne, et le monde de l'escrime leur a légitimement assigné la place qu'ils méritent dans la hiérarchie des tireurs professionnels.

Avec Saint-Georges, l'escrime française arrive à son complet développement, et au dix-neuvième siècle, avec La Boëssière fils, elle atteint les proportions d'une science exacte. L'emploi de la lame carrée et du

1OO LA GRANDE DAME.

fleuret se généralise. C'est l'époque classique : le jeu de l'épée devient un art avec des règles absolues, des lois, des traditions glorieuses, des maîtres, des professeurs, des académies.

Le duel n'est plus la rencontre aventureuse en quelque coin isolé, sans témoins, sans une assistance régulière pour empêcher les traîtrises, l'assassinat, la félonie. Le duel a son code, et malgré ses détracteurs, ses ennemis, malgré les philosophes à tirades et à lunettes, il s'implante officiellement dans les moeurs, il devient, dans les circonstances délicates ou graves de la vie, l'unique moyen de réparation ou de vengeance imposé aux gens d'honneur,

Car l'épée est un symbole, un symbole de droiture, de courage, de sereine loyauté. Porter l'épée, sous l'ancien régime, était titre de noblesse. Aux croisades, la poignée de l'épée figurait la croix ; elle touchait les lèvres du chevalier agonisant. Contre les formidables carrés de l'infanterie espagnole, la maison du Roy, jetant bas les pistolets, mettait l'épée au clair et s'avançait en avalanche dans les plaines de Fontenoy: «Assurez vos chapeaux, messieurs les Maîtres, disait le maréchal du camp. Nous allons avoir l'honneur de charger. » Et à chaque page de l'histoire de France, à chaque ligne presque, c'est l'épée, c'est la fine lame d'acier, c'est la flexible tige de fer qui raconte les conquêtes, les épopées chevaleresques, le loyal et merveilleux combat. La fête de l'épée, c'est une fête française, et il faut chaleureusem*nt féliciter M. de Villeneuve et ses amis de nous avoir si bien et si bellement donné cette fêle.

La séance se terminait par un assaut moderne, entre MM. Cloutier et Doumic, d'un intérêt un peu relatif, et un concert où plusieurs artistes de l'Opéra et du Théâtre-Français se sont fait entendre.

Jean de MITTY.

M. ET Mme GABRIEL. — La chevalière d'Éon et le chevalier de Saint-Georges.

MUSICIENS MODERNES

LA SOCIÉTÉ NATIONALE : De Camille Saint-Saëns à C. Debussy. — Le quatuor Ysaÿe.

ES canons de la guerre s'étaient tus depuis quelques mois à peine, quand la Société nationale donna son premier concert. Ce fut dans le Paris artistique réuni au foyer après une si cruelle dispersion comme le chant d'actions de grâce après l'orage qui termine la symphonie pastorale.

Ce souvenir nous revenait à l'esprit l'autre soir,

où la Société nationale inaugurait la trente-troisième année de son existence. Que de chemin parcouru, quel

travail opiniâtre d'initiation du public à la musique pure, que d'oeuvres mettant peu à peu l'école française à son rang, en face des écoles étrangères, allemande, Scandinave et russe! Ce bilan est le résultat des efforts de deux générations de musiciens, divers de tendances et de tempérament, pareils de conscience artistique, de culte pour l'idéal le plus élevé. Le premier groupe est personnifié par Camille SaintSaëns, fondateur de la Société, et par le regretté Lalo. La transition est ménagée par Gabriel Fauré; le noyau actuel, l'école, par les jeunes compositeurs élèves ou amis de César Franck.

Camille Saint-Saëns a été proprement le premier qui ait donné à la musique de chambre ses lettres de grande naturalisation en France. Ceux d'avant lui, sauf Reber, sont oubliés; et à côté de lui, parmi les hommes de la génération, nous ne voyons à nommer qu'Edouard Lalo. Gabriel Fauré, plus lent, plus timide à produire, est aussi plus en peine de complications formelles.

Les deux maîtres que nous venons de nommer se défiaient d'instinct de toute recherche qui peut rompre l'harmonie linéaire de la phrase et du développement.

Le maître César Franck est à la fois très moderne et très ancien. Sa Psyché, son quintette, sont de demain; son prélude choral et fugue, ses Béatitudes, ses pièces d'orgue et sa musique d'église sont contemporains des cantates et des oratorios du grand Bach.

La Société nationale a plus d'une perte à déplorer : dès ses premières années, un de ses plus jeunes membres, A. de Castillon, dont le tempérament passionné, fiévreux, semble avoir brûlé la vie; naguère la mort lui enlevait Lalo, mais après une carrière remplie, et, cette fois, en plein triomphe. Un regret plus aigu peut-être est dû à un autre jeune, à

102 LA GRANDE DAME.

A. Duparc, muré volontairement dans une retraite lointaine et dans un inexplicable silence, quand le succès était déjà venu à son ouverture de Lénon.

A l'heure actuelle le plus en vue, le plus connu européennement de cette jeune école française est le vicomte Vincent d'Indy que nous définirions volontiers un de Vigny musical. Il a de commun avec le grand poête aristocratique une certaine hauteur triste d'inspiration, le dédain intransigeant du facile, du joli, du séduisant.

La plus jeune recrue de la Société nationale, venue à elle par des voies bien différentes, est M. C. Debussy, qui fut lauréat du Conservatoire et prix de Rome. Aujourd'hui il traduit en musique les plus étranges visions de Baudelaire, les impressions fuyantes de Verlaine, les mystiques sentiments de Dante, Gabriel Rosselti. La Damoiselle élue, qu'il fit entendre l'an dernier, était déjà d'une seconde manière. Ce jeune taciturne, au masque d'éphèbe antique, a déjà fait et fera encore bien du chemin, avec l'ambition muette mais jurée d'explorer hors des voies battues.

En cette salle Pleyel, qui est depuis le commencement du siècle le centre musical le plus brillant de Paris, c'était double fête le soir de l'inauguration de la vingt-unième année de la Société nationale. Car à la valeur des oeuvres se joignait l'attrait extraordinaire de l'exécution. La Société avait fait appel à Eugène Ysaÿe et à son quatuor, dont la réputation a rapidement égalé celle de Joachim et de ses partenaires. Déjà acclamé à Paris, où il venait faire consacrer une renommée européenne par de belles exécutions des Concertos de Vieux temps et de Winiawski ses maîtres, Eugène Ysaÿe y reparaissait il y a deux ans à la tète d'un quatuor dont les trois autres membres, MM. Crickboom, Van Hout et .J. Jacob, sont des artistes accomplis. Entre ces quatre exécutants il y a communion intime absolue. Fils d'un même pays, élèves d'une même école, nourris d'un même esprit, animés d'une même tendance, ils réalisent cet idéal d'un seul être en quatre personnes. C'est sa grandeur d'archet, sa passion dramatique ou élégiaque, sa noblesse de conception multipliées par quatre que Ysaÿe a mises au service de l'art moderne français, et dans ses séances d'alors chez Pleyel, véritable révélation, et dans l'inoubliable audition de la Société nationale qui a ouvert avec tant d'éclat la saison des concerts de l'hospitalière maison Pleyel.

T. L.

LE CARNAVAL

FRANCE — BELGIQUE — ITALIE

Celle année comme les précédentes, le carnaval de Paris offre aux méditations celle énigme : sans une invention, sans même l'espérance d'une surprise il met sur pieds, le mardi gras, un million de curieux, qui se regardent passer les uns les autres, à défaut de spectacle de cortège. Il n'a pas fallu plus de trois chars-réclame pour faire les frais de l'affluence et de la gaîté : l'un, garni de gigantesques nourrissons tetant à même des biberons énormes; le second retentissant d'une fanfare de grenouilles, — la seule nouveauté du jour ; — le dernier portant l'inévitable Gargantua de notre enfance, haut de trois étages, habillé en cuisinier et béant à des victuailles

imaginaires. Et nous les reverrons les mêmes, l'an prochain, défiler entre deux haies de foule aussi pressée.

Il en va de même à Bruxelles, où nos confetti multicolores et nos plumes de paon, qu'on appelle comme ici les « chatouilleuses », ont réveillé un peu le vieux carnaval local de sa profonde léthargie. Les capitales modernisées n'ont décidément

plus guère le sens de ces fêtes et des improvisations qui leur donnent seules un jour de vie intense.

Si bien que Bruxellois et autres Belges qui ont le culte du carnaval ont pris le train et ont été passer les jours gras dans la jolie petite ville wallonne de Binche, dont le nom rappellera aux lectrices de la Grande Dame les vieilles guipures, orgueil de nosgrand'mères. Mais Binche a aussi son carnaval et son cortège particulier, celui des Gilles, remontant à l'âge respectable de trois siècles et demi. En 1549, la régente Marie de Hongrie recevait en son château de Binche son neveu Philippe II est 100 et la reine de France. Une cavalcade de dames et damoiselles costumées en nymphes et autres déesses pastorales parcourut les rues de la petite ville, précédées de hérauts d'armes, de fous à grelots et aussi de cavaliers habillés en Indiens d'Amérique, en souvenir des exploits espagnols au Nouveau Monde. La mémoire du populaire gardait un souvenir mêlé de ces divers costumes et déguisem*nts, et son imagination créait le Gilles, dont l'accoutrement rappelle à la fois le héraut, le fou et l'exotique. Il a du premier les blasons, du second les bosses, du sauvage la coiffure de plumes. Figurez-vous une sorte de chapeau sans bord en satin bouillonné tout garni d'aigrettes dorées et surmonté d'un panache en plumes d'autruche. Dans cet équipage, les Gilles défilent en musique par les rues de leur patrie, dansant comme des piqués de la tarentule, agitant leurs grelots et leurs collerettes bouffantes, et lançant des oranges aux regardants.

Cent fois plus d'entrain parmi ces bigarrées qui s'agitent sous le ciel gris et pluvieux de Belgique que sous les palmes, les banderoles, les oriflammes et le ciel bleu de Nice. Quatre cents voitures au Corso, profusion de fleurs à la bataille, profusion de fleurs clans les landaus, dont aucuns étaient disposés en corbeilles diaprées —mais rien de sensationnel, rien de trouvé. Le prix de la décoration des voitures a été attribué à un prince indien, le maharajah de Barode. C'est la seule nouveauté du carnaval de Nice.

De la terre classique du carnaval, d'Italie, les échos sont divers : joyeux ici, et là funèbres. Fini le carnaval du peuple, qui déchaînait tout le long du Corso romain les barberi sans freins ni cavaliers. Finis les défilés de voitures pendant lesquels on échangeait

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LA GRANDE DAME.

entre équipages et fenêtres ou équipages et passants les vrais confetti, les dragées fines ou leur imitation en plâtre, qu'on lançait à l'aide de raquettes, et qui tombaient sur les travestis en grêle blanche. Éteinte même la gaieté brutale du popolino qui visait aux chapeaux à haute forme avec des trognons de chou ou de broccoli. C'est à peine si, le soir du mardi gras, on a vu çà et là dans les rues de Rome, comme de rares feux follets en peine, quelques porteurs de moccolelti, semblant demander en grâce qu'on soufflât sur leur petite flamme.

Les réjouissances carnavalesques, disparues du Forum, se retrouvent, en revanche, vivantes, gaies, en jolis déguisem*nts souvent neufs dans les veglioni organisés par des cercles ou des associations artistiques. A Milan, ce sont les cyclistes qui ont donné la note du jour dans des costumes des temps passés. Un cortège de hérauts, de chevaliers, de mousquetaires et autres guerriers plus que séculaires montés sur bicycles ultra-modernes ont traversé tout Milan et fait une tournée sensationnelle au bal du théâtre dal Varme. A Rome, le Club athlétique a donné une soirée équestre et acrobatique fin de siècle, comme chez nous Molier et ses amis. Le bal costumé du Cercle artistique allemand a réuni les costumes de domestiques de tous les temps et de tous les pays, depuis le préhistorique « portier de l'arche de Noé » jusqu'à nos « gens de maison » actuels, en correct habit noir, en passant par l'esclave antique des Saturnales, l'heiduque chamarré de la seigneurie polonaise ou hongroise, les Crispin et les Frontin illustrés par le répertoire italien et français, le suisse majestueux, les serviteurs nègres, indiens ou arabes, le groom anglais, etc.

Très réussie particulièrement la nuit masquée du Cercle artistique international, qui s'est passée au milieu d'un décor élyséen ou arcadien de ruines grecques ou gothiques, au milieu de porteurs de fleurs naturelles. Les artistes espagnols qui vivent à Rome avaient transformé une des salles en posada sévillane, avec ses murailles couvertes de portraits de saints, son comptoir où l'on débile de l'huile, des tortillas et du vin du pays. La Posada de Tio Concio a été toute la nuit pleine de visiteurs et de consommateurs, bourdonnante de chants et de bruits de mandoline.

Non, le carnaval italien n'est pas mort. Les artistes l'ont sauvé et le ressuscitent trois jours par an.

MONGENOD.

GUSMAN SC.

STEWART pinx.

COURRIER DE PARIS

OUS prétexte que Pâques nous a surpris cette année

plus tôt que de coutume et que le carnaval n'a duré

que l'espace d'une giboulée, le Paris mondain en a

pris un peu à son aise avec les austérités du carême.

Il a fallu la semaine sainte pour couper court à une série de dîners multipliés, à tel point que, selon le mot d'une spirituelle maîtresse de maison, on a vu en ce dernier mois encore plus de bombes glacées que de bombes à la dynamite.

Les réceptions également sont allées bon train. Dans notre plaisant pays de France, personne ne perd son temps à se lamenter sur l'anarchie. La meilleure raison au contraire pour vivre double est de n'être pas assuré de vivre longtemps, et c'est ainsi que beaucoup de maisons se sont rouvertes dès le retour de leurs propriétaires revenant des champs. Les housses à peines retirées, on s'est outillé pour recevoir les amis.

C'est le théâtre qui a fourni le principal appoint de ces réunions, puisqu'il est admis qu'on ne danse pas pendant le carême, sauf sous les

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106 LA GRANDE DAME.

toits officiels. La grande mode a été pour les « saynètes » jouées à deux ou trois personnages au plus, ou encore pour les reconstitutions de vieilles chansons.

Comme toujours il s'est rencontré des comédiens de mérite pour satisfaire à ce goût de plus en plus accusé. Mlle Hamel, de la ComédieFrançaise; Mlle Irma Perrot ont fait revivre avec art les vieux airs du dixhuitième siècle. D'autre part, M. Cooper et Mlle Auguez ont obtenu de véritables triomphes, grâce à leurs chansons genre 1830, débitées avec l'onction, la sentimentalité un peu moqueuse nécessaire pour faire valoir ces vieilleries, sans y ajouter plus de foi qu'il ne convient. Dans l'Esclave du harem, par exemple, ou dans Jenny l'Ouvrière, l'évocation de ces temps lointains est saisissante. Elle fait sourire la génération présente, mais elle met une larme dans les yeux attendris des grand'mères auxquelles elles rappellent le temps où elles soupiraient toutes ces choseslà en s'accompagnant de la harpe. Or n'est-ce pas très méritoire à des maîtresses de maison que de donner un spectacle qui puisse amuser les grand'mères? Le monde est d'ordinaire assez cruel pour les aïeules; il s'occupe si peu d'elles que c'est pain bénit à lui de faire passer quelques bonnes heures à celles qui en ont si peu à passer encore sur la terre.

Entre temps nos belles dames se sont beaucoup transportées au sermon. Les deux prédicateurs le plus en vue de ce carême ont été, comme l'année précédente du reste, deux dominicains : le père Feuillette et le père Ollivier. On n'ignore pas que cet ordre des dominicains, justement fier d'avoir clans le passé doté la chaire chrétienne d'un Lacordaire, s'applique plus que les autres à former des orateurs. Ses efforts ont été couronnés d'un plein succès. Le père Feuillette et le père Ollivier méritent de tout point l'admiration dont ils sont l'objet et où il n'entre, quoi qu'on en ait dit, qu'un faible élément de snobisme.

Qu'on me permette cependant une légère réserve à l'occasion de certains procédés oratoires adoptés par le dernier des deux prédicateurs que je viens de citer. Le père Ollivier excelle dans le genre familier, dans l'argument sinon ad hominem, du moins ad feminam. Il en tire quelquefois les plus heureux effets, mais son zèle ne l'emporte-t-il pas quelquefois un peu loin? Sa brusquerie à la Bridaine n'a-t-elle pas quelquefois, je ne dirai pas détoné, mais étonné? Que l'éloquent dominicain se plaigne tout haut du bruit que font clans l'église les remuements intempestifs de chaises, je le conçois; mais, quand il gourmande pour ainsi dire personnellement les fidèles qui regagnent leur place pendant qu'il parle, ne s'expose-t-il pas à manquer un peu de solennité? Vous connaissez peut-être l'histoire de ce prédicateur du siècle dernier qui s'interrompit en plein sermon pour dire à une dame arrivée en retard :

— Madame vient sans doute de prendre son chocolat?

COURRIER DE PARIS. 107

Ce qui lui attira cette riposte :

— Oui, mon père, avec un petit pain mollet. Le père Ollivier n'est pas homme, j'en conviens, à entamer un dialogue amenant une réponse de ce genre, mais les admirateurs les plus sincères de son beau talent souhaiteront quelquefois de le voir planer un peu plus qu'il ne le fait au-dessus de son auditoire. Ajouterai-je qu'ils lui sauraient gré aussi de moins malmener ces pauvres pécheurs qui l'écoutent. Il est arrivé, m'affirme-t-on, à l'éloquentdominicain de fustiger la noblesse contemporaine en lui rappelant les fredaines de ses bisaïeules. N'avons-nous pas déjà assez à porter le poids de nos propres fautes sans plier également sous le faix des fautes commises autrefois clans notre famille? Comment l'aristocratie française continuera-t-elle à chercher des exemples de vertu devant ses portraits de famille si un prédicateur lui affirme que ces portraits de famille ont, en réalité, à rougir devant les enfants ?

A part ces légères observations dont nos lecteurs et nos lectrices comprendront le mobile uniquement inspiré par le bon intérêt de la religion, les prédications de carême ont, je le répète, fait honneur à la chaire française. Du reste, l'affluence inusitée des fidèles le prouve surabondamment. Cette année, à la Madeleine, les dames ont dû s'inscrire un mois à l'avance pour verser les cinquante francs, montant de la location de leur chaise. Au besoin, si cette location pouvait être l'objet d'un négoce quelconque, les places feraient prime au profit des premières personnes inscrites. Mais, j'y songe, il y aurait peut-être là une idée à creuser, à condition, bien entendu, que la plus-value résultant de la hausse soit consacrée à de pieuses fondations.

Le dimanche — les courses n'étant pas interdites en carême le dimanche — on s'est beaucoup porté à Auteuil.

Nous ne parlerons aujourd'hui de cet hippodrome, qui tient le record des réunions de steeple-chases, que pour signaler le bon effet produit par les dernières améliorations réalisées. Rien de plus ingénieux et de plus discret à la fois que les voitures chargées de recueillir et d'emporter les gentlemen-riders, jockeys ou chevaux victimes d'une chute quelconque. C'est le dernier mot de la carrosserie bien comprise. Vous connaissez peut-être pour l'avoir vu en oeuvre l'admirable mécanisme à l'aide duquel en Espagne les employés des courses de taureaux entraînent vers la sortie les chevaux éventrés et le taureau mort. Cela se fait avec une vertigineuse rapidité. Il en sera de même à Auteuil, avec cet avantage en plus que, grâce à un abri ingénieux, la vue des victimes dont je parle sera épargnée au public.

108 LA GRANDE DAME.

Mêmes compliments à adresser à l'organisation des braseros. Au moment où paraîtront ces lignes, le printemps aura fait de ce mode de chauffa*ge une histoire ancienne; niais comme on n'est jamais assuré à Paris d'un brusque retour offensif du froid, il n'est pas trop tard pour féliciter l'administration des steeple d'Auteuil de la façon dont elle prémunit de jolis doigts contre l'onglée et des petit* pieds délicats contre les engelures.

Quand nous aurons ajouté que les aménagements de la piste et des tribunes, l'entretien des gazons et mille autres détails ont fait, en ces derniers temps, pousser des cris d'admiration au prince de Galles, lors du passage de Son Altesse à Paris et à tout son entourage, on est en droit de dire que décidément comme magicien le prince de Sagan ne craint personne. Le jour où il a obtenu de la Ville de Paris — il y a vingt ans de cela — la création d'Auleuil, il avait dit à M. Ranc, alors conseiller municipal et chargé de traiter avec lui : « Nous ne nous entendrons jamais en politique, mais sur le terrain de la prospérité de Paris nous serons facilement d'accord. Je vous promets que je ferai de mon mieux pour réaliser ce point du programme commun. »

Le prince a tenu parole.

FOXTENEILLES.

WINDLESTONE. — Les jardins.

Lady Sybil Eden

... Très sympathique, le visage de lady Eden, dont les traits vraiment nobles reflètent une âme exquise. L'oeil, très grand, très ouvert, sous l'arcade d'un sourcil très net et très fin, fixe sur vous son regard profond, et vous êtes involontairement attiré par l'enchantement du sourire de cette bouche pensive, restée virginale. Il y a dans l'ovale du visage une distinction parfaite; mais la fermeté du menton romain accuse, en même temps, l'énergie de la volonté intelligente.

Avec la rare élégance de sa taille, son cou de cygne relié aux épaules par de délicates attaches et la suprême distinction de sa personne, lady Eden possède toutes les marques distinctives où se reconnaît l'aristocratie de la race.

Son nom de fille, miss Sybil Grey. Son père, sir William, était le fils de l'évêque d'Hereford, cinquième enfant mâle de lord Grey, premier comte du nom. Ses cousines, dans la ligne maternelle, lady Antrim et lady Minto, nous disent assez quel rang elle occupe dans la noblesse anglaise.

110 LA GRANDE DAME.

Résidence : le manoir de Windlestone, à Ferry Hill, dans un district minier. C'est une construction assez vaste, qui doit surtout son caractère architectural à un large portique à piliers quelque peu massifs, s'étendant sur toute la longueur de la façade de l'est, au milieu de laquelle se trouve l'entrée principale.

Le visiteur est introduit tout d'abord dans le grand hall, où la maîtresse du logis lui souhaite la bienvenue avec cette cordialité franche qui rend l'hospitalité anglaise si précieuse à tous ceux qui en ont connu la douceur.

Dans les jours de vie intime, c'est la bibliothèque qui offre son discret asile aux lectures du matin, aux causeries du soir et au five o'clock tea d'avant dîner. Ses trois larges fenêtres s'ouvrent sur un vaste paysage, borné par les croupes onduleuses des collines de Cleveland, et laissant voir, tout près, le troupeau noir du bétail d'Ecosse tondant avidement les gazons du grand et beau parc digne de cette magnifique résidence.

Une jeune famille pousse

à l'ombre de la tige maternelle. Lad y Eden est fière de ces deux beaux enfants, Jack et Marjorie, encore dans leurs années tendres, et à qui elle prodigue des soins incessants, avec un dévouement passionné.

Le boudoir, où milady ne reçoit que ses intimes, est d'un goût très sobre, et le ton bleu des vieilles porcelaines de Chine y tranche avec bonheur sur les tentures jaunes des murailles; les nuances sombres, mais soutenues, des rideaux et des tapis; les incrustations brillantes d'un grand cabinet japonais, se détachant en clair sur

LE HALL

LADY SYBIL EDEN. III

son fond noir; tout porte la marque de la recherche et de la distinction.

Dans une cassette, d'une blancheur ivoirine, assez petite pour que l'on puisse la faire voyager aisément d'une table à l'autre, je vois Keats et lord Byron, à côté d'un volume de miss Broughton et d'un roman de Jane Austen; puis des tomes détachés de Tolstoï et de Browning, attestant tout à la fois la distinction de l'esprit et l'indépendance de jugement de l'aimable souveraine de ce petit royaume, qui entend ne rester étrangère à aucune des manifestations de la pensée moderne.

Si Windlestone est un assemblage de merveilles, on peut dire que son hall central en est la pièce la plus remarquable.

Une collection de tableaux des grands maîtres de la Renaissance et du moyen âge y représente l'art ancien, et la conforiabilité moderne s'y affirme par toutes les délicatesses et tous les raffinements dus au génie fertile et souple de ces artistes industriels qui s'efforcent de réunir dans nos intérieurs tout ce qui peut contribuer à l'élégance et au bien-être dont l'harmonieux ensemble est le véritable desideratum de la vie contemporaine.

Partout des céramiques superbes, principalement dans les appartements privés de lady Eden, qui a rassemblé dans son cabinet de toilette et dans sa chambre à coucher une collection unique de vieilles faïences du Staffordshire.

Il est beau d'être riche; mais cela seul ne suffit pas à de certaines âmes qui ont soif d'autre chose. La fortune n'a de prix pour elles que s'il leur est permis d'en faire un noble usage. Lady Eden est la bienfaisance en personne.

LE BOUDOIR

112 LA GRANDE DAME.

LE SALON

Vivant d'une vie intime et cachée, elle ne se manifeste au dehors que par les dons qu'elle répand.

Sa charité ingénieuse s'occupe des moindres détails de la vie populaire. Deux fois par semaine elle fait des conférences aux mères de famille pour leur apprendre leurs devoirs — et elle leur donne en même temps le moyen de les remplir. Elle a fondé des écoles du soir pour chaque jour de la semaine, et des écoles du dimanche pour ceux que le dur labeur courbe sur leur tâche pendant six longues journées.

Ainsi, les jours s'enchaînent aux jours dans cette existence harmonieuse, dont toutes les heures sont comptées et pleines.

C'est seulement après avoir accompli tous les devoirs imposés à sa noble vie que lady Eden se permet de jouir des faveurs dont la fortune l'a comblée. Après avoir vécu pour les autres, elle vit enfin pour elle-même, dans la douceur et l'intimité d'une union bénie, entre l'homme qu'elle aime et les enfants qu'elle adore, en servant à tous de modèle et d'exemple.

Louis ÉNAUT.

LES DERNIÈRES MODES

Ce n'est pas seulement aux bourgeons des marronniers de nos boulevards qu'on devine le printemps parisien, c'est au réveil des plaisirs, à l'ouverture de l'Hippique, à l'apparition des modes nouvelles.

Les Parisiennes habituées à donner le la en ce qui concerne la coupe de nos vêtements ontfort à faire en ce moment; un bouleversem*nt complet se prépare dans notre mise : il s'agit pour elles, dans toutes les occasions d'après Pâques, de se montrer vêtues au dernier goût du jour.

Si l'on en croit les bruits de coulisse, nous allons enfin voir les femmes renoncer à se masculiniser : plus d'étoffes lourdes, épaisses et bourrues; plus de jupes plates, raidies et doublées, mais des tissus fins, souples et légers, mouvementés sur des fonds de soie de teinte différente.

C'est, dans la mode, un véritable coup d'État, qui rencontrera d'autant moins d'opposition parmi les Parisiennes, que le besoin d'un changement se faisait sentir; en effet, avec les jupes plates, pourtant si jeunes et si seyantes, toutes les femmes, quelles qu'elles soient, semblaient vouées au même uniforme. La jupe mouvementée, qui demande, pour être gracieuse, le coup de main d'un artiste, sera une exception et aura par cela même un cachet de distinction qui trouvera de nombreuses adeptes. Les voeux que je me borne à former, c'est que ce « mouvement » ne soit pas le premier pas vers les retroussés et les drapés, les paniers et les poufs venant alourdir et déformer les lignes du corps.

Que dire des manches? Jamais l'art du couturier ne conçut chose à la fois plus bizarre, plus originale et plus jolie; imaginez une manche des14

des14

114 LA GRANDE DAME.

sinant le bras dont les ornements très mouvementés, les noeuds, les dentelles lui donnent une ampleur énorme dans le haut, tout en laissant deviner sa forme, sous le flou léger de ces enjolivures. Rien n'est plus gracieux et jamais la mode n'inventa plus séduisants atours pour parer et embellir les femmes.

La fantaisie la plus capricieuse règne sur les corsages : tantôt à petites basques ou à taille ronde, ils se plissent perpendiculairement ou se drapent horizontalement d'étoffe différente de la jupe, se voilent de guipure ou de dentelle mélangée à la mousseline de soie. Les combinaisons sont multiples et vraiment tout à fait charmantes.

J'en veux citer pour preuve les toilettes signées Worth et d'une incomparable élégance aperçues au mariage de Mlle Gabrielle Schwartz avec M. Klotz, avocat à la Cour d'appel.

La mariée, fort jolie, portait une robe nuptiale d'une grande simplicité en moire antique unie; le corsage à postillon avec petite ceinture était drapé sur la poitrine avec touffe d'oranger sur le côté ; les manches voilées de tulle illusion étaient très bouffantes. Mme Schwartz avait une superbe robe de damas à fond de satin blanc verdi, broché de branches de gui ; au corsage, dentelle crème et écharpe de mousseline de soie. Mlle Rose Schwartz, soeur de la mariée, était ravissante dans une toilette genre Louis XV en taffetas rose chiné, avec impressions de bouquets pompadour, très froncée sur les hanches, s'ouvrant devant sur un jupon de taffetas glacé rose. Le corsage Louis XV, allongeant beaucoup la taille avec boulons anciens en strass et grand revers formant berthe voilée de dentelle, s'ouvrait sur un fichu de mousseline de soie rose noué sur la poitrine. En guise de col, un ruban de satin noir.

Mme Klotz portait une toilette de satin crème voilée de barège noir pailleté d'acier et de jais avec dentelle et mousseline de soie ornant le corsage.

Mme Julien Hayem était fort élégante en robe de cuir royal vert ancien criblé de paillettes bleu de nuit, coiffée d'une mignonne capote Virot en velours rose avec ornement noir.

Mlles Flore et Juliette Hayem étaient bien jolies avec leurs grands chapeaux en paille noire, très larges, très évasés, rehaussés de quatre plumes amazone noire dépassant les bords et fixées devant par un chou de salin rose.

Il est si facile de paraître jolie sous ces grands chapeaux à la Virot tels par exemple que cet autre, baptisé l'Otero, une merveille avec sa calotte haute en paille bise, ses larges bords encadrant le visage et si simplement orné de deux amazones noires fixées devant par une grosse touffe de roses.

Comme type nouveau, je dois encore signaler le petit chapeau

116 LA GRANDE DAME.

Sanderson à calotte et bords étroits entièrement tendus de crépon crème

avec noeud très élargi en crépon et deux plumes-couteaux en aigrettes.

Les formes sont ou très mignonnes en paille de couleur vert d' eau, bleu tendre, mauve pâle et rouge vif, ou très élargies sur les côtés, faites en paille de fantaisie noire ou bise. En guise d'ornements, beaucoup de rubans moirés criblés de paillettes, une profusion de fleurs et de grandes plumes amazone. C'est toute une révolution dans l'art de la coiffure.

Une jolie nouveauté, c'est la voilette Renaissance qui jouit en ce moment de toutes les faveurs, à côté des voiles de vraie dentelle. La voilette mouchetée est vieux jeu ce printemps, je le regrette, elle était seyante; mais le premier devoir d'une élégante, c'est de ne pas être mise comme tout le monde.

A propos des grands mariages de la saison, on me signale une fantaisie de la mode. La classique bague des fiançailles avec perle et diamant est abandonnée; les jeunes épousées lui préfèrent une bague plus nouvelle, avec diamants et pierres précieuses : l'émeraude couleur d'espérance est celle qu'elles semblent préférer.

On ne songe en ce moment qu'aux toilettes de Concours hippique et de Vernissage. Les protagonistes de nos modes y apparaîtront en costumes de taffetas à damiers, en robe de crépon ou de toile à laver avec profusion de dentelles ou de guipures jaunies. Sur les épaules, un mantelet très court à longs pans devant ou un boléro de velours incrusté de dentelle-application. Quelques coquettes choisiront encore chez Félix la petite veste de moire recouverte de guipure, une exquise trouvaille. Puis, si le temps le permet, viendront aux Vernissages des robes de mousseline, de barège, de taffetas imprimés.

Ah! les Vernissages de nos Salons annuels, que de convoitises ils font naître! Toutes les Parisiennes rêvent d'y assister; mais, comme au Paradis, il y a toujours plus de candidats que d'élus.

ZIBELINE.

ODÉON. — Yanthis.

THEATRES

Si nous n'étions pas souvent l'ennemi déclaré des préfaces, qui sont souvent inutiles, et qui prennent toujours de la place, nous commencerions celte revue dramatique par quelques considérations générales sur le théâtre contemporain. Nous nous contenterons de dire ici qu'il est dans le marasme; que le public abandonne les scènes qui semblaient devoir jouir éternellement de sa faveur, et que plusieurs directeurs préparent déjà leur bilan. La chose est triste, mais elle n'est pas moins vraie ; il y a péril en la demeure, et ceux qui sont les maîtres de la situation n'ont que juste le temps d'aviser.

La récitation, au théâtre de la Gaîté, d'Axel, composition dramatique, ou prétendue telle, nous semble équivaloir à ces novissima verba que l'on dit sur les cendres de ceux dont on ne parlera plus désormais.

Villiers de l'Isle-Adam, porteur d'un grand nom, a droit aux égards et à la sympathie des lettrés, car il aima les lettres. Les lettres ont été la préoccupation ardente de sa vie, et il s'est vu plus d'une fois à la veille d'un succès qu'il n'a, du reste, jamais obtenu. Il n'a pas été plus heureux mort que vivant, et la tentative posthume hasardée par ses amis n'est pas faite pour ajouter à sa gloire. Comme la plupart des oeuvres de l'auteur, celle-ci manque de proportion, et, arrivant au public par Tinter-

118 LA GRANDE DAME.

médiaire du théâtre, elle apparaît trop évidemment en dehors des conditions scéniques, et sa conception générale, enfantine

et maladroite, commence par déconcerter le spectateur et finit

par le laisser en proie à un immense ennui.

Le premier tableau nous fait assister a une prise — ou plutôt à un refus — de voile qui ne manque pas d'originalité. Une belle jeune fille,

Sara, des comtes d'Auersperg, est contrainte par son tuteur à entrer dans un couvent et à renoncer au monde... Mais, au lieu de prononcer le oui fatal, c'est par un non énergique qu'elle répond à l'archidiacre chargé de recevoir ses voeux. Fuite

des nonnes scandalisées; lutte du prêtre avec la novice récalcitrante, qui saisit une hache d'abordage (comment se trouve-t-elle là?) et contraint ce personnage peu sympathique à descendre dans l'in pace — cette oubliette du couvent — où lui-même voulait l'enfermer.

Passons sur les invraisemblances et les impossibilités de toutes ces inventions, pour arriver au deuxième tableau, qui nous introduit dans le château d'Auersperg, dont le propriétaire, cousin de Sara, la novice défroquée, est le gardien d'un trésor de trois cents millions, que voudrait bien partager

avec lui un certain Kaspar, homme avide et peu scrupuleux. Axel — c'est le petit nom du comte — refuse le partage et tue le partageux, ne trouvant pas un moyen plus simple de s'en débarrasser. Mais son professeur de philosophie, un certain Janus, lui embrouille quelque peu les idées en lui persuadant que l'âme de celui qu'il a tué est passée clans son corps pour le corrompre; Axel, qui n'a pas la cervelle très forte, ne sait trop que penser de tout cela, quand on voit entrer une femme voilée: c'est Sara, la religieuse en rupture de voile — qui vient aussi réclamer sa part du trésor. Axel, qui n'est pas donnant, résiste à sa belle cousine. On se bat sur les monceaux d'or. Le jeune homme est blessé, et, comme s'il n'eût attendu que cela pour s'apercevoir que Sara est charmante, il en devient éperdument amoureux. L'amour appelle l'amour, et Sara répond à la flamme d'Axel, ainsi que cela se chante dans les romances. On s'imaginerait volontiers qu'ils n'ont plus qu'à être heureux, puisqu'ils sont

ODÉON. — Le Ruban. (Toilette de Mlle Sinty.)

120 LA GRANDE DAME.

jeunes, riches etqu'ils s'aiment; mais ils préfèrent se tuer dans la crainte de voir une réalité vulgaire gâter leur rêve idéal. On signale à regret

ces tentatives insensées, on ne les discute pas.

Elles nous semblent un véritable attentat contre notre génie français, fait de bon sens, de lumière et de raison. Mlle Camée, très intelligente et belle comme son nom, a noblement combattu pour une cause perdue d'avance. Elle l'aurait sauvée, si elle avait pu l'être.

L'Odéon vient de nous donner une pièce aimable et gaie, spirituelle et légère. Cela s'appelle le Ruban, dont les auteurs, MM. Feydeau et Desvallières, quoique très jeunes encore, sont depuis longtemps

déjà les mignons de la fortune...

Paginier veut être décoré parce qu'il a fait un livre pour nier les microbes. Il n'ambitionne d'ailleurs que le simple ruban, et M. Pasteur a eu le grand cordon pour avoir découvert ces mêmes petites bêtes. Paginier est modeste. Mais, par suite de certain imbroglio,

imbroglio, les jeunes dramaturges d'aujourd'hui excellent à les nouer et à les dénouer., la croix du mari

s'égare et vient s'attacher à la boutonnière de la reste tailleur de la femme.

Partagé entre la joie qu'il éprouve de voir Madame décorée et le chagrin qu'il ressent de ne pas l'être, Monsieur trouve des mots d'un comique heureux, toujours en situation, et nous intéresse à ses malheurs... très relatifs, grâce à la verve inépuisable et à l'entrain communicatif que M. Dailly déploie clans cette nouvelle création. Le public rit avant qu'il ait parlé. Inutile de dire que tout s'arrange au troisième acte, et que le mari et la femme finissent par être aussi décorés l'un que l'autre.

Le charme de la pièce, c'est Mlle Rose Syma, incarnée avec autant de naturel que de grâce dans le personnage, taillé sur sa mesure, d'une jeune et charmante fille, chez qui la candeur s'unit à la malice.

GYMNASE. — Famille.

(Toilette de Mlle Demarsy.)

122

LA GRANDE DAME.

Le théâtre, qui a la prétention souvent justifiée d'être l'image du monde, semble, comme lui, partagé en un double et contraire courant, et, comme la littérature et les arts, il passe avec autant d'aisance que de souplesse du réalisme le plus bas au spiritualisme le plus éthéré.

C'est à ce dernier ordre de composition que nous semble appartenir la pantomime jouée à l'OpéraComique sous le titre de Fidès, dont le scénario muet a été imaginé par MM. Roger Milès et Egidio Rossi, la musique écrite par M. Georges Street, et dont l'exécution a été confiée à M. Rossi lui-même et à Mlle Laus, de l'Opéra.

Le sujet, des plus simples, peut s'expliquer en deux mots. C'est le Polyeucte, de Corneille — moins les beaux vers — avec cette différence que le rôle de Polyeucte est confié à la femme, et celui de Pauline à l'homme...

Fidès est une jeune vierge chrétienne, condamnée au bûcher par Néron, ainsi que son père Torquatus. Hyphax, son gardien, trouvant sans doute que l'on tarde trop à exécuter la sentence, menace la pauvre fille de la flageller; mais bientôt, séduit par sa grâce, son charme et l'enchantement de sa douceur, il devient amoureux d'elle, partage sa foi et son supplice, et tous deux vont goûter au ciel l'ivresse des unions éternelles.

M. Georges Street a réchauffé des sons de sa musique, pour parler comme feu Boileau, ce drame

OPÉRA-COMIQUE. — Fidès (scène IV) HYPHAX. — Oh ! ce baiser sur mon front!

(Scène VI) HYPHAX. — Oui, mourir! mourir en baisant tes pieds!

THEATRES.

123

sans paroles, mimé par Mlle Laus, de l'Opéra, avec une rare puissance d'expression, une ampleur et une précision de geste tout à fait remarquables,: une souplesse de mou-: vement toujours harmonieuse, et une mobilité de physionomie traduisant avec une fidélité saisissante les nuances les plus fugitives des sentiments qui l'animent. Et les belles mains! des mains preneuses de coeurs, disait une femme tout près de nous. L'orchestre de M. Danbé a exécuté avec une habileté voisine de la perfection la très jolie musique de M. Street, toute pleine de mélodies faciles et bien venues, et que l'on entend avec un plaisir sans fatigue.

M. Carvalho, en substituant ainsi au livret ordinaire le scénario d'un drame mimé, n'a pas tenté, comme on s'est plu à le dire, une innovation. Il a renoué, au contraire, avec les traditions de la Comédie Italienne, dont le théâtre Favart fut jadis le légitime héritier. La Comédie Italienne n'avait-elle pas alors une troupe de vingt-quatre danseurs et, danseuses, qui représentait des divertissem*nts et des : pantomimes tels que la Fête américaine, le Mariage de Garriga, ou les Pirates vaincus? N'est-ce point le cas de reconnaître qu'il n'y a rien de nouveau dans ce bas monde; qu'aucune chose ne finit, ou que tout recommence..., excepté , pourtant la jeunesse évanouie?.

ODÉON. — Le Ruban.

(Toilette de Mlle Syma.)

CONSUÉLO.

JALABERT (CH.). — Mlle B... de la T...

LES PEtit* SALONS

L'Union des Femmes peintres et sculpteurs, qui tient chaque année ses grandes assises au palais des Champs-Elysées, vient de nous convoquer à sa treizième Exposition, qui ne comprend pas moins d'un millier d'oeuvres d'art : peintures, sculptures, aquarelles, pastels, dessins et miniatures. Si nous n'avions pas été élevés à l'école de Sadi, le poète persan, lequel prétend qu'il ne faut pas frapper une femme, même avec une fleur, nous aurions une belle occasion de nous montrer sévères. Ces aimables personnes, qui ont voulu avoir une église à elles, sans s'occuper des frais du culte, nous semblent s'enlizer de plus en plus dans une insignifiante médiocrité. On a peine à se croire ici dans un salon d'artistes; c'est tout simplement une salle d'écolières, qui exposent leurs devoirs le jour de la distribution des prix, pour être félicitées par M. le maire, magistrat renommé pour son indulgence.

Si nous ne rencontrions, parmi ces talents d'amateurs, des noms

LES PEtit* SALONS.

125

BENJAMIN CONSTANT. — Mlle Campbell.

acclamés dans une autre enceinte, comme ceux de miss Lee-Robbins, la coloriste américaine ; de Mlle Jeanne Rongier, dont la note est toujours juste et l'exécution toujours soignée; de Mme Esther Huillard, dont l'élégante facilité sème partout des oeuvres pleines de charme; de Mme Van Parys, dont la Fin du Livre est un morceau tout à fait aimable, nous conseillerions à Mme Léon Berteaux, bergère de ce joli troupeau, de déposer sa houlette fleurie et de renvoyer à l'école celles qui ne sont encore que des écolières. Elles sont trop jeunes pour affronter déjà le jugement du public, qui ne peut rester galant qu'en cessant d'être juste.

Le caractère typique de l'art contemporain, c'est de se particulariser, de se diviser et de s'éparpiller à l'infini. Quand on a réuni douze tètes dans un bonnet, on s'appelle un groupe... et on expose! Que de groupes;

126

LA GRANDE DAME. aujourd'hui et que d'Expositions! Si nous

n'étions pas atteints de la douce folie artistique,

artistique, commencerions à trouver que

c'est presque trop !

« Moi seul! et c'est assez!» nous dit fièrement M. Ernest Simon, qui a demandé à M. Georges Petit l'hospitalité de sa galerie pour un ensemble d'aquarelles pleines de franchise et de sincérité, rapportées de l'Egypte et du Maroc, de l'Espagne et de la Tunisie, de Venise et d'Alger. Notre vie errante, qui nous a promené nous-même dans tous ces pays, nous permet d'attester ici la justesse d'observation et d'impression dont M. Simon fait preuve dans toutes ces pages d'une exécution sobre et serrée.

Aujourd'hui plus que jamais l'aquarelle est à la mode. Le public aime ces petit* chefs-d'oeuvre, nés d'une goutte d'eau et d'une tache de couleur, et qui tirent leur lumière du papier même qui leur sert de fond.

Nous n'étonnerons donc personne en disant que, dès le premier jour, une assistance sympathique et nombreuse a répondu à l'appel du Cercle Volney, qui tient avant tout à justifier son nom de Cercle des Arts et des Lettres. A peine a-t-il fermé les salons où il exposait les oeuvres de ses sculpteurs et de ses peintres, qu'il les ouvre de nouveau pour les aquarelles, les pastels et les dessins des membres du Cercle, seuls admis, naturellement, à ces Expositions très recherchées.

Leur cachet particulier et leur plus vif attrait c'est d'être surtout composées d'oeuvres intimes et particulières, qui visent l'amateur bien plus que le marchand, qui sont traitées très librement, enlevées, en quelque sorte, sur nature, sans retouche, et nous arrivent dans la fraîcheur de leur premier jet.

Nous sommes attiré tout d'abord par de très jolies gouaches de M. Nozal — ce sont des paysages dans lesquels l'artiste exprime avec un sentiment très juste du mouvement et de la couleur les aspects divers de la nature qu'il semble comprendre, à force de l'aimer. Ces jolies oeuvres, franches et bien venues, M. Nozal les exécute très largement et avec un vif sentiment de ce qu'elles expriment, et, soit qu'il s'agisse des Moulineaux en avril, des Carrières de Saint-Denis en hiver, ou de la Jetée de

BORDE (P. DE).

Mme la comtesse de N...

LES PEtit* SALONS. 127

Honfleur à marée basse, l'impression est toujours si vive et si juste que l'on se croit en face des choses mêmes. L'artiste fait oublier l'art - et ceci est le triomphe de l'art lui-même.

On s'arrête devant les paysages de M. Rigolot, qui sait donner au crayon du pastel toute la souplesse du pinceau. Les Bords de la Loire, le Printemps à Clamart, la Mare aux Fées à Fontainebleau, une Fin d'Automne nous séduisent par la sincérité avec laquelle ils rendent l'impression reçue par l'artiste et qui se communique sympathiquement au spectateur.

M. Iwill est un poète. Je l'ai dit plus d'une fois, et je le crois toujours. Ce n'est pas sans regret que je m'éloigne de son Avril en Normandie, plein de fleurs, de parfums et de chansons, ou de son orage à cette pointe de la Hague, qui est le Cap des

Tempêtes de la Normandie. Mais je suis attiré vers Venise par une force à laquelle je ne résiste pas. Quel délicieux petit morceau que cette lagune embrumée, laissant voir sous le brouillard argenté les verts feuillages qui trempent leur chevelure dans l'eau dormante des canaux, et les tons délicats des murailles rosées, et la vaste lagune aux teintes harmonieuses, chaudes et vibrantes !

Très intéressants les portraits de M. Régamey, le peintre attitré des escrimeurs célèbres, qui nous montre la série pittoresque des rois du masque et du fleuret. On passe là devant en tirant au mur et en faisant l'appel du pied.

J'avoue, pourtant, trouver plus de plaisir dans la contemplation de certain pastel de M. José Frappa, nous rendant avec une fidélité, si désirable en pareil cas, la tète charmante de Mlle Des Houx-Morimbeau, d'une expression si franche, d'une coloration si fine, et dont les contours délicats s'enlèvent si nettement sur le fond puissant des tentures rouges.

Oh! la belle après-midi, et avec quel plaisir employée, madame, celle que vous avez évidemment passée dans la galerie de Georges Petit, à voir et à revoir les deux cent cinquante illustrations que le crayon infatigable de Maurice Leloir a dessinées avec une verve et une conscience que rien n'a lassées pour la nouvelle et définitive édition des Trois Mousquetaires, d'Alexandre Dumas.

J. -L. GEROME.

Mlle M...

128 LA GRANDE DAME.

Tout le monde le connaît et tout le monde l'admiré, ce récit plein d'animation, de vie et d'éclat, dont il semble que les pages se tournent, toutes seules.

Jamais l'admirable romancier n'a fait preuve de plus de souplesse et

de fécondité que dans ce merveilleux récit, dont les épisodes si divers renouvellent à chaque instant l'intérêt.

Le relire dans un exemplaire illustré par Maurice Leloir, c'est le lire deux fois, tant l'incomparable dessinateur excelle à donner un corps à nos rêves et à nous montrer dans la réalité de son oeuvre l'idéal même de ces personnages qui, depuis si longtemps, hantaient nos souvenirs,

MAURICE LELOIR. — Gravure extraite des Trois Mousquetaires.

LES PEtit* SALONS.

129

mais sans prendre la forme arrêtée que le vaillant artiste a su leur donner — et sous laquelle nous les verrons désormais — toujours!

A la galerie Durand-Ruel — cette galerie de si noble et traditionnelle

hospitalité — le maître peintre Camille Pissaro expose une partie de son oeuvre: tableaux, pastels, gouaches, aquarelles. C'est, en même temps qu'un événement, une des plus hautes manifestations d'art de notre époque, tant par la valeur et par l'éclat des oeuvres réunies que par le triomphe

16

MAURICE LELOIR. — Gravure extraite des Trois Mousquetaires.

130 LA GRANDE DAME.

définitif et officiel d'une esthétique longtemps méconnue. Il faudrait de longues pages et un cadre différent de celui de celle revue pour dignement raconter quelle fut la vie de Camille Pissaro, de quels efforts, de quels sacrifices, de quelle abnégation hautaine fut faite celle existence d'artiste, vouée entièrement à l'art, sans une défaillance, sans une compromission, et cela malgré les haines féroces et l'imbécillité ambiante. Camille Pissaro n'a rien abdiqué de ses convictions de jadis,— il demeure le grand protagoniste et le fervent zélateur de cet impressionnisme si bafoué naguère, et qui marque aujourd'hui une des étapes les plus magnifiques de l'art français.

MONTGENOD.

MORNARD (Mme DE). — Rue de la République, à Senlis.

FÊTES MONDAINES

LES PROGRAMMES

LES INVITATIONS, LES MENUS DE DINERS

Nous sommes ici chez une grande dame, la plus jolie, la plus gracieuse, la plus séduisante ; elle est à la fois grande dame et Parisienne.

Toutes les élégances lui sont familières. Reine, elle tient doucement son sceptre.

Les artistes, ses collaborateurs, lui ont

dévoilé leurs secrets; de tout temps, elle a su ce qu'elle pouvait attendre d'eux. Par sa grâce souveraine, elle les a

asservis. La peinture et la statuaire, qui détiennent les manifestations les plus éclatantes du goût français, sont à ses ordres. Chez elle, sous son inspiration, le luxe le mieux entendu, l'art le plus pur ont enfanté des merveilles.

Cela lui a-t-il suffi? Non. Dans son milieu élevé, la grande dame s'est vite aperçue que le petit art était trop négligé et que son absence nuisait à la perfection de l'ensemble rêvé par elle.

132 LA GRANDE DAME.

Pour combler une lacune aussi regrettable, elle a demandé aux maîtres du crayon les moyens de consacrer le souvenir des fêtes qu'elle donne, des réunions de charité auxquelles elle préside, des dîners auxquels elle assiste.

Portant ses regards vers des modèles impeccables, elle s'est rappelé ce que produisaient, au siècle de la suprême élégance, des artistes dont les noms nous sont restés chers. Cochin, Moreau, Choffard et d'autres encore lui sont apparus auréolés de leurs oeuvres exquises, véritables joyaux des collections contemporaines.

C'est dans ces conditions que nos dessinateurs ont été appelés et

mis à contribution. Avec leur aide a été rétabli, à notre plus grande joie, l'usage disparu des programmes, des menus de dîners, des cartes d'invitation, des billets de naissance. Partout où la distinction règne, des compositions gracieuses ont été sollicitées de nos illustrateurs. Ne voulant rien abandonner aux hasards d'une improvisation hâtive, on en a discuté la forme et pesé les termes. Du premier coup, on a atteint l'idéal.

Cependant aucune loi, on le pense bien, n'a été édictée au sujet de ces oeuvres légères; au contraire, la fantaisie la plus large a seule présidé à leur exécution et s'est donné libre carrière.

En vertu de cette coutume charmante, les sociétés les plus graves ont suivi l'exemple venu d'aussi haut. La grande clame a laissé là une trace ineffaçable; elle a ouvert un chemin nouveau par lequel ont passé et pas-

FÊTES MONDAINES. 133

seront encore bien des hommes habitués de longue date à des travaux d'un caractère plus noble peut-être, mais non plus aimable.

Il faudrait tout un livre pour mentionner les plus intéressantes oeuvres produites dans cet ordre purement mondain.

N'avez-vous pas remarqué la délicieuse composition de M. G. Jacquet pour la fête japonaise qui eut lieu en 1883 à l'hôtel La RochefoucauldBisaccia? Au milieu d'un paysage hivernal coule un fleuve d'or; des femmes jeunes et belles puisent à ce fleuve et versent aux mains dés pauvres ce qu'elles ont pu recueillir dans les vases qu'elles portent. Ceux qui assistaient à cette solennité en ont gardé un souvenir ému; d'autres, et ceux-là sont plus nombreux encore, en conservent le souvenir reconnaissant.

Vous souvient-il d'un programme charmant : celui du concert organisé au profit de l'hôpital libre de

Saint-Joseph, à la salle Érard? Mme Conneau s'y est fait entendre. Le programme a été

dessiné par Mme la comtesse de Sèze. Sa composition est simple et d'un goût parfait : d'une corne d'abondance s'échappent à profusion des notes musicales se transJ.

transJ. — Dessin pour une carte d'invitation à une soirée au Palais-Bourbon.

134 LA GRANDE DAME.

formant, dans leur chute, en pluie d'or; la Charité reçoit cette pluie

bienfaisante et la répand sur les malheureux.

L'invitation au bal annuel de la Société hongroise de secoursmutuels, dont Mme de Munkacsy a accepté le patronage en 1889, mérite aussi une mention spéciale. La lettre, d'allure modeste, est imprimée sur une composition ravissante et d'une extrême douceur de ton. Dans celte composition, qui semble avoir Munkacsy pour auteur, la couronne de Hongrie resplendit. Une figure ailée, encore la Charité, domine, portant une palme et une couronne de fleurs.

Il faut citer également un beau programme, dessiné en 1880 pour le concert de bienfaisance donné en faveur des réfugiés et des victimes de la famine en Asie Mineure. Sa composition est un peu mouvementée, mais on y reconnaît la marque d'un esprit d'une rare élévation.

Dans toutes ces fêtes, et c'est bien ce qui les caractérise, on retrouve toujours la même pensée maîtresse, la même main directrice; on y voit l'ingéniosité et la bonté de coeur de la femme.

Qu'on nous pardonne si nous ne multiplions pas les exemples et si nous n'insistons pas davantage. Nous voudrions profiter de l'occasion qui nous est offerte de signaler d'autres documents de nature semblable, qui se sont étrangement diversifiés à la suite de l'hospitalité qu'ils ont reçue dans la haute société. Ils ont aussi leur intérêt propre.

Le Cercle d'escrime de la rue de Bourgogne a pour artiste habituel M. Henry Gerbault. Les dessins de cet illustrateur sont remplis d'humour. Deux duellistes paraissent sur le terrain. Leurs intentions homicides ne sont point douteuses ; ils se fendent à fond, mais chacun d'eux, emporté par son ardeur, a manqué de coup d'oeil, les épées glissent à droite et à gauche et vont atteindre les témoins. L'un de ces derniers, voyant à temps le danger, a pu grimper sur un arbre voisin.

Dans le monde militaire, MM. de Neuville et Detaille ont publié des oeuvres de grande valeur. Un artiste amateur, M. le colonel de G***, les suit de près.

Tout le monde connaît aussi les programmes imprimés par les élèves de l'Ecole polytechnique pour les séances des Ombres. Que cela est jeune et a bien la physionomie française !

Quel est donc l'auteur de la pièce où est représenté un savant chimiste doué d'un abdomen qui l'oblige à pénétrer de profil dans l'amphithéâtre? En chimie organique, les introductions sont toujours difficiles.

Cet âge est sans pitié ! Avant de prendre place, le professeur a écrit une formule au tableau. Solennellement il a gagné sa table de démonstration. Ceci posé, dit-il. Or, ce que le savant chimiste a posé, c'est surtout cet abdomen malencontreux qui l'empêchait tout à l'heure de se présenter de face à son jeune auditoire.

FÊTES MONDAINES. 135

Une série pleine d'imprévu est celle des menus ou des invitations publiés par les Sociétés ou les Associations scientifiques, littéraires ou artistiques, celle aussi des menus dessinés par les Prix de Rome à la veille de leur départ pour la Villa Médicis.

Là se retrouveront dans quelques années tous les noms de nos meilleurs et de nos plus sympathiques artistes.

Se rappelle-t-on aussi les jolies eaux-fortes du comte Lepic? Celle qui est relative à la représentation donnée à la salle Ventadour, en 1878,

au profit des ambulances d'Orient, est fort curieuse. L'auteur y a représenté des personnages et des scènes de la Fille de Madame Angot.

Au siècle dernier, les artistes avaient songé aux billets de mariage, Il en existe quelques-uns qui sont ravissants. Combien il est fâcheux que nous soyons entrés timidement dans cette voie ! A ce point de vue, en effet, il n'y a guère à rappeler ici que le beau billet gravé par M. Devambez père pour le mariage de sa fille et le chef-d'oeuvre de japonisme moderne exécuté pour M. Gillot.

Les avis de naissance nous ont intéressé davantage et nous en avons de charmants. M. Paul Jamin a dessiné, à l'occasion de l'entrée en ce monde de l'un de ses enfants, une petite composition pleine de saveur.

136 LA GRANDE DAME.

M. Jamin père, un grand physicien, s'il vous plaît, porte dans ses mains inhabiles la chère créature. Une petite soeur joyeuse, abandonnant sa poupée, se précipite et veut être la première à annoncer la venue du nouveau-né. Le père et la mère se tiennent au troisième plan.

Les personnages principaux de cette oeuvre délicate sont des portraits d'une absolue ressemblance.

Les billets de Jules Chéret pour M. Henri Beraldi sont tout simplement adorables. Personne ne comprend aussi bien et ne voit mieux l'enfant que Chéret. Quels jolis bambins il crée! Abandonnés à eux-mêmes, ceuxlà se sont emparés de richesses bibliographiques et les feuillettent fiévreusem*nt. Ah ! si leur père les voyait !

Nous n'en finirions pas si nous voulions tout dire. Il y a dans les menus et les programmes une mine inépuisable et d'un charme particulier. Existe-t-il aujourd'hui un seul artiste qui, sans aucune prétention d'ailleurs, n'ait fait entrer dans son oeuvre une ou plusieurs de ces pièces fugitives si attachantes? N'en doutez pas, elles ne seront point sans exercer sur l'art de notre temps une bienfaisante influence, et l'avenir les recherchera au même titre que nous recherchons nous-mêmes les délicieuses productions des graveurs du grand siècle.

Vicomte de G.

Deux Lettres sur l'Amour

Première Lettre

vous me dites, chère amie, que vous avez du regret de

n'avoir pas suivi ces causeries où nous avons parlé de

l'Amour, de son passé, de son présent, de son avenir

* devant nos belles contemporaines. J'ai souffert aussi de ne pas vous voir au nombre de ces paroissiennes qui avaient dans notre chapelle de velours leur prieDieu avec leur nom. Car vous êtes comme moi, comme elles, de ceux qui veulent qu'on parle avec respect de ce qui est divin, et vous auriez fait crédit n insuffisance surardeur et la sincérité de ma foi. Cette foi, chère amie, je la résume tout de suite dans une espèce de Credo, celui-ci : Je crois en l'amour vainqueur du désir, de l'égoïsme

et de la vanité. Je crois que le règne de l'amour viendra sur

la terre et que tout sera transformé. Je crois encore que ce règne est proche et que nous pouvons à notre gré hâter ou retarder son oeuvre.

Autrefois les gens qui voulaient confesser leur foi cherchaient une place

17

138 LA GRANDE DAME.

publique. Ils se mettaient à genoux, ils haussaient la voix, ils répandaient leur coeur; ils ne se relevaient que pour être traînés devant les juges qui les renvoyaient aux bourreaux. Il faut être de son temps : j'ai cherché une salle dont les fauteuils fussent douillets, les tentures luxueuses et puis j'ai invité les belles abonnées des Français, de l'Opéra à venir s'asseoir là, entre leur toilette d'après-midi et l'heure des visites pour causer intimement des choses éternelles. Je les ai averties que je braverais les railleries des confrères et la rancune des Cercles, que je commenterais bravement mon rêve et mon expérience ; que je chercherais de bonne foi la vérité avec elles. Elles sont venues, et voici ce que nous avons trouvé de compagnie.

Dabord nous avons tâché de mettre de l'ordre dans nos esprits : distinguer c'est déjà comprendre. Nous sommes demeurés d'accord que le mot d'amour est le vocable dont on a le plus abusé. On le réquisitionne pour désigner des choses différentes, voire nettement contradictoires ; nous nous sommes juré, nous autres, que nous ne le confondrions jamais plus avec le désir ni avec la passion. Vous voulez des définitions ? Vous imaginez bien que nous en avons formulé, mais non pas ainsi, dès le seuil, avant d'avoir retracé, dans ses grandes lignes, l'histoire de l'amour. J'entendais dire l'autre jour à un grand poète qui est un grand pessimiste : « S'il n'y avait pas de malentendus, le monde finirait. » J'estime pour ma part que l'amour viendra habiter la terre seulement quand les malentendus seront dissipés.

Celui-ci est le pire de tous : la confusion de l'amour avec ce vertige qui a été placé en nous par le Génie de l'Espèce, pour assurer la pérennité de la race. Ce vertige-là est une folie anonyme, un rythme qui domine les hommes comme les animaux, et qui les conduit malgré eux à une fin commune par la voie des voluptés naturelles. Le monde antique, le monde biblique, le monde grec, voire le monde romain n'ont guère connu que cette loi du destin. Relisez le Cantique des Cantiques, tous les poètes, tous les philosophes, vous verrez que leur expérience de l'amour aboutit à cette maxime de MarcAurèle qui est la définition même du désir : « L'amour est une petite convulsion. "

Par bonheur, au moment où cette parole mélancolique tombait des lèvres stoïciennes, une nouvelle idée entrait dans le monde. Des esclaves, des femmes, des vaincus, des enfants, traqués par la férocité et la luxure publiques, essayaient de se réfugier en Dieu. L'idéal de l'amour sans reprise, sans égoïsme, sans fin, allait naître dans les catacombes, mais pour remonter tout de suite vers le ciel. Il ne devait en rester aux hommes que la vision d'une clarté entrevue, le regret d'un paradis un instant ouvert.

DEUX LETTRES SUR L'AMOUR. 139

Le récit des efforts que l'humanité s'est imposés pour obliger cette force divine à redescendre du ciel sur la terre, c'est, ma chère amie, telle que nous l'avons comprise, toute l'histoire de révolution de l'amour.

Le monde païen n'avait cru qu'au désir; le monde chrétien le nia; les uns lui avaient laissé toute la place, les autres refusèrent de lui faire sa part. On passa des folies de la chair aux folies de la continence. Croyez-le bien, une des causes de notre misère amoureuse, c'est cette exagération de la doctrine chrétienne, qui, encore à l'heure qu'il est, jette une défiance sur la femme, tient l'oeuvre de vie pour suspecte (parce que le désir y collabore), et prétend confisquer tout l'amour au profit de Dieu.

Si vous me demandez, ma chère amie, comment nous nous sommes préservés de ces solutions trop absolues, je vous dirai que nous avons inépuisablement commenté le mot de Pascal : « Celui qui veut faire l'ange fait la bête. » Jamais nous n'avons cherché à rendre la divinité responsable des exagérations des hommes, ni accusé la morale chrétienne pour des erreurs de discipline; mais, gravissant de siècle en siècle l'escalier de l'histoire, nous avons montré que l'abus de chasteté, au moyen âge, laissa le soin de perpétuer la race à tous les brutaux qui vivaient de la guerre et des viols des villes, — nous avons tâché d'expliquer par là l'étrange divorce d'instincts dont nous sommes le théâtre, notre idéal d'amour qui continue à vivre de ses souvenirs chevaleresques, nos moeurs d'amour qui ont gardé dans une société vraiment polie une brusquerie soldatesque.

Si donc nous cherchions à caractériser en quelques mots les différentes étapes de l'amour, peut-être pourrions-nous dire :

Dans le monde antique il apparaît avec une forme double : comme un attrait physique, dont le goût de la beauté intellectuelle et plastique a pu faire par aventure une passion.

Aux premiers temps du christianisme, c'est un élan purement divin de la créature vers son Créateur.

Au moyen âge on permet à l'amour de distraire quelques rayons à l'adoration pure pour éclairer la femme, mais à une condition, c'est que cet objet de tendresse demeurera intangible et que la dame ne cédera point au désir du chevalier.

Cette conception-là persiste à travers toute la société du dix-septième siècle et elle fausse les rapports de l'homme et de la femme. Elle est cause que l'amour n'est plus considéré comme un but, mais comme un moyen de domination. Elle assure le triomphe des frondeuses qui ne sont que des femmes d'ambition, et la royauté des précieuses pour qui l'amour est seulement un passe-temps intellectuel. Elle prépare les terribles rançons que le désir impose

140 LA GRANDE DAME.

à ceux qui l'ont nié, les excès de libertinage et le dévergondage voluptueux,

qui furent au dix-huitième siècle le vrai fond de la galanterie.

Voilà la vue à vol d'oiseau qu'il convenait de jeter sur le passé de la tendresse avant d'analyser les conditions dans lesquelles notre société moderne tente l'expérience. Vous remarquerez, ma chère amie, que jusqu'ici l'amour a toujours été sur la terre autre chose que de l'Amour : du désir, de la passion, du mysticisme, de l'ambition, un divertissem*nt intellectuel, un libertinage, une volupté..., que sais-je? Tout, excepté cet amour que je vous définirai dans une prochaine lettre, l'amour qui enveloppe le désir et qui l'ignore.

HUGUES LE ROUX.

LES

DERNIÈRES

MODES

J'ai déjà révélé tous les secrets de la saison future; j'ai dit ce qui se préparait au fond des laboratoires de coquetterie. Voyons maintenant ce qui se porte.

On a beaucoup parlé des paniers et des robes drapées, dont l'imminent retour devait entièrement bouleverser notre mise. Eh bien! faut-il l'avouer? ces tentatives de résurrection demeurent infructueuses. Les plus fougueuses protagonistes de nos modes se montrent absolument réfractaires à ces essais de ballonnement. Si elles acceptent une draperie, c'est un petit mouvement, oh! bien petit, qui vient mourir sur la hanche toujours gracieusem*nt moulée par l'étoffe.

Certes, un bon faiseur donne toujours de la grâce à un costume, quel qu'en soit le style. La femme élégante sait le porter avec aisance, se jouant des bizarreries de la mode. Mais nous devons savoir gré à Worth d'avoir, dans ses combinaisons nouvelles, créé des robes d'un aimable ensemble, harmonieuses de lignes et séduisantes d'aspect.

De la grâce ! combien il en a mis cette saison dans tous nos vêtements. C'est de par lui que nous allons voir à la promenade matinale, au Bois, la fine fleur des Parisiennes apparaître cette année en toilette d'alpaga blanc, incrustée de cuir naturel, encadrant la jupe et la gentille veste à basques très originales, rejetées derrière en forme d'habit avec

142

LA GRANDE DAME.

grands revers savamment découpés, s'ouvrant largement sur un flou de mousseline de soie et de dentelles précieuses, retenues à l'encolure par un collier de velours cerise, rose vif. bouton d'or ou bleu, que l'on peut varier et changer à volonté. Une large ceinture de cuir naturel, à

boucle d'or mat, rappelle les ornements du costume.

Parlerai-je des gants de suède ou de chevreau blanc, de l'en-cas en moire antique crème à stick de bois laqué de toutes teintes, très pâles, une des exquises trouvailles de cette saison; des souliers de cuir naturel, ces poèmes à talons; des bas de soie brodés; du chapeau représenté par une ravissante petite toque ou par le petit marin en paillasson écru ou de teintes diverses, que Virot orne d'un simple noeud de ruban glacé et de touffes de fleurs de nuances dégradées?

Si la chaleur est très forte, c'est le petit costume de piqué écru ou blanc que revêtiront nos promeneuses avec un gentil boléro, le tout incrusté de fine guipure bise.

J'ai parlé, dans ma dernière chronique, du costume trotteur à minuscules carreaux formant plutôt des losanges lilliputiens sur fond blanc et dont la vogue s'accentue de plus en plus. La jupe se fait tout unie, très large dans le bas ; quant au corsage, il prend tantôt la forme d'un boléro, tantôt celle d'une veste à basques courtes, s'ouvrant sur une chemisette de batiste de toutes teintes; il se fait encore à plis creux appliqués sur des entre-deux de guipure ou sur des rubans de moire, parfois assortis, mais le plus souvent tranchant avec la nuance des petit* damiers.

Que dire des toilettes d'après-midi? Jamais en aucun temps les

COSTUME PERVENCHE

Toilette de vernissage

LES DERNIERES MODES.

femmes n'ont eu autant de robes pour les habiller, autant de charmantes fanfreluches pour les parer; aussi le journal des modes

est-il aujourd'hui le vrai journal de la politique mondaine. Suivezles à l'Hippique, dans les ventes de charité, à la Bodinière, aux vernissages, à Auteuil, à Longchamp,

Longchamp, les verrez chaquejour parées de nouveaux atours. Elles mettent une grâce adorable, une fantaisie charmante à trouver ce qui leur sied. C'est ainsi qu'elles ont remplacé le gros noeud de moire par le noeud

follet en tulle qui encadre si joliment leur visage d'un nuage vaporeux.

Elles entourent leur cou

« svelte et charmant, qui de la neige effacerait l'éclat »

d'un de ces coquets petit* riens que Worth leur a préparés, soit en ruban ruche ourlé de gaze, soit

en mousseline de soie noire et choux de mousseline de teintes dégradées d'un effet si heureux. Elles jettent sur leurs épaules un de ces élégants mantelets faits en broderie écrue, à longs pans devant, terminés en carré dans le dos, avec pampilles de fleurs en broderie et tout encadrés d'un nuage de mousseline de soie noire ou blanche.

Les teintes sombres sont à l'index cette saison. Les Parisiennes n'admettent que les nuances très claires : le rose tendre, le gris, le vert d'eau, le soufre, le blanc, surtout le blanc, depuis les tons laiteux jusqu'au blanc cru du piqué ou de la mousseline qu'atténuent les nuances pain brûlé des manchettes, des cols et des empiècements de guipure de toutes formes, sur lesquels tranchent le collier et la ceinture de ruban d'une teinte vive.

TOILETTE DE VERNISSAGE

144

LA GRANDE DAME.

La coiffure de jour est toujours plus volumineuse, encadrant le visage d'une auréole à larges vagues ondulées. Du petit chignon, contourné et toujours très léger, s'échappent quelques boucles vaporeuses qui donnent au profil une grande douceur et siéent à la généralité des visages. Les cheveux sont relevés sur le front, d'où partent de chaque côté ou d'un seul quelques légères frisures. Cette coiffure est ornée d'un peigne et d'épingles d'écaille qui en complètent l'harmonieux ensemble.

Le soir, la fantaisie règne sur la coiffure comme dans la forme de nos robes, et Auguste Petit, qui a l'obligeance de me fournir ces renseignements, montre à mes yeux charmés ses dernières créations, qui ont le cachet de simplicité et de bon goût que seul peut leur donner un artiste de valeur. Quant aux ornements, ils se composent d'une mignonne aigrette Cabotins, de plumes légères, de fleurs posées non plus sur le sommet de la tète, mais au côté gauche de la coiffure. Les bijoux, les pierreries et les diamants ne se portent plus seuls et isolés : on les pique dans une aigrette marabout, au milieu des fleurs, au pied du petit piquet de plumes. Enfin, c'est le luxe discret en ses parures triomphantes.

Sur le chapitre des chapeaux, il y aurait fort à dire. Auguste Petit a trouvé des tonalités de fleurs et de ruban s'harmonisant

de la plus délicate façon avec les diverses nuances de la chevelure.

Pour les blondes, il a imaginé une bien jolie symphonie en bleu : petit chapeau paillasson bleu, orné d'un noeud de ruban glacé et de pervenches de teinte dégradée. Également seyant pour la brune ou la blonde le joli chapeau à large auvent en paillasson blanc rehaussé de mousseline de soie noire et de choux de ton cerise dégradé de quatre nuances. Il y a aussi le chapeau Lamballe, orné de larges plumes noires et d'un cachepeigne de pavots mauves. Puis les mignonnes capotes, légères comme des plumes.

ROBE BENGALI

LES DERNIERES MODES.

145

Les formes sont si variées, les ornements si différents qu'il est difficile, sans le conseil d'un maître, de fixer le choix que l'on doit faire. Le point important c'est de trouver un chapeau seyant au visage. L'essentiel est qu'il cadre avec la physionomie, qu'il s'harmonise avec l'agencement de la chevelure et que, par sa nuance, il rehausse l'éclat du teint. L'élégance de la mise dépend de ces détails minimes en apparence, mais que les femmes de goût ne sauraient négliger sans commettre une faute de lèse-élégance.

ZIBELINE.

VIROT CHAPEAU DE PRINTEMPS

18

LE CODE DE L'ÉLÉGANCE

ET DU BON TON

LES VISITES

ACTUELLEMENT, la plupart des femmes de la société

ont un jour, pour recevoir les visites de convenance,

convenance, visites banales, qui ne se font que

tous les deux ou trois mois. D'ordinaire, les

maîtresses de maison prennent un jour par

semaine, quelques-unes en prennent deux.

d'autres en adoptent un par quinzaine seulement.

seulement.

Le suprême bon ton pour une femme

consiste à ne recevoir, à son jour, qu'après quatre heures. Attendre les visiteurs à partir de deux heures, s'astreindre, sous prétexte de réception hebdomadaire, à rester en séance l'après-midi tout entière, est souverainement bourgeois et ne se fait pas dans le monde sélect.

Une femme élégante, le jour où elle reçoit, arrange son salon, sans qu'il y paraisse, de façon que l'on puisse se placer par groupes sympathiques et que la conversation ne soit pas exposée à languir; elle inonde son appartement de fleurs. Le lunch, surtout si l'on n'est pas très nombreux, n'est nullement de rigueur; mais un thé, correctement servi à l'anglaise, est indispensable.

Bon nombre de femmes de la haute société, parmi les plus haut placées et les plus à la mode, s'affranchissent depuis quelques années de l'assujettissant usage du jour. Elles ont des five o'clock quotidiens pour leurs intimes. C'est la quintessence du chic et du bel air.

LE CODE DE L'ÉLÉGANCE ET DU BON TON. 147

Aux petit* cinq heures de ces dames, auxquels ne sont admises qu'exceptionnellement les simples relations, il n'y a d'apprêt d'aucun genre. La maîtresse de la maison est en costume de promenade, si elle est sortie dans la journée, ou, dans le cas contraire, en coquet déshabillé; tandis qu'à son jour, elle doit être en très élégante toilette d'intérieur, dite robe de réception.

Pour les hommes, la redingote ou la jaquette habillée est de rigueur, dans l'un et l'autre cas; le veston est rigoureusem*nt banni. Ils portent, de préférence, une cravate à châle, drapée à la main — et non confectionnée, — fixée par une épingle de fantaisie ou avec pierre de couleur; jamais en brillants, ce qui serait le comble du rastaquouérisme.

Un cavalier superlativement élégant peut, à la rigueur, faire une visite avec une canne de prix; mais, sous aucun prétexte, il ne doit conserver son parapluie.

Dans le jour, il est absolument inélégant de faire annoncer les gens à leur arrivée. L'étiquette de la bonne compagnie veut que le valet de pied se contente d'introduire silencieusem*nt le visiteur, en le précédant jusqu'à l'entrée du salon où se tient la maîtresse de la maison.

La façon de recevoir et d'accueillir ses visiteurs, avec toutes les nuances que comportent les personnes et les situations, est un des talents les plus indispensables à toute femme qui aspire à une réputation d'élégance et de distinction.

En principe, une maîtresse de maison ne se lève que pour une femme. Elle doit le faire aussi, cependant, pour un prince du sang, un personnage illustre, à un litre quelconque, ou pour un vieillard, surtout si elle est très jeune. Il pourra, alors, être de bon goût, suivant les circonstances, qu'elle fasse au moins le simulacre d'aller à la rencontre de ces hôtes de choix.

C'est affaire de tact et d'appréciation, au surplus; il n'y a pas de règle absolue à cet égard, mais c'est à la manière de se comporter dans les différentes circonstances qui peuvent surgir en cette matière délicate, que se reconnaissent les véritables grandes dames.

Quand lord Wolseley se présenta devant la reine Victoria, après sa campagne d'Egypte, la souveraine, sa fille la princesse Béatrice, et sa bru la duch*esse de Connaught, se levèrent pour recevoir le général en chef dont les succès faisaient la joie de l'Angleterre.

La maréchale princesse d'Eckmühl se levait toujours à l'entrée du maire de la commune dans laquelle était situé son château, bien que ce magistrat ne fût assez souvent qu'un cultivateur des plus modestes.

148 LA GRANDE DAME.

Ceci nous amène à la question du salut, qui a aussi son importance et qui, de nos jours, est assez difficile à résoudre avec quelque précision.

Le temps des révérences de cour est passé. Néanmoins, un homme vraiment élégant doit s'incliner légèrement du buste devant une femme et ne pas se borner à ce petit coup de tète sec et automatique que certains jeunes gens d'un monde peu raffiné ont adopté.

Quant aux femmes, les vraies, les distinguées, leur salut habituel consiste dans une ondulation harmonieuse de la tète et du cou qui, bien comprise, a une grâce exquise.

Une jeune femme qui salue une femme âgée ou d'un rang social beaucoup plus élevé que le sien doit s'incliner assez profondément et dessiner une révérence.

Jamais un homme ne donne le premier la main à une femme; il doit attendre qu'on la lui offre. Mais il est d'usage, à notre époque, que les femmes tendent toujours la main aux hommes, non pas lorsqu'elles les voient pour la première fois ou lorsqu'elles ne les ont rencontrés qu'accidentellement, mais du jour où elles sont en relations de visite ou de monde avec eux.

Un homme de bonne compagnie qui rencontre clans un escalier une femme — connue ou inconnue — se range pour la laisser passer et se découvre, en même temps. Plus on est grand seigneur, plus on doit en agir ainsi avec n'importe quel cotillon.

Le prince de Ligne, président du Sénat belge, se découvrait devant toutes les filles de basse-cour du château de Bel-OEil, et un marquis de Levis, octogénaire, ne manquait jamais de s'incliner quand il rencontrait dans les corridors la demoiselle de compagnie de sa femme.

On sait que Louis XIV enlevait son chapeau devant une blanchisseuse.

En Angleterre, un homme qui rencontre une femme clans la rue ne la salue pas le premier ; il attend qu'elle lui fasse signe, sous prétexte qu'elle peut avoir des raisons de ne pas être reconnue. Cet usage, que nous nous permettrons de trouver légèrement impertinent, n'existe pas sur le continent.

Duc JOB.

THÉÂTRES

E beau livre d'Anatole France, Thaïs,

a inspiré à MM. Massenet et Gallet

une comédie lyrique, en trois actes

et sept tableaux. C'est la destinée

des beaux livres d'être traduits en

opéras; d'être découpés, aménagés

et cuisinés selon la recette classique, pour la plus grande joie des amateurs et au plus grand dam des écrivains. Il est inutile de faire ici le procès de M. Gallet; librettiste sagace, il s'est conformé aux besoins du théâtre, de même que M. Massenet, musicien habile, s'est conformé aux exigences du livret et de Mlle Sanderson. Et tout cela semble avoir beaucoup de succès. Tout est

donc pour le mieux.

Au premier acte : la Thébaïde, solitude consacrée à jamais par l'émotion solitaire des premiers chrétiens. Athanaël, un cénobite et un sage, voit comme un avertissem*nt de Dieu dans les visions impures qui le tourmentent. Malgré les supplications de ses compagnons, il se décide à aller convertir Thaïs, une courtisane d'Alexandrie. Le départ d'Athanaël, dont les prières lointaines sont répétées par le choeur des fidèles, est d'une belle et claire inspiration musicale.

Arrivé dans Alexandrie, Athanaël va voir Thaïs dans un souper, que Nicias, son ami, donne en son honneur. Des esclaves lui font la toilette et voici, précédée de sa cour, merveilleuse de beauté et de charme, Thaïs, la séductrice antique, l'amoureuse qui, par la seule magie de son sourire, convertira le saint à son charme ensorceleur. Le prélude de cette scène, comme le dialogue de Thaïs et d'Athanaël, ont été traités par M. Massenet avec cette science dont il fournit la preuve toutes les fois qu'il s'agit de musique féministe — s'il est toutefois loisible de s'exprimer de la sorte.

A la parole ardente de l'ascète, Thaïs va céder, quand de la rue monte une chanson joyeuse. C'est Nicias qui trouble ainsi l'oeuvre rédemptrice du chrétien. Elle tombe sur son lit en sanglotant; mais, dans le

150 LA GRANDE DAME.

combat qui se livre dans son âme, la foi est la plus forte, et la courtisane se transfigure. Elle quitte Alexandrie, et le cénobite retourne dans sa Thébaïde. Mais c'est en vain qu'il prie le Seigneur; l'amour profane a remplacé la foi. Il s'enfuit au désert et vient retrouver Thaïs dans le monastère où elle se meurt, lavée de ses péchés anciens, toute à Dieu et aux béatitudes promises.

Mlle Sibyl Sanderson damnerait non seulement un Athanaël, mais tous les saints du paradis, et M. Massenet a cent fois raison de lui dédier sa musique.

Après une année de divorce — provoqué par les infidélités du mari— les anciens époux se retrouvent à

Fontainebleau, à l'hôtel de l'Aigle-d'Or, témoin de leurs premières ivresses. L'épreuve a été décisive : ils ne peuvent vivre séparés, et ils s'enfuient à Londres, pour éviter la colère ou la vengeance du second mari — puisque l'héroïne avait convolé

convolé secondes noces — et c'est là-bas que celui-ci les retrouve. Il oblige sa femme à divorcer et, par conséquent, à reprendre son premier mari. Il leur annonce aussi —pourquoi pas? — son mariage avec sa pupille. Pas plus. Et tout cela s'appelle le Pélérinage, pièce en quatre actes de MM. Boucheron et Ordonneau. Mlles Cerny et Yahne y sont aimables, gentilles, jolies, et ce n'est assurément pas de leur faute si le Pélérinage a quitté l'affiche.

Mme Sarah Bernhardt et M. Victorien Sardou sont de vieilles connaissances. Néanmoins, si Mme Sarah Bernhardt — qui est, incontestablement, la première comédienne de notre époque — ne doit qu'une partie de ses succès à l'auteur de la Tosca. il n'en est pas de même de M. Sardou, qui est redevable à Mme Sarah Bernhardt de ses plus beaux triomphes au théâtre. Il est quelque peu puéril de vaticiner, de rendre des oracles sur les choses de l'avenir; mais certainement, si l'on s'avise

R E N A I S S A N C E - Fédora

Ier acte (Mme Sarah Bernhardt)

THEATRES.

151

jamais de reprendre l'actuel drame de la Renaissance avec, pour protagoniste, une autre que Mme Sarah Bernhardt, M. Sardou verra se produire pour Fédora ce qui déjà s'est produit quelquefois au cours de sa carrière dramatique, et notamment à propos du Crocodile. M. Sardou admire et apprécie l'envergural et superbe talent de Mme Sarah Bernhardt — comme nous l'admirons et l'apprécions tous — et il en a donc tiré parti. Et comme c'est un habile homme, comme nul, mieux que lui, né sait disposer et tirer les ficelles, voire même les gros câbles, d'une pièce taillée en pleine

152 LA GRANDE DAME.

Thaïs (Ier acte)

HEGLON DELMAS MARCY ALVAREZ

(Myrtale) (Athanaël) (Crobyle) (Nicias)

convention, il résulte, pour le spectateur, une sorte de mirage, puissant à la vérité, mais qui se dissipe aussitôt qu'il a pu échapper aux lacs de M. Sardou. Ce qui est durable, ce qui se grave ineffaçablement clans le souvenir, c'est le génie de Sarah, c'est ce don d'amplifier et de réaliser une pensée, de l'ennoblir et de la rendre vivante par son intelligence et sa belle compréhension d'art. Qu'importent la pauvreté d'imagination de l'écrivain, la banalité de son oeuvre, la misère de son style : c'est Sarah qui crée, qui évoque ; c'est elle tout le drame, toute la passion.

154

LA GRANDE DAME.

Sarah disparue, l'écrivain disparaît. Il a vécu par elle. Les rares fois où le génie de Mme Sarah

Bernhardt s'est rencontré avec le génie d'un

poète, d'un artiste de race, l'émotion de l'une et la sensibilité de l'autre ont provoqué des spectacles uniques et tels que l'humanité n'en voit qu'à des époques déterminées. Ceux qui ont pu assister à une matinée de la Renaissance et applaudir Mme Sarah Bernhardt clans Phèdre trouveront que ces lignes sont justice et légitime hommage rendu à la généreuse artiste.

On ne raconte ni Son Secrétaire, le vaudeville des Nouveautés, ni Nos bons Chasseurs, le vaudeville du Nouveau-Théâtre. Jusqu'ici, certains vaudevilles se bornaient à être ennuyeux; ces deux-là sont assommants.

A l'Odéon, les Deux Noblesses, d'Henri Lavedan.

Lavedan. la suite du Prince d'Aurec. Celui-ci s'est tué, après avoir été pris trichant au jeu. Son fils quitte le nom paternel, devient

un grand industriel et cache soigneusem*nt le secret de sa naissance. Le fils de ce gentilhomme est amoureux d'une jeune fille de noblesse, — mais le père de celle-ci se refuse à un mariage qu'il considère comme une mésalliance. A la fin tout se découvre et tout s'arrange, et le succès, sans égaler celui du Prince

d'Aurec, a néanmoins été très vif.

Juste SÉVERAN.

Fédora (Mme Sarah Bernhardt) Ier acte

Fédora (Mme Sarah Bernhardt) 2° acte

FORD A LA POURSUITE DE FALSTAFF

VERDI

MILAN

PARIS

AVANT tout, il faut que je fasse à mes lectrices un très humble aveu : je n'étais pas à Milan à la première de Falstaff. C'est le soir même de la solennité, à peu près à l'heure où l'on jouait le second acte, que les destins me faisaient entrer dans la capitale de la Lombardie. Autour de la Scala, il y avait foule; on acclamait Verdi, on se promettait de l'attendre à la sortie du spectacle. De temps en temps, une nouvelle circulait : les auditeurs enthousiasmés venaient de rappeler le maître pour la douzième fois et il avait reparu, tenant par la main Boïto, son librettiste, et suivi de tous ses interprètes. Alors les cris de redoubler : « Viva! Viva et maestro! Viva Verdi! Viva! Viva!.... »

L'enthousiasme de l'intérieur du théâtre gagnait le dehors, se répandait de proche en proche. C'était un vrai délire national. Le télégraphe était assiégé : Turin, Florence, Bologne, Venise, Rome, Naples voulaient qu'on les renseignât. Le roi avait donné l'ordre, à ce qu'on racontait,

156 LA GRANDE DAME.

qu'un long télégramme lui fût adressé à chaque fin d'acte. Je n'ai si bien compris ce qu'est un génie populaire. Tout d'un coup une poussée se fil; les portes de la Scala s'étaient ouvertes : « Viva Viva el maestro!... » La soirée s'achevait en apothéose pour le ce teur octogénaire. On se ruait du côté de la porte des artistes avec rance de le voir passer, de lui décerner encore une ovation. L'é est communicative; je criais comme tout le monde. Il me semblait venais d'entendre l'oeuvre, le chef-d'oeuvre dont chacun s'entr Mais, deux jours après, j'étais parmi les privilégiés; j'étais as; fauteuils d'orchestre et j'écoutais Falstaff à côté du corresponda journal anglais.

Les spécialistes de la critique avaient tout dit: la pièce,la mus salle, le public. Moi, dans les entr'actes, je pensais à Stendhal. J'e dans sa Scala, son théâtre, le sanctuaire de cet art italien qu'il ai qu'il ne reconnaîtrait plus. Cinq rangs de loges faites à souha l'épanouissem*nt des toilettes; des fleurs, des lumières partout; mille personnes réunies dans l'ardent désir d'admirer l'oeuvre n et prenant feu toutes à la fois. L'auteur de la Chartreuse de Par de pareils transports, mais le nom qui volait de bouche en bouc celui de Rossini et les oeuvres s'intitulaient Mose ou Semiramide maintenant, que l'Italie se met à la mélodie continue, au style déc tout ce qu'elle haïssait. Pas une idée qui ne se retourne. Verdi gique, se prend à rire aux éclats. La musique italienne s'ébat au d'une farce anglo-saxonne. Shakespeare, l'auteur de Roméo et Ju des Deux Gentilshommes de Vérone, d'Othello et du Marchand de rend à Verdi ce qu'il a emprunté à ses ancêtres, et Verdi, de so sans rien perdre de son imagination, est allé à l'école chez les Alle Ah! mesdames, que de contrastes en ce bas monde!

Mon voisin de fauteuil a eu la bonne chance d'être reçu par le à Gênes, tout dernièrement, et il me fait part de ses impressions : " d'ordinaire assez rude, voulut bien se départir pour moi de sa ru était clans son cabinet, une pièce toute petite, ouvrant sur le s qu'un piano remplit à moitié. Je vis le manuscrit de Falstaff, consi un monceau de feuilles couvertes d'une écriture menue, tracée au Près de la fenêtre, une table à écrire et un casier. Une seule chais encore? Un portrait de Mascagni sur la cheminée et, pêle-mêle, lumes de poésie. Le maître me joua vigoureusem*nt une magnifiq qu'il venait d'achever. Brusquement, il se leva et me conduisit, bras, vers la terrasse. On aperçoit de là le golfe bleu comme le travers un rideau de fleurs. Verdi aime les fleurs à la passio étions sous le charme de cette nature magique. A ce moment le: d'une cantilène du Trouvère, moulue par un orgue de Barbarie ar

VERDI. 157

jusqu'à nos oreilles. Le grand compositeur me dit en riant : « Entendez« vous cela? On me massacre sur la voie publique et je ne me fâche pas. a Au contraire! Le peuple a toujours été mon meilleur ami. Figurez-vous " que, pauvre, découragé, repoussé de partout clans ma jeunesse, j'avais « perdu toute confiance en moi-même. Je ne sais comment j'étais par" venu à faire recevoir mon Nabucco à la Scala. On le répétait sans en « rien attendre. Un jour, les artistes chantaient aussi mal que possible; « l'orchestre semblait s'appliquer à assourdir le bruit que faisaient les « ouvriers occupés à restaurer la salle; le choeur attaquait, bien molle" ment, son : Va, pensiero. Une minute ne s'était pas écoulée que le silence « se fit, non moins profond qu'à l'église. Les hommes avaient quitté leur « ouvrage; ils écoutaient avidement. Je n'ai jamais été applaudi comme « ce jour-là et jamais les applaudissem*nts ne me causèrent une pareille « joie. Les orgues de Barbarie se sont emparés de cet air. Eh bien! riez a de moi, si vous voulez, mais je ne puis l'entendre sans me sentir tout « remué par ce souvenir. »

Et, maintenant, le maître a passé les Alpes, son Falstaff sous le bras. Avec une vigueur de jeune homme, avec une conscience de débutant, il est venu à Paris diriger en personne les répétitions de sa comédie lyrique. On l'a vu, sur cette scène de l'Opéra-Comique, où l'on s'apprête à jouer Mignon pour la millième fois, expliquer sa conception, commenter ses intentions musicales et théâtrales, styler les chanteurs et les cantatrices, discipliner les choristes, mettre en branle tout un monde, communiquer au moindre des interprètes choisis quelque chose de sa verve ou, pour mieux parler, de l'âme de son oeuvre. Aucun détail ne lui échappe. Ce diable d'homme est intraitable sur la mesure, sur le phrasé, sur l'accentuation, sur le caractère, sur le jeu expressif. Il veut que sa musique ressorte comme elle a été écrite, comme elle a été sentie et pensée. Car ce n'est pas un concert : c'est une pièce de théâtre — une vraie pièce où l'action roule la mélodie et l'harmonie dans son tourbillon éclatant. Sommes-nous assez loin d'Il Trovatore et de Violetta, de Rigoletto et de Don Carlos lui-même! Et, pourtant, il y avait, en chacun de ces ouvrages, une puissance, une générosité d'inspiration dramatique, un désir de progrès évidents. Verdi est un génie— personne ne le conteste. Mais qui aurait jamais prévu l'épanouissem*nt de sa magnifique vieillesse! Cet octogénaire enseigne aux musiciens de son pays — et même aux musiciens de tous les pays — un grand secret : le secret du rajeunissem*nt. Qui donc, au moment où nous sommes, est plus jeune que lui?

La partition ne faiblit pas un instant, et, quoiqu'il n'y ait plus ni airs, ni duos, ni trios et que, seuls, les grands ensembles viennent couper le dialogue, vous vous apercevrez que la mélodie coule à pleins bords. L'intrigue est rapide. Il y a des scènes de bavardages féminins incompa-

158 LA GRANDE DAME.

rables d'esprit et de gaieté. Le grand finale du second acte, où l'on jette Falstaff dans la Tamise, au fond d'un panier de linge, sous prétexte de le dérober à la colère de maris outragés, est d'une admirable expression. Au dernier acte qui se termine par une sorte de pastorale féerique, la poésie reprend tous ses droits et la toile tombe sur un grand ensemble fugué d'un effet irrésistible.

Quelqu'un demandait au maître, à l'issue de la répétition générale de Falstaff, à l'Opéra-Comiquc, son opinion sur ses interprètes parisiens : « Je n'ai qu'un mot à dire, a-t-il répondu. Maurel est aussi extraordinaire, dans le principal rôle, en français qu'en italien. Mlle Delna est superbe. Quant à Mme Landouzy, je la trouve exquise. » Nous croyons devoir citer ces paroles, en abordant la question des chanteurs, pour qu'elles soient pour les trois artistes nommés un honneur véritable. D'ailleurs, impossible de mieux s'exprimer. Plus sont immenses les difficultés de réalisation du type de Falstaff, aussi bien au point de vue musical qu'au point de vue scénique et même au point de vue plastique, plus il semble que M. Maurel se soit élevé au-dessus de lui-même. On attendait, certes, beaucoup de lui. Il a donné davantage encore. Sa création est admirable de naturel, d'esprit, de bonne humeur, de « truculence ». On ne sait s'il est plus chanteur ou plus comédien, tant les deux qualités se fondent, chez lui, en une seule. Pour Mlle Delna, qu'on n'avait jamais vue hors du genre tragique, il faut reconnaître qu'elle a été vraiment spirituelle dans le personnage de mistress Quickly, la commère aux révérences. Et quelle voix ! On est sous le charme.

Nous aimons fort aussi Mme Landouzy. Elle représente, de concert avec le jeune ténor Clément, l'élément sentimental qui circule, discrètement, à travers la pièce si gaiement bouffonne, et tous deux le traduisent à ravir. De frais organes, s'il en fut, et, par surcroît, une bonne méthode ! Mais Dieu nous garde d'oublier les autres bourgeoises de Windsor. On n'a pas plus de malice que Mlle Grandjean, aux notes si fraîches et si franches. On n'a pas plus d'entrain, de vivacité, de sûreté que Mlle Chevalier, toujours égale en tous ses rôles. Il faut entendre caqueter ces aimables filles d'Eve! Il faut les voir se dépenser! Le jeu et la chanson vont de pair.

Les hommes s'appellent Soulacroix, celui qu'une Parisienne de nos amies a baptisé le baryton de velours, Belhomme, le gai Barnolt, Carrel, sans compter Clément, et encore une fois, l'étonnant Maurel. On a tant applaudi à la première, que chacun a pu prendre sa large part dans les ovations. Le vieux maître était radieux. Mais Verdi va, maintenant, se remettre au travail. Il porte exemplairement sa gloire.

Comte L.

LES MARDIS DE LA BODINIÈRE

UNE étroite devanture illuminée d'affiches multicolores,

une boîte exiguë pour figurer le contrôle, une antichambre,

antichambre, escalier, une longue galerie où s'accroche

s'accroche grisaille des toiles de Rodolphe Ernst, ici

charmantes, là robustes, un autre escalier, une autre

antichambre; enfin, terme du pèlerinage, une autre

boîte, - écrin, je veux dire : — c'est la salle, c'est le

théâtre. Et tout cela, contrôle, galerie, escalier, salle,

c'est la Bodinière, le centre du monde, n'en doutez

pas — la Bodinière étant le centre de Paris, et Paris,

selon Hugo, figurant le nombril du monde.

La " Bodinière? »... Non... Officiellement elle

s'appelle Théâtre d'Application.

Pourquoi Théâtre d'Application?

En ce a théâtre », on ne joue pas la comédie, — ou si peu! —et l'on ne s'y applique à rien, sinon à y expérimenter les toilettes les plus inédites, à en faire une manière de serre chaude où fleurissent les primeurs de la mode prochaine.

Primitivement le Théâtre d'Application devait être le champ d'essai des jeunes élèves du Conservatoire, des jeunes comédiens à qui la pra-

160 LA GRANDE DAME.

tique manque, de tous les Éliacins de celle carrière où, selon le proverbe, c'est surtout en jouant que l'on apprend à jouer. But louable. Pour cela, cette scène d'entraînement reçut une subvention de la Ville de Paris. On ne s'y entraîne plus, mais la subvention arrive toujours.

El qui donc avait imaginé d'ouvrir dans cet obscur étranglement de la rue Saint-Lazare ce mignon théâtre tout joli, tout joyeux, pomponné, flairant l'ambre, éternellement gracieux dans le sourire des claires peintures qui le décorent?

Oh! ce n'était point un révolutionnaire!

C'était le très excellent M. Bodinier... Une tète fine de joli homme, cheveux ondulés, quasi bouclés, moustache noire retroussée, des manières douces, le geste affable, la voix caressante, traînant un peu dans un reste d'accent angevin — un dépôt de terroir, — et cent mille kilomètres de respect dans le chapeau, lorsqu'il salue une femme. Il était secrétaire général de la Comédie-Française, lorsque cette idée lui vint de fonder un théâtre. Il partit donc, et ce fut dans l'austère maison un concert de désolations, une clameur de regret où tous ceux qui l'avaient connu tinrent à faire leur partie : sociétaires, pensionnaires, abonnés, les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes. Le Théâtre d'Application sortit des nimbes.

Or M. Bodinier, sans s'en douter peut-être, venait de faire une grande chose. Il venait tout simplement de donner une voix nouvelle à Paris, et la dizaine de « retrouveries » qui servent de truchements à ses goûts, à ses caprices, à ses modes, s'augmenta de cette retrouverie suprême, le théâtre de M. Bodinier.

La chose ne se fit pas aussitôt. L'austérité de ce templicule — joli, certes, joli, si vous le voulez, comme celui de la Victoire Aptère, mais qui était un temple — où, deux fois la semaine, Gros-René, rompant la paille avec Marinette, alternait fraternellement avec Auguste, secouant d'importance ce gredin de Cinna, eh bien, oui, son austérité n'engageait pas.

On y vint pourtant. Un à un, on les vit tous sur les listes de M. Bodinier, les noms du carnet d'abonnement des Français et de l'Opéra. Les toilettes se montrèrent. Un jour, Auguste monta au grenier ; un autre, Gros-René disparut avec sa paille; un autre encore, un conférencier risqua son verre d'eau sucrée; le théâtre eut pignon sur rue... C'était fini. Des files d'équipages s'espacèrent le long de la rue Saint-Lazare, qui n'en crut pas ses yeux...

Et la Bodinière fut.

162 LA GRANDE DAME.

Eh! oui. la Bodinière! Et le nom lui est resté. Son directeur est si bien l'homme de celte maison, et il fait si bon venir potiner là, que l'on a voulu identifier la maison avec son chef, et, la désignant, indiquer ce que Ton y vient faire avec un bout d'hommage pour M. Bodinier par la même

occasion.

Aujourd'hui la place est conquise définitivement : la Bodinière est un des muscles de Paris, ou, si vous le préférez, un petit morceau de son coeur, où s'agitent beaucoup d'esprit, de papotages, où se distille la journée durant un peu de cette parisine qu'il fait si bon sentir et que je ne me chargerai pas d'analyser.

Il y a un jour pourtant où la Bodinière se souvient qu'elle s'appelle Théâtre d'Application : c'est le mardi. Ce jour-là, à l'heure du crépuscule, des personnes graves montent son haut escalier. Messieurs, saluez : elles viennent pour se nourrir du suc confortant de la parole de ce maître des conférenciers, Francisque Sarcey.

C'est le mardi que la Bodinière est vraiment distillatrice de cette parisine dont je viens de parler. Les contrastes y sont frappants, presque violents. La Sorbonney montre le bout du nez, et, dame, la Sorbonne, ce n'est guère sa place entre les murs coquets de cette aimable salle où flottent toujours des parfums de printemps.

Le mardi, à trois heures, c'est présentement M. Maurice Lefèvre et Mme Simon-Girard, l'une à côté de son piano, l'autre derrière sa table, qui dispensent à un public ravi leur pleine manne d'esprit choisi, de gaieté délicate, de subtils propos. Les hommes sont rares. Un peu avant le lever du rideau, les dames se sont retrouvées dans la longue galerie. Elles sont descendues de leurs coupés, et elles sont entrées de leur pas rapide et menu — bonjour à droite, « ma chère » à gauche, — les cheveux colorés de reflets d'or, mollement assoupis sur les tempes en longues ondulations de vague. Leur couturier les habille à la mode de demain. Leurs chapeaux varient avec les semaines; en ce cénacle où l'on ne rencontre que des habitués, où elles ont coutume de se voir chaque semaine, et parfois plusieurs fois la semaine, il semble que, tacitement, un muet concours de chapeaux se soit établi entre elles, et, quand elles sont assises, ce parterre de chapeaux de toutes formes et de tous formats, rutilants sous les ors les plus somptueux ou éteints sous les violets les plus caressants, est d'une grâce infinie, d'une élégance savoureuse.

La matinée finie, elles ont doucement applaudi de leurs minces doigts gantés, et elles sont parties, pareilles toujours à de jolies souris blanches : une petite station au bas de l'escalier pour échanger un dernier mot avec une amie... et le coupé s'en va.

LES MARDIS DE LA BODINIÈRE. 163

Alors, pareil à une théorie de ligueurs austères associés pour les macérations, le flot de ceux qui attendaient que le Verbe profane ait cessé de se faire entendre s'est ému, il a tressailli, puis il a roulé lentement vers l'autel où, grand prêtre de ce diocèse de fidèles, M. Francisque Sarcey, avec sa clarté, son bon sens, sa science du classique, révèle à des jeunes filles et à des dames les arcanes des chefs-d'oeuvre de notre langue.

Vraiment, alors, la Bodinière n'est plus. Nous sommes au Théâtre d'Application. Plus de cheveux ondulés, plus de concours de chapeaux; éteints, les reflets d'or : nous sommes devant un public grave, qui vient ici, non pour «bodiner», ni se montrer, ni essayer des toilettes, mais uniquement pour connaître les sentiments intimes de Joad ou goûter les charmes secrets de l'Art poétique.

Et l'heureux M. Bodinier, philosophe sceptique, se promène ainsi, à travers sa galerie, la bouche souriante, la poignée de main cordiale, et sur sa scène les chansons succèdent à Athalie, les causeurs mondains à Sarcey, les toilettes sombres aux chapeaux dorés. Et cette Bodinière, « nombril » de Paris, continue de nous donner chaque jour un grain de plus de cette parisine que ce fils d'Anjou a su si habilement y monopoliser.

MONTGENOD.

164

LA GRANDE DAME.

MANET. — Le Port de Bordeaux.

LES PEtit* SALONS

La Rose + Croix. — Les Pastellistes. — Philippe-Charles Blache.

Grasset. — Steinlen.

De Feure.

Jadis, au temps béni des premières guitares, Adolphe Belot avait perpétré un quelconque et volumineux roman intitulé : le Crime de la rue de la Paix. Voici que M. Peladan, grand maître de l'ordre de la Rose + Croix du Temple, vient d'instaurer, avec parade, grosse caisse, encens, affiches et oriflammes, le Geste de la rue de la Paix. Ce geste, étiqueté d'esthétique et de pictural par les imageries familières du Sar, n'est autre chose que le refuge des jeunes élèves de l'École des beaux-arts, ou de tels autres débutants dans le monde de la réclame et de l'orviétan.

La perspective d'être sacré archonte ou chevalier du Graal, de prendre rang dans la milice de l'idéal, n'exerce plus guère d'attrait que sur un nombre restreint de snobs. Les exposants se font rares, et, pour toutes sortes de bonnes raisons, il est fort à craindre que cette tentative ne fût bien la dernière. Et c'est dommage. La pensée de M. Peladan a été d'une hautaine et généreuse noblesse; mais d'avoir rêvé si haut, l'auteur de Vice suprême n'a pas su garder à sa vision d'artiste la tenue et la simplicité qu'elle comportait, Ses efforts valaient mieux- que le sarcasmé.

156 LA GRANDE DAME.

et l'indifférence clans laquelle se meurt aujourd'hui une tentative si bellement conçue.

On prête au Sar l'intention de transporter son exposition à Londres.

Peut-être y sera-t-il plus heureux.

Quel que soit le mérite des oeuvres exposées par les Pastellistes, à la galerie Petit, il n'en est pas moins à regretter que des abstentions se soient produites. Elles deviennent d'ailleurs fréquentes, depuis quelques années, ces absences, et le public les commente d'autant plus qu'elles portent sur les noms de Puvis de Chavannes, Cazin, Forain, Blanche, Chéret, etc. L'Exposition paraît ainsi incomplète; il lui manque les principaux éléments de son succès. A noter, néanmoins, les paysages de Montenard : la Plaine de Saint-Chamans et le Lac; une marine de Lhermitte : la Plage de SaintServan; les envois de M. Nozal, de R. Gilbert, de Gervex — dont la Surprise, une jeune femme nue, est un succès; — les paysages de Yon; les portraits de Jeanniot; les Pavots blancs et la Mer jaune de Duez et les Notes de voyage de M. Billotte en Albanie. Nous eussions peut-être préféré que M. Billotte s'en tînt à ses fortifications et à ses environs de Paris; toutes études qui firent sa renommée et lui attirèrent des sympathies. Mais enfin, comme il est allé en Albanie et comme ce qu'il avait de mieux à y faire, c'était de prendre des croquis, il ne faut pas lui en vouloir de nous montrer son album. On y trouve des pages intéressantes. Un envoi exceptionnel est celui de M. Helleu. La critique a le devoir de saluer de semblables artistes lorsqu'elle les rencontre dans une Exposition. Ce devoir devient une bonne fortune quand il s'agit de M. Helleu, le pénétrant et subtil évocateur des modernités. Ses profils de jeunes filles inquiètent et troublent par leur maladive et si étrange expression, par ce je ne sais quoi de vague et de captivant jadis observé par M. de Goncourt dans sa Chérie, et rendu intensément par M. Helleu.

M. Bailly, le libraire de l'Art indépendant, a la bonne chance d'exposer, en ce moment, une partie — trop restreinte malheureusem*nt — de l'oeuvre de Philippe-Charles Blache, l'un des artistes les plus personnels et les plus puissants de notre époque, et le seul peut-être qui, de ses incursions en le domaine de la spiritualité pure, ait rapporté de clairs et vivants symboles. M. Blache — et ce n'est pas là une de ses moindres qualités — a mis au service de son art une science profonde, une intelligence sans égale, et surtout une technie de laquelle on ne se rendra compte que le jour où une exposition d'ensemble réunira tous les patients et nobles efforts de ce véritable indépendant.

LES PEtit* SALONS.

167

Dans la même salle où M, Peladan exerce actuellement sa grand'maîtrise, M. de Feure avait convié le public à regarder ses tableaux et à

juger du résultat auquel l'avaient mené ses travaux et ses tentatives artistiques. M. de Feure est un jeune. Si le talent dont il a fourni un si beau témoignage s'achemine vers l'avenir en une marche prospère, nul

Mlle BERTHE MORIZOT. — Jeune Femme au bal.

LA GRANDE DAME.

168

CLAUDE MONET. — Canal en Hollande.

doute que M. de Feure n'arrive à réaliser une oeuvre de valeur. Pour cela, il possède déjà tous les éléments.

Qui ne connaît Grasset et ses fameuses affiches? Et qu'ajouter encore aux éloges que lui prodiguèrent les journaux, à propos de son exposition de la rue Bonaparte? Notre collaborateur appartient déjà à cette catégorie d'artistes, entrés clans la notoriété, dont on ne saurait redire le talent sans redire les louanges qui accueillirent leurs productions.

A la Bodinière, rue Saint-Lazare, une exposition des dessins de Steinlen; au Champ de Mars, une exposition des Indépendants; rue Laffitte, une exposition des néo-impressionnistes, et au Palais de l'Industrie, dans les salles des Arts décoratifs, une exposition de Galland.

Il faudrait un livre, et quel livre! pour parler de tout cela. Et puis, franchement, le meilleur moyen de rendre compte d'une manifestation d'art n'est-il pas d'engager le public à l'aller voir? Il est vrai qu'il y en a tant...

Jean de MITTY

L'hôtel de Janzé

On dit déjà : la collection Janzé; on pourrait dire : le musée Janzé. Les éléments de cette collection, moins précieux par leur valeur propre que par leur choix et leur rareté — d'aucuns sont uniques, — ont fait de l'hôtel de la rue Marignan comme un lieu de pélérinage où vont faire une station tous ceux qui, à un titre quelconque, s'intéressent aux manifestations de l'art et à l'évocation du passé. La réputation de l'hôtel de Janzé a même

dépassé les mers ; des Américains, riches fabuleusem*nt, n'étaient-ils pas venus à Paris, dernièrement, pour enlever cette collection? N'offraientils pas d'emporter aussi l'hôtel ? Les communs, les caves, les toits, — les tableaux, les marbres, les bibelots, les tapisseries, les plafonds, l'escalier, les meubles, — tout et jusques et y compris la loge du concierge, démonté, empaqueté, numéroté, ficelé, aurait pris le chemin de New-York

21

170 LA GRANDE DAME.

et servi là-bas de royale résidence à quelque Nabab fantaisiste, enrichi dans le commerce des... grains. Heureusem*nt qu'il n'en a rien été. Mme la vicomtesse de Janzé a compris que ces reliques de l'art national devaient rester en France. Le tapis fleurdelisé dont se servait Louis XIV pour ses " lits de Justice » n'était pas fait pour les grosses semelles à clous; le grand Lauzun, paradant en habit de satin dans son cadre de vieil or, eût

frémi d'indignation à entendre causer de salaisons ou de baisse sur les cotons.

Et pourtant, par ces temps d'outrancier agiotage, n'est-ce pas le sort des belles oeuvres d'art d'être assimilées aux produits de commerce et de s'en aller aux quatre coins du monde, dispersées, profanées, tombées aux mains de gens incapables de respecter et d'aimer leur émotion muette, le charme de leur rêve et la grandeur de l'idéal qui les a fait vivre et dont ont vécu leurs créateurs? Seuls, un seigneur de légende, un Louis II de Bavière, un héritier en exil, pourraient et devraient acquérir ces reliques du passé,

ESCALIER DE L'HOTEL DE JANZE

L'HOTEL DE JANZÉ. 171

ces souvenirs de royales splendeurs où quelque chose de l'âme des siècles défunts semble vivre encore.

Car, malgré les distantes années, les tableaux, les meubles, les objets familiers ont gardé leur fraîcheur première et c'est à peine si le temps a posé son empreinte et marqué sa poussière. Je présume qu'au tomber du jour, lorsque pénètre l'ombre dans ces salons où repose le passé, une intense mélancolie

se dégage de toutes ces figures figées dans leurs cadres, de toutes ces statuettes se détachant en blancheurs d'ivoire sur les fonds de vieilles tapisseries. C'est le charme du passé d'apporter un peu de tristesse à notre émotion. A remonter dans le naguère, il y a toujours, dans cet effort de la pensée, comme un regret pour les temps poétisés par la légende, pour les époques où brillait la douceur de vivre.

Mme la vicomtesse Alix de Janzé a nécessairement dû prodiguer un effort

SALON DE LA FRONDE

172

LA GRANDE DAME.

SALON DE RICHELIEU

et une patience considérables avant de réunir tant d'éléments épars, et surtout avant de pouvoir les disposer selon une harmonie et un caractère particuliers à chaque époque. Peut-être, s'il s'agissait ici d'une collection publique — tout au moins susceptible des remarques de la critique, —pourrions-nous lui reprocher le manque de perspective, l'encombrement et une certaine confusion dans l'aménagement des pièces qui établissent le style. De plus, à vouloir restituer la physionomie d'une époque avec le concours de documents contemporains, la discordance est bien vite appréciable entre l'oeuvre d'art, réalisée à une date fixe et par des artistes différents des nôtres, et l'oeuvre façonnée selon des modèles que nous ne pouvons plus imiter, par la bonne raison qu'ils sont inimitables. Ce sont là remarques faites en passant et partant aussi bien sur l'hôtel de Janzé que sur toutes les autres collections de ce genre. Et d'ailleurs, à part les grands musées nationaux et les monuments historiques, quelle est la collection qui puisse

L'HOTEL DE JANZE.

173

donner une idée parfaite, absolue, entière d'une époque? La fortune et la patience ne suffisent pas, et un Cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne, tel qu'en possède un Mme de Janzé, ne se rencontre qu'à de rares exemplaires, réalisés différemment. La plupart du temps, des oeuvres pareilles sont uniques.

Ecrivain distingué, auteur d'ouvrages sur Musset, sur Berryer, sur les Fermiers généraux, — toutes études recommandables — Mme de Janzé a su voir et aimer le passé en artiste, et en artiste de belle qualité. Sa collection témoigne de ses préférences. On devine, à lire les devises, les légendes, les vers, les dictons inscrits sur les murs, au bas des tableaux, des statues, sollicitant à chaque pas le regard et l'arrêtant par leurs dimensions et leur éclat, combien Mme de Janzé s'est avant tout préoccupée de réaliser et de rendre vivante une partie de ce passé auquel elle doit de si exquises jouissances. Historien et poète, grande dame par la naissance et par la situation occupée dans le monde, Mme de Janzé a rapporté, de ses excursions à travers l'ancien régime, une vision très poétique, très douce, telle qu'elle se dégage de ce livre des Fermiers généraux et dans maintes pages de

Berryer.

Jean de MITTY. (A suivre.)

Deux Lettres

sur l'Amour

Deuxième Lettre

Quand j'écrivis, ma chère amie, ces quatre titres de causerie, sur les programmes qui devaient être distribués à mes belles abonnées, l'Amour avant le mariage, l'Amour en dehors du mariage, l'Amour dans le mariage et l'Avenir de l'amour, j'établis pour moi-même ce petit diagnostic :

« La grande poussée de curiosité portera sur l'amour hors du mariage et sur l'avenir de l'amour. On me laissera les coudes plus libres pour parler de la question des jeunes gens et des jeunes filles et aussi de la question des bonnes femmes éprises de leurs bons maris. »

Si j'étais aussi lucidement éclairé d'en haut dans toutes les occasions douteuses que je le fus ce jour-là, je pourrais, ma chère amie, ouvrir un bureau de prophétie, et faire concurrence à l'extraordinaire Mme de Thèbes qui confesse à l'heure présente tous les coeurs inquiets de Paris. La chose se passa, en effet, comme je l'avais prévu : on s'étouffa pour entendre parler des amants d'aujourd'hui et des amants de demain; on marqua une curiosité plus tiède de connaître par quels moyens on pouvait mettre l'amour à l'abri, sous la double protection de M. le Maire et de M. le Curé. Dieu sait pourtant que j'ai dit ce jour-là des choses bien originales, si c'est faire preuve d'originalité que d'aller courageusem*nt contre le sentiment public et de soutenir contre les paradoxes du Diable cette vérité retrouvée dans l'armoire d'oubli :

DEUX LETTRES SUR L'AMOUR. 175

" C'est dans le mariage, dans la légalité, dans la tendresse conjugale que nous avons la meilleure chance d'incarner cet idéal d'amour qui, depuis le commencement des temps, est demeuré suspendu entre le ciel et la terre. »

J'ajoute bien vite que j'ai flétri comme elles le méritaient les curieuses qui vinrent en si grand nombre pour entendre parler des amants et qui s'abstinrent — sous prétexte que ces questions ne les intéressaient plus —le jour où l'on parla de l'amour avant le mariage. Je montai sur mes grands chevaux pour leur dire leur fait avec une brutalité de capucin; je leur jetai — comme elles le méritaient — ce cri de mauvais augure :

" Prenez garde! les sociétés d'égoïstes qui ont dit : « Ceci durera bien autant que nous », ont été englouties. »

Toute la médecine moderne conclut qu'il faut soigner l'homme avant la maladie, quand il est sain; de même, puisque le mariage est la forme sociale où nous devons vivre, et puisque le mariage est mauvais, j'ai pensé qu'il fallait l'étudier sérieusem*nt à sa source, dans les rites des fiançailles.

Vous souvenez-vous, ma chère amie, quelles furent les contraintes où l'on vous fit vivre dans ce temps-là? Personne n'achèterait un cheval sans lui tâter les canons, une robe sans voir l'étoffe de la pièce, mais on veut que les maris et les femmes soient adjugés au hasard, et l'on protège les fiancés contre la possibilité de se connaître avant l'éternel engagement, comme si l'un et l'autre étaient atteints de quelque contagion redoutable et qui se pût gagner par le seul contact. Quand on compare ces moeurs à celles qui gouvernent d'autres pays, l'Angleterre, la Norvège, l'Allemagne, le Nouveau Monde, on n'est pas trop fier de son éducation latine, et l'on sent naître d'intarissables indulgences pour ces femmes si mal mariées qui vont chercher l'amour hors de leur maison.

Je suis d'avis, ma chère amie — avec le Père Monsabré et quelques théologiens modernes — que la joie de la créature loue Dieu; si donc les femmes de notre génération devaient sûrement trouver le bonheur dans l'adultère, je leur aurais dit publiquement : ce Allez-y. » Mais en toutes choses il faut considérer la fin, et la revue que nous avons passée des amants disponibles nous a découragé d'attendre d'eux des joies que le mauvais mariage ne donne pas. Je ne vois, en effet, que trois catégories d'hommes qui soient à la disposition de la femme en quête d'un amant :

D'abord les jeunes gens de vingt ans à trente, qui se marieront. Ces galants ont pour eux un certain entrain de jeunesse, une ardeur anonyme, mais ils n'entrent jamais dans une liaison sans s'être d'abord assurés de la porte par où ils comptent en sortir. Ce sont des esprits pratiques. Ils apprécient les économies d'argent et de scandale qu'ils font auprès d'une mondaine intéressée au secret. Dans le fond ils se servent comme d'un pont de leur maîtresse pour arriver en bonne forme au mariage.

La seconde catégorie d'amants, c'est le jeune premier impénitent, le

176 LA GRANDE DAME.

professionnel de la galanterie, celui qui deviendra le vieux garçon. Croyezvous, ma chère amie, qu'une femme ait beaucoup de chances de fixer ce chasseur de chevelures pour qui l'amour est un sport, l'indiscrétion une réclame ? Pour moi, je ne suis jamais entré dans une de ces garçonnières à deux issues où tant de malheureuses viennent se prendre sur la foi des romanciers, sans me dire que ces petit* rez-de-chaussée de garçon sentaient décidément le vieux piège et qu'il fallait toute la folie des petites souris pour qu'il continuât de s'en prendre quelques-unes dans ces médiocres trébuchets.

La troisième catégorie d'amants, ce sont les hommes mal mariés, qui aiment les femmes mal mariées. Hélas! je ne dis point que ceux-là n'aient toutes les excuses. Dans un autre pays, dans un autre temps, ils auraient pu se connaître avant les engagements qui les ont liés chacun de leur côté à de pesants jougs. Mais comme la situation est différente à l'heure présente de ce qu'elle eût été à la minute des heureuses fiançailles! Chacun d'eux a été blessé ; chacun d'eux apporte à l'autre une souffrance saignante; chacun d'eux veut de la joie pour soi-même : ce sont deux égoïsmes qui s'associent, et leur union, même un instant heureuse, contient un germe mauvais qui corrompra leur bonheur.

Le seul amant auquel les Parisiennes ne songent point, c'est le mari. Pourquoi, ma chère amie, n'essayerait-on point de conquérir cet homme-là? Il a pour lui bien des avantages : la perpétuelle présence, la communauté des intérêts et des espoirs. Presque toujours il est le père des enfants, presque toujours il les aime; presque toujours il a eu du goût, au moins une année, au moins une heure, pour la jeune fille que le mariage a remise entre ses mains. Si l'on soufflait sur ces cendres anciennes? L'amour tel que nous l'avons défini est un sentiment complet qui ne tolère nulle distraction; il ne peut pas permettre que l'on ait des préoccupations, des intérêts extérieurs à lui. De ce fait, le mariage est le seul milieu où il puisse naître, se développer, fleurir.

Je vois que vous souriez, ma chère amie. Vous dites : « Quelle utopie! Votre rêve ressemble aux conceptions des fous de la politique qui nous promettent l'âge d'or. »

Je vous réponds :

L'histoire me donne raison. Le monde a été longtemps polythéiste et polygame. Aujourd'hui nous sommes monothéistes et monogames. Il est bien vrai que cette monogamie n'est inscrite que dans la loi. C'est déjà beaucoup que, par décret de raison, nous ayons reconnu qu'une société qui s'est élevée à la conception d'un Dieu unique doit asseoir sa puissance sur un unique amour. Je vous le dis, en vérité, le règne de l'amour commencera sur la terre quand cette vérité de raison sera devenue une pratique des moeurs.

Hugues LE ROUX.

LES DERNIÈRES MODES

La Parisienne est fort occupée à ce moment de l'année,

il lui faut suivre le mouvement mondain, plaisirs du jour et du soir, expositions, ventes de charité, courses, concerts, déjeuners, matinées, dîners, bals, mariages. En outre, le code du haut vivre lui commande une

promenade matinale, obligatoire,pour combattre l'anémie, chasser les vapeurs qui ne sont plus admises de notre temps.

En effet, on n'admire plus les beautés languissantes et les poétiques pâleurs; il faut à la

femme actuelle de la vie, de la fraîcheur,

fraîcheur, l'entrain, de la gaieté. Malgré l'heure tardive à laquelle elle s'est couchée, elle est debout le . matin, à huit heures, après une douche

énergique et un massage réparateur. On la voit, dès dix heures, au Bois, faire sa promenade

promenade hygiénique pied, à

cheval, en voiture, voire même à bicyclette. Ce dernier moyen paraît encore légèrement excentrique;

excentrique; si l'on en juge par les nombreuses

nombreuses que l'on rencontre chaque matin pédaler en costume spécial et ma foi fort

seyant, le moment viendra bientôt où le ciclysme sera classé parmi les sports élégants.

Comment, au milieu d'une existence à ce

point remplie, la Parisienne trouve-t-elle le

temps de s'occuper de ses toilettes? Elle le

prend, soyez-en certaines; la mode étant sa loi,

le couturier est son prophète, elle ne fait rien

ODÉON. — Les Deux Noblesses

(Toilette de Mlle Gerfaut).

TOILETTE DE VERNISSAGE 22

178

LA GRANDE DAME.

sans le consulter, et quotidiennement on la voit s'informant du dernier chiffon paru, de la dernière parure

créée.

En ce moment elle s'occupe de ses toilettes de villégiature et de ses costumes de voyage ; on la rencontre le matin chez Redfern, qui a le record du costume pratique et élégant. Le costume de voyage est de lainage souple et léger, pouvant braver toutes les intempéries du ciel. Il se fait de ton beige, gris mélangé ou bleu marine. Les petit* damiers étant tombés dans le domaine public, nos premières mondaines n'en veulent plus. La jupe de ces costumes est ronde, tout unie, parfois boutonnée dans le haut,

de chaque côté du lé de devant; la veste est courte, très cintrée à la taille derrière, ouverte devant sur une chemisette de batiste, de crépon ou de foulard. Les revers sont de

drap blanc ou de

moire antique de teinte assortie. Parfois, les coutures

de la veste et de la jupe sont cachées sous un biais de même étoffe piqué de chaque côté.

Les chemisettes de batiste sont munies de cols hauts rabattus et de manchettes en toile blanche amidonnée; dans ce cas

on porte la cravate de mousseline avec bouts ornés de valenciennes ou le simple noeud Lavallière en foulard blanc ou bleu s'harmonisant avec la teinte de la chemisette.

Comme manteau de voyage, il y a la jaquette à grosses coutures piquées ou cachées sous des biais d'un centimètre; devant, elles sont croisées, boutonnées de côté par de larges boutons. Les basques sont élargies vers la base et se portent sensiblement plus courtes que les années précédentes.

Aux eaux, le costume matinal de la femme

TOILETTE DE VERNISSAGE

TOILETTE DE VERNISSAGE

LES DERNIÈRES MODES.

élégante est très simple; si le temps est sombre, elle revêt un de ses costumes de voyage clair, ou foncé, selon la température; s'il fait très beau, elle mettra le costume de piqué blanc dont j'ai parlé dans ma précédente chronique,

chronique, encore la petite jupe de serge blanche avec une chemisette de batiste ou de crépon de coton. En guise de coiffure, le petit chapeau de Virot, si original en coutil blanc, orné de deux gros choux de ruban rayé noir et blanc, aura beaucoup de cachet.

Les toilettes qu'elle portera cet été sembleront charmantes dans les cadres de verdure et de fleurs : véritables robes Trianon, genre lingerie, dont les premiers spécimens apparaîtront au Derby et à Auteuil, si le soleil se montre bon prince.

biles seront taillées dans des batistes imprimées, des

mousselines brodées, ou, ce qui est plus nouveau encore, des batistes bises ou blanches brodées au plumetis, posées sur des fonds de taffetas de toutes teintes très pâles. Les corsages, toujours

toujours ornés, prennent des formes enfantines très amusantes,

cols de batiste agrafes dans le dos comme de

véritables robes d'enfants. Les manches se font

souvent en soie effacée assortie au jupon ; elles

se terminent au-dessous du coude par un

revers mousquetaire roulé de mousseline brodée,

brodée, de dentelle.

Les toilettes de taffetas façonné et de taffetas moiré et imprimé feront pour le Casino de charmantes robes très jeunes et fort élégantes avec ceinture de velours ou de satin de teintes vives, comme les peintres du dix-huitième siècle les aimaient, nuances parfois un peu crues, mais qui siéent à merveille au teint mat des Parisiennes.

TOILETTE DE COURSES

TOILETTE DE COURSES

avec empiècements et

180

LA GRANDE DAME.

Toilette de vernissage.

Toilette de ville de PAQUIN.

Le superlatif de l'élégance est de porter la capeline Trianon si jolie avec ses dentelles retombantes, que Virot noue de ruban et rehausse de roses de ton vif; ou encore le grand chapeau paillasson couleur pervenche, orné de volubilis de teinte dégradée et de noeuds de ruban pervenche.

Quelques élégantes reviennent aux voilettes de tulle uni très fin qui encadre leur visage d'un nuage vaporeux et impalpable; mais ce qui est plus nouveau, ce sont les voiles ourlés de valenciennes ton ancien sur tulle noir.

ZIBELINE.

LE PORTRAIT ET L'ELEGANCE

(SALON DU CHAMP DE MARS)

DE toutes les formes d'art, le portrait est incontestablement celle qui a toujours eu le plus d'attrait pour la femme. Depuis la grande dame dont l'École française nous a transmis de si séduisantes images, jusqu'à la bourgeoise 1830, la physionomie figée en

une attitude endimanchée, le désir d'être

portraiturée s'est manifesté avec une intensité

intensité Depuis quelques années notamment,

notamment, portrait a pris une extension si

grande, que les expositions de cercles y

sont presque exclusivement consacrées.

Les Salons ont naturellement subi l'influence

l'influence cette vogue et aujourd'hui ce sont généralement les traits de telle personnalité artistique ou mondaine qu'avant les « vernissages », les journaux signalent comme devant être un des « clous » du Champ de Mars ou des Champs-Elysées.

Pourtant il est à remarquer, tandis que cet envahissem*nt a lieu, que l'élégance dans le portrait diminue à mesure que les envois augmentent. Il semblerait que celles qui veulent perpétuer leur souvenir dans la mémoire de leurs « petit*-neveux » ne se préoccupent guère de leur laisser

182 LA GRANDE DAME.

autre chose qu'un échantillon bien incomplet de leur goût. Neuf fois sur dix, en effet, la toilette choisie par le modèle dénature l'aspect qui lui est propre. Ou il le transforme à un point tel qu'on a peine à retrouver l'original, ou il le défigure, ce qui aboutit à un résultai identique. Je m'empresse d'ajouter que ce dernier cas est le plus fréquent ! Cela tient à différentes causes, mais principalement au choix du sujet qui s'attache souvent à une coupe portée avantageusem*nt par une personne de structure différente ou qui subit encore l'influence d'une nuance à la mode dont la tonalité se prête mal à une coloration harmonique.

Les différentes conceptions esthétiques des peintres, d'autre part, ne sont pas toujours bien saisies par beaucoup de personnes et la faveur momentanée d'un artiste est le plus souvent la raison qui détermine leur sélection.

Aussi que de non-sens, de pléonasmes artistiques, fournis à des portraitistes qui recherchent, l'un,l'attitude, l'autre, le style, celui-ci, la couleur, celui-là, l'expression et qui ont devant eux des modèles ne se prêtant en aucune façon à leur optique habituelle. On ne doit donc pas s'étonner outre mesure de la bizarrerie de certaines reproductions, quand pour mieux « voir » le peintre est obligé de fermer les yeux !

Il est de toute évidence, par exemple, que M. Dannat qui enveloppe ses modèles de « liberty-silks », propices à souligner une courbe harmonieuse dans l'allongement des corps qu'il affectionne, perdrait son temps ou sa personnalité s'il lui fallait restituer les lignes sérieuses d'une honorable mère de famille !

De même, les mondaines de M. Carolus Duran conviendraient peu à M. Aman Jean qui, lui, recherche l'expression, quand le peintre de tant de « belles madames » ne se plaît qu'à rendre leur côté plastique. C'est incontestablement le portraitiste de M. Jules Case qui aurait dû avoir comme modèle Mme Rose Caron, que M. Parrot a embourgeoisée jusqu'à la rendre méconnaissable. Au point de vue seul de la toilette, le tableau de M. Grétor est incontestablement un des mieux présentés du Champ de Mars. La moire nacrée à reflets changeants de la toilette de Mme Suzanne Devoyod est d'une savoureuse élégance. Ce symphoniste du « bleu » a du reste donné des suggestions au couturier, sinon pour la coupe, du moins pour la couleur du tissu, et c'est une indication qui pourrait être retenue utilement par toutes celles qui s'adressent à un coloriste.

M. Carolus Duran a, d'ailleurs, depuis longtemps adopté cette manière de faire.

Par contre, il arrive fréquemment qu'un peintre, lorsqu'il n'a pas acquis une situation lui permettant de dicter sa volonté, subit la toilette choisie par son modèle. La crainte de déplaire à sa « cliente » l'empêche

LE PORTRAIT ET L'ÉLÉGANCE. 183

de formuler ses critiques, ce qui lui attire parfois les désagréments qu'il voulait justement éviter. La dame est mécontente de son portrait. La robe n'a pas permis à l'artiste de « l'avantager », aussi ne manque-t-elle pas de lui reprocher en termes amers de ne l'avoir point avertie « que ça ne ferait pas bien en peinture ! » Donc, en règle générale, la personne qui désire avoir un portrait devrait toujours, au préalable, consulter le peintre chargé de son exécution et s'en rapporter entièrement à lui, si même l'appréciation de ce dernier n'était pas conforme à la sienne.

Il est certain que, si la jeune femme blonde peinte par Mme Marie Desgenetais avait procédé de la sorte, elle n'aurait pas choisi, pour l'utilisation de sa robe de mariée, une coupe qui lui engonce la taille et les épaules au détriment de la ligne, absolument sacrifiée. Pour ce qui est des toiles de M. Guthrie, aux attitudes très inspirées par Whistler, les poses en sont irréprochables. Mais quelles toilettes! Où est la femme du monde qui oserait arborer une robe de bal décolletée, en cachemire gris! En Ecosse, peut-être? Mais j'aime à croire que les compatriotes de Walter Scott ont en général un goût plus affiné. Dans sa simplicité, j'accorderai une très honorable mention au grand pastel de M. Rippl-Ronaï, où la robe de tulle noir de Mme Le R. d'E... s'adapte parfaitement' au mouvement souple et onduleux si bien rendu par l'intéressant artiste. Le portrait de M. Boutet de Monvel, totalement subordonné à l'attitude, échappe à la critique; mais où l'art spécial du couturier se retrouve le mieux, c'est indubitablement dans les tableaux de M. Carolus Duran. Ici, les velours, les soies, les peluches bien assortis concourent à mettre les chairs en lumière et rien n'est plus favorable pour rehausser la blancheur des épaules que la fourrure dont le peintre encadre celles d'un de ses sujets.

De tous les agréments de la toilette, la fourrure, toujours seyante, est encore ce qui tendra à se démoder le moins. Puisque je parle de la mode, une erreur commise communément par beaucoup d'artistes est de vouloir concilier la fashion du jour avec celle d'hier et de demain. Ils obtiennent ainsi, par l'écart considérable qui sépare aujourd'hui les genres consécutifs, un assemblage hybride qui restera disgracieux à toute époque. D'ailleurs suivre la mode est chose fort aride en matière de portrait. On sait à cet égard quel aspect vieillot prennent certaines toiles au bout de quelques années. Il n'y a qu'à regarder les oeuvres de M. Stevens, d'admirables morceaux de peinture, pour s'en convaincre. Donc, il faudrait, pour concilier toutes ces exigences, que la femme du monde s'attachât plus spécialement au style, aux styles passés même, puisque notre siècle n'a trouvé jusqu'à présent que la manière de se les assimiler.

Le portrait de la princesse de Chimay avec sa longue robe blanche

184 LA GRANDE DAME.

Empire est un de ces exemples-types et il restera comme un spécimen du mélange que je préconise :

La marque d'une époque précise au point de vue du costume, traitée par le peintre dans une facture moderne. Le tableau de M. Gandara ne vieillira point, pas plus que le corsage Directoire et le grand chapeau de la toile de M. Blanche.

Quant au joli portrait de M. Sargent, avant dix ans, on prendra la toilette de Mrs. H. H. pour une robe de bal costumé, ce qui serait, malgré son allure paradoxale, une solution à cette question si ardue de l'élégance dans le portrait. On a d'ailleurs pas mal abusé dans ces derniers temps de la « robe de mandarin », déguisem*nt qui met bien en valeur la tête du sujet pour un portrait arrêté au buste. Toutefois, en dehors du « style » le décolletage avec encadrement de fourrures ou de dentelles est encore le meilleur moyen de se présenter sans trop de désavantages à l'examen critique de futures et irrévérencieuses générations !

Jean BERNAC.

CAIN (Henri).— « Quand elles n'aiment plus. » SALON DES CHAMPS-ELYSÉES

LE

CODE DE L'ÉLÉGANCE ET DU BON TON

LE MARIAGE

DANS un mariage élégant, il faut, à la fois, du luxe et de la sobriété; de la grandeur, de l'éclat et de la correction ; de

la profusion et du laisser aller.

Les équipages doivent être irréprochables, avec

livrée de gala, c'est-à-dire le tricorne et l'habit à la

française, ou à l'anglaise, sans galons ni fanfreluches,

selon le train de maison des familles qui s'allient. Dans

le dernier cas, il est de rigueur que le coupé des mariés ait une paire

de chevaux de prix et d'un modèle remarquable.

Au lunch qui suit la cérémonie ne sont priées que deux ou trois cents personnes, au plus, choisies parmi les plus qualifiées et les plus intimes. L'hôtel est décoré, depuis l'escalier jusqu'au boudoir le plus intime, de la même façon que pour un grand bal. Un buffet somptueux est servi dans la salle à manger, avec de la vaisselle plate et toute la vieille argenterie de famille. Des fleurs naturelles en abondance garnissent les appartements.

Les mariages du high life sont toujours précédés, à quelques jours de distance, d'une soirée de contrat, qui en est ordinairement le clou. N'y sont engagés, en principe, que ceux qui font partie des relations habituelles des deux familles. Mais on a soin d'épuiser les listes et d'étendre excessivement les invitations, afin de rendre cette sorte de raout aussi nombreux et aussi retentissant que possible.

L'étiquette veut qu'à la soirée de contrat, les présents faits au jeune ménage soient étalés en grand apparat, depuis les bijoux et les parures jusqu'aux objets les plus intimes du trousseau de la mariée. On s'était

LE CODE DE L'ÉLÉGANCE ET DU BON TON. 187

même mis, dans ces dernières années, à faire publier la liste détaillée des cadeaux, accompagnés des noms des donateurs, dans les journaux mondains. Mais, aujourd'hui, on paraît vouloir renoncer à cet usage, en somme assez ridicule, et le superlatif du chic consiste à s'en abstenir soigneusem*nt.

Autrefois, les donateurs se limitaient aux proches et à quelques rares amis particuliers. Actuellement, c'est la mode anglaise qui prévaut, et le ban et l'arrière-ban des simples connaissances sont tenus de contribuer à la splendeur de la corbeille.

La mariée doit être habillée avec une simplicité relative. Sa toilette est, de nos jours, plus luxueuse que jadis ; elle comporte même des dentelles, mais les diamants en sont rigoureusem*nt exclus. Une robe de satin à longs plis ou des draperies de soyeuse mousseline, selon la saison; des guirlandes parfumées de fleur d'oranger, mêlées aux roses blanches et aux myrtes, voilà à quoi doit se borner l'ajustement d'une jeune mariée de bonne compagnie.

Quelques jeunes personnes, en petit nombre, il est vrai, se marient avec des pierres blanches étincelantes et des voiles brodés, clans un coin, à leurs armes accolées à celles de l'époux ; mais ce n'est pas là de la véritable élégance, et les gens de goût se gardent de tomber dans cette affectation de recherche.

Le marié, lui, porte l'habit noir et la cravate blanche, depuis que les hommes du monde élégant ont renoncé à l'habit bleu à boutons d'or, qui était de rigueur anciennement et qui n'a été abandonné qu'à partir de 1870. Tous les cavaliers qui font partie du cortège portent également l'habit noir et la cravate blanche. Les autres sont en redingote, avec des gants gris perle.

Il y eut un moment en Angleterre où, après le mariage en habit rouge d'un jeune seigneur arrivant, en droite ligne, à l'église, des bois où il avait couru le renard, plus d'un marié s'est contenté de la redingote. Mais cette excentricité n'a pas duré et nos usages ont de nouveau prévalu de l'autre côté du détroit.

Les demoiselles d'honneur sont choisies parmi les soeurs, les cousines, ou, à leur défaut, les amies de la mariée.

Les garçons d'honneur se prennent dans la proche parenté des deux fiancés ou parmi les amis intimes du marié. On demande, généralement, aux demoiselles d'honneur par quel garçon d'honneur elles veulent être conduites; mais ce n'est qu'une formalité, et elles doivent se laisser appareiller selon les convenances des mariés ou de leurs parents. Le

188 LA GRANDE DAME.

garçon d'honneur fait le lendemain une visite à la famille de sa demoiselle d'honneur. S'il n'était pas antérieurement en relations avec elle et s'il n'a été présenté que pour la circonstance, à la soirée de contrat, il dépose une carte cornée.

Une jeune fille qui a passé l'âge où les personnes de son sexe se marient d'habitude ne peut accepter de servir de demoiselle d'honneur, à moins de manquer, dans une certaine mesure, aux bienséances.

Depuis quelques années, les demoiselles d'honneur deviennent, aux mariages élégants, de plus en plus nombreuses. Elles sont habillées de môme façon, avec des formes appropriées à leur âge et forment un frais bataillon qui tourbillonne gracieusem*nt autour de l'épousée.

C'est une mode qui nous est venue d'Angleterre et qu'il faut s'applaudir d'avoir adoptée.

Le voyage de noces, tel qu'il était entré dans les moeurs et qu'il se faisait il n'y a pas encore bien longtemps, est absolument démodé.

On ne se met plus en route immédiatement après la cérémonie; c'est devenu bourgeois. A présent, le marié emmène sa femme dans ses terres ou dans le nid qu'il lui a préparé en étudiant ses goûts, quand ce ne sont pas les parents qui abandonnent, pendant quelques jours, leur propre habitation, pour laisser les jeunes époux à eux-mêmes.

Ce n'est ordinairement que six semaines ou deux mois après le mariage que les nouveaux mariés font un voyage, qui s'accomplit alors dans de meilleures conditions et offre infiniment plus de charme.

Jusqu'à leur retour, après lequel ils font leurs visites de noces, les jeunes époux sont affranchis de tout devoir mondain.

Ajoutons que, dans les premières années de son mariage, une jeune femme ne doit aller seule ni dans le monde, ni à la campagne, ni au spectacle. Elle ne peut monter à cheval qu'accompagnée de son mari, de son père ou de son frère.

L'ancienne noblesse poussait si loin le scrupule sur ce point qu'une jeune femme devait avoir atteint trente ans au moins pour s'affranchir de cette sorte de tutelle et qu'un couple de jeunes mariés n'aurait pu paraître en public sans s'adjoindre un tiers. Nous n'en sommes plus là !... — heureusem*nt.

Duc JOB

A L'EXPOSITION CANINE

LE cheval, comme l'a prétendu M. de Buffon,

est la plus noble conquête que l'homme ait

jamais faite : mais le chien, que la femme n'a pas.

eu besoin de conquérir, est bien, entre tous les

animaux, l'objet très légitime de ses plus

chères préférences. Elle reconnaît ainsi

son affection fidèle, sa tendresse désintéressée,

désintéressée, caressante douceur et l'inaltérable

l'inaltérable de ses sentiments.

Aussi la voit-on payer d'un juste retour l'être bon entre tous à qui elle doit la joie rare et sans mélange de se sentir aimée pour elle-même.

On pourrait presque juger des habitudes d'une femme d'après le chien qu'elle préfère. Celles qui se mêlent aux choses du sport, et qui aiment la vie au grand air, se font souvent suivre au Bois par le terrier de belle taille, au museau ramassé, à la lourde et solide mâchoire. Les modernes Dianes, qui se livrent aux beaux déduits de la chasse, font venir de l'autre côté de la Manche ces jolis gordon-setters, à la robe noire marquée de feu, — black and tane, comme disent les Anglais. — Dans le nord de la Belgique, et plus souvent encore en Hollande, nous avons vu, attaché au service de quelque noble châtelaine, un quadrige de grands danois, au

190 LA GRANDE DAME.

pelage uniformément gris, aux larges yeux glauques et rêveurs qui, attelés à quelque légère voilure, avaient tout à fait bon air, sous leurs minces harnais de cuir rouge, menés, four in hand, par quelque jeune femme habile à les gouverner, de la parole et de la main, et qui se laisse emporter par eux aux rapides allures.

Mais, il faut bien le reconnaître, ce ne sont pas ces chiens, utiles et pratiques, qui attirent l'attention et qui font recette à cette jolie exposition de la race canine, organisée, dans le grand pavillon de l'Orangerie, sur la terrasse du bord de l'eau, au royal jardin des Tuileries, par une Commission dont chacun reconnaît la compétence, et qui compte parmi ses membres les ducs de Lorge et de Lesparre; le général de Biré; le marquis de Laigle; les comtes de Beaumont, d'Elva, d'Orglandes, de Bagneux et Clary; le vicomte d'Anchald; les barons Roger, de Vézine et de Carayon-Latour.

Ici, les lions du jour, ce sont les petit* chiens, les chiens de luxe et d'appartement, qui ont un salon pour chenil; qui couchent sur la molle ouate d'un matelas capitonné, et qui rêvent de leurs belles maîtresses sous la soie des édredons brodés, en attendant l'arrêt des trois juges qui doivent prononcer souverainement sur leurs mérites : MM. GindreMalherbe, Leblanc et Louis Tribert, qui sont aujourd'hui pour les bons chiens ce qu'étaient jadis pour les pâtres humains Eaque, Minos et Rhadamante!

Parmi les chiens de luxe que les femmes du monde prennent sous leur protection, sans toutefois les admettre dans les appartements, si ce n'est exceptionnellement et à titre de faveur particulière, je citerai tout d'abord les greyhounds anglais, fauves et blancs, les slougis syriens, avec lesquels nous avons chassé jadis la gazelle dans la plaine de Bekara, non loin des ruines d'Héliopolis, en compagnie des princesses du Liban; les borzoës, ou lévriers russes, au poitrail noir et aux extrémités blanches ; les caniches de petite taille, dont la robe noire s'égaye parfois d'une tache de couleur claire, et qui suivent madame à la promenade, en portant gaiement entre leurs dents blanches, inoffensives, l'ombrelle ou le parapluie.

Les petit* terriers (bull et fox) sont, les uns et les autres, fort intéressants, mais, cependant, cèdent le pas aux toy-terriers (comme qui dirait le terrier-joujou), délices de leurs maîtresses. vraiment séduisants avec leur robe noire et feu, et dont les éleveurs vous demandent hardiment mille et douze cents francs.

Les terriers-griffons, d'une physionomie plus originale, et d'un caractère plus indépendant, semblent fiers de leur pelage bleu, tacheté de feu souvent, et de blanc quelquefois.

A L'EXPOSITION CANINE. 191

Mais, dans la vie réelle, toutes les prédilections des femmes du monde ont pour objet les terriers nains à poil long, les uns fauves, les autres gris d'argent, que l'on peut aisément cacher dans un manchon, et dont la mine batailleuse contraste d'une façon piquante avec leur petite taille.

Les levrettes et les levrons (qui sont leurs époux légitimes) ont été jadis fort à la mode, et nous avons connu des femmes qui se montraient fort entichées de ces jolis petit* animaux, au fin museau de brochet, aux jambes grêles, au thorax développé, au ventre rentré dans le dos, qui semblent grelotter même aux jours ardents de la canicule, et dont les doux yeux mendiants ont toujours l'air de solliciter le secours et l'abri d'une petite pelisse fourrée. La mode capricieuse paraît, depuis quelque temps, s'être un peu détournée de ces jolies bêtes aristocratiques et délicates. Elles entreront un jour dans l'histoire et l'on n'en parlera plus que comme d'une race disparue. Nous devons donc savoir gré aux organisateurs de l'exposition actuelle de nous en avoir gardé quelques types avant la disparition complète. Ils sont fort agréables à voir dans la personne de Vénus, jolie petite chienne noire et feu, et de Diane, son amie, d'un fauve clair qui rappelle les seize chevaux cream de la reine Victoria.

Dans le très grand monde, qui se rattache avec une sorte d'ardeur aux traditions du passé et à tout ce qui rappelle une société charmante, mais ■évanouie, la faveur est, aujourd'hui, aux carlins, dont l'espèce, que l'on avait crue éteinte un moment, semble renaître de ses cendres.

Le carlin n'a pas les belles lignes longues et déliées des lévriers et des levrettes; il n'a pas non plus leur allure de chiens de grande maison. Il a même parfois, au premier abord, un je ne sais quoi de hargneux et de rogue, qui ne laisse point que de vous mettre quelque peu en défiance, car le carlin n'a pas l'amabilité banale de quelques-uns de ses congénères. Il ne fait d'avances à personne; il sait ce qu'il vaut, et il attend qu'on vienne à lui. Mais, s'il est exclusif dans ses préférences, il est susceptible d'un grand attachement pour celle qui le caresse et le nourrit.

Le king-charles, avec son apparence sentimentale, ses grands yeux timides et tendres, sa jolie tète, qui demande des caresses, son poil long, souple comme la soie, est certainement le plus aimable des chiens d'intérieur, le plus digne d'être flatté par de belles mains; il fait bien dans un tableau quand c'est Van Dyck qui l'a peint; il fait bien aussi dans un boudoir, couché en boule sur un coussin armorié, aux pieds d'une belle maîtresse. Mais tout a une fin sur celte terre : Transit gloria mundi, comme a dit je ne sais quel désabusé, et le royal souvenir du mélancolique Charles Stuart, qui, le premier, l'introduisit clans les cours, n'a pas sauvé le king-charles, qui peu à peu se démode.

192 LA GRANDE DAME.

J'en connais beaucoup, parmi nos mondaines, qui préfèrent au kingcharles des rois ou au carlin des marquises certaines importations étrangères, comme le havanais frisé mais rageur, passablement égoïste, dont la coquetterie sans coeur n'a que le culte de soi-même et dont la tendresse n'est jamais désintéressée. Mais il est joli : on lui pardonne le reste.

Le crack actuel, parmi ces exotiques, celui qui est arrivé par le dernier bateau, c'est le loulou nain de la Poméranie, aux poils rudes qu'il porte comme une crinière de lion, à l'oeil vif et brillant, à l'oreille inquiète et mobile, et gardant dans ses allures un je ne sais quoi de sauvage qui plaît aux plus civilisées de nos Parisiennes.

Parmi ces jolis petit* chiens étrangers, je ne veux pas oublier celui qui obtint jadis toutes mes préférences et qui fut longtemps le bijou et le tyran de ma maison. Je veux parier du petit braque indien qui fait oublier la petitesse de ses proportions par la grandeur de ses mouvements et le style de ses actions : il steppe comme un cheval de pur sang et il prend parfois des poses de lion héraldique. Il est zain, d'une jolie nuance gris perle, non sans poil comme le hideux chinois, mais d'un poil si court que son toucher donne la sensation d'un gant de suède. Très mignon, avec des membres d'une finesse extrême, c'est le plus joli et le plus cher des chiens d'appartement. Un de mes amis et moi, nous avons refusé trois mille francs d'un couple de ces petit* Indiens, rapportés en France par un voyageur qui avait longtemps vécu dans l'intimité des radjahs.

Vicomte de G.

LES

OBJETS D'ART AUX SALONS

DE 1894

C'EST, on peut le dire, une idée géniale qu'ont eue les délégués de la Société nationale des BeauxArts, lorsqu'ils ont organisé les expositions du Champ de Mars, d'annexer aux beaux-arts proprement dits une section des objets d'art. Les arts décoratifs,

où triomphent le goût de l'esprit français et la rare habileté de main qui caractérise nos ouvriers comme nos artistes, sont restés au nombre de nos gloires les plus incontestables. On nous a disputé toutes les autres, on n'ose pas même essayer de nous enlever celle-ci.

L'idée était si juste qu'elle a pris comme une traînée de poudre, et que le succès n'a pas été un seul instant douteux. Les Champs-Elysées eux-mêmes, que quelques-uns ont voulu nous représenter comme éternellement figés dans la routine d'une tradition immuable et obstinée, ont suivi l'exemple de leurs jeunes émules du Champ de Mars, et il y a aujourd'hui de beaux spécimens de nos arts décoratifs dans l'un et l'autre Salon.

Emile Galle, dont les grandes Expositions en France ont mis en un vif relief le talent si original et si exquis, tient ici le premier rang, et l'on ne sait quelle substance il travaille le plus habilement, le bois ou le verre. Sa maîtrise est égale dans les deux parties.

Je m'arrête tout d'abord devant ce Graal (prononcez calice) portant cet exergue : Ego sum vera vitis, Je suis la véritable vigne, où le métal se mêle au bois, pour illustrer, par d'ingénieuses incrustations, des thèmes empruntés à Richard Wagner, à Jean Lahor et au comte de MontesquiouFezensac.

Vraiment merveilleux aussi ce gobelet à trois couches, ciselées dans la transparence du verre, avec cette inscription consolante pour ceux qui pleurent : Neque dolor erit ultra! Il n'y aura plus de douleur en ce monde!

24

194 LA GRANDE DAME.

et cette fiole, également ciselée d'une coloration si harmonieuse, dont M. de Montesquiou a de même fourni le motif, condensé dans un beau vers :

La bonté de la nuit caresse l'âme sombre.

Je ne m'arrête point — de peur que la station ne soit trop longue — devant le cabaret en bois incrusté, intitulé : les Fruits de l'esprit, tout couvert d'incrustations, de motifs ornementaux et de spirituelles devises. C'est le poème de l'ébénisterie artistique. Ce sera aussi la joie de l'heureuse maison du pasteur de Bischwiller, auquel vont l'offrir ses ouailles reconnaissantes.

Je me retourne, et mes yeux sont attirés et retenus par un groupe délicieux, signé du nom d'un vaillant Bourguignon, Jean Dampt, et représentant la Fée Mélusine et le Chevalier Raymondin, d'après le manuscrit de Jehan d'Arras. C'est un groupe, à la fois suave et brillant, dont la triple matière, acier, ivoire et or, se combine et s'amalgame le plus heureusem*nt du monde. Le chevalier d'Acier s'unit à la fée d'Ivoire par un baiser d'amour, et les deux tonalités, tout en gardant leur valeur propre, se mêlent de façon à former le plus adorable ensemble. Ce joli groupe est monté sur une stèle élégante qui permet de le voir sous tous ses aspects. Il faut n'en rien perdre.

Les belles faïences émaillées de M. Georges Jean, les superbes grès flambés de MM. Dalpayrat et Lesbros, les faïences rutilantes de M. Dammouse, appellent de loin le regard des amateurs, qui ne sont pas moins charmés par les admirables vases de M. Léveillé. Un maître aussi, celui-là, qui fait pénétrer dans l'intérieur même des parois transparentes les colorations les plus brillantes, et dont les gravures en relief arrivent à un effet décoratif si puissant.

M. Charpentier a la main large et prodigue. Sa vitrine ne comprend pas moins de vingt objets, dont chacun mériterait une étude particulière. Je me contente de signaler une demi-douzaine d'étains travaillés dans le goût de la Renaissance, et qui nous donnent une note d'art tout à fait distinguée. Qu'il me suffise de citer la Femme au bain et la Jeune Fille au collier, et, parmi les bronzes du même artiste, la Jeune Fille à la fleur, et un certain nombre de médailles dont la place est marquée dans le cabinet de l'amateur.

Les divers bronzes de M. Valgren attirent le visiteur au paysage et le retiennent. Les marteaux de porte, les clefs, les gonds, les entrées de serrure qui sortent de ses mains sont des objets d'art, au même titre que ses figurines de bronze, arrière-cousines des Merveilleuses de Tanagra.

Duez, dont la main est aussi féconde que son imagination, excelle,

LES OBJETS D'ART AUX SALONS DE 1894 195

quand il le veut, dans l'art décoratif. Je n'en voudrais d'autre preuve que cet écran, dont les horizons bleus, brodés en soie, sont aussi élégants de formes que leurs colorations sont harmonieuses. M. Henry, le directeur de la Pensée, bien connu de nos lectrices, est l'heureux propriétaire de cette chose exquise.

Mlle Marie Gautier emprunte à la nature les motifs de ses jolis panneaux, très décoratifs, en vérité, et j'hésiterais à choisir entre ses rameaux fleuris du pommier et de l'abricotier, entre ses glycines et ses clématites. Il y a aussi une dizaine d'éventails avec fruits... On en mangerait.

Le cuir, traité en mosaïque, n'est pas une industrie commune, et MM. Camille Martin et Victor Prouvé ont produit, en ce genre, des morceaux qui mériteraient de nous arrêter longtemps. Comme modèle du genre, je citerai la Mélancolie d'automne, en cuir ciselé, et cet admirable coffret, intitulé la Parure, mosaïque de cuir, avec appliques de bronze et coins en émaux cloisonnés. J'écris necplus ultra... et je passe...

C'est au même ordre de décoration artistique qu'appartiennent les belles reliures de M. René Wiener, un Nancéen, comme Gallé et Prouvé, si belles, que l'on oubliera, en les regardant, le livre dont elles enrichissent le texte.

Ces reliures, d'une fantaisie inépuisable, nous montrent ce que peut produire le cuivre repoussé ou travaillé en mosaïque — de véritables petit* tableaux.

M. Joseph Chéret a des préférences marquées pour l'étain. Ses plateaux, décorés de géraniums, de feuilles de marronnier, de colimaçons et de libellules, sont d'une bien amusante fantaisie.

Brateau est aussi un des maîtres de l'étain : regardez plutôt son gobelet, décoré de framboises ; mais il grave aussi des entailles dans l'or fin, et il cisèle les métaux précieux avec la main de Benvenuto,

M. Jules Desbois n'a que trois étains ; mais les motifs sont originaux, le dessin d'une grande allure, le décor très varié, et la patine argentée d'une tonalité harmonieuse et soutenue.

M. Delaherche est le maître reconnu du grès. Il s'est emparé de cette substance si artistique, malgré sa rude apparence; il la façonne comme il lui plaît, il la décore à son gré, et, par la délicate opération du flambage il lui donne des colorations éclatantes, qui peuvent lutter avec les plus riches reflets métalliques.

Les vitraux, celte vieille gloire de l'art français, dont le treizième siècle a vu le triomphe, ressuscitent aujourd'hui dans une immortelle jeunesse. Maignan et Champigneulle, aux Champs-Elysées, consacrent à Jeanne d'Are une immense et splendide verrière.

C'est encore Jeanne d'Arc qui a inspiré Carot, au Champ de Mars. Tandis que Wyman Whitman s'égare dans les splendeurs d'Avril, et que

196 LA GRANDE DAME.

Grasset et Boutet de Monvel dessinent des carions d'une valeur décorative incontestable, admirablement exécutés par M. F. Gaudin. Nous publions les deux cartons de Grasset parmi les planches hors texte du présent numéro : Matinée de Printemps et Après-midi d'Automne. M. F. Gaudin les a reproduits en d'impérissables émaux — car le vitrail n'est qu'un émail sur verre — et comme le disait le vieux Ghirlandajo, « l'émail, c'est la peinture pour l'éternité. »

M. Edmond Lachenal, qui, chaque année, charme Paris par l'ensemble des céramiques qu'il présente aux amateurs, a fait un méritoire effort pour se maintenir au rang où il est monté... Sa vitrine est remplie de petit* chefs-d'oeuvre. Très jolis, vraiment, ces vases que décorent des bambous et des nénuphars, ou cette tombée de la première neige de l'hiver, d'un ton mat et velouté très doux. Mais on leur préfère encore le beau coq qui lance dans les airs son chant de triomphe, comme un allégro matinal :

Le beau coq vernissé qui reluit au soleil,

comme a dit Hugo, qui dit toujours bien.

M. le comte Robert de Montesquiou-Fezensac est une personnalité artistique et mondaine qui mérite l'attention et l'étude. Il est né grand seigneur, et il est devenu poète, peintre et sculpteur. Il occupe une très jolie place parmi nos artistes décorateurs, et il y a toujours une foule curieuse et charmée devant sa jolie psyché ornée de glycines. Il en a fait luimême la composition d'ensemble, les cires et les dessins, et il en a confié la marqueterie au grand artiste nancéen— Emile Gallé. — Ce petit chefd'oeuvre a deux pères.

M. Reyen ne travaille que les belles substances et il les rehausse par de superbes décors. Nous avons vu dans son élégante vitrine des verres doubles, triples, émaillés, du plus ravissant aspect. Voici un vase antique, avec des bouquets de cerises et des branches de lierre, se détachant sur un fond de jade; plus loin, ce sont des sarments de vigne s'emportant en vigueur sur un fond d'agate. Mais à ces choses, très bien venues pourtant, je préfère cet autre vase dont le fond bleu s'égaye d'un semis d'herbes des champs, au milieu desquelles s'ébat un essaim léger d'insectes courant, rampant, volant, humbles manifestations de la vie, aux derniers degrés de l'échelle animale, mais qui n'ont pas moins leur petite note — pour grêle et menue Qu'elle soit — dans la symphonie du concert universel.

Le meuble qui figure aux Champs-Elysées, et que nous reproduisons dans ce numéro, est surtout remarqué pour l'élégance de sa forme générale, pour l'intelligence de sa composition, pour la pureté de ses lignes,

LES OBJETS D'ART AUX SALONS DE 1894 197

pour le grand goût et la sobriété de son ornementation : c'est un cabinet en bois de poirier, décoré d'émaux, de M. A. Sandier.

Il se présente en hauteur, fin, élancé, avec une jolie tournure aristocratique. Si je le compare à ses voisins, il me fait l'effet d'un seigneur au milieu de bourgeois et de notables commerçants. Les motifs de sa décoration sculpturale sont empruntés à la nature horticole et sylvestre : ce sont des feuilles de pois et des branches de lierre; mais leur emploi est toujours réglé par une discrétion sévère. M. Sandier a composé et exécuté lui-même les émaux qui l'enrichissent, et dont l'or et les grisailles, habilement distribués, s'emportent en vigueurs claires sur le fond brun du poirier.

Le décor lui-même n'est que l'illustration du joli conte que Perrault, l'enchanteur de notre enfance, avait appelé les Fées. Au centre, on voit la bonne jeune fille offrant à boire à la vieille fée.

Autour de ce motif central on a disposé des tètes ornementales, modelées dans les conditions particulières et voulues que demandent les exigences de l'art ornemental, à qui l'on permet de sacrifier parfois la nature à la convention, pour arriver plus sûrement à l'effet d'ensemble. C'est ce que personne, peut-être, n'aurait su mieux comprendre que M. Sandier. Dans l'espace ménagé à dessein et formant niche au sommet du meuble, l'aiguière de la fée et la cruche de la jeune fille — qui n'est pas une cruche cassée.

Louis ENAULT.

LES PLANTES D'EAU

Nelumbium

Toutes les grandes villes possèdent des serres chaudes, soit municipales, soit particulières. La Belgique et l'Angleterre, surtout, en comptent de nombreuses, que l'abondance du fer, du verre et principalement du charbon rendent plus faciles à établir. Nous en avons du reste aussi de fort belles en France. Mais ce qui manque un peu partout, ce sont les serres de plantes aquatiques.

Cependant, chez quelques collectionneurs et dans les jardins botaniques, ceux de Garnd et de Kew, entre autres, on a acclimaté des Victoria Regia, ces énormes nénuphars de l'Amérique du Sud, dont la feuille mesure de 2 à 3 mètres de large et supporte facilement le poids

d'un homme. C'est là à peu près la seule plante d'eau que l'on voie dans les serres. Laissons aux Anglais cette gigantesque fleur, ce chou prétentieux, qui fut découvert à La Plata en 1827par un Français, Al. d'Orbigny, et que nos voisins sont parvenus à adopter et à nommer. La Victoria Régia, antiartistique et envahissante, leur convient à merveille. Abandonnons-leur cette femme colosse de la flore, pour laquelle nos goûts sont trop raffinés.

Mais les innombrables plantes d'eau des régions tempérées et tropicales, pourquoi les délaissons-nous? Il n'est pas un jardin botanique au monde qui en ait une collection sérieuse, soit en plein air, soit sous vitres. Et pourtant que ce monde des eaux est intéressant et diversifié! Quel charme et quelle poésie il dégage! Toutes ces plantes, bizarres parfois, jolies et élégantes toujours, ont donné naissance à des infinités de légendes ; leurs noms mêmes en sont la preuve. Dans les roseaux murmure encore la voix de Pan, le doux chant de la Nature en travail. Sur les nénuphars se posent les naïades et les nymphes, fatiguées de se poursuivre en

LES PLANTES D'EAU.

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effleurant la surface des eaux tranquilles, tandis que, au bord, les elfes tendent en riant des fleurs de renoncules aquatiques à la sorcière qui vient, au clair de lune, confectionner ses philtres. Voici encore les trois lotus, le blanc, le bleu et le rose, de l'Egypte, de l'Inde et du Japon, les fleurs sacrées d'où la divinité créatrice, Horus ou Bouddha, émerge depuis des siècles, et dont on retrouve des reproductions sur tous les monuments de l'antiquité, depuis les stèles des colonnes de Carthage jusqu'aux ruines des pagodes de l'extrême Orient.

Qu'on néglige encore l'élève des plantes de nos cours d'eau et de nos marais surtout, sous prétexte que leur voisinage est nuisible à la santé, qu'elles propagent les terribles fièvres intermittentes, soit. Aussi bien certains de ces végétaux

peuvent n'être curieux que pour les botanistes, tels la châtaigne d'eau dont les feuilles diffèrent suivant qu'elles sont aériennes ou submergées, la vallisnérie dont la fleur mâle, prisonnière sous l'eau, se détache au moment de la fécondation pour rejoindre la fleur femelle qui vit à la surface, ou encore les grassettes et les rossolis de nos ruisseaux, qui mangent des insectes, à l'exemple de leurs soeurs aquatiques du Nouveau Monde, les sarracenio. Mais pourquoi ne pas établir de serre pour les fleurs d'eau exotiques?

Il n'en existe qu'une, je crois, au monde, et Paris doit s'en enorgueillir. Admirablement aménagée, elle appartient à M. Ed. Guillaume, l'artiste délicat qui a doté la librairie de cette délicieuse collection, si justement recherchée pour son élégance et sa variété. Il a fallu à M. Guillaume des miracles de patience et de volonté pour arriver à son but, il lui faut des prodiges de soins et de précautions pour élever et développer ses exquises pensionnaires. Tantôt c'était un nénuphar bleu du Brésil qui poussait d'innombrables rameaux et envahissait tout, au préjudice des autres

plantes, tantôt des lemnas, ces petites plantes flottantes minuscules, qui formaient comme un tapis de gazon aquatique, mais que le moindre souffle ou le plus petit courant emportait et noyait, tantôt des pucerons obstinés qui dévoraient les feuilles de lotus. Enfin, il a triomphé de tous ces obstacles, et il est arrivé à réunir un

Serre de la rue de Coulmiers

200 LA GRANDE DAME.

assemblage unique des plus beaux et des plus rares spécimens de la flore

aquatique.

Voici d'abord le Nelumbium, le lotus hiératique japonais, le favori de M. Ed. Guillaume, qui a donné son nom à sa petite collection Nelumbo. D'entre les feuilles toutes rondes, d'un vert délicat, sur lesquelles les gouttes d'eau roulent sans les mouiller, s'élèvent de ravissantes fleurs roses portées par de longues hampes minces. Rien n'est plus gracieux et plus élégant que celte plante, qui répand en pleine floraison une odeur suave et délicate. Elle est utile aussi, car ses graines, en forme de grosses fèves, et ses rhizomes, au goût plus fin que nos pommes de terre, sont des aliments très recherchés au Japon, où l'on en multiplie soigneusem*nt les plantations, comme des rizières sacrées. A côté, le Nelumbium jaune, plus petit que l'autre. Puis tous les Nymphoea, le lotus du Gange, d'un bleu de rêve, les Nymphoea de Zanzibar, dont les teintes parcourent toute la gamme des tons du bleu au rouge, le lotus rouge brique d'Egypte, devenu très rare aujourd'hui dans le pays même, les sulfuraires, des hybrides aux fleurs jaune pâle, aux feuilles en forme de croissant, que sais-je? Au milieu de tout cela flottent des plantes, dont les racines non fixées s'épandent sous l'eau comme des chevelures; les unes sont minuscules, comme nos lemnas, elles viennent du Japon et pullulent exagérément; les autres, des Pontederia du Brésil, semblent des cactus nageurs et produisent une très belle fleur bleue.

Telle est, dans ses grandes lignes, cette magnifique collection, ignorée ou dédaignée des botanistes officiels et qu'il appartiendrait aux collectionneurs publics ou aux amateurs particuliers d'imiter et de propager, à l'exemple d'un patient, infatigable et savant artiste.

Marcel FIORENTINO.

SALON DE LA GRANDE DEMOISELLE

L'hôtel de Janzé

Dès le vestibule de l'hôtel, entre des colonnes taillées en marbre de Sicile, quatre grandes statues allégoriques. Jadis, au temps de Le Nôtre, peut-être ont-elles profilé leur noble silhouette au milieu d'un parterre fleuri, d'une charmille où le beau cl*tandre, enrubanné par Watteau, venait attendre la marquise, déguisée en pastourelle. Au pied des statues, un petit mortier, dressé sur ses affûts, rappelle plutôt les fêtes galantes, où il devait tonner en l'honneur des convives, que le siège de La Rochelle où il eût fait piètre figure à côté des gros canons de Monseigneur le Cardinal-Duc. A gauche, en entrant, le salon de la Fronde. A notre avis, c'est le plus beau de l'hôtel de Janzé. La pureté de son style est sans tâches. Il précise une époque et, par ses détails, sa disposition, son ameublement et ses tableaux,

24 B

202 LA GRANDE DAME.

SALON LOUIS XIV

il évoque avec une extraordinaire intensité l'une des pages les plus romanesques et les plus captivantes de l'histoire. Le tapis bleu fleurdelisé, au chiffre royal, a servi à Louis XIV pour ses Lits de Justice. Il semble qu'en regardant bien on y retrouverait la trace des hauts talons rouges ou des éperons d'or du monarque. Aux murs, les femmes de la Fronde, depuis Anne d'Autriche, la régente, dans l'austère costume de Port-Royal, grave, belle, hautaine, jusqu'à cette exquise duch*esse de Longueville, qui fut tant et si follement aimée et dont les vers suivants de La Rochefoucauld, placés en dessous de son portrait, disent bien l'empire exercé par la grande demoiselle sur ses contemporains :

Pour mériter son coeur, pour plaire à ses beaux yeux, J'ai fait la guerre aux rois, je l'aurais faite aux dieux.

En d'autres cadres, la duch*esse de Montbazon; les deux demoiselles Fieschi, nièces du cardinal ; Christine de France, portraits d'une conservation et d'une fraîcheur parfaites. Le plafond, disputé à prix d'or aux amateurs, est parmi les plus beaux que l'on connaisse. Il est aux Armes royales, à sujets allégoriques et à ornements un peu massifs, comme on les faisait au grand siècle. Les portes du salon s'harmonisent avec l'ameublement de la pièce. Elles ont été trouvées dans les environs de Loudun et

L'HÔTEL DE JANZÉ. 203

complètent le style de cette pièce véritablement digne d'un souverain. En face du salon de la Fronde est le fameux escalier. La rampe en fer forgé, provenant du château de Grignan, est un chef-d'oeuvre de ciselure, de finesse; la dentelle peut donner une idée assez juste de l'art avec lequel l'habile artiste qui le créa sut manier capricieusem*nt le fer. L'escalier

s'éclaire par un vitrail ancien qui raconte l'histoire des Prémontrés. Sa transparence et son éclat, le mouvement des personnages, la mise en scène, la richesse et la splendeur des couleurs vivantes et claires, rappellent, en plus petit et dans un ordre différent, les vitraux de l'église de SaintGervais, ces incomparables joyaux d'un art disparu. Les murs de l'escalier, de la cimaise au plafond, disparaissent sous les portraits de rois, de capitaines, de femmes illustres, de seigneurs, de ministres fameux. A citer, notamment, un portrait de Louis XIV, enfant, par Mignard, qui est une des

SALON DU CARDINAL

204

LA GRANDE DAME.

ESCALIER DE L'HOTEL DE JASZÉ

plus belles peintures de l'époque. Les ancêtres de la maison de ChoiseulGouffier sont tous là : èvêques, chevaliers de Saint-Louis, ambassadeurs, lieutenants généraux, maréchaux de France, cardinaux, etc., depuis Jean de Choiseul, qui accompagna saint Louis en Terre sainte et qui était allié aux Capets, jusqu'au marquis de Gouffier, le grand bibliophile, dont les seules armes, frappées sur la couverture d'un livre, le font valoir son pesant d'or. Il n'entre pas dans notre dessein de donner ici une monographie de l'hôtel de Janzé. Il faudrait un long catalogue pour relever la foule des objets qui composent la collection, comme aussi une notice à part pour mentionner les devises, les légendes, les préceptes répandus avec un peu trop de profusion peut-être le long des murs de l'hôtel, sans intérêt pour le visiteur et évoquant plutôt l'idée d'une salle d'école où le maître croit

L'HOTEL DE JANZÉ. 205

devoir rappeler aux enfants pas sages que, si la parole est d'argent, le silence est d'or. Les salons du premier étage sont de dimensions vastes, prenant le jour par de hautes fenêtres sans rideaux, copiées sur celles de Versailles. On y remarque des tableaux intéressants comme un cardinal de Richelieu, par Philippe de Champaigne, un duc d'Albe, par Titien (?) et les portraits des quatre femmes de la Régence attrayants par la fraîcheur du coloris et la richesse des costumes fanfreluchés; un buste de Louis XIV. Et partout des meubles venant de Trianon, de Louveciennes, des châteaux royaux; des bronzes, des tapis, des brocarts, des bois sculptés, des marbres, tout ce que l'on a pu réunir de l'industrie et de l'art précédents. Qu'adviendra-t-il de la collection Janzé ? Se trouvera-t-il encore des Américains qui veuillent revenir à la charge et offrir de nouveaux millions ? Dans tous les cas, il serait regrettable que ces quelques jolies choses s'en allassent à l'aventure et dans des mains étrangères.

Jean de MITTY.

LES DERNIÈRES MODES

On n'a pas encore trouvé le moyen de ressusciter les êtres, mais on fait revivre les choses; la femme fouille le passé, emprunte aux modes d'autrefois la grâce, le charme, la mignardise des détails de sa toilette.

A ce jeu, la mode devient d'un raffiné, d'un fashionable inouï.

Aussi n'y a-t-il plus aujourd'hui de vieilles femmes; elles restent jeunes jusqu'à l'âge où elles acceptent d'être de très attrayantes douairières. A force d'études et de soins, grâce aux

cosmétiques, aux teintures, aux fards si savamment perfectionnés par nos plus habiles parfumeurs (Guerlain pourrait en dire long sur

ce chapitre), la femme conserve sa jeunesse jusqu'aux extrêmes limites de l'âge.

Cette année, la mode est aux étoffes fines, légères et de nuances très claires.

Un des types les plus gracieux est en batiste écrue ornée sur les hanches de broderies à jour descendant en quilles vers le bas de la jupe; le corsage, également brodé, est décolleté sur une chemisette de taffetas glacé; les grosses

manches-ballon de taffetas s'arrêtent au coude. Un autre gracieux spécimen que nous devons également au goût exquis de Paquin est en taffetas imprimé fond pervenche, orné d'incrustations de guipures d'un dessin tout à fait inédit et gracieux.

La journée du Steeple-Chase d'Auteuil

et celle du Grand Prix de Paris ont été les

plus belles et les mieux favorisées de la saison; elles ont été pour la mode des jours d'inauguration.

Pareilles à une mosaïque diaprée où s'épanouissaient les fleurs les plus éclatantes, les tribunes étaient une véritable exposition des plus

CHAPEAU DE CASINO

AUGUSTE PETIT

CHAPEAU DE CASINO

LES DERNIERES MODES. 207

coquets atours qu'inventa jamais le génie parisien. Au milieu de cette cacophonie de couleurs, il serait difficile de dire quelles sont les nuances de prédilection : elles le sont toutes, à la condition d'être claires ; s'il y avait

une préférence, elle irait aux teintes lavande, au blanc et maïs, au rose vif.

Quant aux jupes, toutes nos coquettes s'étant mises sur la défensive, la robe drapée n'a pu détrôner ces gentilles formes plates du haut, larges du bas, si commodes, si pratiques, qui donnent à la femme ce petit air déluré et jeune auquel beaucoup ne renonceront que difficilement. Le bas est rarement

rarement haut est souvent brodé en transparence sur le fond de soie; si le tissu est léger, il n'est pas doublé, mais simplement posé sur le fond de soie et, dans ce cas, une dentelle incrustée ou une broderie le termine et retombe sur les volants soyeux.

Le corsage est tout un poème, tantôt incrusté de batiste écrue et brodée, tantôt

tantôt et décolleté sur une chemisette de soie ou de mousseline avec de grosses manchesballon,

manchesballon, fantastiques; il se rentre dans la jupe et se serre à la taille par une ceinture de taffetas agrafée derrière avec un noeud volumineux d'où s'échappent deux longs pans. Cette même ceinture se fait en mousseline de soie ourlée de valenciennes jaunie et retombe sur' la jupe comme une écharpe avec pans

arrondis; les personnes un peu fortes préfèrent

préfèrent ceinture en gros grain serrée

par une petite boucle d'or, ou encore la ceinture de cuir mat blanc ou gris

avec les petit* souliers assortis.

Avec les formes de ces corsages, il faut à tout prix que la taille demeure longue, très cambrée sur les hanches, proportionnée à miracle; car il ne suffit pas d'être mince pour avoir un buste aux lignes harmonieuses : il faut que la poitrine soit bien placée, la proéminence abdominale absolument dissimulée. C'est

CHAPEAU DE CASINO

CHAPEAU DE CASINO

AUGUSTE

PETIT

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par la pratique assidue de l'art du corselier, ce rénovateur de l'esthétique, qu'on arrive à créer un buste parfait, une femme nouvelle dont la performance savamment rectifiée, sans la moindre gêne bien entendu, répond au progrès des idées et aux exigences de la mode.

Demandez plutôt à Léoty qui a étudié à fond la question dans son récent ouvrage, ma foi fort intéressant, sur le Corset à travers les âges, ou plutôt lisez l'ouvrage qui mérite d'être connu de toutes les jolies femmes : vous verrez l'importance qu'il y a pour une femme qui veut rester élégante d'avoir un de ces moules bien compris qui, en laissant au buste sa souplesse, lui donnent des contours si gracieux.

On a beaucoup parlé ces derniers temps de la nouvelle pantomime jouée aux Folies-Bergère, le Réveil d'une Parisienne, où Mme Renée de Presles apparaît dans un déshabillé suggestif, vêtue d'un amour de corset Louis XV. Une merveille créée par Léoty ! Ah! quel artiste et comme il connaît à fond tous les secrets de son art! On ne s'étonne plus que sous sa direction les Parisiennes soient proclamées reines de l'élégance.

Décidément la mode, cet été, a le caprice des gammes de couleurs. Nos chapeaux, ainsi ornés de fleurs aux nuances dégradées, sont des poèmes qui idéalisent la beauté triomphante de nos premiers sujets de la saison.

Est-il rien de plus charmant pour garden-parties ou Casino que ce chapeau en paille ondulée, voilé de dentelle retombante, rehaussé de deux touffes d'hortensias de teinte dégradée; puis cet autre si mignon en paille coquille lavande, orné de roses blanches et de deux plumes noires en aigrette? Auguste Petit a le don de créer des coiffures jeunes, seyantes et légères; son nouveau modèle de chapeau 1830, très modernisé, est une trouvaille gracieuse et originale, en paille blanche doublée de paille noire, avec un joli panache de plumes noires et des brides s'attachant de côté sous un chou de velours noir. Un autre, fort élégant, est en paille de riz blanche doublée de paille noire, avec ornement de roses et de plumes noires. Le petit chapeau en paille raffia, garni de plumes blanches et de choux lavande, ne peut se rendre par une simple description; il faudrait le pinceau d'un de nos maîtres du pastel pour traduire l'harmonie de la forme et des nuances.

ZIBELINE.

Dessin de A. APPIAN

LE PARC DE LA TÊTE-D'OR

On vous a dit, Madame, que Lyon est une ville où l'on s'ennuie; peut-être, si vous l'avez visité, en avez-vous emporté cette impression personnelle. Pour sûr, Lyon ne fait pas partie des villes où l'on s'amuse, moins encore des villes qui font métier d'amuser l'étranger.

Le Lyonnais habite une maison close; le luxe ici se cache avec autant de soin qu'il met ailleurs à se montrer ; même les manifestations extérieures de la vie commerciale sont à peu près nulles, les affaires conclues par de hauts et puissants négociants se traitant le plus souvent dans un bureau de quelques pieds carrés.

25.

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Vue de la Coupole

Des édifices, Lyon en a d'honorables; mais les véritables monuments auxquels la cité a consacré son génie et ses efforts sont d'ordre immatériel et consistent en oeuvres sociales qu'il faut découvrir et savoir étudier. Celui qui passe n'en voit rien : telles ces femmes, simples dans leur mise, d'un abord un peu froid, dont la beauté et les grâces s'éclairent au seul rayon du foyer et dont rame se dépense dans les joies austères du devoir.

Pourtant, il n'est si prude qui ne se mette en frais d'amabilité, lorsqu'elle a des invités. La ville de Lyon n'y a point failli. Pour recevoir les visiteurs qui se pressent à l'Exposition Universelle de 1894, tout a pris un air de fête, et, depuis deux mois, la cité marchande couvre ses murailles d'affiches multicolores et de programmes alléchants.

La circulation des voitures, rares en temps ordinaire, est plus active. Omnibus roulant sur rail ou sur pavé, tramway à traction électrique et chars ouverts dont les attelages font sonner leur grelots, toutes sortes de véhicules sillonnent les rues et convergent au Parc de la Tête-d'Or, où se dressent les multiples bâtiments de l'Exposition.

Impossible de trouver un cadre plus merveilleux. A vrai dire, ce ne sont pas les Lyonnais qui l'eussent choisi, et plus d'un a gémi lorsqu'il a vu les belles pelouses du parc se couvrir de lourdes charpentes, les verts taillis et parfois les grands arbres sacrifiés aux besoins du moment, et les allées douces au promeneur, ravinées par les chariots et les pesants camions. Mais le résultat obtenu est tel que l'on mumure déjà que Paris pourrait bien, en 1900, renoncer au Champ de Mars et installer son Exposition en plein bois de Boulogne.

Dès l'entrée, l'oeil est attiré, sur la droite, par la Grande Coupole, centre et noyau de l'Exposition; à gauche, le palais de l'Algérie, poste

LE PARC DE LA TETE-D'OR

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Palais de l'Algérie

avancé de la section coloniale; au milieu, le lac dont la nappe bleue est ponctuée de deux îles vertes et que fendent en tous sens des gondoles montées par des gondoliers authentiques.

Si nous nous dirigeons vers la Coupole, nous voyons immédiatement surgir, de tous côtés, une foule de pavillons, d'importances et de styles variés, qui s'intitulent bars et débitent des boissons non contrôlées par les sociétés de tempérance. On en trouve un sous chaque arbre, et si l'on y joint les restaurants et brasseries, c'est, m'assure-t-on, un total de trois cents établissem*nts, vendant de l'eau chaude, de l'eau froide et de l'alcool sous toutes les formes imaginables! Certes, l'hospitalité impose des devoirs, mais l'administration ne se les est-elle pas exagérés?

Bientôt, l'entrée principale de la Coupole se démasque, au bout d'une sorte d'esplanade, égayée de plates-bandes fleuries. Du côté du lac, est le Pavillon de la Ville, où les services municipaux ont installé leur exposition ; une section est réservée à la ville de Paris. Disons, une fois pour toutes, que la plupart de ces constructions, officiellement qualifiées de palais, sont d'une facture très sommaire. Quelques unes, cependant, font assez bonne figure, et prennent un aspect monumental, grâce au décor dont elles sont revêtues. Le Pavillon de la Ville est du nombre ; mais on en saurait dire autant d'un bâtiment de service, élevé à la dignité du Pavillon de la Presse, et dont la transformation ne représente une grosse dépense, ni de goût, ni d'argent.

Les Arts religieux, de l'autre côté de l'esplanade, ne sont guère mieux partagés. Leur palais, qu'on se figurerait plutôt sous forme d'une pseudoéglise, dentelée de flèches et d'aiguilles, a tout l'air d'une grange accommodée par la circonstance. Fort heureusem*nt le contenu vaut mieux que le contenant.

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Palais de la Tunisie

Derrière le Palais des Arts religieux — puisque palais il y a, de par la nomenclature officielle — se trouve l'enceinte du Ballon captif. Charmant tableau, que la vue générale du parc, à trois cents mètres de hauteur, avec ses innombrables constructions nichées dans la verdure, ses chemins blancs où la foule des visiteurs fait courir des taches noires, son lac moucheté de petites barques ! Le chemin de fer à traction électrique qui fait le tour de l'Exposition, paraît comme un jouet d'enfant. Et si votre regard s'éloigne du spectacle qui est à vos pieds, il embrasse un horizon que bornent seules les montagnes du Lyonnais au couchant et la chaîne des Alpes au levant.

Nous voici sous la Grande Coupole. Vous dire qu'elle a deux cent cinquante mètres de diamètre et cinquante-cinq mètres de haut, ne vous apprendrait rien; vous énoncer le poids du métal représenté par chacun des cinquante mille mètres superficiels, serait d'un médiocre intérêt. Un chiffre ne porte pas en soi de valeur intrinsèque et ne vaut que par comparaison. Or cette gigantesque rotonde métallique, vue à distance, ne manque pas d'une certaine majesté et se sauve par la simplicité des lignes. Mais à mesure qu'on approche, trop de simplicité devient monotone, et l'oeil appellerait certains décors complémentaires : clochetons, galeries circulaires, lanterne monumentale, qui. rompraient cette monotonie, tout en allégeant la masse.

Quant vous pénétrez à l'intérieur, tout sentiment de dimension vous

LE PARC DE LA TETE-D'OR 213

Vue du lac prise du Chalet, d'après un dessin original de A. APPIAN

échappe, perdu que vous êtes entre les rangées de vitrines. Chose singulière, ces vitrines, d'une faible élévation, ne font pas valoir la hauteur de la rotonde centrale : il faut gravir au promenoir supérieur — à pied ou en ascenseur, — pour avoir l'impression de la hauteur totale, en additionnant le dessus et le dessous.

Il est aussi à remarquer que l'embrasem*nt de la coupole, quand des milliers de flammes électriques s'allument le soir, loin d'accuser les lignes et les dimensions de l'édifice, noie le tout dans une atmosphère lumineuse et rapproche le plafond du sol. N'est-ce point, d'ailleurs, l'effet que nous produit un ciel étoile, d'autant plus rapproché de nous en apparence que le rayonnement de chaque astre est plus large et plus intense ?

La distribution intérieure est excellente. Du centre, où chantent les eaux d'une claire fontaine, entourée de verdures, vous pouvez aisément, par la simple lecture d'immenses tableaux appendus tout autour de la rotonde, diriger vos pas vers telle ou telle section d'exposants qui vous intéresse. Mais quel dommage d'avoir empli le pourtour extérieur de comptoirs, bars et buvettes, dont le caractère n'est pas même racheté par l'ampleur et le luxe des installations !

Au delà de la Grande Coupole, est le palais des Beaux-Arts. Il y aurait bien quelque chose à dire, à propos de la fâcheuse idée qu'a eue l'administration, en masquant la demeure des arts avec un matériel roulant de

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Palais de l'Annam

chemin de fer. Mais la disposition intérieure est bonne, et l'on peut dire que jamais Lyon n'eut à offrir pareil salon aux artistes.

Quand nous aurons accordé une mention au Génie civil et à l'Agriculture, dont les galeries sont accolées, par derrière, aux Beaux-Arts, et nommé l'Exposition ouvrière, dont le pavillon s'élève dans le voisinage, nous aurons fait la revue de la partie de l'Exposition affectée à l'industrie et aux arts français. Dans la zône qui s'étend le long des. anciens fossés d'enceinte, se trouvent encore le bâtiment de l'Economie sociale et les Ambulances de la Croix-Rouge, graves institutions qui ont leur place marquée parmi les multiples manifestations de l'esprit moderne.

Mais il nous reste à visiter la partie la plus pittoresque, au moins la plus originale : c'est la section des colonies. Echelonnés sur la rive septentrionale du lac et vus d'ici, les divers bâtiments se profilent d'une façon charmante, tout au long de cette verte vallée qui s'incline, par devant, jusqu'aux eaux du lac, et s'adosse aux talus boisés de la digue, derrière laquelle mugit le Rhône. C'est, en temps ordinaire, un des plus jolis coins du parc de la Tête-d'Or, et les Français d'outre-mer doivent reconnaître qu'on ne pouvait leur offrir plus délicieuse oasis.

La section coloniale est l'oeuvre de la Chambre de Commerce de Lyon. Impossible de réaliser en quelques mois un ensemble plus complet et plus artistement disposé. La façade du Palais de l'Algérie est une reproduction de l'élégant palais de Mustapha. Les luxuriantes végétations de l'Afrique en parent l'entrée, et, si vous franchissez le seuil, l'illusion s'achève, au milieu d'une cour mauresque, pleine d'un bruit de jet d'eau et des senteurs de la flore tropicale.

LE PARC DE LA TÉTE-D'OR.

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Le vieux Pont du Parc, d'après un dessin original de A. APPIAN

Tout au bord du lac qui en reflète la coquette façade, le Palais de la Tunisie se compose d'une longue galerie, flanquée aux extrémités de deux pavillons aux toitures vertes, et couronnée au centre par un minaret peint en rose, copie du minaret de Sidi-ben-Arous. Eclairé d'un rayon de lune, le tableau est plein de poésie : c'est l'Orient de Lamartine et de Hugo.

Mais un Orient plus prosaïque, plus vrai peut-être, se révèle dans le voisinage. Deux familles d'indigènes algériens, appartenant à la tribu des Ouled-Sidi-Yahïa-ben-Taleb, campent sous la tente et préparent, à certaines heures, le couscouss natal. Les plus heureux du campement sont, pour sûr, les chameaux, paissant en liberté une herbe abondante, dans laquelle ils enfoncent jusqu'au poitrail.

Enfin, dans quelques établissem*nts privés, des danses et des concerts prétendent nous offrir l'image des délices de la vie orientale. Je me demande si l'affiche tente beaucoup de clames, mais je ne crois pas qu'aucune en sorte, jalouse des rivales qu'on lui a montrées. Tout au plus ces spectacles prouveraient-ils qu'en fait de bonheur, les Orientaux ne sont pas difficiles.

Passons rapidement et arrivons au Palais de l'Annam, bizarre édifice, aux toitures recourbées, reproduisant une pagode. Un guerrier, sabre au clair, le visage imperturbable, en garde l'entrée. Quel contraste entre ces petites gens, de sexe et d'âge indécis, et les superbes Arabes, postés aux abords des pavillons algérien et tunisien !

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Ici l'on a réuni les produits de nos colonies de l'Extrême-Orient, de l'Océanie et de la mer Rouge. La grande salle, éclairée d'un jour discret et châtoyant, est d'un aspect féerique.

Tout auprès, trois panoramas se sont installés sur ce territoire qu'on pourrait croire hors frontières: la Bataille de Nuits, le Combat de Dogba et le Couronnement du Tzar. C'est aussi dans ces parages que se trouve l'exposition d'Horticulture, dont les massifs en fleur épousent les pentes de la digue, sur laquelle se développaient les galeries de l'Exposition de 1872.

Au-delà, c'est un théâtre annamite, expression d'un art qui échappe à notre entendement, bien que l'ouïe n'y soit point épargnée. Puis, par un brusque retour, nous tombons en plein continent noir. Sénégal, Soudan et Dahomey nous ont délégué une centaine d'indigènes des deux sexes, qui ont improvisé de véritables villages nègres. Femmes et enfants grouillent dans les cabanes ; des artistes initient les visiteurs aux jeux et aux chants africains; d'autres, habiles plongeurs, vont chercher au fond du lac les sous qu'on leur jette.

C'est sans doute, mus par une pensée philosophique, que les organisateurs de l'exposition coloniale, après avoir réuni, dans les pavillons officiels, les splendeurs de notre empire d'outre-mer, ont laissé s'établir à la suite, des spécimens moins glorieux de nos possessions asiatiques et africaines. Ce spectacle est fait pour calmer les imaginations trop inflammables. Encore faut-il croire qu'il y a quelque tricherie là-dessous et qu'on nous sert un Orient et une Afrique passablement édulcorés.

Pour vous reposer de ces exhibitions exotiques, je vous engage, Madame, à prendre une des nombreuses embarcations qui traversent le lac dans sa longueur. La nature, même arrangée par la main de l'homme, est bonne à ceux qui la contemplent, et cette dernière vision de la verdure et des eaux laissera sur vos souvenirs de l'Exposition comme un reflet doux et caressant.

AUGUSTE BLETON

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A. DAGNAUX. — L'Avenue du Bois de Boulogne; — Club des Pannés

PAVILLON DES BEAUX-ARTS

Ce n'est jamais sans un sentiment particulier de curiosité inquiète que Ton franchit, lorsqu'on est femme, le seuil d'une exposition de beaux-arts. Curiosité, car nous savons que peintres et sculpteurs font de la femme le thème le plus ordinaire de leurs oeuvres ; inquiétude, car nous savons aussi combien ils réussissent rarement à traduire leur modèle. L'artiste, s'il est homme, fait trop souvent à sa propre image et nous prête ses sentiments, en les poussant même jusqu'à l'outrance ; s'il est femme, son pinceau ou son ébauchoir le trahit presque toujours, lorsqu'il aborde le côté purement plastique.

Au moins, l'Exposition lyonnaise ne nous réserve pas de surprises : à de rares exceptions près, les oeuvres qu'elle renferme ont figuré aux Salons lyonnais de ces dernières années ou aux Salons de Paris. Notre promenade sera nécessairement rapide et nos appréciations sommaires.

La sculpture occupe le vestibule du Pavillon des Beaux-Arts, avec cent et quelques numéros. L'effet n'est pas en proportion avec le nombre,et l'oeil

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PAVILLON DES BEAUX-ARTS

SIMON DURAND. — Le Marché aux fleurs à Genève

erre de droite à gauche, sans trouver beaucoup à se fixer. Les effigies de grands hommes abondent. Sujet bien ingrat, le grand homme, quand sa grandeur n'est pas suffisamment connue et que le public n'entoure pas la statue d'une auréole complaisante.

Les célébrités lyonnaises ne pouvaient manquer : le Général Duphot par M. Bailly ; Coysevox et Jean-Baptiste Say, par M. Fontan ; le Cardinal Foulon, par M. de Gravillon ; le Docteur Gailleton, par M. Textor ; Meissonier, par M. Aubert. M. Gemito a traité le personnage de Meissonier en statuette : mignonne échelle et mignonne facture, convenant bien au sujet. Mais des morceaux de choix, ce sont deux maquettes, dues au maître lui-même, qui, on le sait, modelait avec une virtuosité incomparable. Quelle crânerie dans ces deux cavaliers, le Héraut de Murcie et le Général Duroc ! Quelle vie et quelle noblesse dans les deux chevaux !

J'ai cité, comme il est juste, Meissonier parmi les célébrités lyonnaises. Bien qu'il paraisse avoir eu sa ville natale en médiocre souci, le grand artiste tenait à Lyon par toutes ses origines. Il était même aussi lyonnais que possible, étant né d'un père commerçant en soieries, et ses premières études de dessin ont pu n'être pas sans influence sur la direction qu'il donna plus tard à son immense talent.

L'EXPOSITION DE LYON

A. MOREAU. — La Fête-Dieu

Souvenez-vous de ces habiles fleuristes lyonnais qui peignaient, au commencement du siècle, à la manière des Hollandais : dessin d'une fidélité poussée jusqu'aux minuties, arrangements savamment combinés, coloris exempt de tout compromis. Ne voyez-vous pas une certaine parenté entre cette école et l'auteur des chefs-d'oeuvre, à échelle réduite et d'un fini prodigieux, que le monde entier admira depuis ?

On dit aussi que Mme Meissonier mère peignait des miniatures : ce serait une influence de plus, dont il y aurait à tenir compte dans la genèse de l'éminent artiste.

Si, revenant aux sculpteurs que nous avons un moment délaissés, nous passons aux interprètes de la forme féminine, nous citerons, parmi les Lyonnais, MM. Bourgeot, Devaux et Vermare, tous trois lauréats du Salon de Paris. L'Hébé de M. Gaudez, un Lyonnais aussi, tendant sa coupe d'un air indifférent, symbolise à merveille l'insouciance de la jeunesse qui s'ignore et prodigue sans compter ses dons qu'elle croit éternels. Aussi jeune, aussi charmante, l'Aurore de M. Gustave Michel ; mais, des fleurs qu'elle tient, il s'en échappe plus qu'elle n'en paraît offrir. Terminons par Cléopâtre, de Mme Syamour, la Bacchante, de M. Madignier, l'Amphitrite, de M. Depléchin,

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G. CAIN.— L'Ouverture de la Pêche

noble comme l'antique et jeune comme la beauté, et le beau groupe en relief de M. Rougelet, Héro et Léandre, sujet cent fois traité et qui charmera toujours, quand l'artiste aura l'âme d'un poète.

Cinq salons s'ouvrent de chaque côté du vestibule. Dans cette double enfilade, toutes les écoles, tous les genres, toutes les manières ont leurs représentants. Tâchons d'en faire un classem*nt.

Tout un groupe de peintres, délaissant la figure humaine, s'en tient à la nature. Je mets de côté ceux qui se vouent à la représentation de la nature morte, genre qui sera toujours inférieur, malgré le talent qu'on peut y déployer. La fleur porte déjà en soi un langage que l'artiste nous fait sentir, s'il se nomme Biva, Georges Jeannin, Perrachon, Euler ou Médard. Mais c'est surtout dans le paysage que le peintre peut infuser un peu de son âme, et il est remarquable combien la même nature prête à desinterprétations différentes, tout talent mis à part. Il y a les poètes : Armand Guéry, Isenbart, Iwill, Didier-Pouget; il y a les prosateurs, et la bonne prose a son prix : les Appian, Beauverie, Lortet, Arlin, Balouzet.

Mais certains paysagistes impriment une vie particulière à leurs compositions, en combinant la nature et la figure humaine. Dans l'Offrande de la Bergère, M. Vayson nous traduit un effet de crépuscule en la montagne, vaporeux et doux. Le Marché aux fleurs, de M. Simon Durand, c'est la lumière des villes, se heurtant aux saillies et s'emprisonnant dans les angles. Avec M. Bidault, nous retrouvons les grands horizons; Mme Frédérique Valette et M. Debat-Ponsan se plaisent aux jeux des rayons et des ombres dont leur pinceau sait tirer tant d'effets.imprévus.

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AIMÉ PERRET. - Retour de Vendanges

Nous laisserons, si vous voulez, le portrait, d'un intérêt toujours restreint, même lorsqu'il s'élève à la hauteur d'un chef-d'oeuvre, sous le pinceau d'un Machardou d'un Commerre, ou qu'il devient une oeuvre très honorable, fait par Mme Collomb-Agassiz ou M. Louis Appian. Passons au tableau de genre.

Voici la toile de début de M. Tollet, l'Improvisateur ; là comme dans les trois autres tableaux du même auteur, on sent le peintre féminin. Un féminin aussi, M. Charles Landelle, dans la Femme de Tlemcen et dans ses autres reproductions de la vie orientale, mais ici la note est tempérée par de mâles ressouvenances de l'école classique. L'Ouverture de la pêche, de M. Cain, nous ramène en pleine civilisation occidentale, empruntant de son charme au XVIIIe siècle, qui marqua, par excellence, le règne de la femme. Avec M. Albert Dagnaux, le Club des Pannés, c'est, au contraire, ce qu'on est convenu d'appeler la femme fin de XIXe siècle ; moi, je serais tentée d'y voir la fin de la femme.

Il est une autre façon, non moins poétique mais moins mondaine, de nous révéler la compagne de l'homme : c'est celle de M. Aimé Perret, dans Printemps de la vie et Retour des vendanges. Ce maître excelle à choisir ses modèles parmi les rustiques habitants des champs, et sait nous montrer ce que la présence de la femme prête de poésie aux plus humbles existences. M. Barriot puise son inspiration aux mêmes sources; Récolte des choux et Sous, le poirier appartiennent à l'idylle vécue.

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A. GAUDEZ. — Hébé

G. MICHEL. - L'Aurore

M. Béroud s'en tient au sexe barbu. Salle des conférences et Galerie des bustes, au Sénat, n'éveilleront aucune passion, pas même, je me figure, le désir d'être sénateur. M. Clairin nous raconte l'anecdote historique, Philippe IV et l'Infante ; M. de Richemont, l'anecdote intime, Le sacrifice, et M. Frappa, l'anecdote humoristique, la Quête. Sera-ce parler portrait que de citer le peintre E. Détaille dans son atelier, par M. Lemeunier, et M. Sarcey en famille, par M. Baschet ?

Cette revue des tableaux de genre serait incomplète si je ne signalais la charmante toile de M. Adrien Moreau, la Fête-Dieu, avec ses dames du XVe siècle, si jolies dans leurs atours archaïques que c'est à nous donner le regret de ne plus les porter. Enfin, M. Sicard est représenté par un magistral Défilé de Cuirassiers et par Uneplumeuse, qui, tant par le sujet que par sa grande facture, fait penser au tableau de Roybet, médaillé l'an dernier, et soutient assez bien la comparaison.

Si je n'ai rien dit encore du nu, ce n'est point qu'il fasse défaut. Il y en a beaucoup, et non du meilleur. Qu'on proclame le nu comme étant la manifestation suprême de l'art, je n'y contredis pas, mais à la condition que l'artiste poétisera les formes et idéalisera la matière. L'antiquité, dont on invoque les chefs-d'oeuvre, traitait, pourrais-je dire, le nu avec respect, bien qu'il fût sans cesse et dans ses plus vulgaires aspects, sous les yeux de la foule. On ne saurait exiger le même sentiment des modernes pour qui le nu constitue, pour ainsi dire, une convention.

Aussi, ne faut-il point s'étonner de rencontrer des noms purement

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GEMITO. — Portrait de E. Meissonier

E. MEISSONIER.— Héraut d'armes

allégoriques, au bas de ces toiles : l'Aurore, de M. Saint-Pierre; le Crépuscule, de M. Boyé; la Diane, de M. Lebayle; la Nymphe, de M. Lematte; Salomé. de M. A. Reynaud; Artémise, de M. Axilette. M. G. Villard ne cherche même pas un nom et intitule une de ses toile Femme nue. Quant à la Fête à Bacchus, de M. Checa, elle nous offre une orgie de chair qu'il vaut peutêtre mieux voir en peinture qu'au naturel.

Une salle entière est affectée aux arts plus modestes, et pourtant si délicats, de l'aquarelle, du pastel, du dessin et de la gravure.

Parmi les maîtres du genre, il faut mettre à une place d'honneur M. Alexandre Bida : sa belle suite d'aquarelles et de dessins, sur des sujets bibliques, est une merveille. On peut en dire autant des paysages de M. Ravier et des fraîches fleurs de M. Rivoire. Le pastel, cet instrument si doux et si caressant, prend, sous la main de M. Nozal, des accents imprévus ; ses paysages vous donnent l'impression d'une caresse violente.

Nombreux sont les procédés employés pour tirer du seul blanc et noir tous les effets d'une palette. Voici les fusains de M. Appian, les dessins de M. Joannès Drevet, les eaux-fortes de M. Ch. Beauverie et de M. BrunetDebaisnes, les lithographies de M. Dillon, les bois de M. Baude et de M. Canedi ; enfin, les belles planches au burin de MM. Danguin, Didier et Lévy.

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PAVILLON DES BEAUX-ARTS

P. GASQ. — Héro et Léandre

Il me reste à parler de ces tableaux, qu'en langue familière on appelle ce de grandes machines ». J'avoue tout de suite que ce genre de composition ne me semble à sa place que dans un monument et sous forme décorative. Un tableau est un meuble et, comme tel, ne doit pas dépasser certaines dimensions.

Gela n'empêche que j'admire, ainsi qu'il convient, la belle toile de M. Albert Maignan, représentant la rencontre aux champs élysées de Dante et Béatrice. Je reconnais aussi tout le mérite de l'Orphée, de M. Ferdinand de Bélair, plein d'un juste sentiment de la nature, dont l'auteur risque de s'écarter en exagérant sa note. Les Défenseurs de Sarragosse me semble une belle page d'histoire; mais je confesse mon incompétence en face du Charles le Téméraire de M. Roybet. Je suis ainsi faite qu'une foule ne m'intéressera jamais. Tout en admirant la grandeur de l'oeuvre et la touche magistrale de l'auteur, je regrette que son génie se soit prodigué à peindre tant de comparses, aux dépens du héros qu'il avait choisi. La guerre, hélas! sera pour longtemps encore la grande affaire des hommes. Et à nous autres femmes n'arrive-t-il pas de nous attarder devant ces scènes cruelles, alors que tant d'oeuvres sereines font appel aux sentiments d'apaisem*nt et de joie, dont la femme doit être partout le symbole ?

JEANNE D'ALAY

Dentelle vénitienne

LES SOIERIES ET DENTELLES

Elevés, dès leur jeune âge, dans l'admiration de la fabrique de soieries, sachant bien que c'est à elle que Lyon doit le plus clair de sa réputation séculaire et de son renom par le monde, les Lyonnais ont le chauvinisme de cette gloire, et l'une de leurs joies actuelles les plus vives est de voir que, de toutes les sections, la plus visitée, la plus louée, la plus triomphante est celle des tissus de soie et des dentelles. Certes, l'exposition coloniale est remarquable, elle est conçue dans un esprit nouveau, elle présente un intérêt commercial de premier ordre; la Coupole contient des merveilles; les Beaux-Arts, les Arts religieux sont riches en oeuvres d'une valeur rare. Mais pour quiconque a vu le jour dans les alentours de la Croix-Rousse, tous ces succès sont secondaires, parce qu'ils ne flattent point le particularisme local, ou, si l'on préfère, le patriotisme natal.

C'est qu'en effet tout bon Lyonnais sait bien que, depuis plus de quatre siècles, la prospérité de Lyon est étroitement liée à celle de la fabrique de soieries, et que la ville a vu rejaillir sur elle l'incomparable célébrité de cette industrie, à qui elle doit, pour la plus grande part, sa fortune, et dont elle a longtemps presque entièrement vécu.

Il faut rappeler à grands traits que cette industrie d'art nous est venue d'Italie : Florence, Pise, Gênes, Lucques et Venise, placées à proximité de régions productrices de soie, en avaient le monopole, lorsque, vers le milieu du XVe siècle, les guerres civiles qui troublaient le nord de la péninsule et les proscriptions qui en étaient la conséquence obligèrent une foule de

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226 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

maîtres et artisans de soie à s'expatrier et à venir chercher un refuge en France, où ils apportèrent avec eux les secrets de leur art. L'intelligence de Louis XI sut faire le reste : sans cesse en souci de développer l'industrie nationale et plein de sollicitude pour ces bourgeois marchands vers qui allaient ses affections, le grand roi démocrate qui se plaisait à répéter : « Celui-là en aura la gloire qui en aura le profit, » sut faire tourner les circonstances au profit et à la gloire de la France. Il s'efforça d'attirer des ouvriers experts en la fabrication des étoffes de soie, d'or et d'argent, les exempta, eux, leurs femmes, leurs veuves et leurs enfants, des taxes et impôts, et multiplia en leur faveur les privilèges et les témoignages de sa bienveillance particulière; il encouragea la plantation des mûriers, l'éducation des vers à soie et la création des manufactures.

Ses successeurs, s'ils ne surent pas poursuivre son oeuvre politique, l'imitèrent du moins dans son oeuvre commerciale; grâce à la protection royale, l'industrie des étoffes de soie se développa rapidement, mais sans se dégager entièrement des traditions italiennes d'art et de goût.

La manufacture lyonnaise, objet d'une faveur spéciale, n'avait pas tardé à prospérer; Henri IV et Louis XIII l'avaient exemptée " des longueurs, frais et dépens de chefs-d'oeuvre » qui se pratiquaient dans les autres villes; elle était florissante et faisait battre près de dix mille métiers de soieries et de huit mille métiers de rubans et galons; la guerre et son cortège de misères, la détresse générale, le bouleversem*nt du marché des capitaux qui signalèrent les dernières années du XVIIe siècle, et non comme on l'a prétendu la révocation de l'Edit de Nantes, faillirent lui porter un coup fatal, en enlevant le travail aux deux tiers des artisans, puisqu'en 1701 il ne restait guère à Lyon que dix mille ouvriers tisseurs.

La manufacture fut durement éprouvée mais ne succomba point à cette chaude alaime. Les sacrifices des bourgeois et de tous les corps parvinrent à enrayer le mal et à sauver Lyon d'une catastrophe. La fabrique de soieries se releva peu à peu et se rétablit lentement mais sérieusem*nt : le nombre des métiers battant à Lyon s'accrut insensiblement pour atteindre de nouveau en 1784 au chiffre de 18.000.

Le XVIIIe siècle fut la grande époque de l'industrie lyonnaise qui « vivait, on l'a dit, de l'église et du trône », et dont les produits somptueux trouvaient un emploi dans les luxueux costumes de velours et de soie des habits et la profusion élégante et riche des ameublements.

M. Edouard Àynard, l'honorable député du Rhône, l'a écrit en termes excellents : « Au XVIIIe siècle, notre Fabrique est servie par des dessinateurs de génie et des ouvriers admirables ; les soieries de Lyon méritent une place à part dans l'art charmant de ce temps. Le dessinateur Philippe de la Salle donne à ses conceptions décoratives une originalité toute particulière ; il n'accepte point servilement les règles du style délicat, mais un peu ténu et

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froid de l'époque de Louis XVI ; sa manière est ample et majestueuse, sa palette sait marier les tons riches et opposés ; il crée de véritables chefsd'oeuvre de l'étoffe décorée, exécutés par l'ouvrier avec une perfection inouïe. A ce moment, le produit lyonnais ne peut être confondu avec aucun autre et domine tout. »

Lampas broché en un seul chemin

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

On peut voir au Musée des tissus, réuni par la Chambre de commerce de Lyon et si précieux pour l'étude historique de la soierie, ces compositions gracieuses, d'un goût raffiné, d'une science très sûre, sorties du crayon des dessinateurs de fabrique, artistes de talent,parfois de génie, qui sont arrivés au plus haut degré de l'art décoratif et qui ne croyaient pas s'abaisser en servant l'industrie ; c'est là que les dessinateurs viennent aujourd'hui encore apprendre la perfection du style, la correction du dessin et s'inspirer des oeuvres des maîtres pour faire ces créations qui prolongent et perpétuent la gloire de la Fabrique lyonnaise.

Celle-ci avait atteint à son apogée et sa réputation défiait les rivalités, mais une catastrophe et une transformation se préparaient.

Sur la fin du règne de Louis XVI qui, pourtant, avait anobli Philippe de la Salle, de nouveaux goûts s'introduisaient dans la mode: le satin, le velours disparaissaient du costume pour faire place au drap chez les hommes, aux étoffes légères chez les femmes et le nombre des métiers diminua notablement. La Révolution vint doublement précipiter la ruine de la Fabrique : le nouveau régime, régime d'égalité, triomphe du tiers-état, n'avait que faire des produits d'une industrie qui avait vécu de l'église et du trône. Le temps des étoffes somptueuses est fini, la Fabrique se voit condamnée. Lyon, d'ailleurs, est officiellement décrété de mort et sur lui pèse la dévastation. Mais, la tourmente passée, Lyon se relève de ses ruines, et la Fabrique, renaissant avec lui, cherche à s'accomoder à la situation nouvelle ; la richesse a disparu du costume ; elle disparait de l'ameublement : il faut maintenant faire beaucoup et bon marché, et c'est à quoi s'ingénient les fabricants, tout en regrettant la perte des antiques habitudes. Ils y réussissent pleinement et, après bien des tâtonnements, des efforts, la grande industrie lyonnaise retrouve sa prospérité. Elle apprend à tirer parti du coton, à utiliser la bourre de soie. L'habileté, la science de ses teinturiers, de ses imprimeurs, de ses apprêteurs, en même temps que le perfectionnement de son outillage, lui apportent de nouveaux procédés et innovent des créations qui donnent naissance à des industries aujourd'hui florissantes, comme celle des étoffes soie et coton teintes en pièce à l'aide des réactifs et des mordants ; la chimie devient pour la Fabrique un adjuvant précieux.

Deux de ces perfectionnements méritent une mention toute particulière : l'utilisation des bourres et le teint en pièce.

Les bourres de soie proviennent soit des déchets à la filature, au moulinage et au tissage, soit des cocons doubles, des cocons en mauvais état ou percés et des cocons de vers sauvages. Suivant la façon dont elles sont traitées, elles produisent les fils de « schappe », rouis, macérés, désagrégés au moyen de la fermentation, et les fils de « fantaisie », décreusés et cuits. On l'a dit avec raison, la filature de la schappe et de la fantaisie a été une heureuse fortune pour la Fabrique, qui lui doit une ressource considérable.

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Le teint en pièce, qui a donné naissance à une industrie importante, quoique vieille de quelques années seulement, a complété l'oeuvre de démocratisation de l'étoffe de soie. Voici comment le définit et en apprécie l'importance un des hommes qui connaissent le mieux le passé et le

présent de la Fabrique, M. Natalis Rondot : « Le tissu fabriqué avec des fils écrus (soies, fils de schappe, coton) est teint après le tissage. On est arrivé à atteindre, avec les étoffes de ce type, toutes avec mélange de

Lampas liseré et broché en un seul chemin COLCHIQUES D'AUTOMNE

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coton, les dernières limites du bon marché ; on les a revêtues en même temps de dessins élégants et d'un frais coloris. Elles ont le bénéfice des dernières inventions de la mode. Une teinture savante, le dessin, l'impression et les apprêts ont permis d'obtenir à peu de frais les apparences si recherchées de la nouveauté et jusque du luxe. Il y a de ces étoffes qui sont fort séduisantes... Cette création est d'hier : elle a fait naître à Lyon un mouvement d'affaires de plus de 50 millions. » Le travail émigré à la campagne; les régions voisines de Lyon se couvrent d'usines, où les fabricants trouvent une main-d'oeuvre plus économique.

Et ainsi la fabrique lyonnaise, en sachant se tenir au niveau des grands progrès industriels et scientifiques, parvient à lutter contre la concurrence étrangère, qui, d'année en année, gagne en importance et alimente davantage la consommation, mais ne vaut que par le sans-gène avec lequel elle s'approprie les procédés, quand elle ne se borne pas simplement à copier les tissus de Lyon.

On l'a bien vu à l'Exposition de Chicago, où la lutte était ouverte entre tous les pays producteurs de soieries.

Les fabriques allemandes de Crefeld et d'Elberfeld y ont présenté des velours et des peluches très ordinaires comme qualité ; les fabriques américaines, notamment celle de Paterson, qui s'arroge le surnom de « Lyons of America », des unis que leur bon marché recommandait seul à l'attention ; la Russie, des façonnés dans lesquels l'imitation des tissus lyonnais était incontestable, ce qui n'a pas lieu d'étonner, cette nation ayant fait venir de Lyon d'habiles ouvriers, etc.

La supériorité de la fabrique lyonnaise a éclaté une fois de plus à Chicago, comme elle s'est manifestée en toutes occasions ; on a pu y faire aussi une autre constatation d'un intérêt non moindre : c'est que chacune des nations ou des villes exposantes possède une spécialité où parfois elle parvient à égaler la fabrication de Lyon ; Zurich a les étoffes légères ; Crefeld, les velours; Paterson, les unis et les rubans; Côme, le satin et la faille; l'Angleterre, les peluches et les crêpes; Vienne (Autriche), les armures; Moscou, les étoffes d'or et d'argent et les velours, etc., tandis que Lyon seul offre l'innombrable ensemble des produits de la soie.

Ce serait une erreur, cependant, de voir dans ces succès une raison pour la Fabrique de s'endormir sur ses lauriers ; Lyon est toujours supérieur, même dans les unis, mais ses concurrents font des progrès et gagnent du terrain; les fabricants américains disposent d'un outillage perfectionné et de capitaux considérables; d'autres pays améliorent leur fabrication; les uns ont pris à Lyon ses velours tout soie au fer; d'autres ses tissus teints en pièces ou ses imprimés. Fort heureusem*nt, la fabrique lyonnaise ne reste pas inactive et ne s'en remet qu'à ses efforts incessants, à ses études

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attentives, du soin de soutenir sa longue réputation et son renom glorieux. Le prestigieux succès qu'elle a remporté à Chicago, elle le doit surtout, il faut bien le dire, à ses tissus de haute nouveauté et à ses grands façonnés, qui ne réclament pas seulement l'habileté et la science

techniques, mais demandent encore le goût et le sentiment artistiques, résultat des vieilles traditions et du travail accumulé des générations.

Sur ce terrain, nos plus acharnés concurrents, nos ennemis même, ont reconnu la supériorité lyonnaise ; l'honneur en revient aux dessinateurs de

Damas liseré, broché et lamé argent

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fabrique, qui ont gardé le secret des compositions gracieuses et savent créer des dispositions où le goût du jour n'exclut jamais l'élégance et la pureté du style et qui connaissent l'art de faire un choix harmonieux des couleurs. Il revient aussi aux ouvriers tisseurs, à ces bons vieux « canuts », dont la race va se perdant et dont on a souvent dépeint la physionomie narquoise, et pourtant empreinte de bonhomie, à laquelle ce particulier parler traînant, l'accent « canezard », donnait un caractère si personnel. Penchés sur leur métier, les canuts amoureusem*nt tissent ; ils ont connu bien des misères; ils ont vu les étoffes de fabrication courante émigrer à la campagne et se voient partir peu à peu ; mais quand le travail marche, ils retrouvent, avec leur joie, leurs chansons de jadis, et l'on entend, parmi le battement régulier des métiers, qui du haut en bas anime les immenses et hautes bâtisses, des voix heureuses et placides qui répètent des refrains lyonnais, sur toute cette colline de la Croix-Rousse où se tissent ces étoffes royales, gloire de Lyon et gloire aussi de la France.

Le grand poète Roumanille — un jour que, dans sa ferveur de félibre, il voulait reculer les bornes du domaine d'influence provençale — a qualifié avec grâce Lyon de « porte d'or et de soie du Midi ». Cette expression qui, sous la plume du charmant conteur, n'était qu'une image, pourrait être en partie reprise aujourd'hui et appropriée à la situation présente : Lyon est bien la « porte d'or et de soie » de l'Exposition.

La Soierie est placée, en effet, à l'entrée du palais principal, la Coupole, dont, en quelque sorte, elle est le salon d'honneur : c'est sur le seuil de la Soierie que l'on reçoit les visiteurs de distinction et les personnages officiels : Lyon y est chez lui.

L'installation est sobre; elle est élégante et riche, néanmoins; trois salons en enfilade offrent à la vue des vitrines hautes profondes et claires, établies sur un modèle unique, de lignes un peu sévères, sans ornementation recherchée; quelques dorures tranchent sur la tonalité sombre des bois ; quelques motifs décoratifs rompent la monotonie voulue de la forme. On dirait de l'exposition immense d'une puissante et seule maison.

Un esprit de sage égalité a présidé à cette organisation. Le premier salon et le troisième sont compris d'après le système ancien, celui que les Parisiens ont vu appliqué en 1889 : chaque exposant occupe, dans les vitrines, une surface plus ou moins étendue, qu'il a été laissé libre d'employer à sa guise; mais les vitrines étant identiques et, sauf la place nécessaire aux dégagements, se faisant suite, il ne peut attendre le succès que de son propre mérite et ne doit prétendre qu'à briller de sa seule valeur; nul n'a la possibilité d'écraser le voisin par la richesse de son installation, le luxe coûteux des accessoires ou quoi que ce soit de purement extérieur. C'est une lutte courtoise et loyale, à armes égales, à découvert et sans feinte ; un facteur unique entre en ligne, le tissu, avec ses qualités de

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fabrication, de dessin et de couleur; point d'étalage qui accroche et retienne l'attention par un éclat emprunté.

Dans le salon du milieu, le Salon mosaïque, ce système égalitaire et

de bonne confraternité qui prohibe le succès de mauvais aloi et n'autorise que l'émulation est poussé plus loin encore et à ses extrêmes limites : là, chaque exposant n'a plus à sa disposition une surface qui lui soit personnelle; la prodigieuse variété de tissus que produit la fabrique

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Grand Damas broché CHRYSANTHÈMES sur fond noir

234 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

lyonnaise se trouve réunie. Dans un décor dont le fond est formé de bandes de peluches bleu clair tendues en hauteur et encadrant de larges panneaux, stores ou rideaux de lampas, de brocard, de velours de Gênes, et dont le plafond supporte des guirlandes de dentelles noires ou blanches, sont rangées, comme au hasard, les étoffes les plus diverses, mais, en réalité, présentées aux yeux avec un art savant; les peluches voisinent avec les damas, la matité des dentelles contraste avec le luisant des moires et des satins, le poult de soie fastueux côtoie l'humble mousseline, les velours tout soie font bon ménage avec le teint en pièce, les manteaux somptueux n'ont pas honte de fraterniser avec les voilettes timides, les impressions à bas prix s'étalent tout contre les robes de bal à la coûteuse splendeur, et le crêpe austère ne rougit pas de se marier à la gaze voluptueuse.

Les qualités de chacun s'effacent pour se fondre dans l'ensemble et concourir à une admirable synthèse de la fabrication lyonnaise, depuis les mousselines et les articles légers, à quelques centimes le mètre, jusqu'aux magiques étoffes, qu'en des temps plus classiques on eût dit « tissées par les doigts des fées » et qui valent presque leur pesant d'or.

Les couleurs vives, les tons crus sont mêlés aux nuances ténues, délicates, fuyantes quasi; les compositions nettement accusées, marquées d'un relief hardi, d'un contour ferme, un peintre dirait : modelées en pleine pâte, sont groupées avec les dessins frais et riants, aux traits insaisissables, d'une gracilité séduisante, qui ont quelque chose de féminin et d'indécis ; pourtant, du contraste ne naît pas de heurt, et l'on admire vraiment l'art de l'étalagiste, M. Monge, qui a su combiner des effets d'une si merveilleuse harmonie.

Tamisée par un vaste vélum, à larges rayures blanches et jaunes, enguirlandées et bordées de feuillage, la lumière tombe douce et pâle et se joue avec le chatoiement des moires froufroutants et des velours moelleux.

Assis sur les sofas dressés au centre des salons, les hommes goûtent cette exquisité d'art et préfèrent la jouissance de l'ensemble ; mais les femmes, le front collé aux vitrines, impatientes de ne pouvoir s'approcher davantage de ces tissus tentateurs, admirent et s'extasient et, dans le tout, cherchent à dégager le détail.

M. Piotet, président, et M. Bachelard, secrétaire du comité organisateur de l'Exposition des Soieries,méritent d'être justement félicités pour le succès absolu auquel ont abouti leurs efforts, leur compétence et leur dévouement.

Dans une exposition aussi parfaitement belle, d'un art si continu, que citer ? et peut-on même songer à se prononcer. « Devine, si tu peux », s'écrierait le poète; il n'ajouterait plus " et choisis si tu l'oses ». Nous nous bornerons donc à quelques indications et notations générales. Nous ne pouvons songer à énumérer les unis, dont la variété est

LES SOIERIES ET DENTELLES

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incommensurable et s'augmente incessamment par de nouvelles créations; taffetas, faille, poult de soie, peau de soie, duvet de cygne, moire, royale, ■popeline, sicilienne, gros grains, foulard, sergé, surah, écossais, bengaline, cristalline etc., en noir ou en couleur, abondent.

Damas liseré broché GUIRLANDE DE ROSES entre montants de bouvardias crème

Les magnifiques satins duch*esse, pure soie, sont fort admirés pour leur régularité et leur luisant superbe et somptueux. Les satins teints en pièce, sans pouvoir cependant entrer en comparaison, ont un brillant aspect.

Les pékins, disposition à bandes longitudinales, satin et moire occupent une place notable et sont d'un charmant effet.

236 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

La moire antique, un moment détrônée par la moire française à la mode l'an dernier et n'a pas sa distinction, semble avoir repris so mais elle trouve une concurrente dans la moire miroir, d'invention r et qui diffère des autres en ce que le trait du moirage, très net e franc dans l'antique et la française, est supprimé ; on obtient ains moire changeante qui joue assez bien à la peluche.

Dans la série des velours, l'Exposition contient des articles fort in sants,d'abord le grand velours classique,puis le velours miroir notamm velours perlé au métier, le velours chiné, le velours épinglé, un v dentelle imitant la guipure. Les velours tout soie restent naturellement richesse incomparable ; le velours mécanique bon marché est en pro ce dernier article que la fabrique lyonnaise avait dû abandonner, fa pouvoir lutter contre sa concurrente Crefeld qui avait à sa dispositi outillage et une main-d'oeuvre plus économiques, est activement re poussé à Lyon, grâce à l'emploi d'un nouveau métier.

Les armures simples ou à dispositions, d'une bonne vente, se r mandent toujours par leur solidité et la variété dont elles sont suscept

Les trois salons sont très fournis en dentelles : dentelles de dentelles françaises, dentelles d'Irlande, blondes, malines, cha dentelles soutachées, dentelles façonnées, d'une élégance et d'une délica indicibles.

En tulles unis, voici le tulle chenillé, le tulle perlé, le tulle moi variétés infinies pour voilettes, etc.

Un puriste serait en droit de dire que ce nom de dentelles pas exact ; la dentelle, que Mürger appelait avec quelque prétention « d'oeuvre arachnéen d'un âge séculaire », est un travail de patience ex à la main, d'après des procédés simples et avec un matériel peu cou En réalité, Lyon l'ait des tulles et des guipures de soie, de schappe fantaisie, au moyen de mécaniques diverses qui diffèrent sensible des métiers à étoffes.

Le travail du tulle et de la dentelle est d'introduction relative récente à Lyon. C'est encore à M. Katalis Rondot que nous en empru un court mais complet historique : « La création du tulle de so imitation de la blonde remonte à 1791, et bientôt après un Lyonna nom de Bonnard fabriquait un tulle à doubles noeuds et à mailles fix tulle dit « de Lyon ». On faisait usage de métiers à chaîne et à pre simple, et de métiers « à cueillir », qui avaient reçu de faibles perfe nements. C'est en 1825 que l'industrie prit son essor. Jean-Claude Do formé par Bonnard, avait apporté de Calais à Lyon le métier « bobin ainsi nommé parce que le tulle était tissé au moyen de bobines chariots, au lieu de l'être avec des aiguilles et des platines. Il ent d'y tisser le tulle de soie et fit usage pour cela de soie grenadine.

LES SOIERIES ET DENTELLES 237

le tulle « bobin grenadine », Dognin créa le type « illusion », et son fils Camille Dognin inventa en 1838 le tulle « Bruxelles ». Le tulle façonné ou dentelle à la mécanique a une histoire plus courte, On a appliqué la

mécanique au métier Mechlin à Lyon, en 1824, et les perfectionnements se sont succédé pendant une vingtaine d'années. On retrouve, en 1842, le nom de Dognin dans cette fabrication. La maison Dognin avait appliqué au métier à tullle un brodeur inventé par Augustin Isaac, de Calais. »

PENSÉES VELOURS CISELÉ sur fond satin

238 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

L'industrie du tulle est devenue une industrie des plus complexes; c'est ainsi que l'on peut mentionner le tulle jacquardé où le dessin formé par le métier est ensuite complété par une broderie à la main ou encore au moyen de petites machines spéciales; les tulles unis de toute finesse, obtenus avec les fils les plus divers, grèges, organsins, cordonnets, schappes, fils de poil de chèvre, etc.

Tous ces fils, pour la consommation, ou restent absolument unis, ou sont agrémentés de perles, de chenilles, de broderies au crochet, etc.; la nomenclature de ces ornementations serait interminable, sans parler des articles si variés dont quelques-uns imitent à s'y méprendre les plus délicates comme les plus lourdes dentelles, articles produits par de nouveaux métiers à broder.

En gazes on rencontre une nouveauté intéressante, la gaze imprimée ; sans avoir de prétention au grand art, elle est d'un effet charmant, soit pour transparents de robes, soit pour éventails; sa légèreté, sa grâce la recommandent pour ce dernier usage ; la gaze façonnée tend à se répandre ; la gaze lamée et pailletée est représentée par quelques spécimens.

Le crêpe donne lieu à des dispositions multipliées à l'infini ; le crêpe français, le crêpe anglais, types classiques, puis les plissés, gaufrés, bouillonnés, etc.

L'Exposition contient des tissus teints en pièces qui témoignent de la prodigieuse science chimique des teinturiers et montrent quel secours précieux la Fabrique peut aujourd'hui attendre de ces auxiliaires indispensables, dont les créations lui permettent de résister à la concurrence grandissante de l'étranger.

Le principe sur lequel repose la teinture en pièces qui, pour les étoffes courantes et à bas prix, pour les tissus mélangés, est infiniment plus avantageuse que la teinture en flottes, est mis en application sous les yeux des visiteurs dans la Monographie de la Soie.

A côté de cette catégorie, nous placerons les procédés de gaufrage et d'impression sur uni au moyen desquels on obtient des tissus qui peuvent faire illusion à l'oeil et qui arrivent à avoir l'aspect et comme « le mirage de la soie » suivant un mot heureux.

La Monographie dont nous avons écrit le nom, constitue une excellente leçon de choses : toute l'industrie de la soie, depuis l'élèvage des vers jusqu'au tissage, à la teinture et à l'apprêtage des plus riches étoffes, y est contenue; indépendamment des métiers déjà indiqués, on peut voir fonctionner le métier à velours de Gênes pour ameublement, le métier à velours Grégoire, etc.

Le velours de Gênes, ce velours ciselé d'une finesse et d'une élégance incomparables, reste un des plus gros triomphes de Lyon; la concurrence n'a pas encore osé s'attaquer à lui; les panneaux pour meubles et les

LES SOIERIES ET DENTELLES 239

rideaux de velours de Gênes qui s'allongent en tentures au fond des vitrines, prouvent péremptoirement que les dessinateurs de fabrique et les tisseurs ont conservé intactes les traditions d'art et de goût.

Sous le premier Empire, on fabriquait à Lyon une étoffe dite velours Grégoire, obtenue par impression sur chaîne; c'était un tissu original et d'un art délicat, dont la caractéristique était une variété de couleurs qui le faisait ressembler à un velours peint; sa fabrication avait été bientôt abandonnée et le procédé en avait même été perdu. En ces dernières années, l'impression sur chaîne ayant été reprise par la fabrique lyonnaise, le secret longtemps cherché du velours Grégoire a pu être retrouvé et l'on tisse à l'Exposition une Diane chasseresse qui peut avantageusem*nt être utilisée en panneau, tant d'elle se dégage une impression d'art.

Dans les vitrines, les tissus imprimés sur chaîne, les velours, les damas, les gazes, sont très nombreux; ils sont très admirés pour leur tonalité pâle, les contours fuyants de leur dessin, leur légèreté, leur flou, et ce qu'ils ont de nuageux; ce sont, semblerait-il, des étoffes de rêve.

Les grands façonnés pour ameublement, les brocards, les brocatelles, les gros de Tours, les lampas, les velours ciselés sont étalés à profusion; ils sont tous d'une perfection absolue et digne de la réputation des fabricants lyonnais, ces " soyeux », véritable aristocratie commerciale, dont le nom est célèbre en Amérique autant qu'en France.

La rubannerie, quoique peu pratiquée à Lyon, occupe un très bon rang à l'Exposition; l'emploi des écharpes, des larges noeuds de moire à l'Alsacienne lui a valu un renouveau de faveur.

On note une série considérable de velours façonnés,noirs ou de couleurs, principalement de velours au sabre.

Les étoffes Loïe-Fuller, à la mode il y a deux ans, sont très rares ; d'ailleurs, sauf dans les foulards et les damas d'exportation, les couleurs violentes et heurtées, qui jurent avec le goût français, sont l'exception ; les lamés or et argent sont également un article peu offert, si ce n'est, bien entendu, dans les étoffes riches pour ornements d'église, chasubles, étoles, dalmatiques, bannières. Cette dernière industrie n'est représentée que par un petit nombre de pièces, les fabricants qui en ont la spécialité et qui à Lyon comptent parmi les plus importants ayant préféré exposer dans le palais des Arts religieux.

Saluons au passage un large et riche drapeau aux armes impériales de Russie, précieux hommage offert à S. M. l'Empereur Alexandre III, par la presse de Lyon et de la région lyonnaise en souvenir des inoubliables fêtes franco-russes d'octobre dernier.

Nous aurons terminé quand nous aurons signalé des portraits tirés sur soie, des broderies mécaniques, surtout des broderies à la main, délicieuses et de l'art le plus pur, chefs-d'oeuvre de patience, d'habileté, de délicatesse et de goût.

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

L'Ecole municipale de tissage de Lyon a envoyé des cours de théorie où l'on peut étudier les phases de la création des tissus et les diverses opérations du remettage et de la fabrication.

Sous la Coupole, autour des salons des soieries, des métiers mènent leur bruit régulier, et assourdissent les visiteurs de leur battement sans arrêt. Quand à vos oreilles arrivera ce rythme régulier et sec, dites-vous que c'est le coeur de Lyon qui bat depuis des siècles et que de ce tapage qui vous poursuit de sa lancinante monotonie est née la gloire de Lyon. Et songez à ces bons vieux canuts, soldats d'une lutte pacifique qui nous a donné sur tous les marchés commerciaux du monde une victoire éclatante, artistes dans l'âme, épris de leur métier, modestes ouvriers d'une oeuvre admirable, grâce à qui se justifient le cri de guerre et la devise : « Avant ! Avant! Lyon le melhor ».

ETIENNE CHARLES

Satin broché Louis XVI sur fond Gros de Tour Fauteuil de la Maison FLACHAT, COCHET ET Cie

LE SALON PARISIEN

Une des plus grandes attractions du World's fair de Lyon est le Salon Parisien, situé non loin de l'Exposition des soieries.

Voici comment il fut constitue : le conseil supérieur de l'Exposition, composé des notabilités de la ville de

Lyon, voulant obtenir le concours de l'industrie parisienne, fit, il y a

quelques mois, auprès de M. Georges Berger, dont le nom brilla d'un si vif

éclat lors de notre dernière Exposition universelle, une démarche pour

solliciter son appui.

M. Georges Berger voulut bien accepter la présidence d'honneur du Comité qu'il organisa avec la collaboration effective de M. Henri Lemoine, membre de la Chambre de commerce de Paris, comme président.

Le Comité a pensé avec justesse que les industries privées, représentées actuellement dans la seconde ville de France, gagneraient à être réunies, a former un ensemble harmonieux et artistique, digne de procurer au visiteur une idée de ce qu'ont réalisé, en ces dernières années, les maisons de Paris consacrées aux arts décoratifs.

De là le Salon Parisien, c'est-à-dire le salon où figurent les différentes branches de l'industrie parisienne, réalisées partiellement par l'effort de chaque Maison, mais réunies en un ensemble qui puisse agréablement solliciter le regard et lui procurer la vision exacte de la production artistique de Paris.

Il fallait pour mener à bonne fin une semblable entreprise, non pas seulement la bonne volonté et,l'application, mais encore la sûrete

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

de goût nécessaire pour combiner le détail, pour fixer la mise en scène,pour donner à chaque objet sa valeur propre — tout en le faisant concourir, cet objet, à l'harmonie et à la beauté de l'ensemble. Et bien que l'industriel parisien soit réputé dans l'univers entier pour la belle science avec laquelle il sait présenter l'objet sorti de ses mains, encore fallait-il choisir la personne

personne les suffrages, la personne capable d'en présenter l'ensemble. Ce choix s'est arrêté sur M. Schmit. C'est à lui qu'a incombé le soin d'aménager le Salon Parisien — de lui imprimer son cachet d'élégance et de parisianisme. Il ne nous appartient pas de vérifier le choix : les visiteurs de l'exposition l'ont déjà ratifié.

M. Schmit est le propriétaire de l'ancienne et réputée maison d'ameublement de la rue de Charonne. Fondée en 1820, par le grand-père du directeur actuel, cette maison, dont les débuts furent modestes et les efforts patients, compte aujourd'hui parmi les plus florissantes.

En ces dernières années, avec la collaboration de M. Henri Fourdinois, dont la modestie égale le talent,

la Maison Schmit s'est particulièrement intéressée au meuble d'art. On peut voir, au Salon parisien, le résultat qu'elle a su atteindre. Des récompenses antérieures (médailles d'or aux Expositions universelles de 1878 et de 1889) avaient déjà apporté à M. Schmit la sanction officielle de son artistique labeur. Dernièrement encore,

en cette tragique journée de l'assassinat de M. Carnot, et quelques heures avant qu'il ne tombât sous le poignard du meurtrier, le président s'était arrêté au Salon parisien, et serrant la main de M. Schmit, le félicitait hautement de ses succès.

Le Salon Parisien comprend des expositions de meubles, de tapisserie, d'orfèvrerie, de broderie, de porcelaine, de joaillerie, d'éventails, etc.

Sur les étagères aux proportions élégantes, aux dessins ingénieux, reposent les dernières créations de l'orfèvre et du céramiste. Sur les tables, dans les vitrines étincellent les bijoux, les bibelots rares. Sur les murs des tapisseries aux couleurs éclatantes et douces, oeuvres de la célèbre maison Braquenié, donnent au salon une allure de luxe et d'intimité.

Voici un grand buffet Louis XIV, d'allures imposantes. Avec les magnifiques pièces d'orfèvrerie de Boin-Taburet, qui en complètent l'effet décoratif, il est digne de figurer dans quelque vaste pièce de château ou de palais princier. En noyer poli, le bas à portes pleines, le corps du haut à fond de glaces avec quatre cariatides supportant la corniche.

Ecran Louis XVI

en bois sculpté blanc

et or

LE SALON PARISIEN

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Un autre buffet, où la maison Marret frères expose ses oeuvres : il est de style Louis XV, gracieux, léger, avec le haut formant vitrine, supportée par des dauphins. Plus loin, une grande vitrine à trois corps en bois de violette, avec des panneaux en marqueterie; une bibliothèque en acajou verni, avec des appliques en bronze ciselé, et à trois portes; un écran Louis XVI, en bois sculpté blanc et or; un fauteuil Louis XVI (transition) en bois doré, recouvert de tapisseries d'Aubusson; un bureau de citronnier;

une table renaissance en bois noir sculpté; des vitrines de tous les styles et de tous les genres. En un mot, les dernières créations du goût et de l'art de l'ameublement ; une petite commode Louis XV, avec panneaux en vernis Martin, et bronzes ciselés et dorés ; une vitrine Louis XV en noyer sculpté ;

Un grand buffet à deux corps, genre anglais, en noyer, acajou et citronnier, dont les panneaux du corps du bas symbolisent le blé, la vigne, les fruits et les légumes, en noyer sculpté en relief, se détachant sur un fond de citronnier marqueté.

Le Salon Parisien, dont l'entrée est à gauche de la porte principale du dôme, occupe un des plus beaux emplacements de l'Exposition. Il a quinze

Console Louis XVI en bois sculpté et doré

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

mètres de large sur vingt et un de long. Sa façade est entièrement vitrée et donne sur le grand parc. Au milieu, une porte de quatre mètres, surmontée par les armes de la ville de Paris et encadrée de pilatres cannelés donne accès dans la salle. Une estrade de deux mètres de profondeur destinée à supporter les meubles, les vitrines, les tables, règne en pourtour. Contrairement à ce qui se passe dans les expositions de joaillerie, bijouterie, où les vitrines, de modèle uniforme, ne valent que par les objets qu'elles contiennent, ici, les vitrines, les buffets, les crédences, dont nous venons de donner une énumération sommaire ont une valeur artistique propre.

Commode Louis XVIen marquitine avec panneau en vernis Martin, bronzes ciselés et dorés

Voici les noms des exposants du Salon Parisien :

AMSON, Maroquinerie.— BOIN-TABURET, Orfèvrerie. — BRAQUENIÉ et CIE, Tapisseries. — BUISSOT, Eventails. — CHARLIER et GUÉNOT, Coffresforts. — CANAUX : Orfèvrerie. — DENIERE : Bronzes. — DURAND-LERICHE : Bijouterie-joaillerie. — FAURÉ-LEPAGE : Armes. — GASTINNE-RENETTE : Armes.

— ALFRED HACHE ET Cie : Porcelaines. —E. HENRY : A la Pensée : Broderies.

— LACOMBE : Lorgnettes. — LEMARIEY : Eventails. — MARRET frères : Joaillerieorfèvrerie. — GUSTAVE SANDOZ : Joaillerie. — SCHMIT (Ancienne maison SCHMIT et PIOLLET : Ameublement. — RISCHTAEDT : Joaillerie. — J. VIDIE et fils : Cristallerie.

Nous allons passer successivement en revue les oeuvres qui offrent un intérêt d'art ou qui méritent à un point de vue quelconque d'être signalées.

LE SALON PARISIEN

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Il serait difficile d'établir un historique de la fabrication du bronze d'art pendant ce siècle et durant les dernières années du siècle précédent, sans recourir à la documentation si précise et si complète qu'offrent les modèles de la maison Denière. La galerie, et l'on pourrait dire le musée de cette maison, marque non seulement un séculaire effort, une activité incessante dirigée toujours vers des préoccupations d'art, mais encore la progressive succession des styles et des époques depuis le Louis XIV jusqu'aux plus récentes tentatives.

Meuble d'appui Louis XVI, bronzes ciselés et dorés, panneau vernis Martin

Fondée en 1795 par Guillaume Denière, réunie aux deux célèbres maisons Thomire et Ravrio dès les commencements du premier Empire, la maison Denière compte aujourd'hui cent années d'existence. L'honneur lui revient d'avoir gardé comme un patrimoine la tradition des fondateurs, et d'avoir aidé à la restauration intelligente du passé par des oeuvres destinées à figurer la maîtrise et l'élégance du goût national. L'histoire a déjà retenu les noms de Thomire, de Ravrio, de Guillaume Denière : les pièces qu'ils ont si artistement produites sont aujourd'hui à Versailles, à Trianon, à Fontainebleau, dans les grandes collections

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

particulières. M. Denière fils, le propriétaire actuel de la maison, a recueilli l'héritage paternel et clignement suivi l'exemple traditionnel. De grands travaux de décoration moderne ont été accomplis sous sa

direction : l'Apollon en

bronze de l'Opéra et les grandes figures qui entourent le monument; la colonne de la Bastille, surmontée de cette figure si hardie du Génie ailé, et tant d'autres oeuvres qui lui valurent les hautes récompenses de l'Etat.

Il faut connaître cette galerie de la rue Vivienne, où ont été réunis les modèles de la maison Denière, pour se rendre compte de cet effort séculaire dont nous parlions et de la parfaite signification artistique de cet effort. Voici d'abord l'époque de Louis XIV, avec sa pompe, sa majesté de lignes et de décoration, depuis les grandes cheminées de Versailles, reproduites dans leur détail le moindre, jusqu'aux torchères et aux pendules énormes, avec leur figuration allégorique et leur massive mythologie. Voici le Louis XV et le Louis XVI : le style

plus raffiné, la ligne plus élégante, les bronzes, les statues, les cartels, les vases, avec leurs entrelacs gracieux, la mièvrerie des attitudes, la joliesse des pastorales. Et puis l'Empire, la Restauration, les quelques rares types de cette brève tentative de style qui eut lieu sous Louis-Philippe. Mais ce qui lait le prix et le charme de cette galerie, ce ne sont pas tant les

Pendule Louis XIV

LE SALON PARISIEN

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modèles officiels des différents styles exposés là, que les modèles créés par la maison Denière elle-même — modèles dont elle a, depuis des années, l'absolue propriété — ou les pièces crue des artistes célèbres ont

signées et fabriquées pour la maison. Il faudrait un catalogue pour citer les Clodion, les Pigalle, les Marie, les Lebroc, les Carrier, les Ducro de ce musée. La liste tous les jours s'augmente. D'ailleurs les gravures qui accompagnent cet article ne disent-elles pas l'élégance et la richesse du goût ?

Un meuble pour appui du style Louis XVI le plus pur, à panneau en vernis Martin avec appliques en bronze délicatement ouvré et doré par les anciens procédés.

|Un lustre en bronze doré et cristal de roche taillé, reproduit de l'époque de la Régence.

Et une pendule Louis XIV d'un style très pur, surmontée

surmontée allégorie du Temps, d'un ensemble absolument particulier.

La maison Denière, avec de pareils titres, peut, revendiquer légitimement une large part dans les manifestations de l'art décoratif. Ses tentatives originales, comme sa

fidélité aux styles nationaux

lui assurent la première place parmi les maisons qui ont contribué

le plus puissamment au maintien et au développement de la tradition.

Sa caractéristique s'affirme par une exécution comparable à celles des Gouthière, des Thomire; les amateurs des oeuvres de cette époque sont certains de trouver dans cette galerie les modèles les plus purs des XVIIe et XVIIIe siècles.

Lustre bronze doré et cristal de roche

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Une impression d'art et de grand art, égale à celle qui se dégage des chefsd'oeuvre d'argenterie de nos plus belles époques, c'est aussi la caractéristique de l'exposition de M. Boin-Taburet, considérable par le nombre et le mérite

des pièces.

Admirable entre toutes, capital et vraiment de premier ordre est le surtout de style régence, dont nous donnons une reproduction : un large plateau de glace, dont le cadre est formé par une moulure ornée de balustres; les angles sont occupés par quatre bassins, dans lesquels, parmi les herbes et les joncs, se jouent des enfants, groupes charmants d'un dessin élégant et ferme, excellente composition de M. Steiner, le sculpteur bien connu.

Au milieu du surtout, et formant motif principal, se dresse une double vasque constituée par deux grandes coquilles que soutiennent une naïade et un triton, traités avec une sûreté de main, une délicatesse et une science du modelé qui sont d'un maître.

De merveilleux candélabres à

9 branches, avec sujets faunes et faunesses, accompagnent ce surtout, d'une richesse, d'une harmonie de lignes, d'une pureté de style qui en font une pièce d'orfèvrerie d'argent qu'envieraient les plus fameux argentiers du XVIIIe siècle.

Enfin, des compotiers, des dessous d'assiette, des seaux à glacer, dans le même style, le complètent.

Pas plus que les autres industriels du Salon parisien. M. BoinTaburet n'est venu à l'Exposition de

Lyon pour briguer des récompenses ; les récompenses, il les a toutes obtenues et l'Exposition de 1889 lui a valu la croix de la Légion d'honneur.

Candélabre Régence

Seau à glacer

LE SALON PARISIEN

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Lorgnette Marguerites

La maison Lacombe qui a exposé un nombre considérable de jumelles : marines, de théâtre, de campagne, de courses, longue-vue, etc, possède un renom que justifie pleinement son exposition dans le Salon parisien.

Elle fabrique elle-même tous ses modèles et peut ainsi apporter à leur exécution un soin minutieux dont une optique excellente et supérieure est le résultat.

Aussi la qualité, dans les articles qui sortent de ses ateliers, est-elle toujours égale; si la monture des modèles ordinaires est plus simple, moins luxueuse que celle des modèles de prix, du moins la valeur optique des différents types de jumelles est absolument identique.

Son exposition contient la plus complète variété de modèles, depuis la modeste jumelle de théâtre à bon marché, jusqu'à la jumelle riche, où la nacre, l'argent et l'or, travaillés avec un art délicat, s'associent pour faire de la monture un objet somptueux, et où l'émail et la peinture trouvent un gracieux emploi.

Les jumelles Lacombe, de portée et de grandeur variables à l'infini, correspondent à tous les besoins du tourisme, du cyclisme, de la vie élégante et mondaine.

C'est elles que les bonnes maisons de détail de Paris et de la province tiennent à offrir à leur clientèle; et c'est elles aussi qui, exportées en quantité considérable, sont unaniment demandées chez tous les opticiens d'Europe et d'Amérique.

A Paris en 1878 et en 1889, à Philadelphie et à Chicago, ses produits ont été récompensés par des médailles importantes.

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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

De même que les précédentes, l'exposition d'orfèvrerie d'argent de M. P. Canaux est caractérisée par une profonde connaissance des traditions de l'industrie d'art française ; mais ses compositions, conçues dans tous les styles et toujours si légères et d'un dessin si élégant, n'en sont pas moins très personnelles et originales et ont ceci de particulier que, tout en restant fidèles à la tradition, elles sont inspirées par un modernisme intelligent et s'approprient merveilleusem*nt au raffinement de luxe et aux recherches de goût qui distinguent notre époque.

Les pièces dont nous donnons ici la reproduction, — un légumier Louis XIV avec couvercle repoussé, oreilles et écussons fondus et ciselés; un cartel Louis XV fondu et ciselé ; une aiguière Louis XV en cristal rose taillé, avec garniture entièrement fondue et ciselée, et enfin une buire Louis XVI à culot repoussé et repercé à jour, en cristal blanc taillé, pied, collet, anse et couvercle fondus et ciselés, — sont d'une étonnante ciselure, d'une finesse de dessin admirable et des plus rares.

Cartel Louis XV

LE SALON PARISIEN

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Ce sont véritablement de précieux modèles, des oeuvres d'artiste. Quand elle est poussée à un tel degré de perfection, l'industrie devient un grand art. Ces pièces suffiraient à classer M. Canaux comme un continuateur et un égal de ces anciens illustres orfèvres et dont les noms n'ont rien à redouter de la fuite des âges, car ils sont immortels et dont les collectionneurs se disputent à prix d'or les oeuvres.

Combien d'autres pièces de grande orfèvrerie non moins belles, non moins riches, il nous faudrait encore louer dans cette exposition de M. Canaux : corbeille d'argent Louis XIV de grand style, terrine à pâte en terre émaillée garnie d'argent, thé renaissance avec bouilloire, petit coffret à bijoux en bois des Iles avec appliques en argent délicatement fouillées, surtout, flambeaux, service de

toilette cristal et argent, etc.

Comme bijouterie artistique, M. Canaux a envoyé un très beau bracelet souple en or ciselé, des flacons, des glaces de poche, des drageoirs et des bonbonnières, des boîtes à poudre de riz, charmants objets, si superflus et pourtant si nécessaires en ces temps d'élégances, bijoux exquis qui nous ramènent aux belles époques où tout accessoire de toilette était un chefd'oeuvre d'art et de luxe, et surtout une magnifique coupe renaissance en argent ciselé et repoussé, d'une valeur de trois mille francs.

Cette coupe offre un délicieux modèle de l'art de l'orfèvrerie et suffirait à assurer le triomphe de la maison Canaux, dont une médaille d'argent (Paris, 1878) et deux médailles d'or (Paris, 1880 et 1887) ont récompensé le mérite et proclamé le succès qui éclate, une fois de plus, à l'Exposition de Lyon.

Aiguière Louis XV

Buire Louis XVI

252 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Héritier d'un nom justement estimé dans le haut commerce parisien, M. G.-Roger Sandoz supporte sans faiblir le poids d'une réputation jalousée et se montre le digne successeur de M. Gustave Sandoz, l'homme de talent et de goût, le pur artiste qui fonda la grande maison d'horlogerie et de bijouterie-joaillerie du Palais-Royal et sut, en quelques années, conquérir la première place et asseoir sur des bases solides une éclatante célébrité.

Collier en diamants

Homme d'action et remueur d'idées, intelligence supérieure, esprit d'élite, ouvert à toutes les manifestations de l'art, en même temps que merveilleusem*nt doué du sens commercial, M. Gustave Sandoz était un modeste horloger, lorsqu'en 1865 il vint s'établir au Palais-Royal; son industrie n'offrant pas à son activité un champ assez vaste, il lui adjoignit celles de la bijouterie et de la joaillerie, auxquelles de sérieuses études de dessin et d'esthétique l'avaient admirablement préparé.

LE SALON PARISIEN

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Le profond sentiment qu'il avait de l'art lui mérita bientôt une place à part ; encouragé par le succès et servi par de fortes qualités de persévérance et d'énergie, il sut se maintenir dans la voie du succès ; on le voit figurer dans la plupart des expositions françaises et étrangères, gravir rapidement l'échelle de toutes les récompenses et se faire, dans sa profession, une renommée qui alla toujours grandissant.

L'exposition de M. G. -Roger Sandoz occupe, au milieu du Salon parisien, une large vitrine où, sur les quatre faces, s'étalent des merveilles de bijouterie et de joaillerie, dont la vue a quelque chose de singulièrement

fascinant et tentateur.

Que de désirs éveille cet amoncellement, ce rayonnement de brillants,

brillants, jettent des feux au foyer desquels bien des jolis yeux, où brillent l'admiration et l'envie, viennent se réchauffer ! Comme devant ce ruissellement des pierres précieuses, cette magnificence des perles, cet éclat des ors, la petite main finement gantée de l'amie serre plus tendrement le bras de l'ami avec une pression nerveuse qui est presque une prière ! Et quelle attirance exercent cet incomparable collier formant diadème, d'une si riche originalité, et ces prestigieuses rivières et ces peignes montés en or, en brillants et en perles, et ces bagues, et ces bracelets, et ces broches, et ces flacons, et ces boucles de ceinture, et ces agraffes, et tous ces bijoux d'un dessin si pur !

M. G. -Roger Sandoz a voulu montrer que, sans égale dans la

bijouterie de luxe, sa maison l'est aussi dans la bijouterie courante et bon marché, et à côté de pièces royales il a placé, — le contraste est intéressant, — des bijoux, surtout des épingles et des bagues, que leur prix modeste met à la portée de tous, mais qui n'en sont ni moins élégants ni d'un goût moins délicat.

De ravissantes montres de voyage sont de même la preuve incontestable que chez lui l'horloger n'est pas inférieur au bijoutier ni au joaillier.

Fourche de cheveux en or ciselé

Flacon à odeurs

Cristal de Roche

et or ciselé

254

L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Les pièces de joaillerie et d'orfèvrerie de MM. Marret frères sont des merveilles de style et de goût. Ce sont, pour la plupart, des pièces de repoussé; les motifs, fleurs, moulures, oiseaux, sont martelés avec cette finesse, cette légèreté, qui donnent tant de prix aux oeuvres des maîtres de la Renaissance et les font rechercher par les passionnés d'art. Cette délicatesse n'exclut pas la fermeté du modelé ni la précision des contours.

La maison Marret a exposé notamment, pour ne citer qu'une très faible part de son envoi, un service à thé de style japonais en argent repoussé, d'une valeur artistique bien rare et d'une charmante originalité, un service en argent pointillé et repoussé, une carafe à vin Louis XV en cristal à

côtes creuses, avec anse, pied et bec en argent repoussé, et un objet de haut goût, d'une richesse incomparable, un grand pot à lait de forme carrée, à pans coupés, à ornements et à anse en argent repoussé et ciselé, type très heureux de style Louis XVI, dont une de nos reproductions traduit l'élégant dessin.

Notre autre reproduction fait ressortir l'élégante décoration d'une cafetière Louis XVI qui égale presque en mérite le pot à lait.

La maison Marret, dont l'existence remonte déjà à près d'un siècle, a vu le succès de ses efforts consacrés par une longue suite de hautes récompenses.

L'Exposition de Lyon lui fournit une nouvelle occasion d'affirmer sa supériorité.

Cafetière Louis XVI

Pot à lait Louis XVI

LE SALON PARISIEN

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Exposition de la Maison Henry

Le travail manuel est représenté par la maison Henry, A la Pensée, dont on a enregistré le grand succès aux Expositions de Paris et de Chicago.

Cette maison expose une housse de piano en damas crême orné d'une riche broderie en passem*nts, reconstitution d'un ancien travail Louis XIV qui trouve une heureuse application dans les grandes pièces de décoration.

A côté decette housse aux couleurs éclatantes, se trouve toute une série d'objets usuels, reconstitués dans le plus pur style du XVIIIe siècle, sachets, abat-jour, éventails, cadres, boîtes à épingles.

La maison Henry ne se borne pas à ressusciter les travaux des siècles écoulés ; elle a envoyé des pièces du plus pur modernisme, marquées au coin de l'élégance et du goût le plus affinés, toute la variété mignarde de ces petit* riens charmants, au milieu desquels vit et se meurt, en cette fin de siècle, la femme.

Cette exposition marque un éclatant début dans l'art traditionnel français, qui entend donner à chaque objet un caractère et une tenue artistiques, un goût original et un style propre. Pour arriver à ce résultat, la maison Henry s'est, attaché la collaboration d'éminents artistes ; leurs recherches et leurs efforts ont permis à la Pensée de conquérir de haute lutte la précieuse faveur du monde élégant.

256

L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON

Eventail dentelle

La maison E. Buissot, fondée en 1780, est l'une des plus anciennes de Paris et, durant ce long laps de temps, elle n'est jamais sortie de la famille.

Sa collection d'éventails anciens est peut-être unique; elle contient des pièces authentiques et d'une inestimable rareté et constitue un précieux ensemble des époques d'un art éminemment français; M. E. Buissot est, d'ailleurs, l'éditeur d'un ouvrage apprécié sur les éventails anciens.

Ses articles modernes montrent que comme éventailliste il est hors de pair; son éventail, léger, luxueux, qu'il soit en plumes, en dentelles ou à peintures, est invariablement un véritable objet d'art.

TH. VARIGNY

CARL GOTHERZ. — Lady Dufferin et Ava.

LES PORTRAITS DE FEMMES

AUX SALONS DES CHAMPS-ELYSÉES ET DU CHAMP DE MARS

Le premier portraitiste fut un amoureux qui chercha à tracer sur le sable la silhouette de son amie. Effigie bien éphémère qu'effaça le pied du passant.

De nos jours, le portraitiste est rarement épris de son modèle et, s'il fixe ses traits d'une façon durable, cela n'empêche point le passant de l'oublier, dès qu'un autre tableau se présente à sa vue.

En parcourant les deux Salons de peinture de celle année et ne m'arrêtant qu'aux portraits de femmes, j'ai fait une singulière découverte.

30 B

258 LA GRANDE DAME.

Ils se ressemblent tous. — Les portraits? — Mon Dieu, oui, pour la pose, sinon pour la tête. Debout ou assises, en robe de bal décolletée - salin blanc, velours rouge ou velours noir— ces dames ont un bras déganté, pour nous montrer qu'il est bien modelé, que la main est jolie et couverte de bagues, tandis qu'un boa ou un manteau, garni de fourrure, encadre le cou et les épaules. Pourquoi cette uniformité qui engendre l'ennui? J'aime mieux les portraits sortant du convenu sans sortir des convenances.

Par exemple: la charmante Mlle G. H..., de Jules Lefebvre,—en robe blanche, style 1830; cheveux relevés sur le sommet de la tête, épaules et bras nus; un portrait qui ne vieillira pas, parce qu'il symbolise une époque.

Le portrait que Mme Achille Fould a fait de sa jolie amie Mlle Âlphée Dubois (une brune en travesti oriental) ne se démodera point non plus.

Bien expressif, le portrait de Mlle Beaury-Saurel peint par elle-même : le regard fixe, observateur; les yeux cendrés comme les cheveux; la robe, forme blouse noire, serrée à la taille, coquetterie sans prétention qui dévoile pourtant un buste élégant; la main droite tient le fusain qu'elle sait si bien manier. Le portrait de Mlle B..., du même auteur, est tout à fait séduisant : jolie blonde coiffée d'un chapeau fleuri de roses et vêtue d'une robe rouge cardinal. On dirait qu'elle est venue rendre visite à Mlle Beaury-Saurel qui ne l'a point laissée partir et l'a fixée à demeure et souriante sur la toile.

Sans prétention aussi, quoique très bien exécuté, le portrait de Mme Ryckbusch, surintendante des maisons de la Légion d'honneur. Mlle Godin a su rendre la parfaite ressemblance de la noble femme d'officier supérieur qui met en sautoir le ruban rouge qu'aucune autre ne peut porter.

Lady Dufferin et Ava, ambassadrice d'Angleterre, de M. Gotherz, nous apparaît souriante dans une robe de bal pailletée d'or. Un grand cordon sillonnant le corsage, des ordres étrangers décorant l'épaule, un diadème à fleurons de diamants sur son front... Aux Miniatures je retrouve le portrait en pied de l'ambassadrice ; une merveille signée de Merbitz. Dans sa robe de velours fauve, couronnée du brillant diadème, lady Dufferin représente bien la « Gracieuse Majesté » qui gouverne l'Angleterre depuis un demi-siècle. Le règne de la femme est pacifique, son joug est doux. Heureuses les nations assez sages pour abroger la loi salique !

Franzini d'issoncourt expose le portrait de Mme Adam Juliette

Lamber. — Ce qu'on peut reprocher à l'image d'une femme d'esprit..., c'est de rester muette... Quelle que soit sa perfection, on préférera l'entendre ou lire ses oeuvres.

Je ne sais si La Comtesse de B..., peinte par M. de Beugy est une femme de lettres. En tout cas elle aime les lettres, car elle est assise à

LES PORTRAITS DE FEMMES.

259

CAROLUS DURAS. - Mme C. B...

son bureau, en élégante robe de soirée mauve, et prend la plume. Est-ce pour écrire un roman ou envoyer une invitation?

Bien joli le portrait de Mme F. de V..., par Machard ! En robe de crêpe corail, un collier de perles au cou, assis en son fauteuil et souriant, le gracieux modèle reçoit les hommages d'une foule d'admirateurs.

Mme D..., par Muraton, robe de satin noir et jais, est également bien fine et bien charmante. Identique réflexion devant le portrait de Mme H. L..., par Mlle Jenny Fontaine, élégante jeune femme en robe de velours noir et col Louis XIII.

Ce qu'il y a de cols de dentelles au Salon! Presque autant que sur les robes des élégantes visiteuses.

252

LA GRANDE DAME.

Aux pastels: le portrait de La Comtesse de C... et ses trois fillettes, par Aviat; le fin portrait de Mme Henry Fouquier, par Mlle Beaury-Saurel ; celui de Mme E. Bisson, par Roussin; ; l'aquarelle de Litini, la mime aux formes exquises, par Lapierre; Mme Louis B..., blonde en robe de velours pâle, par Baschet; Mlle Jeanne M..., par Maillard; Mme X..., par Benjamin Constant; Mlle Renée du Minil, par Mme Philipar-Quinet, — tels sont les portraits de femmes les plus remarquables au Salon des Champs-Elysées.

Mais le plus parisien de tous est celui intitulé Matin d'avril, par Abbéma: celle blonde sous son grand chapeau Gainsborough, la voilette sur le visage, les mains pleines de fleurs, nous ne la voyons pas seulement le matin au Bois en avril, l'hiver durant et jusqu'au Grand Prix, mais elle ressemble à toutes les Parisiennes. Incarnation de la grâce et de l'intelligence, tous les portraits que j'ai vus se résument dans celui-là !

Au Champ de Mars, je retrouve la pose, chère aux peintres, qui détruit l'animation, guinde le charme et rappelle le fameux : « Ne bougeons plus ", des photographes.

Quelques exceptions confirment.la règle.

Baudoin: Mme Paul V..., exquis petit portrait représentant une dame assise en robe de velours noir, volants, manches et guimpe de soie changeante « giroflée » voilée de chantilly.

Blanche : Mme la baronne B. M..., en costume Louis XVI, chapeau à plumes et justaucorps recouvert de dentelles noires. Lady Eden, très jolie en robe de velours mauve et chapeau noir.

Mme Rose Caron, en robe de satin blanc flottante, par Parrot. (Pourquoi n'avoir pas choisi le costume si seyant de la Valkyrie, avec sa coiffure de verveine? )

Miss Edmée Bagly, par Bouvet : robe Empire satin rose, voilée de crêpe vert pâle, manches de velours vert.

La Baronne de Hatzfeld, élégant petit portrait: robe de velours noir éclairée par des émeraudes.

Très regardés encore: la séduisante Mistress H. H..., en robe de velours « fleur de pêcher», par Sargent ; la mignonne toile de Weerts : Mme Six-Sérine, robe de salin blanc et manie de bal ; les jolis portraits de Sain: sa fille, sympathique brune en vert pâle; une rousse adorable en robe blanche, Mlle M. L...; Mlle Henry Fouquier, coiffée de houx fleuri, par Mathey (une adorable druidesse dix-neuvième siècle que celle jeune fille dont le gui ou le houx enguirlandent les cheveux tombants).

Carolus Duran : Mmes C. B... et J. L..., deux portraits hors concours et hors critique.

Dubufe : Mme P..., avec ses enfants: superbe robe de damas blanc et rose, ceinture verte et noeuds verts, les deux enfants en velours bleu La clame gracieuse et les enfants charmants quoique ennuyés de poser

LES PORTRAITS DE FEMMES. 263

J'allais oublier Mme B ... par Besnard, le plus grand succès de curiosité du Salon du Champ de Mars: robe mandarine, teint jaune citron, le visage empourpré par le reflet de la cheminée où flambe le feu...

J. -E. BLANCHE. — La baronne B. M...

Portrait d'impressionniste, impressionnant malgré soi et qu'on dénigre parce qu'on ne le comprend pas.

Portraits de femme, évocation de l'idéal, de la coquetterie, de la grâce et de la mobilité, savez-vous pourquoi vous êtes si difficiles à faire ressemblants?

264

LA GRANDE DAME.

J. LEFEBVRE. — Mlle G. H...

C'est que la mer est moins profonde, le ciel moins changeant, le vent moins léger, le parfum moins subtil que l'être troublant que vous voulez représenter.

Peut-on sonder le fond de la mer? Compter sur le temps ? Arrêter le vent et garder l'odeur d'un bouquet?

Peut-on fixer la femme?... Pas même sur un portrait!

A. PIAZZI.

LES ARMES DE LA VILLE DE LYON, panneau décoratif en mosaïque. Exécuté par M. GUILBERT-MARTIN.

LES ARTS DÉCORATIFS

AMEUBLEMENTS, VITRAUX, MOSAÏQUE

Un préjugé suranné qui devrait avoir fait son temps et la manie des classifications dont est affligée notre époque veulent encore que le domaine de l'Art soit sectionné en deux départements : celui des Beaux-Arts et celui des Arts décoratifs — comme si l'Art n'était pas un et n'avait pas, quelles que soient ses manifestations et de quelque nom qu'on les appelle, pour but unique et constant, pour raison d'être, la recherche du Beau sous toutes ses formes et l'effort vers la réalisation de l'Idéal.

Ce séparatisme illogique et fâcheux, cette prétention à établir une démarcation formelle entre les oeuvres d'art — suivant qu'elles sont destinées à faire isolément figure, comme les créations de la peinture, de la sculpture, de la gravure, ou à concourir à la décoration des habitations, des objets usuels ou de ceux de luxe —se font sentir à toutes les Expositions, de même que tous les Salons leur sont une occasion de se produire. L'Exposition de Lyon n'a pas échappé à la règle commune et, tandis que les Beaux-Arts sont logés dans un vaste pavillon spécial où abondent, d'ailleurs, les oeuvres de mérite, les Arts décoratifs sont disséminés, suivant l'industrie à laquelle on a accoutumé de les rattacher, sous la coupole, ou dans le Palais des Arts religieux.

Et pourtant, parmi ces oeuvres d'art industriel, il s'en trouve beaucoup qui sont d'une inspiration très noble et très pure, où les formes sensibles de l'éternelle Beauté ont été admirablement traduites par de grands et consciencieux artistes.

La vérité est que, lorsque le chef d'une industrie d'art a la bonne fortune de rencontrer un amateur intelligent, il sait parfaitement créer tout en restant dans les traditions et faire oeuvre personnelle.

Voici, par exemple, la maison d'ameublement Flachat et Cochet, de Lyon, qui fait une exposition considérable et de premier ordre, en trois parties bien distinctes.

266 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

C'est d'abord une chambre dont les meubles en acajou ciré sont agrémentés d'arabesques finement fouillées et rehaussées d'or; l'ensemble est d'un goût moderne, où l'imagination côtoie une inspiration conçue dans une note large et très libre, des meilleures époques ; l'harmonie des tonalités et l'heureuse alliance de l'acajou, plus chaud, plus gai que le noyer, avec l'or, lui donnent un particulier caractère d'art.

Dans un salon, MM. Flachat et Cochet ont réuni les divers et très variés spécimens de leur fabrication, qui montre que leur savoir et leur habileté peuvent traiter avec une égale perfection la reconstitution des grandes époques du meuble et les conceptions d'un ordre plus moderne. Tandis que le grand buffet-dressoir en noyer sculpté, oeuvre véritablement hors de pair, dont on admire les formes gracieuses et légères, les lignes correctes, les proportions élégantes et les riches sculptures en plein bois, est une création absolument originale, la console en bois doré, dont de délicates guirlandes de fleurs, parmi lesquelles s'ébattent des colombes, décorent la ceinture, est traitée dans le plus pur style Louis XVI, sans que l'assimilation confine jamais à la servilité. Une glace Louis XIV, disposée au-dessus de la console, est une autre preuve que MM. Flachat et Cochet savent s'inspirer d'un style sans tomber dans la copie et en restant toujours eux-mêmes. Une vitrine en acajou, dont les ornements sculptés sont réchampis à la poudre d'or, et un petit bureau de dame attestent la supériorité de leur exécution.

Enfin, ils exposent une chambre à coucher pour jeune fille, d'une tonalité claire et d'un goût charmant, à laquelle sa fraîcheur et son allure jeune et riante assurent un gros succès auprès des jolies visiteuses qu'attire cet art. pimpant. Une armoire à glace, qui emprunte à l'adjonction d'un chiffonnier à étagère une disposition nouvelle, et des rideaux de tulle drapés avec une grâce que l'on ne saurait demander aux étoffes plus lourdes maintenant en usage complètent l'ameublement de ce coin d'élégance moderne.

Tout exquise qu'elle est, cette chambre est d'un prix fort accessible. C'est qu'aussi bien la maison Flachat et Cochet, quoiqu'elle se préoccupe avant tout de ne livrer que des productions ayant un réel caractère artistique, une absolue correction de style et une exécution consciencieuse, tient à rester à la portée de foutes les fortunes. Dans ses vastes ateliers d'ébénisterie, de sculpture et de tapisserie, les ameublements les plus simples sont l'objet des mêmes soins que les plus luxueux.

Sa réputation, d'ailleurs, ne date pas d'aujourd'hui, puisque à l'Exposition de l'Union centrale des Arts décoratifs, tenue à Paris en 1882 elle a obtenu la mise hors concours, c'est-à-dire la plus haute des distinctions dont disposait le jury, et s'est ainsi placée au premier rang. Son exposition, en 1889, lui a valu un nouveau succès. La succursale que MM. Flachat et Cochet ont créée à Paris et où, comme à Lyon, ils ont réuni tout ce

LES ARTS DECORATIFS.

267

qui concerne la décoration intérieure de la maison, depuis le meuble jusqu'au staff et aux manifestations multiples de la céramique d'art, fera oeuvre de décentralisation — le mot n'est pas exagéré, car elle démontrera les solides qualités de l'Ecole lyonnaise.

CHAMBRE A COUCHER DE JEUNE FILLE, BOIS LAQUE VERT D EAU. Exécutée par MM. Flachat, Cochet et Cie.

Jadis, durant le quinzième et le seizième siècle, Lyon vit fleurir l'art de la sculpture sur bois; l'École de Lyon est resiée célèbre; des mains de ses maîtres sont sortis des chefs-d'oeuvre qui sont de nos jours recherchés des collectionneurs. Ce sera l'honneur de MM. Flachat et Cochet d'avoir, plus que personne, contribué à ressusciter et à faire revivre cette glorieuse École, un des orgueils de Lyon.

C'est encore une maison de province, mais ayant aussi une succursale à Paris, la maison Louis Majorelle, de Nancy, qui va nous arrêter quelques instants. Son installation a plus qu'un caractère de curiosité et de valeur commerciale; elle constitue presque un musée du meuble de luxe pendant ces trois derniers siècles. L'industrie du meuble, l'une de celles où la supériorité française s'est toujours affirmée et où l'art et le goût ont le plus de part, n'a cessé de se développer jusqu'au jour de la tourmente révolutionnaire. L'ère républicaine n'a pas été propice à l'art de l'ameublement, et cela pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer. Bornons-nous à dire qu'après 1789 il a subi un temps d'arrêt jusqu'à ce que l'Empire, en inaugurant un nouveau style, lui ait ouvert une voie nouvelle.

Depuis, sans parler du grand meuble qui, nous l'avons dit dans les pages précédentes, a, par l'effort d'artistes chercheurs et intelligents, repris et poursuivi sa marche ascendante sans cesser de s'inspirer des traditions nationales, l'art du meuble, du meuble

léger et de luxe, du meuble où le souci de l'élégance et de la grâce, où la préoccupation décorative l'emportent sur le côté pratique et utile, a dû à l'importation et à la vogue de l'orientalisme, du japonisme particulièrement, de connaître de nouveaux raffinements.

A ce titre, l'exposition de M. Louis Majorelle offre, entre autres très grands mérites, l'attrait d'une collection embrassant tous les styles qui ont régné tour à tour depuis le commencement du dix-septième siècle.

Elle peut être très justement considérée comme une excellente galerie du meuble permettant de se faire une complète et exacte idée d'ensemble des styles Louis XV, Louis XVI et Empire; elle est, en quelque sorte, un cours abrégé d'histoire de l'art du bois appliqué au meuble de luxe et de fantaisie.

Une des spécialités de la maison Majorelle est la restauration des

VITRINE LOUIS XVI, BALANCIER.

LES ARTS DECORATIFS.

269

BAHUT LOUIS XVI, acajou et bois de rose avec panneaux en marqueterie.

meubles anciens, travail qui demande de sérieuses connaissances, un goût très sûr et de grandes qualités d'assimilation; ces qualités sont aussi celles que réclame l'industrie du meuble de style, et M. Louis Majorelle les possède à un haut degré. Aussi son exposition, d'un vif intérêt documentaire, est-elle en môme temps d'une grande valeur artistique.

La simple énumération des pièces superbes qu'elle contient serait fort longue; nous nous contenterons d'en mentionner quelques-unes ; d'ailleurs, par les reproductions que nous donnons, on pourra se rendre compte de la variété et de la distinction de son faire.

Dans le style Louis XV : vitrines en vernis Martin avec panneaux peints de sujets Watteau, encadrés de bouquets et de guirlandes de

270 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

fleurs; table à bijoux en acajou; commode bébé en vernis Martin ; petite table, en acajou et bronze doré, avec dessus de marbre; secrétaire en bois de violette, à rinceaux de bronze doré.

Dans le style Louis XVI : bijoutière à bâtier circulaire, cerclé de bronze doré, et pieds en laque bleu avec enroulements de feuillage en cuivre doré; bahut acajou, avec panneaux de marqueterie; table MarieAntoinette, en acajou, dessus de marbre et frise d'Amours et de fleurs en bronze doré; vitrine balancier, sujet très gracieux : une femme donnant la volée à un oiseau, tandis qu'un jeune homme, sur l'herbe, aux pieds de deux femmes, leur fait une lecture — quelque idylle de Gesner sans doute; table-rognon vide-poche; tricoteuse à cylindre et tricoteuse à glace ; bureaux et secrétaires en acajou

acajou écran à glace et écran à boîte; table colonne émail bleu à deux étages, tablettes d'onyx: paravent à trois feuilles en vernis Martin, garniture de soierie, panneaux

panneaux de sujets mythologiques, etc.

Dans le style Empire : bahut à étagère, acajou et bois laqué, peinture en vernis Martin, représentant une grande dame et un jeune seigneur coquetant; chiffonnier en vernis Martin, etc.

Le Louis XV et le Louis XVI sont toujours en faveur et l'Empire a eu, en ces temps derniers, une vogue inattendue, conséquence d'un mouvement littéraire; mais la maison Majorelle fait aussi le meuble sculpté pour salon, salle à manger ou chambre à coucher, et le meuble d'un modernisme exquis. Sa table panetière en marPANETIERE,

marPANETIERE, marqueterie.

ECRAN A BOITE LOUIS XVI.

LES ARTS DECORATIFS.

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queterie; sa table gigogne en acajou avec applications laquées, liserons, pavots, épis, églantines et iris; sa table à thé en noyer avec applications laquées, fleurs, branchages, oiseaux et papillons, sont des pièces délicieuses. M. Majorelle a innové quantité de formes originales, appropriées aux mondanités et aux raffinements actuels, et l'on n'ignore pas que M. Auguste Majorelle, le fondateur de la maison, a réussi, à force de recherches patientes et d'ingéniosité, à surprendre les procédés des laques chinois et japonais.

Entre tant de pièces charmantes, un meuble est à signaler particulièrement : c'est une armoire Louis XIV, en palissandre ciré et bronze doré, avec grand panneau de laque du Japon offrant une gracieuse combinaison de bois, de laque, d'ivoire et de nacre : suspendu à des anneaux auxquels s'accrochent des griffons, un panier d'où naissent et tombent des fleurs et des branches qui servent de refuge à de gentils oiseaux.

La maison Majorelle, qui ne compte plus les médailles d'argent et d'or et les diplômes d'honneur qui lui ont été décernés à toutes les Expositions depuis seize ans, ne s'en tient pas au seul meuble ; elle exécute tout ce qui concerne l'ameublement et la décoration des appartements, glaces, pendules, candélabres, bibelots, dans lesquels on retrouve les mêmes qualités d'art, d'élégance et d'originalité. Ajoutons que M. Louis Majorelle fait partie du jury de l'Exposition de Lyon, comme ayant été mis hors concours pour cette Exposition.

TABLE A OUVRAGE LOUIS XVI.

272 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

Dans son rapport sur les vitraux modernes à l'Exposition de 1889, M. E. Didron appréciait ainsi un Saint Georges combattant le dragon envoyé de Lyon par M. Lucien Bégule:

« M. Bégule est parvenu, chose rare, à faire une oeuvre personnelle, très décorative, très nouvelle, archaïque de procédé bien que très agréable

aux yeux. Véritable mosaïque de verre à la coloration vibrante, le vitrail de l'artiste lyonnais est d'un dessin correct exprimé par un trait noir d'une grande franchise que vient soutenir un modelé rudimentaire fort léger. Le verre américain aux reflets de nacre apporte utilement sur plusieurs points sa note un peu mystérieuse dans cette oeuvre attrayante. La tendresse de l'auteur est excellente et il peut en découler des conséquences remarquables. »

Nous avons tenu à citer ces lignes autant pour l'éloge très juste qu'elles contiennent de M. Bégule que parce qu'on peut voir dans le pavillon des Arts religieux ce vitrail à côté d'oeuvres nouvelles, et, elles aussi, fort belles : une Invention de la vraie Croix, un Christ bénissant, deux Vierges tenant en leurs bras l'Enfant Jésus, une délicieuse composition : Troubadour et Jeunes Daines, etc.

Plus que personne, le grand peintre verrier lyonnais a contribué, en ces dernières années, à donner à la décoration vitrée des édifices religieux un caractère d'art noble et pur. Les

verrières, les importantes suites de vitraux que possèdent de lui la plupart des églises de Lyon et de nombreuses églises de France, sont vraiment d'un maître. Les cartons qu'il expose témoignent d'une science du dessin, d'une sûreté de main qui lui assurent dans cet art si spécial une place à part. C'est un érudit, sa magnifique Monographie de la cathédrale Saint-Jean est là pour le montrer, un chercheur consciencieux, dédaigneux des succès faciles. Est-il beaucoup d'artistes qui méritent de pareilles louanges?

SAINT GEORGES COMBATTANT LE DRAGON. Vitrail exécuté par L. BÉGULE.

LES ARTS DECORATIFS. 273

La manufacture de pianos, fondée en 1847 par M. Joseph-Gabriel Gaveau et dirigée aujourd'hui par ses six fils, occupe actuellement une des premières places clans le monde musical. Les perfectionnements incessants qu'elle a apportés à la fabrication de ces instruments justifie pleinement l'importance considérable qu'elle a acquise.

Après une longue et honorable carrière, M. Gaveau père, à la suite de l'Exposition universelle de Chicago, a été nommé chevalier de la Légion

d'honneur, distinction bien méritée qui est venue couronner cinquante années d'incessant labeur.

A sept Expositions déjà M. Gaveau père avait été nommé membre du jury. Aujourd'hui c'est son fils aîné, M. Edme Gaveau, qui vient d'être à Lyon l'objet de cette distinction si honorable et si enviée qui classe cette maison hors concours.

MM. Gaveau exposent une série de beaux modèles courants : pianos en palissandre verni, en palissandre ciré, en bois noir, en noyer ciré rehaussé de filets d'or. Comme type d'instrument de luxe figure un piano Louis XVI, gris et or, avec bronzes dorés, orné de peintures décoratives,

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PIANO DE LA MAISON GAVEAU.

274 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON,

et un nouveau modèle de piano à queue de salon et de concert avec cadre en fer et cordes croisées; ce modèle, dont le clavier a une étendue de sept octaves et quart, est caractérisé par une grande puissance de sonorité sous un très petit volume.

MM. Gaveau exécutent en ce moment un nouveau piano à queue de salon qui, en raison de ses dimensions restreintes, 1m,75 de long sur 1m,42 de large, est appelé à un gros succès, car elles n'excluent nullement une belle sonorité.

M. Lorca, qui a obtenu un si vif succès cet hiver à l'un des concerts du Conservatoire de Lyon, donne une fois par semaine des auditions très appréciées qui permettent de juger les qualités d'art des remarquables modèles à queue sortis des ateliers de cette célèbre maison.

LE CHRIST, d'après Hébert. SAINTE GENEVIÈVE, d'après Lameire.

Mosaïques exécutées par M. GUILBERT-MARTIN.

M. Guilbert-Martin, maître mosaïste français, le grand fabricant de mosaïques décoratives de Saint-Denis, a tenu à accumuler sous les yeux du public les preuves de son habileté, de sa virtuosité dans un art tantôt majestueux et tantôt léger. Cette prodigieuse exposition compte plus de soixante-dix pièces; la vue n'en produit, tant s'en faut, ni satiété ni fatigue; il ne s'en dégage pas d'impression de monotonie, car le faire du maître mosaïste est d'une étonnante variété et s'attaque aux modèles les plus divers. Mosaïques byzantines, romaines, gallo-romaines ou vénitiennes, toutes les époques de cette branche importante de l'art décoratif sont traitées par lui avec la même science, la même perfection et la même exactitude de reconstitution.

LES ARTS DECORATIFS. 275

POUSSIN

RUBENS

Mosaïques d'après Lenepveu.

De combien de genres, en effet, ne relèvent pas ces mosaïques de marbre et d'émail, traduction magistrale d'oeuvres superbes: Cléopâtre, d'après G. Doré, panneau de mosaïque d'une valeur de 10000 francs, où l'on trouve des qualités de profondeur, de modelé, de vie intense, que l'on rencontre bien rarement dans les productions de cet art et qui sont particulières à la mosaïque moderne; une tête de Christ, d'après les cartons exécutés par Hébert pour la décoration du Panthéon ; une tète de sainte Geneviève, d'après Lameire ; les médaillons de Rubens et de Poussin, d'après Lenepveu; des copies du célèbre Christ byzantin de l'église Saint-Marc à Venise, des mosaïques de Kabr-Iram (Asie Mineure) d'après les originaux qui sont au Louvre, de l'Espérance trouvée dans les ruines de Métaponte, du Pressoir découvert à Vienne (Isère), etc.

MONTGENOD.

Nous publions clans ce numéro, parmi nos planches hors texte, une chambre à coucher exécutée par la maison Schmit (ancienne maison Schmit et Piollet). Nous avons dit dans notre numéro précédent que M. Schmit a été désigné pour organiser le Salon parisien, qui obtient en ce moment un si grand succès à l'Exposition de Lyon, grâce au soin avec lequel il l'a aménagé, et au cachet d'élégance qu'il a su lui donner.

La chambre à coucher que nous reproduisons est déjà connue du public. Elle a été très remarquée au Champ de Mars en 1889. Les meubles qui la composent sont en acajou et citronnier, avec moulures en bronze doré. Les rideaux sont en satin de soie bleu de ciel, l'intérieur du lit en satin rose, richement brodé de fleurs en couleurs. Cet ensemble, d'une remarquable élégance et d'un haut goût, fait le plus grand honneur à la maison qui l'a conçu et exécuté.

L'AURORE, bas-relief en grès émaillé. Exécuté par M. E. MULLER.

LES GRÈS POLYCHROMES

Il semble bien que la formule de « l'art pour l'art » soit désormais tout près d'être démodée. À étudier d'un peu près les manifestations de l'art ancien, on s'est aperçu que les merveilles qu'il a produites : les statues grecques, par exemple, les peintures égyptiennes, les poteries étrusques, n'étaient pas des oeuvres qu'on faisait uniquement pour le plaisir de les faire, mais bien parce que la nécessité les appelait, pour ainsi dire, et leur imposait leur place dans le temple, dans l'hypogée, dans la maison.

Ce souci de ne pas séparer l'utile du beau a amené depuis quelques années la découverte d'une branche nouvelle, en quelque sorte, de la céramique, appelée selon nous — et les résultats acquis en si peu de temps en sont le plus sûr garant — au plus long et au plus bel avenir nous voulons parler de l'emploi des grès polychromes émaillés, aussi bien dans l'architecture que dans la décoration intérieure des appartements.

C'est notre rôle ici de signaler à nos lectrices et à nos lecteurs tout ce qui peut servir, de quelque manière que ce soit, à l'embellissem*nt de leur « home » ; car, si l'on n'a pas tous les jours un hôtel nouveau à se faire construire, tous les jours en revanche on doit penser à renouveler peu à peu et à parfaire la décoration intérieure de ses appartements; on a telle ou telle salle à refaire, ou son musée particulier, sa collection d'oeuvres d'art à compléter, — et l'on ne pourra que nous féliciter d'attirer l'attention sur l'emploi de ces grès polychromes comme décoration architecturale.

C'est à l'Exposition de 1889 que nous en avons vu, pour l'une des toutes premières fois, sous la signature Emile Muller, et tout de suite nous avons été séduit par la puissance d'effet et l'originalité de colora-

LES ARTS DECORATIFS.

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tion, à la fois chaude et douce, obtenues par l'emploi de celle matière. Depuis nous avons appris, par les comptes rendus de la Gazette des BeauxArts, que M. Emile Muller avait, l'an dernier, exposé à Chicago, et nous avons pu, par une très belle planche en couleurs publiée à cette occasion, nous faire une idée des progrès réalisés depuis 1889, progrès que peuvent enfin constater par eux-mêmes tous les visiteurs de l'Exposition de Lyon, celte année. La meilleure preuve que M. Muller avait trouvé là un filon des plus précieux dans le domaine de la céramique d'art architecturale, c'est que ses travaux ont aussitôt suscité la plus noble émulation, et déjà il n'est plus le seul à marcher dans la voie où il s'est engagé.

BANQUETTE DE HALL. — Grès émaillé et acajou. Exécuté par M. E. MULLER.

Nous ne nous étendrons pas ici sur les services considérables que peut rendre à l'architecture l'emploi des grès polychromes. Citons seulement ce qu'en dit M. Jacques Hermant, un de nos meilleurs critiques d'art : « M. Muller, dit-il, frappé du désaccord qui se produit sous nos climats entre nos pierres si rapidement noircies et les terres cuites émaillées qui conservent leur fraîcheur et leur éclat au point de détonner considérablement avec le sombre aspect de tout ce qui les entoure, a cherché et trouvé le moyen d'obtenir, par l'emploi des grès, des pièces émaillées qui prennent l'aspect et la patine que nous admirons lorsque le temps l'a donnée, et que nous ne pouvions admettre parce qu'elle n'était jusqu'ici que le résultat d'un trucage. »

278 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

Ce sur quoi nous voulons insister tout particulièrement, c'est sur l'emploi multiple, dirons-nous, du grès polychrome. Constatons d'abordrapidement l'utilisation de cette matière pour servir, par exemple, à l'établissem*nt de cheminées de grand style, de colonnades, de frises, de panneaux à relief, de vases de toutes formes, et même de meubles tels que bancs et fauteuils d'aspect monumental, toutes choses dont nous avons vu de parfaits modèles : à commencer par la reproduction de cette admirable frise des Archers rapportée de Suse au musée du Louvre par M. et Mme Dieulafoy et que M. Muller a su monter avec un goût rare, en la superposant à la frise des Lions, réduite au quart, et en l'encadrant des colonnes et des chapiteaux des Taureaux, réduits au sixième. La frise des Lions, en même temps qu'elle sert de soubassem*nt, forme caisse proéminente, emplie de verdure, dont les tons se marient merveilleusem*nt à ceux des grès.

La simple constatation de l'harmonie parfaite obtenue ainsi, en même temps que la certitude que l'on peut avoir de l'inaltérabilité des matériaux employés : cela peut mener à toute une révolution dans notre architecture, par la possibilité que cela nous réserve enfin de bâtir de ces cours intérieures à ciel ouvert que notre climat semblait nous interdire comme il est dit plus haut, à cause du contraste anti-artistique entre l'éclat des émaux jusqu'alors employés et le ton des autres matériaux engrisaillés et noircis par l'intempérie de nos saisons, ou même simplement le « ton » de notre atmosphère.

Dans les appartements mêmes, il est un emploi du grès polychrome auquel nous n'hésitons pas à prédire le plus brillant avenir; c'est l'emploi en frises, comme encadrement à la peinture murale... aussitôt que la peinture murale aura repris le rang auquel elle a droit. Ce que furent à ce point de vue les émaux pour les Égyptiens et leur climat de lumière vive, de chaleur et de sécheresse, le grès le sera chez nous et pour notre climat de lumière atténuée et cendrée, d'atmosphère humide et changeante.

Enfin, qu'on voie seulement les reproductions qu'a faites M. Muller de quelques bustes, d'une tête d'enfant de Donatello, par exemple ; d'une tête de femme, dont l'original est au musée de Lille et qui est attribuée à Raphaël; de la figure principale du groupe Gloria Victis de Mercié; d'un petit panneau en bas-relief: « Apollon sur son char », d'une tonalité exquise, etc., etc., et l'on comprendra toutes les ressources précieuses que peut apporter à la sculpture proprement dite le grès émaillé. monochrome ou polychrome.

On sait combien le marbre est dispendieux et difficile à traiter; combien la fonte du bronze laisse souvent à désirer pour peu qu'on vise à des reproductions en quelque nombre ; combien la terre cuite est fragile et combien d'ailleurs, par sa tonalité dure et banale lorsqu'elle n'est pas patinée, elle change parfois, jusqu'à le dénaturer, l'aspect des oeuvres

LES ARTS DECORATIFS.

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qu'elle vise à reproduire. Quant au plâtre peint, qu'en dire, si ce n'est que c'est vraiment trop... du plâtre peint? Même enfin pour ce qui est des cires et des bois peints, matières où d'excellents artistes se sont exercés, on a trop de regret de penser que cela, de par la matière même, est tout à fait éphémère; et d'ailleurs cette peinture ainsi appliquée et qui ne fait pas vraiment corps avec les matériaux, cela a toujours un fâcheux air de « trucage », comme nous disions plus haut.

Le grès pare à tous ces inconvénients. Et, certes, c'est une bonne fortune dont tout le monde a le droit de se féliciter, que de voir ainsi rendue facile la reprise des belles oeuvres d'art consacrées par le temps, et la reprise dans une matière intéressante, précieuse d'allure, de tonalité chaude et vibrante, aux colorations variées, pleines ou dégradées, à la fois vives et douces; dans une matière enfin qui ressuscite vraiment et fasse revivre les qualités admirées chez l'original, aussi bien les qualités de netteté, de franchise et de force, que les qualités toutes de nuance et de finesse qui donnent tant de prix à certaines oeuvres et que la reproduction courante anéantit si souvent.

280 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

Nous avons dit que M. Muller avait trouvé des concurrents. Mais ces concurrents fissent-ils aussi bien que lui, il lui reste l'honneur de s'être engagé le premier résolument dans cette voie, et à nous il nous reste l'avantage — et personne ne niera que ce ne soit un avantage très précieux — que, par les moyens énormes dont dispose M. Muller, grâce à ses usines d'lvry-Port et au développement considérable qu'y ont pris depuis quarante ans ses ateliers pour les matériaux ordinaires de construction, nous pouvons obtenir ces reproductions d'oeuvres d'art qu'il entreprend maintenant, soit pour la grande décoration extérieure, soit pour celle plus délicate des intérieurs, à des conditions exceptionnellement abordables.

Cet article — trop rapide — ne serait pas complet si nous n'ajoutions pas que, poussé par le succès, M. Muller a décidé non seulement de faire des reproductions, mais aussi d'éditer des oeuvres de nos artistes contemporains. Nous avons vu ainsi plusieurs bustes de Mlle Jeanne Itasse, en particulier une tête de Bacchante, qui auraient fait excellente figure à l'un de nos Salons, s'ils avaient été terminés assez tôt cette année pour y être envoyés. Mais nous sommes persuadé que nos sculpteurs ne vont pas manquer de se renseigner sur ce nouveau et précieux moyen qui leur est offert de se présenter au grand public, et nous sommes donc sûr de retrouver désormais M. Muller, avec ses collaborateurs, aux prochains Salons. C'est là que nous convions tous ceux de nos lecteurs qui, d'ici là, et cela nous surprendrait, ne le connaîtraient pas encore.

R. BOUTHORS.

FAUTEUIL DE HALL. — Grès émaillé et acajou.

Exécuté par M. E. MULLER.

LE RHÔNE ET LA SAONE, composition de E. GRASSET.

Exécutée en mosaïque par MM. F. BAPTEROSSES et Cie.

LA MANUFACTURE DE BRIARE

En France, il y a vingt ans, on parlait de la mosaïque avec l'indulgent respect et la vénération qu'on éprouve devant les vieilles choses, les spécimens d'arts qui furent grands, mais aujourd'hui morts, les souvenirs et les témoins d'âges écoulés qu'ont laissés debout les injures du temps.

Les belles mosaïques de la Renaissance italienne étaient admirées; les fervents d'art s'émerveillaient devant les vestiges des émaux de la basilique de Ravenne qui, après six ou sept cents ans, ont gardé leur splendeur; les archéologues louaient ces compositions si gracieuses dont les patriciens et les parvenus romains se plaisaient à enrichir leurs habitations et qui, source importante de documents de moeurs, de mythologie et d'histoire, sont précieusem*nt recueillies dans les collections publiques, comme cette admirable mosaïque des Jeux du Cirque dont s'enorgueillit justement le musée de Lyon. Mais il ne venait à l'esprit de personne de ressusciter pour les besoins de la vie moderne, pour la décoration intérieure ou extérieure des demeures privées ou des palais cet art jadis apprécié, aujourd'hui oublié et délaissé, dont la tradition même semble perdue.

C'est grâce à l'éminent architecte, M. Ch. Garnier, qui conçut l'idée de couvrir de mosaïques les murs de l'anti-foyer de l'Opéra, que cette

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282 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

MOSAÏQUE, composition de E. GRASSET. Exécutée par MM. F. BAPTEROSSES et Cie.

industrie d'art, que l'on pouvait croire à jamais endormie, a été tirée de sa léthargie et a, de nouveau, produit des chefs-d'oeuvre.

Dix ans après que M. Ch. Garnier eut commencé l'Opéra, Paris possédait une École nationale de mosaïque. Aujourd'hui, nous voyons des monuments comme le Panthéon, la Madeleine et le Louvre emprunter une décoration précieuse à cet art antique et magnifique.

La décoration par la mosaïque acquit bientôt une telle faveur que les architectes les plus distingués y ont eu fréquemment recours, soit pour éclairer, en quelque sorte, les façades sombres de nos maisons, soit pour garnir de somptueux panneaux les murs de certaines grandes pièces, soit encore simplement pour couvrir le sol d'ornements moins froids que les dalles de marbre ou moins fragiles que la poterie émaillée.

Malheureusem*nt, les vieux procédés de l'art de la mosaïque étaient longs et dispendieux et, par là même, peu appropriés aux exigences de l'heure actuelle. L'industrie moderne est entrée en compétition, s'est ingéniée et a fait de son mieux pour trouver une solution de ce problème : rendre la mosaïque d'un usage plus courant. Elle y est parvenue, mais

LES ARTS DECORATIFS. 283

par quel moyen? En remplaçant les petit* cubes d'émail généralement employés par des cubes en porcelaine. MM. Bapterosses, les premiers, firent l'essai de ce procédé et bientôt le mirent en pratique avec la plus remarquable intelligence et aussi le plus brillant succès.

Comment sont-ils arrivés à ce résultat? Leur maison a pour spécialité la fabrication des boutons en pâte de porcelaine. Depuis plusieurs années déjà elle jouit d'une grande réputation dans ce genre d'industrie. L'originalité de ces boutons en pâte de porcelaine vient, non seulement de la qualité des matériaux obtenus par une composition de feldspath et d'oxydes métalliques, de phosphates, de barytes, mais aussi de la simplicité de la fabrication qui leur permet de produire une énorme quantité à très bas prix.

De celte même pâte avec laquelle ils obtiennent leurs boutons et qui prend les couleurs les plus délicates, du rouge au rose le plus tendre, du blanc pur au " bleu ciel après la pluie », MM. Bapterosses façonnent de

petit* cubes de porcelaine, qui servent à la fabrication des panneaux de mosaïque.

Les mosaïques de cette nature ont une apparence qui leur est particulière. Celles que l'on voit à l'Exposition de Lyon sont d'un type excellent, et imitent d'une manière parfaite la mosaïque antique, telle, par exemple, que nous la montrent certaines maisons de Pompéi.

Voilà donc un art qui, grâce à l'industrie moderne, trouve un nouveau champ d'action. Les architectes et les amateurs seraient mal fondés à venir dire maintenant que la décoration par la mosaïque est trop coûteuse ou d'une exécution trop longue.

Pour présenter dans des conditions pratiques les spécimens de leur fabrication, MM. Bapterosses ont fait élever une construction à deux faces, en pierre blanche, d'une hauteur de cinq ou six mètres et d'un aspect très architectural. Les deux faces sont décorées uniquement de mosaïques, disposées avec art.

Sur l'une, le sommet est occupé par un panneau représentant le Rhône et la Saône, d'après les cartons d'Eugène Grasset ; bien que ce sujet, à Lyon surtout, ait été traité bien souvent par la peinture, la sculpMOSAIQUE

sculpMOSAIQUE

composition de E. GRASSET.

Exécutée par MM. F. BAPTEROSSES et Cie.

284 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

ture, le bois, la gravure, le bronze, l'artiste a su faire une composition très personnelle que MM. Bapterosses ont traduite fidèlement en mosaïque de pâte de porcelaine. Au-dessous, s'étendent des motifs décoratifs pour tympans, feuilles et fleurs d'iris, d'après les dessins de Luc-Olivier Merson. Plus bas, deux panneaux d'une exécution remarquable, d'après

des fouksas japonaises, encadrent un cartouche dessiné par A. Giraldon et portant le nom de la maison. Enfin, un « rétrécissem*nt» de forme curviligne, où Boutet de Monvel a mis tout son art délicat et moderne, toute la gaieté et la clarté qu'il apporte dans ses oeuvres d'une allure si particulière; parmi un feuillage court un cartouche portant cette inscription d'une inspiration charmante : Flamma lucet amicis. Le foyer est fait d'une mosaïque en camaïeu vert, et le sol aussi est constitué par une mosaïque d'un gris laiteux.

RETRECISsem*nT DE CHEMINEE EN MOSAIQUE, composé par BOUTET DE MONVEL.

Executé par MM. F. BAPTEROSSES et Cie.

LES ARTS DÉCORATIFS. 285

L'autre face est une réduction de la façade de l'église donnée à la ville de Briare, où se trouve la manufacture, et décorée en mosaïque par MM. Bapterosses, sur les cartons de Grasset. Un panneau représentant un ange aux ailes éployées remplit le fronton ; les arcatures sont ornées de panneaux de mosaïques de fleurs s'enlevant sur fond or; des motifs de mosaïque entourent la rosace ou piquent sur toute la façade de l'édifice la gamme de leurs couleurs. Bien que faites pour être vues à une grande hauteur, ces mosaïques, placées à quelques mètres seulement des yeux du visiteur, produisent le plus heureux effet; l'harmonie des lignes et des couleurs, la délicatesse des contours en fait des oeuvres égales en intérêt, en richesse et en beauté aux plus belles mosaïques d'émail ; les panneaux ont, en outre, grâce aux formes géométrales les plus diverses données aux morceaux de pâte de porcelaine, le mérite de pouvoir se prêter aux dispositions les plus variées, aux motifs les plus complexes, sans y laisser jamais une impression de raideur; le dessin est simple et n'a rien de sévère.

Des spécimens de pavements de chapelle, de revêtements de muraille, de chemins de choeur, de rétrécissem*nts de foyers, etc., exécutés généralement dans une note claire et lumineuse, complètent cette exposition.

Il est bon de faire remarquer que toutes les mosaïques présentées ont été créées spécialement en vue de l'Exposition. Les Lyonnais remercient MM. Bapterosses en disant très haut tout le bien qu'ils pensent de cette installation et tout le plaisir qu'ils éprouvent à venir la voir.

A droite et à gauche, dans des vitrines, à côté des produits ordinaires de la maison, boutons, anneaux, grains et boucles pour colliers ou bracelets qu'elle exporte en quantité considérable et dont les populations nègres et barbares sont extrêmement fières de pouvoir se parer.

Une conclusion se dégage de cette exposition : c'est que, si parfois de nos jours certains arts décoratifs ne sont pas ce qu'ils pourraient ou devraient être, la faute en est le plus souvent aux artistes qui ignorent ou ■dédaignent les ressources de l'industrie. Lorsque, suivant l'heureux exemple de MM. Bapterosses, ils consentiront à les étudier pour les mettre à profit, des ouvrages qui sont aujourd'hui purement industriels s'élèveront à la hauteur d'oeuvres d'art, parce qu'à la conception de l'idée viendront s'ajouter les qualités d'exécution et de goût.

G. de C.

LE CHAR DE L 'A M O U R CONDUIT PAR DES BACCHANTES. Faïence polychrome de MM. H. BOULENCER et Cie.

LA FAÏENCERIE DE CHOISY-LE-ROI

Entre toutes les industries représentées à l'Exposition de Lyon et qui peuvent justement se réclamer de l'Art, il convient de citer la faïencerie de Choisy-le-Roi, l'une des plus grandes de France. Élevée sur l'emplacement de l'ancien château de Choisy-le-Roi, elle a été fondée en 1804. On peut dire en toute sincérité que l'art de la céramique, qui fit la gloire et la fortune des artistes de la Renaissance et de l'École de Palissy, doit aux travaux de la faïencerie de Choisy-le-Roi le renouveau dont il est aujourd'hui l'objet.

On se souvient de l'Exposition de 1889 et du succès éclatant qu'y obtinrent les faïences de la maison Boulenger. A l'Exposition de Lyon son succès est encore plus vif. Elle y a fait deux installations également importantes et également belles et qui méritent d'être louées tant pour le caractère artistique des pièces qu'elles contiennent que pour la démonstration qu'elles offrent de l'application de la céramique à la construction:

288 L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE LYON.

Sans parler d'une fort intéressante exposition plutôt industrielle : revêtements en carreaux impressions et grand feu, pièces architecturales, panneaux en relief, cabochons, balustres, colonnes, cheminées, foyers, etc., MAI. Boulenger et Cie présentent des pièces artistiques réellement hors ligne : le magnifique paon de grandeur naturelle, aux couleurs éclatantes, obtenu d'un seul bloc et qui se dresse sur une vasque élégante et svelte dont les ornements en relief complètent l'effet magistral ; un vase monumental décoré d'après la maquette de Habert-Dys, véritable tour de force de fabrication, ce vase ayant été ébauché sans moule dans un seul bloc de terre;

puis de nombreuses et superbes faïences polychromes, groupes, statuettes, bustes,

vases, bouquetières, lampes, etc., exquises

compositions de A. et L. Carrier-Belleuse, notamment le Char de l'Amour conduit par des Bacchantes, oeuvre charmante et mouvementée, Satyre et Centauresse, les Trois Grâces, Silène et Bacchantes; toute une série importante de sujets mythologiques traités gaiement dans une note réjouissante, où l'on admire la vigueur du modelé non moins que l'inspiration pittoresque et la coloration douce; un superbe ensemble d'oiseauxjardinières : coq fièrement dressé sur ses ergots, cygne épiant une grenouille imprudemment perchée au sommet d'un jonc, perroquet hérissant ses plumes et esquissant une grimace à la vue d'un coléoptère qui évolue sur un roseau, grue dédaigneuse et l'oeil perdu dans une rêverie, etc. ; des nouveautés créées en vue de l'Exposition, entre autres un service Louis XIV décoré d'après la maquette de Habert-Dys, sous émail de grand feu ; des bustes de femmes, d'une délicieuse expression sous la couverte d'émail où se révèle une céramique absolument nouvelle; la reproduction parfaite de la cheminée Henri II. du Louvre, interprétée avec un si rare bonheur d'ensemble et de détail. Toutes ces tentatives d'art subtil et compréhensif, si parfaitement réussies, sont d'une coloration très franche sous l'émail qui prend bien la lumière et ne paraît pas vitreux.

Le succès des objets exposés par la faïencerie H. Boulenger est capable, assurément, de déterminer une tendance et un grand mouvement dans l'art nouveau de la décoration et de l'ornementation.

J. MIRAULT.

INTÉRIEURS PARISIENS

LA MAISON DE MADAME DUBUFE

DANS tous les quartiers de Paris, l'homme qui sait voir trouve toujours un sujet d'observation et d'étude.

C'est ainsi que le visiteur qui parcourt l'avenue de

Villiers, où, depuis la transformation de Paris, la

colonie des peintres riches a transporté ses pénates, ne manque jamais de s'arrêter devant une maison

d'aspect fort élégant, montrant dans sa grille dorée

le monogramme d'un double D. Elle est peut-être un peu étroite, mais très haute, bien qu'elle n'ait que deux étages, car on a ménagé pour chacun une élévation peu ordinaire, et qui leur donne un cachet de distinction et de grandeur réelles.

C'est la demeure de Mme Guillaume Dubufe, et elle est digne de celle qui l'habite.

Son mari l'a disposée pour elle avec des soins et des recherches que l'on retrouverait difficilement ailleurs.

Connaissant l'homme, je ne saurais m'en étonner. M. Guillaume

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LA GRANDE DAME.

SALON DE M A D A M E D U B U F E

Dubufe, en effet, possédant en partage les dons multiples accordés à ceux-là seulement qui eurent une fée pour marraine, dispose les grandes lignes des constructions idéales, qu'il invente, comme scènes de ses tableaux, avec un tel sentiment de l'art décoratif et architectural que l'on ne comprendrait point que, voulant être bien logée, Mme Dubufe se fût adressée à tout autre qu'à son mari, pour lui construire un palazzino que la plus fière Grande Dame serait heureuse d'habiter.

Pas trop grande, mais exquise, cette maison ! Les justes proportions de celle que Socrate aurait voulu remplir d'amis véritables. Un atrium d'un goût sévère vous conduit dans un grand salon, moitié hall et moitié jardin d'hiver, où les fleurs et les verdures se marient aux objets de curiosité, si à la mode aujourd'hui clans les ateliers, et aux objets d'art qui sont ici de premier ordre : deux esquisses de Tiépolo, — des plafonds pleins de mouvement, où les personnages se jouent dans le libre espace, — une ébauche de Van Dyck, d'une facture très puissante, un dessin d'Ingres, morceau de roi; un beau portrait 1830, revenu à la mode aujourd'hui, de Dubufe père, et d'intéressants portraits de famille par le père du père, le grand ancêtre, l'auteur de la race, un élève de David.

INTERIEURS PARISIENS.

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COIN DE LA CHAMBRE A COUCHER

La chambre à coucher de Mme Dubufe est le chef-d'oeuvre de cet hôtel, où l'on peut dire que chaque détail porte le cachet d'un goût personnel, délicat et fin, comme le talent du maître.

Quand on pénètre dans cette chambre, la première impression est étrange. On croit entrer dans une mosquée arabe. Comme ligne et comme couleur, c'est du pur Orient. Trois arcades blanches — comme on en trouve dans les maisons mauresques — et du cintre desquelles tombent de petites lampes en verre émaillé — séparent du reste de la chambre une sorte de. retrait, recevant le lit très bas, recouvert d'étoffes comme on n'en rencontre qu'au Caire, à Constantinople et à Damas — et encore dans les très bons endroits, inaccessibles aux caravanes des voyageurs vulgaires.

La porte de ce joli sanctuaire est elle-même un chef-d'oeuvre d'art oriental. Elle monte jusqu'au plafond, en accusant une puissance et une ampleur toutes monumentales. J'aime son pourtour noir, rehaussé de faïences bleues, d'un ton vif, encadrant un très remarquable panneau de bois délicatement ouvragé, dans le style de ceux que nous admirions

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LA GRANDE DAME.

récemment à Cadix, à Grenade, à Séville, et surtout à Cordoue, où les Maures les ont laissés. Grâce à ces détails, elle prend tout de suite un caractère éminemment décoratif. On n'imaginerait point une autre entrée pour le paradis... de Mahomet.

Vis-à-vis de cette porte, une vaste baie, en guise de fenêtre, s'ouvre sur l'avenue de Villiers, égayant sa large glace par des semis de fleurs d'émail, qui sont la joie des yeux.

En face du lit, la grande paroi, au milieu de laquelle s'élève la cheminée, est presque entièrement revêtue de ces jolies boiseries qui, sous le nom de moucharabis, abritent les belles musulmanes cachées derrière leurs fenêtres ou leurs balcons, pour lorgner le passant et voir sans être vues. Ici, des appareils électriques, combinés avec des verres de couleur, arrivent à des effets d'illumination d'une fantaisie féerique et d'une douceur de ton qui caresse en éclairant.

Cette chambre est coupée, comme certains salons des palais de Saint-Pétersbourg, par des arrangements de tentures et de riches draperies, qui forment, en diverses places, de petites retraites et d'aimables abris, où l'on peut lire, écrire, causer... ou rêver, dans une sorte de solitude plus recueillie et plus discrète. Cette chambre, unique en son genre, est, à coup sûr, une des plus jolies que nous connaissions. Il serait difficile de trouver un plus doux nid pour le bonheur — cet oiseau rare! S'il habite quelque part en ce monde, ce doit être ici, près d'un couple aimable et d'une envolée de jolis enfants.

Louis ENAULT.

LES DERNIÈRES MODES

LES nouvelles modes de la saison future sont singulièrement suggestives. L'art sera très satisfait. Le chiffon continue à lui demander le mot d'ordre. Les femmes coquettes n'auront pas à se plaindre; jamais nos grands faiseurs n'inventèrent plus séduisants atours pour les parer. Worth, ce grand maître des souveraines élégances, mêlant aux souvenirs d'autrefois la grâce vivante, la modernité de la Parisienne, a créé un

style nouveau, répondant exactement au sentiment artistique, aux habitudes de luxe et de vie de la haute société moderne. L'évolution qu'il a opérée se porte principalement sur la forme de nos jupes dont l'aspect est totalement changé. Tout en demeurant étroites du haut, soulignant le gracieux contour des hanches, elles sont beaucoup plus amples du bas, et les godets qui se forment de chaque côté du lé de devant commencent aux hanches, pour se terminer dans le bas en tuyaux d'orgue, s'accentuant davantage encore vers les lés de derrière. Cette forme est charmante et gracieuse si elle est bien exécutée, et donne au costume un aspect tout nouveau avec ses ornements brodés en forme de stalactites, descendant jusqu'au bas de la jupe. Parfois ce sont des

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quilles de velours ou de soie brochée, des dessous d'une tonalité différente, sur lesquels s'ouvre ou se découpe la jupe que la mode veut rasant le sol et exemple de traîne, pour les costumes de rue, les toilettes de visite, de même que pour les robes de théâtre et de dîner d'automne.

Les corsages ont des grâces infinies, tels que Worth les comprend; tantôt ils enserrent la taille dans un corselet de velours ou de satin cerclé de fines perles; tantôt c'est une petite veste savamment fendue sur un dessous de soie brochée, ou encore un corsage brodé découpé en carré devant sur une chemisette de soie souple, avec encolure également carrée, marquée par une guipure ancienne; le col est drapé en velours de teinte tranchante.

Définir la forme des manches est chose impossible, tant elles sont compliquées et fantaisistes, mais toujours gracieuses, avec leur ampleur exagérée, tantôt froncées et ouvertes à la saignée, sur la doublure de soie, tantôt coulissées et plissées sur le haut du bras.

Parmi les tissus nouveaux, il faut noter les draps miroirs, très fins et très soyeux, les lainages ondulés, sorte de gros crépons faits en tissu excessivement ténu et souple imitant la soie, puis les serges et les limousines unies ou mélangées, les zibelines rayées dont les teintes effacées sont très agréables à l'oeil.

Dans le royaume des soieries, le salin est roi, qu'il soit broché ou ■uni ; de fait rien n'est plus élégant tel que nos fabricants lyonnais nous le présentent cette saison, façonné, broché ou imprimé, avec une entente des coloris, un art parfait de l'harmonie des lignes. En parlant des robes de visite et de réception, nous reviendrons sur ces admirables tissus qui auront cet hiver avec le beau velours de soie une vogue énorme.

Dans la gamme des couleurs, nous aurons la nuance castor doré, vert myrte, dahlia, lavande, bleu sombre, flamme de punch; nous aurons ■encore les tons vert perruche, rose ibis, orchidée, rouge colibri, jaune souci, plus particulièrement employés pour les robes du soir.

Le manteau, approprié aux diverses nécessités de la vie élégante, se divise en trois catégories distinctes. Ce sont : pour le matin, la jaquette; pour l'après-midi, la casaque de velours ou de fourrure et la mante très ornementée; pour le soir, la grande douillette, ainsi que le manteau fourré, toujours long, destiné à protéger la toilette.

La jaquette fait partie de tous nos costumes trotteurs; en vain on a tenté, pour la suppléer, du petit collet de drap beige qui jouit cet automne d'une grande vogue. On revient toujours aux jaquettes si faciles à porter, si réellement pratiques et jeunes. On les fait en drap mastic ou fauve, vert sombre ou dahlia : les deux premières teintes sont particulièrement choisies. Ces vestes se font de deux sortes : les unes moulent la taille au moyen de pinces; les autres tombent droit devant; les basques sont

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courtes et très ondulées. Les coutures sont dissimulées sous des nervures de même drap, piquées sur leurs contours.

Un des modèles de Worth est particulièrement simple et joli, fait en drap mastic, orné d'une application de même drap formant un dessin Renaissance dont l'effet est très heureux.

Comme manteau de visite, c'est la casaque de velours, à basques courtes, très ample, incrustée de broderie aux poches et aux revers. Puis il y a le collet, d'une incomparable richesse d'ornement, d'une forme nouvelle, où le velours, le satin et la fourrure précieuse s'harmonisent à merveille.

Que dire des chapeaux? Les formes sont si variées, si différentes, Virot leur donne un aspect si gracieux et si coquet, qu'il est difficile d'en donner une description exacte. Les salons de la grande modiste ressemblent en ce moment à un palais enchanté où des femmes-fées distribuent la quintessence de l'élégance et de la beauté à la fine fleur de nos plus jolies Parisiennes, à la grande dame britannique, espagnole, russe, américaine ou italienne, venues tout exprès clans la grande ville choisir les coiffures et les modes nouvelles toujours les plus raffinées. Oseraiton les blâmer? Cela les rend si jolies !

Pour les courses et les sorties matinales, elles choisissent le petit toquet de velours rehaussé d'ailes ou d'une fantaisie d'oiseau, coq de roche ou tête de lophophore; ou encore le gentil petit chapeau rond en chenille et feutre tressés, pain brûlé, doublé de même, tressé de chenille et de feutre noir; les bords sont retroussés avec, comme ornement, un noeud de satin noir et un oiseau des îles.

Le velours glacé prime le feutre cet hiver; il s'emploie dans les nuances violine, pervenche ou flamme de punch. En guise d'ornements, beaucoup de fantaisies d'oiseaux, de rubans glacés, de dahlias et principalement des roses flamme de punch et pervenche, aux nuances dégradées, que Virot, avec sa science des couleurs, marie et groupe si harmonieusem*nt.

Est-il rien de plus gracieux, en effet, que ce mignon chapeau de théâtre ou de visite, le Bourbonnais, en velours glacé rouge vif orné d'un simple noeud de velours avec agrafe de jais? Puis cette autre gentille coiffure paysanne en velours noir brodé d'acier et d'argent d'une allure si originale.

Pour les sorties en voiture, c'est le grand chapeau en velours forme cloche, si seyant aux jeunes visages, qu'encadre une chevelure très soufflée et très bouffante.

Mais le superlatif de l'élégance, c'est la parure Grande Dame que vient de créer Virot, et dont nous publierons prochainement le dessin. Imaginez un ornement de cou retombant sur les épaules, fait en velours

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LA GRANDE DAME.

glacé dahlia finement plissé, mélangé avec art à un gracieux chiffonné de mousseline de soie noire formant collerette, que retiennent des coques de ruban. Ce n'est pas tout; il y a le chapeau, puis le manchon; un manchon merveilleux, indescriptible, surprenant, fait de velours glacé finement plissé de deux tons changeants vert et violine, disposé en volant triple, réuni par une peau de zibeline, avec tète, pattes et queue; de grosses coques de ruban glacé violine et vert sont fixées de côté. Par un raffinement d'élégance, l'intérieur est capitonné d'un parfum exquis, spécialement composé par Guerlain, qui donnera à la beauté qui en fera sa parure une senteur de fleurs délicatement odorantes et capiteuses.

ZIBELINE.

L'EXPOSITION UNIVERSELLE

D'ANVERS

Une Exposition universelle est un vaste champ d'informations ; comme tous les pays du monde y sont représentés, avec leurs coutumes, leurs produits, leur art et leur mauvais goût, le philosophe peut spéculer à l'aise et retirer de cet ensemble de choses quelques hautes leçons de sagesse.

Aussi bien, est-ce là le premier soin de M. Prudhomme lorsque l'aven35

l'aven35

298

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

Entrée principale

ture le mène visiter une Exposition : il se recueille, rassemble ses souvenirs, et, dans un langage de belle élévation, il profère des sentences et des considérations générales.

Ce sont ces mêmes considérations, qui, pieusem*nt étiquetées et conservées dans les bibliothèques publiques, servent de documents précis aux personnes chargées de dresser des rapports, de raconter les étapes du progrès et la marche des civilisations.

Ne raconte-t-on pas qu'un commissaire général à l'Exposition de X..., arrivé, sans en avoir écrit un traître mot, à la limite extrême de l'époque où il devait livrer son rapport, se tira de ce mauvais pas en copiant, littéralement, des considérations sur une Exposition dont les fastes remontaient à vingt ans en arrière?

Ce commissaire était un homme de bon sens. Il savait la vanité des phrases redondantes. Il savait qu'une Exposition ne vaut que par le détail et que ce qui en constitue le charme, c'est le décor, la mise en scène, la note d'art et de style; l'allure pittoresque, originale, inattendue; le goût et l'imagination qui en ont régi l'ensemble; les choses rares, amusantes, précieuses. En un mot, ce qui ravit les yeux et intéresse l'esprit.

Ce qui fait encore que l'on s'arrête longuement devant une évocation

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

299.

de contrées lointaines, perdues aux confins du monde, et ce qui fait aussi que l'on s'écarte comme de la peste des salles où de poncifs congressistes disputent avec gravité sur les moyens de propager le gilet de flanelle chez les peuplades du continent noir.

El ce commissaire intelligent, rééditant à vingt ans de distance un rapport jadis dressé par M. Prudhomme, a prouvé de significative manière combien vaines étaient les tirades, à quel point le lecteur aurait eu raison de jeter à terre cette publication, si, dès la première page, en grosses lettres, il avait aperçu cette mention prétentieuse: Considérations générales sur l'Exposition universelle d'Anvers.

Entre toutes les Sociétés auxquelles a donné naissance l'Exposition d'Anvers — en première ligne, comme la plus florissante et la plus active — il convient de citer la Société des marchands de parapluies.

A la suite de manoeuvres restées mystérieuses et de traités passés avec les cataractes du ciel, celles-ci se sont engagées, pour la durée de l'Exposition, à s'entr'ouvrir régulièrement et à déverser autant de pluie qu'il serait nécessaire. Et il pleut. Il pleut même à tel point qu'il est question de canaliser le parc et de faire venir des pirogues.

Néanmoins, avec quelques prières pressantes, et comme le ciel n'a aucune raison plausible pour mentir à sa vieille réputation de clémence, espérons que de prochains beaux jours vont luire sur le Dôme central, sur les pavillons du parc, sur la rue du Caire et sur ce malicieux ballon qui persiste à mépriser les hautes couches atmosphériques. Pour prouver, en

300

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

effet, que sa grandeur l'attache au rivage, le ballon crève toutes les fois qu'on s'avise de le faire monter. Et c'est tout le contraire du chiffre d'affaires réalisé par quelques forains d'ici — chiffre qui voudrait bien monter, mais que les visiteurs s'acharnent à faire descendre. Ce qui fait le bonheur des uns fait le malheur des autres, dirait M. Sarcey.

L'Exposition est dans la ville même — au bout d'une large avenue. De loin éclatent les couleurs, se profilent la coupole du Dôme et les deux tours qui l'encadrent. Le style architectural de ces édifices rappelle un peu celui du Trocadéro — car tous les dômes se ressemblent et l'ingéniosité du constructeur, si original fût-il, s'affirme plutôt dans le détail de la décoration que dans l'ensemble des lignes. L'espace compris entre la grille d'honneur — où sont les guichets de l'entrée principale — et le Palais de l'Exposition sert à un grand vaisseau allégorique qui figure la fontaine traditionnelle.

Des allées et des pelouses l'environnent, et, comme la perspective a

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 301

Compagnie générale des tabacs des îles Philippines

Pavillon Bauer

été ménagée avec intelligence et avec goût, et que les masses des constructions voisines sont suffisamment espacées pour ne pas s'écraser entre elles, le coup d'oeil est attrayant, agréable et d'une jolie allure.

Le parc est spacieux, planté d'arbres et de kiosques, et de pavillons et de tours, et de panoramas et de chalets. Et partout résonnent des musiques et des chants, et des appels dans tous les idiomes du monde, et des boniments de forains, et des instruments bizarres, et le bruit des machines. Car on retrouve ici les mêmes gens et les mêmes choses qu'on a vus à Paris en 1889, et qu'on reverra dans toutes les Expositions à venir : les restaurants de tous pays, les baumes de toutes les vertus, les boissons

compliquées, les découvertes récentes, les charlatans qui avalent des sabres, les nègres qui mangent de l'étoupe enflammée, les Turcs qui vendent des pastilles, les Italiens qui s'égosillent à chanter leur ciel bleu ; les Américains qui présentent des fauteuils dans lesquels on peut s'asseoir, dormir, lire, manger, se promener, faire des armes et prendre un bain ; des Tziganes qui jouent des czardas et des Aïssaouas qui se moquent de

vous.

Et puis des galeries très vastes, très longues — sans excepter celle des machines — où s'étalent des canons monstres, des bateaux colosses, des orgues, des pianos, des bourdons, des trompes marines, des maisons en chocolat, des pyramides en sucre et des forêts de bougies. Tout cela,

c'est le progrès.

Mais, à côté de la note forcément banale de toute Exposition, il faut s'arrêter ici, sur quelques détails d'originalité incontestable. D'abord la reconstitution du vieil Anvers, qui est une réalisation artistique parfaite et à laquelle nous consacrons un chapitre spécial. Et puis, cette rue de l'Escaut, située à l'extrémité du parc, baptisée jadis

l'American Plaisance du temps que

Pawnee-Bill rivalisait de gloire avec Buffalo et qui maintenant, déserte,

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

abandonnée par les dieux et par les hommes, figure dans.les fastes de l'Exposition sous le nom de cimetière d'Amérique.

Là furent enterrées des entreprises chimériques, dont celle du major Gordon, émule de Cody. Il eut son heure de célébrité, mais un jour apparurent les huissiers, et alors directeur, cavaliers, palefreniers, Indiens, empaquetant à la hâte bagages et instruments guerriers, montèrent à cheval et, revolver au poing — tels des trappeurs de Fenimore Cooper — se frayant un passage à travers les gendarmes et les créanciers, disparurent dans la brume des lointains.

Après le major Gordon disparut un cirque, puis une balançoire, et puis un

confiseur, et puis un autre, et ainsi de suite, jusqu'au jour où il ne resta plus que le musée de cire, mausolée de cimetière, encadré par deux rangées d'arbres funéraires. C'est de là encore que devait s'élever le fameux ballon qui éclatait à chaque ascension et dont la destinée fut pareille à celle de cet autre et aussi fameux ballon dirigeable, pour qui furent plantés, dans les rues d'Anvers, d'immenses poteaux en fer et qui valut, à la Société qui le créa, une désillusion retentissante. On avait fondé de grandes espérances sur cette entreprise; mais la saison était mauvaise et les ballons sont capricieux.

Ce sont là, assurément, petit* accidents sans importance, dont la portée est nulle et qui n'entravent en

rien la réussite. Les participants

participants fait de leur mieux

pour contribuer à l'éclat de

fa fête, et, tous les jours,

des choses nouvelles surgissent

surgissent là un pavillon, ailleurs

ailleurs restaurant, ici un

kiosque. On aura même une

sorte de Tour Eiffel, affectant

affectant forme d'un éléphant et destinée à servir de gigantesque salle à manger à ceux qui ne craignent pas les courants d'air. Pendant quelque

Pavillon du cacao Blooker

Chalet Widermans

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

Restaurant de l'Union

temps a existé aussi un concert, genre « Ambassadeurs », où l'on jouait des revues, où l'on chantait des romances et où un monsieur, dans l'accoutrement illustré par Bruant — velours et cache-nez rouge — faisait de son mieux pour imiter le chantre de Montmartre. C'était de la contrefaçon.

N'oublions pas le capitaine Boyton. Il a installé, à l'Exposition d'Anvers, un établissem*nt dont, à l'heure qu'il est, il a dû retirer de jolis bénéfices. Imaginez une vaste piscine et une immense pente inclinée — sorte de pont dont une extrémité tremperait dans l'eau. Sur cette pente sont installés des rails, sur les rails roulent des wagonnets, et, lorsque ces wagonnets, remplis de figurants, sont détachés du sommet de la pente, ils font un plongeon; le public s'esclaffe, les figurants barbotent, et cela recommence ainsi toute la journée et le soir jusqu'à onze heures. Et M. Boyton encaisse des entrées!

D'autres parties de l'Exposition, délaissées un moment par le public, ont repris de plus belle. Les fêtes données à l'occasion du tremblement de la terre turque ont amené une foule considérable. L'argent a afflué, la charité y a trouvé son compte et les exposants aussi : les exposants de bières, s'entend.

Il me reste maintenant à réparer un oubli, ou, pour mieux dire, une injustice. Personne dans la presse — et Dieu sait si la presse a parlé

304 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

de celle Exposition — ne s'est avisé d'adresser un compliment à deux catégories de personnes, les plus dévouées, les plus actives, les plus éprouvées : ce sont les loueurs de chaises et les membres du Comité chargé de recevoir les congressistes. Il est impossible de se faire une idée, même approximative, du mal qu'ils se sont donné.

Les loueurs de chaises étaient la bête noire du public. A peine quelqu'un s'asseyait-il sur un des nombreux sièges disposés le long des allées et des galeries, que vite un employé, comme du reste c'était son droit et même son devoir, venait réclamer le prix de la location — ci, dix centimes. Et alors discussion : « Mais les chaises sont libres! — Pas du tout, elles ne sont pas libres, puisqu'il faut payer. — C'est indigne. — Non, c'est deux sous. » Et ainsi de suite. EL comme les visiteurs étaient des milliers et que tous éprouvaient le besoin de s'asseoir une minute, vous voyez d'ici le sort de ces employés.

Quant aux membres du Comité, chargés de recevoir les membres des Congrès — il y a eu près de cent vingt Congrès — c'est avec un pieur et une émotion profonde que j'évoque ici leur triste sort. Cent vingt Congrès— avec une moyenne de cinquante personnes par Congrès — cela fait six mille congressistes, qu'il a fallu promener, piloter, amuser, organiser, faire banqueter et mener sur l'eau, dans l'Exposition et dans la ville. Ces six mille congressistes appartenaient à tous les pays de l'univers et représentaient tous les métiers et toutes les professions imaginables et inimaginables. Et tout cela parlait, caquetait, pérorait, discourait à perte de vue et à perdre haleine et sur les sujets les plus baroques et les plus grotesques.

A la sortie des séances — séances durant lesquelles il fallait écouter, ce qui constitue déjà un joli supplice— l'enfer commençait.— « Indiquez-moi un hôtel bon marché! — Où mange-t-on les plus gros biftecks? — Où est l'établissem*nt de bains? — Menez-moi chez le coiffeur! — Allons visiter la cathédrale!—Je veux voir Mme Ratazzi !—A quelle heure le banquet! !! » Et lorsqu'un Congrès finissait, un autre commençait, et cela depuis le 1er mai jusqu'au 1er novembre! Je réclame des statues et des pensions nationales pour ces courageux martyrs ! Il les ont bien gagnées !

VAN BUCK.

LE VIEIL ANVERS

Il faut connaître les Flandres, il faut avoir vécu de la vie des foules et participé des cultes qui l'émeuvent, pour comprendre comment, dans l'espace de quelques mois et peu de temps après que le projet en fut édifié, toute une cité a surgi du sol — une cité de naguère — toute une époque a été ressuscitée avec assez de charme pour entraîner la pensée hors de l'heure présente et la mener vers des siècles lointains, vers ce passé généreux par quoi aujourd'hui s'honore Anvers.

L'âme flamande est faite de dévotion pieuse, d'amour sans bornes pour son ancestral héritage ; pour les Maîtres qui furent son expression la plus haute et la plus familière; pour les oeuvres dans lesquelles, sans efforts, elle retrouve son

image.

Tout lui est connu de sa gloire et rien, de cette gloire, n'est mort pour elle. Le christianisme qu'elle aime est celui que popularisa le génie de Rubens; sa gaieté sereine, un peu charnelle et brutale, est la même dont resplendissent les kermesses de Téniers.

Les conditions extérieures ont changé, les cathédrales ont vieilli, les philosophes ont dit des paroles amères, mais toujours, celte fleur de pureté naïve que les primitifs mettaient aux doigts des vierges mystiques, est restée vivante dans l'âme des Flandres, et y restera aussi longtemps que les carillons du soir chanteront dans l'air la bonne et fraternelle joie de vivre !

Pays admirable, que les années écoulées n'ont point compliqué d'une

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LE VIEIL ANVERS. — Porte d'entrée

306 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

sensibilité nouvelle; où l'atmosphère des musées et des églises se continue dehors, dans la rue, dans la foule; où la rumeur des villes et l'aspect des choses n'interrompent pas le rêve commencé devant les toiles de Quentin Matsys.

S'il était possible de résumer en une faculté unique les manifestations les plus diverses de l'activité de ce peuple, on pourrait dire que, chez lui, cette faculté est l'intelligence de la tradition. Il l'entoure d'un dévouement si grand, d'une piété si parfaite, qu'à regarder passer, lors d'une fête populaire, ces cortèges historiques dans lesquels se complaisent tant bourgeois et artisans; à constater le sérieux, la dignité des personnages qui figurent en pompeux équipage— défilant au milieu d'un public recueilli, pénétré de respect et d'émotion réelle — la réalité disparaît, la pensée s'identifie avec l'illusion, et des grisailles du passé surgit tout un monde qui n'est plus celui des fantômes.

Pour qui veut pénétrer dans le passé et y rechercher des émotions précises, Anvers, mieux qu'aucune ville au monde, satisfait à ces inquiétudes et offre à l'artiste de généreux spectacles. On a modernisé le vieux port; des steamers gigantesques sillonnent les eaux de l'Escaut; le chemin de fer, l'électricité, les multiples applications de la science, y créent un mouvement et une vie extraordinaires. Et cependant, par les beaux couchants de soleil, par les nuits de clarté lunaire, l'artiste revoit les caravelles de jadis, les voiliers venus de par delà les mers, les batteurs d'estrades lointaines. Il perçoit les chants de matelots barbares, les mélopées lentes et tristes, et dans le miroitement des vagues, il retrouve l'image des belles déesses mythologiques sculptées à la proue des navires, promenées par l'aventure à travers les chemins du monde.

Et dans la ville, malgré les édifices nouveaux, les boulevards, les avenues déroulant à perte de vue leur perspective correcte, la pensée remonte aux temps révolus et y reste longuement fixée. Voici la maison des Plantins, voici la fontaine du Forgeron d'Anvers, de ce Quentin Matsys qui fut une âme sereine et sensible entre toutes; voici encore la maison de Rubens, le prince et le véritable seigneur de la cité, le peintre qui résuma dans ses toiles le catholicisme et l'énergie des Flandres. Et puis les églises, les rues tortueuses et sombres, mais illuminées par les lampes qui, nuit et jour, brûlent devant les vierges emmurées. Et partout, des vestiges glorieux, caressés par le temps et immortalisés par la foi des artisans, restés debout et profilant leurs silhouettes naïves en une atmosphère sereine et calme.

LE VIEIL ANVERS. 307

Si l'on pouvait comparer des cités de localités et de pays différents, je dirai qu'entre Utrecht et entre Anvers il existe plus d'une ressemblance. Des siècles de protestantisme n'ont pas enlevé à la ville hollandaise la forte empreinte de catholicisme par quoi elle s'illustra jadis et par quoi elle nous ravit à celte heure. De même que des siècles de luttes, et toute l'activité commerciale des temps modernes n'ont pas influé sur le caractère généreux de cet Anvers qui reste aujourd'hui ce qu'il était autrefois, c'est-à-dire le lieu dans lequel il est encore loisible au poète et au penseur de retrouver dans le décor une image de son rêve.

RUE DE LA BOURSE

Il est maintenant facile de comprendre comment un groupe d'artistes et de gens de goût, ayant décidé de reconstituer, à propos de l'Exposition universelle, le vieil Anvers du seizième siècle, a trouvé immédiatement le concours nécessaire, les documents dont il avait besoin et la bonne volonté d'une population entière, aidant de son denier à la réalisation du projet. Tout le monde s'est mis à l'oeuvre.

Pour imaginer les difficultés de l'entreprise, il faut songer un moment à ce qu'était Anvers au temps de Charles-Quint. Son commerce rayonnait dans l'univers, sa richesse était incalculable. Les rois étaient tributaires de ses riches marchands. Une seule marée amenait devant la ville quatre cents vaisseaux venus de l'Occident, de l'Orient, des contrées lointaines, et deux mille vaisseaux étaient toujours à l'ancre sur l'Escaut.

308

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

RUE DE LA BOURSE. — Entrée de l'ancienne Bourse

Siège de l'École flamande de peinture, trois cents peintres y vivaient à l'aise ; les belles-lettres y florissaient et l'imprimerie fameuse de Plantin en était l'Académie. Ses architectes et ses orfèvres, ses sculpteurs et ses artistes élevaient les cathédrales, les ornaient et les ciselaient avec un art resté inimitable. La bourgeoisie déployait son faste dans des édifices somptueux, et les richesses qu'elle y accumulait étaient telles que Jean Daens, ayant à sa table l'empereur Charles-Quint, devant lui fit brûler un reçu de cinq millions prêtés au monarque. A la Bourse, cinq mille trafiquants se disputaient les affaires. Ce fut l'époque radieuse de sa floraison, cette époque dont on a voulu ressusciter l'allure, la physionomie originale et artistique.

Certes, il faut savoir être indulgent pour des tentatives de ce genre, après tout passagères et seulement destinées au plaisir des yeux ; il ne faut pas demander au carton et aux décors de théâtre autre chose que l'illusion à laquelle ils doivent servir. Et si l'illusion est réelle, sans discordances, sans anachronismes ; si le vieil Anvers de l'Exposition a aidé l'artiste et le public à croire que c'était arrivé et que les hallebardiers du pont-levis étaient les mêmes qui montaient la garde devant la porte de Philippe II

310

L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

RUE DE LA CHAPELLE. — Au Petit Moulin et Béguinage

ou de Marguerite d'Autriche, il faut féliciter, en toute franchise, les promoteurs de l'idée.

Voici la porte de Kipdorp, une des plus anciennes de l'ancien Anvers. C'est par là que, moyennant une très petite redevance, on pénètre dans la ville : des gens d'armes, hauts de taille et de rouge habillés, y veillent avec scrupule. La porte est de majesté imposante et précédée d'un pontlevis. L'on conçoit pourquoi le duc d'Alençon, en 1583, fit de vains efforts pour s'en emparer. Ville gaignée! clamaient ses soldats. Pas encore! répondirent les bourgeois d'Anvers, derrière les créneaux. Et ce fut pas encore.

Après avoir dépassé cette porte, on est dans la rue de la Chapelle, dont la droite est bordée de maisons en brique et en bois, et où des métiers divers ont installé leurs tablettes. A la Grappe de raisin, une imprimerie; Au Saint-Luc, des tableaux et des estampes; A l'Étoile, un magasin chinois qui vend du thé, venu par les caravanes, dit-on; A la Giroflée, tabac turc et pipes flamandes ; Au Jambon, syndicat des charcutiers, une merveille de reconstitution pittoresque. Comme ce sont bien là les jambons glorieux des kermesses d'antan, et comme le charcutier est bien le même qui étale sa pantagruélique carrure dans les toiles de Steen ou

LE VIEIL ANVERS.

311

RUE DE LA CHAPELLE. — Chapelle et " Au Jardin joyeux »

de Téniers ! Et entre ces maisons, décorées d'arcades, aux pinacles ornés d'épines en fer forgé et surmontées de flèches couronnées de girouettes, s'élève une tour : la tour Saint-Jacques, et, tout autour de la tour, comme dit la chanson, huit fenêtres, d'un dessin gracieux. En face, un puits, copié sur celui qui existait jadis au carrefour de la rue Longue, de la rue des Tanneurs et de la rue Courte-de-l'Hôpital. Plus loin, avant d'arriver à la chapelle, un Christ en croix, taillé clans un marbre que les siècles ont jauni et qui, à n'en pas douter, est une des choses les plus belles et les plus précieuses du vieil Anvers. Il dominait autrefois le pont de la prison, à côté du Steen, et devant lui les condamnés à mort venaient réciter la prière des agonisants avant de monter à l'échafaud.

La chapelle ne mérite pas une attention particulière. Le seizième siècle a produit assez de chefs-d'oeuvre pour que les organisateurs eussent pu choisir un autre modèle. A l'ombre de cette chapelle, éphémère comme tout le reste, d'ailleurs, plusieurs boutiques : Au Saint-Éloy, atelier d'un forgeron d'art, Abrams Van den Broeck, dont il convient de

312 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

citer le nom pour ses beaux travaux; A la Pelisse, un tailleur et costumier; A la Cigogne, fabrique de pipes; Aux Deux Clefs, sucreries et friandises, etc., etc.

La Grande Place. C'est ici que se tiennent les tournois et que de puissants chevaliers, bardés de zinc et montés sur les dociles palefrois de la Compagnie des tramways, rompent des lances courtoises. C'est ici

encore que défilent les cortèges et qu'ont lieu les entrées solennelles des Césars au sceptre d'or. Et ce n'est pas une des moindres attractions du vieil Anvers que ces fêles historiques, ordonnées avec science parfaite et scrupule. M. Frans van Kuyck, l'organisateur et l'âme de ces réjouissances archéologiques, y a dépensé le plus clair de ses talents de peintre et d'artiste. Avec une amabilité dont il convient de le remercier, il nous a fait visiter en détail les vastes magasins où sont remisés, par ordre et par richesse, les éléments de ces cortèges. On y voit les brocards et les satins, les armures géantes et les casques empanachés ; les lourdes épées à deux mains (mais en bois pour la circonstance), les étendards aux écus flamboyants et les caparaçons étincelants et tout

LA LAITERIE

DOCTEUR FAUVEL

Bon rire et deux mains tendues, pleines d'or, maison de gloire ouverte aux soufrants, voilà ce que tout Parisien vous raconte lorsqu'on parle devant lui de M. FAUVEL.

Le Docteur est bien de cette race des gens du Nord qui se vengent de leur naissance en volant au Midi ses belles vertus et en lui laissant pour compte ses trop nombreux vices. Un front de penseur sous de grands cheveux ondoyants, deux yeux clairs où l'âme envoie sa bonne humeur, une bouche d'esprit dont les coins souriants semblent affiner chaque mot, et le plus distingué, le plus solide, le plus généreux talent de

l'heure présente.

Le Docteur FAUVEL est le fils d'un médecin qui s'est fait très honorablement connaître, il y a pas mal d'années, dans le département de la Somme. Dès l'âge de quinze ans, il donna des preuves de vocation, si naïves, si irrésistibles, que son père l'associa bientôt à toutes les autopsies et à la plupart des opérations qu'il était appelé à pratiquer, en qualité de médecin du Palais de Justice.

En 1848, le jeune FAUVEL entrait à l'Hôtel-Dieu d'Amiens comme élève des Drs Barbier et Josse. Quelques années plus tard, il vint à Paris, n'ayant pour tout bagage qu'un dévouement sans défaillance, cette gaieté de longue haleine qui ne l'abandonna jamais, et sa bonne âme qui chantait dans ses yeux clairs de sauveur.

Etapes d'études, — les plus fleuries, dit-il parfois. — Successivement externe à Lourcine, aux Enfants-Assistés, puis interne à Lariboisière et à la Charité, il eut la chance d'y trouver là des maîtres comme Cuvelier, Velpeau, Tardieu, Nelaton, etc. Ce fut à cette école qu'il prit cette acuité de vision, cet extraordinaire doigté d'opérateur, et aussi cette simplicité de ton et de sentiment qui le distingue entre ses collègues, et lui fait une place dans le groupe aimable et glorieux de ces hommes éminents.

Dès lors, il se consacre tout à fait aux maladies du nez et du larynx et fonde une clinique.

Nous l'avons visitée, cette admirable clinique, et ce que nous avons vu de malades rendus à l'espoir et à la vie nous a profondément émus.

Voici le compte-rendu des cahiers; ils sont édifiants. Les fleurs d'une rhétorique banale ont moins de parfum que n'en exhale ce bouquet de chiffres :

De septembre 1871 à février 1890, c'est-à-dire dans un espace de dix-huit ans, la clinique a reçu 19.000 malades; calculez alors combien elle en reçoit tous les mois !

La gloire n'est point sévère pour ce lutteur. Elle arrive et s'asseoit, familière, près de l'homme utile à son pays. En 1875, les soins que le Dr FAUVEL avait prodigués à la reine Isabelle lui firent décerner par Don François d'Assise la décoration de l'ordre de Charles III. Il a semblé, pendant quelques années, que les nations d'Europe voulurent prouver à cet homme de coeur la sympathie et la déférence qu'elles attachaient à son nom. Une bande de ruban s'envola de tous les pays du monde, de l'Espagne, de la Russie, de la Grèce, de l'Egypte, du Brésil, etc., mais ces oiseaux, le Docteur ne voulut jamais les exhiber; il en fit une volière amie où leurs ailes exotiques s'ébattaient en secret, et qui ne servirent qu'à lui prouver que les hommes n'étaient pas toujours ingrats.

On se rappelle ces visites d'ambassade, chez lui, au moment de la maladie de l'empereur Guillaume. L'Europe cette fois, semblait le prier de sauver une couronne, et, sans souci des mesquineries de la politique, le Docteur allait partir, lorsqu'un mot malheureux du Chancelier l'en empêcha.

M. FAUVEL est un homme d'intimité charmante. Un dernier trait de lui : il a l'habitude de dire à ses amis qu'il « faut soigner avant tout le moral des malades, » et... parapher les ordonnances d'un « mot de la fin. »

Le Dr CHARLES FAUVEL, professeur libre de laryngoscopie et de rhinoscopie, membre de la Société anatomique et de la Société de Médecine pratique de Paris, des Académies de médecine de Constantinople et du Brésil, officier d'Académie, chevalier de la Légion d'Honneur, chevalier de l'Ordre de Charles III d'Espagne, officier du Saint-Sauveur de Grèce, commandeur du Nicham et du Medjidié etc., etc., est né à Amiens en 1830.

Il a publié un très grand nombre d'articles dans les journaux de Médecine de France et de l'étranger et plusieurs ouvrages dont le plus important est son Traité pratique des maladies du Larynx, gros volume de 920 pages contenant 144 figures dans le texte et 20 planches dont 7 en chromo-lithographie, publié en 1876 chez Adrien Delahaye.

C'est lui qui, le premier, a eu l'honneur de démontrer les propriétés anesthésiques de la Coca. Il a fondé une clinique de laryngoscopie et de rhinoscopie où il traite gratuitement plus de 160 malades par mois.

LE VIEIL ANVERS. 313

l'attirail complet dont se vêt, à jour fixe, le personnel du vieil Anvers. Sur la Grande Place s'élève l'Hôtel de Ville, marqué aux armes d'Antoine de Bourgogne, duc de Brabant. Des échauguelles octogones profilent dans le ciel leurs aigles aux ailes déployées. En face de l'Hôtel de Ville, le Théâtre, c'est-à-dire une vaste scène, en plein air, entourée de décors Renaissance et surmontée d'une Renommée. Là, les soirs où il ne pleut pas, se donnent des concerts et se jouent des drames, des comédies, des farces. Entre toutes les distractions dont la surprise est

réservée aux étrangers, les concerts sont assurément la plus belle, la plus intéressante. La musique est ancienne, c'est-à-dire de l'époque, et d'un archaïsme exquis. Les canons à deux, à quatre voix, les choeurs, l'orgue, l'accompagnement de l'orchestre, les soli, les ensembles, tout, sont d'un charme pénétrant et d'une exécution parfaite. Je ne vois, pour rivaliser avec les artistes qui ont assumé là celte tâche difficile et si délicate;, mais qui s'en sont tirés à leur grand honneur, que ces autres artistes; si dignes d'éloges qui composent la maîtrise de Saint-Gervais de Paris.

Après le théâtre est la maison du Margrave, ornée de Tritons, bâtie en pierre blanche et bleue et conçue dans le style de la seconde moitié du seizième siècle. A côté, une autre maison de même style, et portant sur le faîte une statue du fameux Brabo, du Brabo de la légende, du

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LA COUR DU PUITS

314 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

Brabo dont il faut au moins raconter l'histoire en deux lignes. Il était une fois un géant, un mauvais géant, qui s'appelait Antigon et qui demeurait dans un bourg situé exactement à la même place où se trouve aujourd'hui Anvers. Or, quand un vaisseau passait sur l'Escaut, le géant Antigon réclamait un tribut, et quand le capitaine du vaisseau ne voulait pas le payer, ce tribut, le géant Antigon lui coupait un bras — ne plus ne moins. Mais les choses ne pouvaient pas s'éterniser de la sorte, et comme, après tout, il fallait une légende, voilà qu'un guerrier romain, appelé Brabo, résolut d'occire le méchant Antigon. Il alla au château, combattit avec le géant, le pourfendit de part en part, lui coupa la main — chacun son tour — et la jeta dans l'Escaut. Hand-werpen : lancer la main: Anvers! Brabo: Brabant. D'où peut-être aussi : bravo!

Il serait difficile de nommer les édifices nombreux qui ornent la Grande Place du vieil Anvers, et, par conséquent, de définir leurs styles, leur caractère architectural. Tous appartiennent aux derniers temps du gothique flamboyant et au commencement de la Renaissance flamande.

Des boutiques, des auberges dans toutes les maisons :

A Sainte-Elisabeth de Hongrie, un magasin de tapis et un atelier de fabrication, patronné par la comtesse Jeanne de Mérode.

A la Corne d'abondance, pâtisserie; A l'Empereur romain; A la Maison du Margrave; Aux Armes de Malines ; la Cave des Polichinelles; Aux Cinq Anneaux, atelier et magasin d'un marchand de diamants; A l'Araignée d'or, fabrique de dentelles. Assises devant la porte, avec la coiffe et le costume du temps, les ouvrières travaillent, silencieuses, et c'est un tableau charmant où revit, en décor, toute une page d'autrefois.

Au T'Lootsje, où les héritiers du célèbre Lucas Bols, d'Amsterdam, vendent du curaçao, dans la bonne vieille auberge du bon vieux temps.

Aux murs, les faïences de Delft, les râteliers où reposent les longues pipes de graves personnages, car, en Hollande, tous les personnages sont graves. La tradition le veut. Derrière le comptoir, des servantes aux joues rubicondes, aux bras nus, â l'anatomie puissante, versent dans les verres à long pied, légers et de ligne souple, le curaçao ou le schiedam des bouteilles ventrues. Et des chandeliers en cuivre qui reluisent comme de l'or, et des plats en porcelaine historiés de ce bleu chanteur qui est une musique pour le regard, et des escabeaux, et des tables massives qui semblent faites aux coups de poing et aux rudes secouées, et la cheminée monumentale, et la pyramide formidable des pots de grès, des bouteilles, des cruchons, et les grosses poutres du plafond, noircies par la poussière des siècles et par la fumée des pipes, et tout cet ensemble d'une harmonie très douce, très reposante, obtenue avec art et qu'on regrette de voir dis-

LE VIEIL ANVERS.

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paraître sitôt. A plus d'un titre, d'ailleurs, elle est curieuse, l'histoire de cette maison de liqueurs, dont les origines remontent aux dernières années du seizième siècle.

En 1575, 1e vieux Lucas Bols créa sa première distillerie aux environs d'Amsterdam. En dehors des fortifications, car, à cette époque, défense

était faite d'établir dans la ville semblable industrie. L'installation du vieux Bols était primitive et consistait dans une petite maisonnette de bois, appelée het lootsje : la grange, dans la langue du pays. Lorsque, en 1612, Amsterdam fut agrandi, les fortifications se trouvèrent reculées et la maison de Bols comprise dans la nouvelle ville. Les distilleries eurent droit de cité, et l'ancienne fabrique, rasée de terre, fut à nouveau édifiée en maçonneries de briques et sur des proportions plus vastes. La céléFAÇADE

céléFAÇADE DE LA PORTE DE KIPDORP

Vue prise du Béguinage

316 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

brité commençait. Mais en souvenir des débuts, la marque de fabrique

fut conservée et le nom de het lootsje traversa les siècles.

C'est des colonies occidentales de la Hollande, de la petite île de Curaçao, que viennent les écorces d'oranges vertes avec lesquelles on fabrique la fameuse liqueur. Et quels soins dans la préparation,et quelles attentions de conserver intacts la tradition et le bon renom de la fabrique! Avant de remployer, on va jusqu'à raffiner le sucre de canne à

l'usine; les graines, les fleurs, les écorces, les plantes sont infusées et distillées directement, et pour rien au monde on ne se servirait d'essences douteuses, achetées toutes prêtes. EL les liqueurs, après de longs mois de repos, s'en vont ainsi, dans le monde entier, dans le flanc copieux des cruchons légendaires ou des flacons scellés comme parchemins de chancellerie.

En tournant l'Hôtel de Ville, on entre dans la rue du Marché, dans la

rue des nombreuses boutiques où les métiers les plus divers étalent

leurs produits devant les façades en bois. Il y a même une boutique

L'EGLISE ET L'AUBERGE LUCAS BOLS

LE VIEIL ANVERS. 317

où un monsieur, privé de ses deux bras, peint avec les pieds. Sa peinture s'en ressent.

A la Pomme de Grenade, on vend des fruits; Au Cygne d'or, des pièces d'orfèvrerie ; Au Jardin des Arbalétriers, une auberge; A la Feuille de trèfle, une laiterie; A la Bouteille rebelle, une autre auberge; Au Paradis terrestre, une troisième auberge; A la Maison des pilotes, encore une. auberge; Aux Armes de la Gilde de Saint-Luc, un peintre, mais se servant de ses mains, celui-ci.

L'AUBERGE LUCAS BOLS

Après avoir longé cette rue du Marché, on entre à la Bourse, vaste

bâtiment reproduisant exactement l'ancienne Bourse d'Anvers, qui se

trouvait autrefois entre les rues Zirk, du Jardin et de la Porte-aux-Vaches.

Elle existe d'ailleurs encore, mais délaissée dans une maison privée, où,

je crois, il est loisible de la visiter. Elle fut construite sur les plans de

Dominique de Waghemakere, l'architecte célèbre:. C'est une vaste cour

entourée de portiques soutenus par des colonnes à chapiteaux, illustrés

de feuillage, et supportant des arcs surbaissés et trilobés. Entre ces

arcs, le gothique flamboyant des, broderies orne le mur.

A toute heure, la Bourse regorge de monde. Il y vientt, ce monde, non

3318 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

point pour s'occuper de trafic et spéculer sur la hausse, mais pour manger et pour boire, occupation plus agréable et plus sûre. On boit beaucoup à Anvers— on boit énormément au vieil Anvers. Je crois même qu'on ne fait que cela. Et l'on a raison. La boisson n'y est pas chère, point nuisible, et, comme il faut bien passer le temps, autant le passer le verre en main. Jamais de tapage, de rixe, de discussions. On boit, on se grise, on fredonne une chanson, on dort une heure ou deux — sur sa chaise ou sous la table, peu importe — et l'on recommence! Et la vie s'écoule, calme, honnête, sage, à se remplir la panse et à honorer le Seigneur dans l'harmonie de ses oeuvres. L'ivresse, ici, a un caractère spécial. Elle n'est ni bruyante, ni querelleuse. Elle est cligne, patriarcale. On boit pour boire, pour le plaisir de boire et parce qu'on est habitué à boire.

A signaler encore, à la Bourse, un groupe de chanteurs napolitains. Des types de Léopold Robert, pittoresques d'allure et amusants à écouter... en passant. Ils disent le ciel bleu, la joie d'aimer, et ils le disent avec charme. Le public reprend en choeur les refrains, après quoi une fille de Naples fait le tour de l'assistance, une sébile à la main. Elle a de grands yeux noirs, d'une adorable beauté; des yeux sauvages et doux, et captivants comme l'âme italienne. Malheur à qui les regarde trop longtemps !

En sortant de la Bourse, on revient à la Grande Place, et, comme le soleil — quand soleil il y a — éclate sur fous ces édifices, en harmonise les teintes et fait resplendir les aigles d'or qui déploient leurs ailes pardessus les toits, on peut recommencer sa promenade; et l'on doit même la recommencer. Car bien des détails nous ont échappé, et c'est par le détail surtout, par le soin minutieux avec lequel ont été reconstitués les objets les moindres, que le vieil Anvers sollicite l'attention.

Et si la bonne fortune du visiteur l'amène là un jour de cortège, comme l'entrée de Charles-Quint, ou un jour de tournoi en champ clos, alors il ne regrettera pas les ennuis du voyage, ni les dépenses, ni les pluies éternelles qui l'ont salué à son entrée clans la ville de Rubens. Le Comité organisateur a royalement fait les choses, et il est à présumer que les marchands de velours, de salins, de brocarts, d'étoffes de toutes sortes ont réalisé, avec les marchands de parapluies, de sérieux et enviables bénéfices.

Comment décrire la pompe impériale et raconter ici les fastueux cortèges sans recourir à des pages entières de nomenclature, dont la moindre

LE VIEIL ANVERS. 319

contiendrait des centaines de noms? Que le lecteur veuille se rappeler Hans Mackart et la fameuse entrée de Charles-Quint à Vienne! Ce n'est pas absolument la même chose et quelques détails ont été omis; mais comme coup d'oeil, l'illusion est pareille.

En souvenir de la blonde jeune fille qui, du cortège où elle figurait, me jeta un jour la jolie fleur de son sourire, je vais transcrire ici le programme de cette fête historique et désormais célèbre.

RUE DE LA CHAPELLE

Voici les chevaliers de la Toison d'or et les jeunes femmes semant des fleurs, et le duc de Nassau portant la Pomme d'or, et le duc de Savoie portant la couronne; et Marguerite de Parme dans une litière portée par quatre hercules ; et les dames de Croy, de Fièves, de Ravenstein — j'en passe, et des meilleures ! — sur de blanches haquenées ; et les échevins, les bourgmestres, les hommes d'armes, les capitaines, les musiques, les prélats ; les hérauts jetant aux foules des poignées de monnaie (rassurez-vous, il n'y avait pas de réclame dessus); et les étendards, les oriflammes, les pennons, les cuirasses, les lances, les épées, les chevaux caparaçonnés d'or et d'argent. Et l'empereur, sous un dais empanaché, figuré par un jeune amateur très conscient de sa puissance.

Il s'y est donné aussi des tournois. Force lances courtoises y furent

320 L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS.

rompues en l'honneur de reines et de princesses et aussi en l'honneur de Mme Ratazzi de Rute, publiciste connue en Belgique.

Mais, mieux encore que cortèges et tournois, kermesses et entrées solennelles, je recommande au visiteur le spectacle suivant, le plus beau qui se puisse voir en le vieil Anvers de l'Exposition : la cité de jadis, par un clair de lune, quelques minutes avant la fermeture des portes.

Tout ce que les couleurs ont de discordant pendant le jour—les petit* défauts de style et de détail; la banalité des costumes trop neufs et la foule encombrante; les chapeaux hauts de forme et le clinquant des bazars, tout cela disparaît ou s'estompe et s'harmonise à la clarté lunaire. Et la sensation est délicieuse, qui vous vient de cette ville morte, aux toits se découpant sur le ciel, dans le grand silence et dans le sommeil des choses.

Et c'est durant ces minutes trop rares — car il faut vider la place et les hallebardiers sont féroces — que j'ai le mieux et le plus immédiatement senti à quel point et avec quelle force l'intensité d'une émotion dépendait de l'irréalité du décor. L'idée de beauté, chez les maîtres de noblesse, a toujours eu pour cadre un paysage de rêve. C'est par le rêve qu'on reconstitue le passé. Fermer les portes du vieil Anvers à l'heure unique où le visiteur peut l'évoquer, c'est vouloir refuser à ce visiteur une de ses joies les plus belles. Mais peut-être le Comité a-t-il pensé, et avec justesse, que des visiteurs, réunis la nuit dans une des rues du vieil Anvers, s'empresseraient aussitôt d'échanger des considérations archéologiques ou littéraires —tous témoignages de sottise qui eussent offensé à la poésie du lieu. Passé dix heures, les chats seuls ont droit de cité.

Incontestablement, si le chemin de fer pouvait transporter à Paris, lors de l'Exposition de 1900, cet intéressant quartier du vieil Anvers, ce serait un succès monstre. Et pourquoi ne le tenterait-on pas? On a bien transporté l'Obélisque!

MONTGENOD.

PALAIS ROYAL DES NECESSIDADES, A LISBONNE

S. M. la Reine de Portugal

On causait un soir chez une très aimable et très grande dame de Lisbonne, la duch*esse de Palmella; chacun vantait la beauté de la reine Amélie et le charme exquis de sa personne.

— Et combien Elle est gracieuse ! conclut avec enthousiasme un jeune officier de marine.

— Jeune homme, interrompit un vieux diplomate, ne dites pas de la reine qu' Elle est gracieuse; dites qu'Elle est la Grâce elle-même.

Le diplomate avait raison. La nature, sans doute, a comblé de ses dons les plus précieux la jeune souveraine; d'une taille élevée et d'une suprême élégance, les traits d'une grande pureté de lignes avec, sur les lèvres, un sourire aimable qui découvre l'émail de dents éclatantes, une voix harmonieuse qui charme les oreilles et captive les âmes, des yeux d'une infinie douceur, S. M. la reine Amélie est d'une incontestable beauté.

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322 LA GRANDE DAME.

Mais elle est plus que jolie et mieux que belle. Ce qui lui vaut tous les suffrages et lui attire tous les coeurs, c'est, avant tout, l'incomparable grâce de sa personne, le charme de son esprit, la bienveillance et la bonté qui rayonnent autour d'elle.

Pour tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher, elle a un mot aimable, souvent l'une de ces inspirations délicates et charmantes qui ne s'oublient pas. On me permettra de raconter à ce sujet, entre beaucoup d'autres, une anecdote dont je fus témoin et qui remonte au jour même de l'entrée de S. A. R. la princesse Amélie en Portugal. A l'un des arrêts du train royal qui amenait à Lisbonne la jeune fiancée du prince héritier, en gare de Pampilhosa, au milieu d'une affluence énorme d'ouvriers et de paysans accourus de toutes parts pour voir et acclamer leur future souveraine, une femme du peuple, tenant sur son épaule un enfant, lui disait au passage de la princesse qui regagnait le sleeping avec Mgr le duc de Bragance : « Regarde bien notre belle princesse et envoie-lui des baisers. » Le bambin, ravi, ne demandait pas mieux que d'obéir. Aussitôt, la princesse quitte le bras de son fiancé, s'approche de la balustrade élevée autour de la gare et embrasse sur les deux joues le menino portugais. La mère se met à pleurer de joie et d'orgueil. La foule applaudit à tout rompre, et le train repart au milieu d'une manifestation et d'un enthousiasme sans exemple à Pampilhosa !

Peut-on, après cela, s'étonner que la princesse Amélie n'ait eu qu'à paraître pour conquérir son futur royaume? Avant même la mort du regretté dom Luiz, c'était une princesse de la Maison de France qui, par droit de grâce et de beauté, régnait sur le Portugal. Combien de fois n'avons-nous pas entendu répéter alors cette phrase qui résumait si bien l'impression de tous : « E munto amable e bonita! Qu'elle est grâcieuse et qu'elle est jolie ! » L'opinion, depuis, n'a pas changé, loin de là.

Comment, d'ailleurs, les Portugais n'auraient-ils pas aimé une jeune princesse dont la première pensée, en touchant le sol de sa nouvelle patrie, fut la création de toute une série d'oeuvres de bienfaisance ? Dès le 28 mai 1886, huit jours après son mariage, commençait à fonctionner, sous sa haute direction, un « Comité d'association protectrice des intérêts de la classe ouvrière » et l'on inaugurait, sous le nom d' « Institut de la princesse Amélie », un vaste établissem*nt de charité.

Ce constant souci des pauvres, cette inépuisable charité, dont le prix est doublé par la grâce avec laquelle elle s'exerce, ont mérité à la reine

S. M. LA REINE DE PORTUGAL. 323

Amélie une immense popularité dans toutes les provinces du royaume, aussi bien que dans sa capitale. Personne, là-bas, n'ignore que sa liste civile passe presque tout entière en aumônes et en libéralités, et tout le monde lui en témoigne une vive et respectueuse reconnaissance.

Cette inlassable bonté, qui est une vertu, cette bienveillance à l'égard de tous, qui est la plus irrésistible des séductions, on ne saurait oublier que

c'est, pour S. M. la reine de Portugal, une tradition de famille. Elle en a reçu les leçons et l'exemple de son auguste mère, Mme la comtesse de Paris, et Eu garde fidèlement le précieux souvenir de la princesse Amélie, qu'il a perdue presque à l'heure douloureuse où une proscription injuste et cruelle lui faisait perdre aussi celle qui serait aujourd'hui sa joie et son orgueil, l'idéalement belle et grâcieuse princesse Hélène.

Le roi dom Carlos est un grand ami de la France. A toutes sortes de raisons politiques qui ne seraient pas ici dans leur cadre, il ajoute volonPALAIS

volonPALAIS NECESSIDADES. — Cabinet du roi.

324

LA GRANDE DAME.

tiers ce motif déterminant qu'il doit à notre pays son mariage et son bonheur. Dom Carlos est un fort élégant cavalier, très blond, à la moustache militairement relevée, de taille moyenne avec un peu d'embonpoint. Les traits, à la fois énergiques et fiers, révèlent une grande bonté. Il s'exprime en français avec élégance et facilité. Il est dans son royaume le protecteur et l'ami des Lettres françaises. Il se tient presque jour par jour au courant de notre production littéraire, et nombre d'écrivains de notre pays, même de ceux qui ne sont pas très connus chez nous, seraient à juste titre heureux et fiers de

savoir que le roi lit leurs oeuvres et qu'il les juge avec un sens critique absolument remarquable. D'une intelligence élevée et d'une imagination naturellement ouverte aux choses de l'art, il fait à l'aquarelle et au pastel des oeuvres intéressantes et qui le passionnent. Chasseur adroit, grand cavalier, il excelle à tous les exercices du corps.

Tel est le ménage royal. Ajoutons que deux beaux enfants aux cheveux blonds et bouclés, deux « princes charmants », le duc de Bragance, prince de Beira et le duc de Béja, représentent, pour un lointain avenir, la suite de la dynastie.

L'union de la princesse Amélie et du jeune duc de Bragance fut, on s'en souvient, une idylle. Le roi et la reine sont tendrement unis. L'idylle princière

PALAIS ROYAL DE LA PENA, A CINTRA

S. M. LA REINE DE PORTUGAL.

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s'est continuée sur le trône. M. Estancelin, qui eut récemment l'honneur d'être reçu au palais royal, en a rapporté une bien touchante et patriotique anecdote.

C'était, il y a peu d'années, au moment où l'Angleterre, dont les appétit* coloniaux étaient gênés en Afrique par la résistance du major Pinto, menaçait de faire devant Lisbonne une démonstration navale. Un conflit était à craindre. On parlait un jour à Cintra de cette grave éventualité. Le roi dit en montrant les batteries qu'on voyait au loin sur les bords du Tage : « Si un coup de canon est tiré par les batteries portugaises, je serai au milieu des

artilleurs. Je prouverai au pays et à l'Europe que, si le roi d'un peuple inférieur en nombre à un ennemi puissant ne peut pas espérer donner la victoire à ses soldats, il peut du moins donner l'exemple du dévouement et du courage, et mourir au besoin pour l'honneur du drapeau.

— Et je ne laisserai pas le roi aller seul au péril, s'écria la reine Amélie.

— Madame, dit l'un des assistants, la place d'une femme est-elle au milieu de la bataille? Votre Majesté ne se doit-elle pas à ses enfants?

— La place d'une femme et d'une reine est toujours aux côtés de son mari et du roi, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, et j'irai! »

N'y a-t-il pas une grandeur et une simplicité cornéliennes dans ce : « J'irai! » qui montre tant de courageuse résolution chez une jeune souvePALAIS

souvePALAIS DE LA PENA, A CINTRA

LA GRANDE DAME.

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raine dont la grâce et la bonté ne pouvaient assurément entrevoir sans horreur les hasards sanglants de la guerre. Mais le devoir avait parlé, la reine était prête. On peut en être ému, il n'est permis à personne de s'en étonner.

On voudra sans doute connaître le cadre où se passe la vie de la jeune reine de Portugal. Il est grandiose et dans l'un des plus beaux pays du monde. Lisbonne ne compte pas moins de trois palais royaux, tous situés non loin l'un de l'autre à l'extrémité ouest de la ville et, par suite, assez éloignés du centre de la capitale. En suivant le Tage vers son embouchure, on trouve d'abord le palais de Belem, ancienne résidence du duc et de la duch*esse de Bragance. Il est habité maintenant par la reine mère, S. M. Maria-Pia. Belem est une vaste construction composée d'un rez-de-chaussée immense surélevé sur un sous-sol.

La salle des réceptions est d'une forme rectangulaire, de proportions imposantes et magnifiquement décorée. Les tentures et les tapisseries sont des chefs-d'oeuvre de la Renaissance; le plafond, une merveille d'où descendent de splendides lustres de bronze et de cristal. Les meubles appartiennent au style Louis XIV. Mais la merveille et le charme de Belem, ce sont ses terrasses qui s'élèvent en gradins et d'où l'on jouit d'une vue féerique sur l'estuaire du Tage et les coteaux

PALAIS DE LA PENA. — Le parc.

S. M. LA REINE DE PORTUGAL

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verdoyants de PortoBrandâo. En s'éloignant du fleuve et au sommet d'une des sept collines où s'étage Lisbonne, on voit s'élever le somptueux et vraiment royal palais d'Ajuda, où ont eu lieu les réceptions de gala en 1886. Les cérémonies de cour présentent à Ajuda un spectacle grandiose auquel se prête admirablement une longue suite de salons luxueux qui aboutissent à la salle du Trône où sont entassées de prodigieuses richesses. Dans les galeries, un encombrement de tableaux et de marbres

des différentes écoles, de bahuts, chefs-d'oeuvre de sculpture, de porcelaines, d'objets d'art de toutes les époques et de tous les styles. De construction imposante, un peu massive, Ajuda est le Versailles portugais.

Mais c'est le palais des Necessidades qui est maintenant la résidence habituelle de Leurs Majestés. Ajuda ne fut bâti que dans la seconde moitié du siècle dernier, pour remplacer le palais détruit par la terrible catastrophe du 1er novembre 1755. Les Necessidades remontent au roi Jean V qui fit construire le palais actuel à côté d'une belle église élevée par les ancêtres au lieu et place d'une chapelle où l'on vénérait jadis la Vierge d'Ericeira, image miraculeuse que les fidèles, et les marins en particulier lorsqu'une tempête mettait en péril leur existence, invoquaient sous le nom de la Vierge das Necessidades.

PALAIS DE LA PENA. — Cabinet de la reine.

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LA GRANDE DAME.

Les somptueux appartements du palais de Jean V renferment, eux aussi, des merveilles artistiques. Des fenêtres, la vue s'étend jusqu'à l'embouchure du Tage. Le roi et la reine habitent ordinairement ce palais pendant l'hiver. C'est aux Necessidades que résidaient, en 1886, Mgr le comte de Paris, Mme la comtesse de Paris et les princes et princesses de la Maison de France.

l'été, la cour se rend parfois, pour les bains de mer, à Cascaès, au bord de l'Océan. C'est le Trouville de Lisbonne. Mais les séjours les plus fréquents se font à Cintra, à 30 kilomètres de la capitale. Cintra, c'est... le paradis terrestre. Figurez-vous, au milieu d'une plaine méridionale, toute

blanche et brûlée par le soleil, aux champs bordés d'aloès, une oasis fraîche et merveilleuse avec une végétation tropicale où les plantes ratatinées de nos serres sont des arbres; des sources qui jaillissent un peu partout, et, au sommet d'une montagne de 600 mètres qu'on gravit dans une admiration croissante de ce qui nous entoure et nous charme, le château — la Pena — ce chef-d'oeuvre des Maures, restauré avec un art exquis par le roidom Fernando, un nid d'aigle, d'où l'on jouit, sans se lasser, d'un air si pur, d'une brise parfumée si douce qu'elle ressemble à une caresse, et d'une des plus belles vues qui soient au monde, d'un côté sur la plaine immense et majestueuse, de l'autre sur le Tage qui pousse jusqu'à l'horizon un large et capricieux méandre d'azur, puis sur l'estuaire et sur les belles plages de sable où vient mourir en vagues douces la grande houle de l'Océan infini.

La Pena est un dédale de voûtes, de ponts-levis, de donjons, de touPALAIS

touPALAIS DE MAFRA. Séjour de chasse.

S. M. LA REINE DE PORTUGAL.

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relles, un entassem*nt de sculptures, de marbres, de faïences vernies qui, sous ce climat délicieux, se conservent depuis des siècles en plein air. Rien, dans les contes orientaux, n'est plus fantastique que cette image de la féodalité sarrasine, pleine de fantaisie et d'audace, profilée d'un seul jet sur le ciel. Quant au parc, si grand qu'il faut trois jours pour le visiter entièrement, les camélias, les dahlias, les orangers, toute la flore méridionale, y forment des voûtes si épaisses que le soleil concentre, sans y pénétrer, ses rayons brûlants. En bas, Cintra, suivant la jolie expression de Mme Agénor de Gasparin, noie dans un fouillis d'orangers, d'araucanias, de clématites et de roses, ses maisonnettes peinturlurées et ses quintas (villas) aux abords princiers.

A Cintra comme aux Necessidades, sont les bienvenus ceux qui apportent des nouvelles de France. La reine Amélie a pu quitter la patrie où elle a vécu les années de son enfance; elle ne l'a pas oubliée un seul instant, et c'est chaque jour devant un grand Christ, souvenir offert par les habitants d'Eu, qu'elle fait dire leurs prières aux jeunes princes, ses fils, avec une pensée mélancolique et douce pour les amis et les serviteurs, grands et petit*, qui, eux non plus, n 'oublieront jamais...

Georges HUILLARD.

Paris, octobre 1894.

PALAIS ROYAL D ' AJUDA, A LISBONNE

(Habitation de la reine douairière.)

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LES DERNIERES MODES

Ce n'est pas le cas de rappeler ici le vieux dicton : On sait ce que l'on quitte; on ne sait pas ce que l'on prend. Les femmes élégantes savent fort bien qu'en ce moment elles abandonnent leurs atours d'été pour se vêtir de velours, de drap et de fourrure; elles échangent leurs ombrelles de dentelle et de mousseline pour le parapluie à pomme d'or ou d'argent noir faisant flacon ou boîte à poudre; elles remplacent l'éventail d'été par le manchon odorant; la vaporeuse fraise de tulle et de dentelle enrubannée, par le tour de cou fourré.

Malgré les journées ensoleillées dont nous gratifie l'été de la Saint-Martin, cela sent l'hiver, et les fourrures, dont la vogue sera énorme la saison prochaine, ont déjà fait leur apparition le jour du Grand Prix d'automne.

Elles paraissaient bien un peu lourdes sous les chauds rayons du soleil, mais elles sont si seyantes, telles que les emploient nos maîtres du chiffon, que pas une de nos coquettes ne songeait à se plaindre. Que voulez-vous? une jolie femme doit être toujours prèle à braver tous les inconvénients de la mode et du temps, qui ne font pas toujours bon ménage; elle doit se décolleter malgré le froid, se couvrir malgré la chaleur, et, quoi qu'il advienne, se montrer toujours souriante et d'une humeur égale.

Sans ces petit* inconvénients, le métier de jolie femme serait vraiment trop beau.

Donc, souhaitons qu'il fasse froid, car la fourrure est à la mode ;

LES DERNIERES MODES. 331

on en fait des toilettes entières, des manteaux : sorties d'Opéra, douillettes de voiture ou mantes trotteuses. La veste d'astrakan ou de loutre, se fait peu cette année. Le volume insensé des manches leur donne un aspect lourd et engonce le buste, dont la jaquette doit toujours faire ressortir l'élégance et la sveltesse.

La veste, qui prime la mante chez nos grands faiseurs, se fait donc de préférence en velours ou en drap. La première, très élégante, est rehaussée de broderies de soie et de fines perles de jais avec grand col et larges revers de fourrure. La seconde, beaucoup plus pratique, se fait de tons clairs : beige, gris, pain brûlé, rubis ou pervenche, ornée de motifs de soulache dans le dos et sur les basques, ainsi qu'aux manches; toutes les coutures sont cachées sous une nervure de drap piquée que sertit une soutache. Cette application de soutache sefait invariablement de ton noir sur toutes les teintes du drap; elle ne doit dans aucun cas recouvrir entièrement le vêtement. Les revers et le col de fourrure sont très grands; ce dernier peut se relever les jours de grand froid et doit, dans ce cas, couvrir la nuque et les oreilles.

La martre-zibeline aux reflets sombres demeure la reine des fourrures ; vient ensuite le renard noir et argenté, parure princière dont seules les femmes riches peuvent se parer. L'hermine est employée comme ornements sur nos toilettes de jour et du soir, sur nos sorties de bal et de théâtre.

Je dois signaler une bien jolie et élégante nouveauté que Redfern vient de mettre à la mode : c'est un corsage, ou plutôt une chemisette, nom technique dont il l'a baptisée, faite en fourrure. Le dos est plat, très ajusté, le devant est légèrement froncé à l'encolure et à la taille, qui est serrée dans une large ceinture drapée en velours rubis, violette des bois ou myrte. Les grosses manches et le col sont en même velours. Ces chemisettes s'exécutent en zibeline, en vison, en breitschwans et en hermine; la jupe, de drap ou de velours, accompagnant ces chemisettes, est de nuance assortie à la fourrure; les manches, parfois de même tissu que la jupe, se font plus généralement en velours semblable au col et à la ceinture. Imaginez, par exemple, une chemisette en zibeline avec jupe de drap marron et manches, ceinture, col drapé en velours violine. Une autre toilette très élégante est en velours noir avec chemisette d'hermine, col et ceinture en velours rubis. Ces costumes feront des toilettes de visite d'une incomparable élégance.

L'étole-palatine est un peu démodée, on lui préfère la peau entière d'un renard argenté ou encore deux superbes zibelines fixées côte à côte, Le manchon, de moyenne grandeur, se forme de deux peaux de zibeline avec les pattes, les têtes et les queues. Comme sortie de bal et d'Opéra,

332 LA GRANDE DAME.

c'est la superbe douillette de brocart ou de drap clair, maïs, pervenche ou rose avec palatine et grand col étole d'hermine.

En parlant des costumes de chasse à courre et de patinage, nous reviendrons sur quelques nouvelles créations du maître tailleur qui sont seyantes et originales en diable.

La chemisette, si en vogue la saison dernière, semble vouloir conserver toutes les faveurs des jolies femmes. Elle se fait en velours cuir de Cordoue, en satin merveilleux entièrement plissé, en velours brodé. Un bien joli modèle se fait avec un gros pli creux bien tendu dans le dos; devant, ce même pli forme blouse et est encadré d'un jabot de vieille dentelle ou de mousseline de soie.

La merveille est d'avoir pu créer pour accompagner ces costumes des chapeaux s'harmonisant avec eux. Nos modistes sont de véritables fées : le velours, la fourrure, les rubans, les dentelles et les fleurs composent dans leurs mains des coiffures idéales. Auguste Petit a su, en respectant les exigences de la mode, compléter l'harmonie de la coiffure par des chapeaux simples, très jeunes; c'est le superlatif de l'art de la parure pour la femme. Pour le matin, il a créé la petite toque de fourrure à bords retroussés que rehaussent un noeud de velours violine et des touffes de dahlias ou de violettes des bois. Pour l'après-midi, c'est le chapeau rond en feutre lisse ou en velours avec d'étonnants panaches de plumes. Pour le soir, c'est la mignonne coiffure de dentelle que retient un léger noeud de velours cerise, bleu électrique ou vert amande, avec aigrette marabout noir ou blanc.

Le gant de chevreau blanc est toujours celui que portent nos élégantes avec le costume trotteur ou la toilette de visite. Le gant de suède crème ou ton naturel, très long, est réservé pour le soir avec les manches courtes.

Le stick des cannes et des parapluies est terminé par une petite boule ou une béquille en argent noir, portant le chiffre en pierreries et brillants; c'est d'un luxe sobre et distingué

Nous n'en finirions pas s'il nous fallait parler des bijoux, de la lingerie, des capuchons de bal, de l'éventail et des mille bibelots qu'on rend chaque jour plus attrayants, par lesquels la femme élégante se laisse toujours tenter. Nous y reviendrons dans nos prochaines chroniques.

ZIBELINE.

LE

CODE DE L'ÉLÉGANCE & DU BON TON

LES DINERS

Ne donne pas des dîners élégants qui veut. Il faut, pour cela, outre la fortune et la situation, du tact, des façons aristocratiques, des traditions, une grande habitude du monde et un discernement tout particulier dans le choix des invitations.

Les gens qui donnent à dîner peuvent avoir la sobriété des anachorètes, ils sont tenus d'être savants en art culinaire. Au siècle dernier, le duc de Richelieu et la marquise de Créqui étaient les personnes qui mangeaient le moins et qui, cependant, étaient les plus renommées pour la perfection de leurs soupers.

Dans un dîner élégant, le menu doit être exquis, recherché, complet, sans être trop compliqué, ni, surtout, trop long. Les vins — c'est de rigueur — doivent être parfaits, mais non variés à l'infini. Vin du Cap, deux crus de Bordeaux et un de Bourgogne, de l'alicante au dessert. Quant au vin de Champagne, on ne le sert plus, comme autrefois, avec l'entremets ; le chic suprême consiste à le servir, frappé ou non frappé, dès le début du dîner et de continuer à le présenter jusqu'à la fin, concurremment aux autres vins.

La table est ornée, au milieu, d'un surtout en orfèvrerie et d'une profusion de fleurs jonchées sur la nappe, avec des guirlandes courant partout. Elle est éclairée par des candélabres et des bougies; jamais par un lustre ou une suspension quelconque.

C'est bourgeois et démodé.

Un dîner élégant comporte un service de vaisselle plate pour les plats chauds, un autre de porcelaine du Japon ou de Saxe, pour les plats froids et un de Sèvres, pour le dessert; un ou deux maîtres d'hôtel de

334 LA GRANDE DAME.

premier ordre, cinq ou six valets de chambre admirablement stylés, pour les seconder et un nombre suffisant de valets de pied pour qu'il puisse y en avoir un derrière chaque convive. Les valets de pied seuls sont en livrée, culotte courte et bas de soie.

Pour ce qui est des places à table, c'est, aujourd'hui, un usage adopté de concilier autant que possible les règles de l'étiquette avec les convenances personnelles de chacun des convives. Ne pas placer, par exemple, l'une à côté de l'autre, des personnes qui sont brouillées à mort; ne pas infliger un paquet à un homme d'esprit, une vertu farouche à un jeune viveur entreprenant, une beauté aimant le flirt à un vieux savant sont des règles élémentaires et absolues.

En principe, on place les invités d'après la situation qu'ils occupent dans le monde, sauf pour les vieillards, qui prennent, dans certains cas, le pas sur tous les autres. C'est-à-dire que c'est le nom, l'illustration, plutôt que le titre, qui décide de l'ordre de préséance, abstraction faite des ducs et des duch*esses, qui passent toujours les premiers; à moins, pourtant, qu'il n'y ait des ambassadeurs étrangers ou des ministres en exercice, auxquels devront être réservées les places d'honneur. A situations égales, ou à peu près, c'est l'âge qui détermine la priorité.

D'une façon générale, les étrangers sont toujours placés les premiers; de même que les hommes mariés priment les célibataires. La mode qu'ont essayé, depuis quelques années, d'introduire certains maîtres de maison, peu au courant des coutumes fashionables, et qui consiste à placer au premier rang les convives qui dînent pour la première fois chez eux, est une faute contre l'étiquette qu'il faut radicalement proscrire.

Il est superflu de rappeler que, pour se rendre à la salle à manger, le maître de maison, donnant le bras à la femme la plus qualifiée, passe le premier et la maîtresse de la maison, prenant le bras du cavalier le plus qualifié, passe la dernière. Chacun des autres invités offre son bras à la dame qui lui aura été désignée d'avance, à voix basse, par l'amphitryon, selon le rang qu'il doit occuper à table. Les hommes seuls, n'ayant en raison de leur âge ou de la position secondaire qu'ils occupent dans la société, aucune femme à conduire, ferment la marche.

Dès qu'on est assis, le bon ton veut que l'on fasse faire volte-face au menu au dos duquel est écrit le nom de l'invité. Chaque convive masculin est tenu de s'occuper de sa voisine, sans affectation ni empressem*nt exagéré, mais de manière à l'entourer de soins et d'attentions durant tout le repas, à la prévenir de telle sorte qu'elle n'ait jamais à demander à boire ou autre chose et à ne pas laisser languir la conversation. Il est inélégant de manger beaucoup de pain.

LE CODE DE L'ELEGANCE ET DU BON TON. 335

Un dîner bien compris et bien conduit ne doit pas durer, au maximum, plus d'une heure et demie.

Au sortir de table, le café est servi, autant que possible, dans une salle de billard, une bibliothèque ou un fumoir attenant au grand salon, afin que les hommes aient le loisir de fumer sans quitter la compagnie des femmes, qui peuvent ainsi, lorsque l'odeur du tabac ne les incommode point, passer d'une pièce à l'autre et ne pas perdre le contact avec le sexe laid.

Depuis plusieurs années même, beaucoup de maîtresses de maison laissent fumer dans leur salon. C'est un usage qui s'étend et qui prend de jour en jour davantage. Reléguer les convives masculins dans un fumoir écarté, pendant que la partie féminine de l'assistance se morfond dans un isolement qui n'a rien d'agréable ni d'hospitalier, a cessé d'être de mise dans le high-life et ne se fait plus que dans quelques intérieurs arriérés ou étrangers aux habitudes du monde select.

En passant de la salle à manger dans le salon, les femmes rajustent leurs gants, qu'elles ont eu soin d'ôter ou de déchausser jusqu'au poignet pour dîner. Il est d'une affectation ridicule, si ce n'est tout à fait de mauvais ton, de les conserver, comme quelques-unes le font, pendant le repas. Une véritable grande dame ne commettra jamais une pareille infraction aux règles du bel air.

Un dîner élégant se compose de huit convives au moins et de quinze au plus.

Les invitations, dont la liste a été étudiée et dressée avec soin, afin de ne réunir que des personnes se convenant et autant que possible se connaissant, sont lancées quinze jours à l'avance.

Elles sont, en général, rédigées à la troisième personne. Cependant, avec des intimes, il est plus aimable d'écrire un mot. L'invité doit répondre dans les quarante-huit heures et, qu'il accepte ou non, il est tenu de mettre, dans la huitaine qui suit, des cartes cornées chez les gens qui l'ont engagé.

La réponse à une invitation à dîner doit être rédigée dans la même forme que l'invitation. Même lorsqu'elle est à la troisième personne, elle doit toujours contenir une phrase de remerciement ou de regret.

Les invités, pour être corrects et élégants, sont tenus d'arriver cinq minutes avant l'heure fixée; jamais avant. Le comble du chic à Paris est d'arriver à l'heure précise. Demandez plutôt au marquis de N... !

DUC JOB.

ÉVENTAIL D'EDME COUTY

L'ÉVENTAIL

L'éventail est la pièce la plus importante de l'arsenal féminin. C'est une arme à la fois offensive et défensive, qui provoque l'ennemi timide et tient l'audacieux à distance. Partout où l'on trouve une femme, on est à peu près sûr de trouver un éventail. C'est en Chine que l'on en fait le plus, en France que l'on fabrique les plus beaux, et en Espagne que l'on s'en sert davantage.

Comme tout ce qui touche à la femme, l'éventail a subi les caprices de la mode, et il serait curieux d'écrire l'histoire de ses variations.

Les éventails Louis XV furent des merveilles de goût, de richesse et d'élégance, de véritables objets d'art, signés des noms célèbres de Boucher, de Coypel et de Lancret. Les éventails Louis XVI sont peut-être moins importants que leur aînés; mais, comme tout ce qui date de ce règne, si charmant à ses débuts, ils sont pleins de grâce et d'élégance. L'éventail Empire, de plus petite dimension, est remarquable par son éclat et son rayonnement. C'est l'éventail riche, plus encore que l'éventail artistique. Il ne charme pas : il éblouit. Le succès de Mme Sans-Gêne l'a remis à la mode. On s'est empressé d'exhumer des collections les exemplaires authentiques que l'on a pu trouver, et l'industrie moderne, qui excelle dans le pastiche, les reproduit à souhait.

Depuis 1830 jusqu'à nos jours l'éventail artistique a triomphé sur toute la ligne. L'éventail-tableau a fait fureur. Les admirables fleurs de Mme Ma-

L'EVENTAIL.

337

deleine Lemaire, les jolies fantaisies de Mlle Louise Abbéma, les paysages de Français, les chevaux de Lewis-Brown, la Fontaine de Jouvence de, Célestin Nanteuil, la Fête champêtre de Baron, le Passeur de Poilpot, le Repos des moissonneurs d'Andrieux, les inépuisables fantaisies et les exquises mondanités de Louis et Maurice Leloir auraient mérité les honneurs d'une exposition particulière.

C'est à cette époque que le prince Demidoft eut une idée géniale,

EVENTAIL DE G. DE FEURE

40

338 LA GRANDE DAME.

digne de sa somptuosité et de son grand goût. Il chargea un certain nombre d'artistes de talent de reproduire sur des éventails, dont lui-même avait fait exécuter les richissimes montures, les plus beaux tableaux de sa magnifique collection de San-Donalo. Les splendides exemplaires de ce beau travail, si artistiques par l'excellence de leur exécution, si précieux par les souvenirs qui s'y rattachent, restent dans la main jalouse de leurs propriétaires, jusqu'au moment fatal où ceux-ci parlent pour le royaume glacé des ombres, où l'on n'a plus besoin de s'éventer.

et ils ne manquent jamais de mettre le feu aux enchères, lorsqu'ils paraissent clans les ventes.

Autrefois on mettait un riche éventail dans une corbeille de mariage, à côté du cachemire traditionnel, et ta femme en avait pour toute sa vie. L'éventail, en ce temps-là, coûtait très cher... et valait son prix. Aujourd'hui, c'est autre chose. Nous voulons toujours que l'éventail soit élégant, gracieux, pimpant et coquet, d'un maniement, facile et léger. Mais nous ne voulons pas qu'il dure trop longtemps, qu'il fasse époque dans la vie d'une femme, et que, d'une saison à l'autre, on le retrouve dans les mêmes mains. On le veut approprié à toutes les circonstances de la vie mondaine, en harmonie avec le reste de la toilette; les élégantes en useront bientôt autant que de robes et de chapeaux.

L'éventail éphémère ne pourra donc pas avoir les qualités sérieuses que

EVENTAIL DE F. RIVOIRE

L'EVENTAIL.

339

l'on exigeait de celui qui passait d'une génération à l'autre. L'éventail fin de siècle sait bien que l'on n'exige pas de lui de tels mérites. On le prend sans souci; on le quitte sans regret,comme on ferait d'une paire de gants. Il est généralement petit, style Louis XVI ou forme Empire. Parfois on sème de fleurs aux nuances vives une dentelle légère; parfois aussi on jette de paillettes d'acier un fond de tulle noir. A chaque mouvement de la main qui l'agite, l'évenlail a des scintillements, comme le miroir aux alouettes — seulement, ici, les alouettes n'ont pas d'ailes — ce qui ne les empêche pas d'être parfois plumées. Il y a aussi l'éventail à meurtrières

qui, dans sa feuille sombre, ménage des vues, dissimulées par un lacis de fils légers, qui permet à la femme de voir sans être vue et d'observer la physionomie de celui qui lui parle sans lui montrer le visage de celle qui l'écoute. Ce sont là les trahisons de l'éventail.

Parfois, dans les maisons qui ont le luxe hospitalier, on place, en guise de menu, ou à côté de lui, un de ces petit* éventails, en face de chaque femme, qui l'emporte comme souvenir d'une attention délicate. Ainsi fit-on récemment dans un fort élégant dîner, chez la princesse de Sagan, où la distribution d'un joli stock d'éventails Louis XVI sembla fort goûtée de la plus belle moitié des convives de la princesse.

Un autre éventail, très prisé et très recherché, mais qui n'est pas à la portée de tout le monde, c'est l'éventail artistique et littéraire, dont chaque repli de la feuille abrite une pensée amoureuse ou philosophique,

ÉVENTAIL DE MADELEINE LEMAIRE

340 LA GRANDE DAME.

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un quatrain, une octave ou un triolet, une phrase musicale, ou deux coups de crayon d'un peintre, d'un poète, d'un musicien ou d'un romancier.

Un des types les plus complets que nous connaissions de ce genre aujourd'hui si recherché, c'est l'éventail de Mme Raphaël, où chante une cigale, de Jules Lefebvre, non loin des portraits d'Henner et de Bonnat, qui se sont peints eux-mêmes sans se flatter; où les vénérés membres de l'Institut s'essayent aux madrigaux; où Gounod,sentant déjà sa mort venir, note la jolie phrase de la romance du roi de Thulé :

Il but pour la dernière fois!

Plus loin, Saint-Saëns et Massenel donnent la réplique à Ambroise Thomas, et autour de Chaplain, l'éminent graveur, qui a ciselé le médaillon de la maîtresse de l'Album, emportée dans l'éther par une envolée d'Amours, Pailleron, Doucet (le doux Camille), Meilhac et Halévy font assaut de verve et d'esprit, non loin de Pasteur, qui médite dans sa barbe hirsute. Est-ce tout? Non, pas encore. Dumas, de cette plume acérée dont la pointe distille souvent une goutte amère, a formulé cette sentence — est-elle sans appel?

« Sur mille hommes, il y en a deux cents qui aiment les femmes ; cinquante qui aiment la femme; un qui aime une femme ! »

Entre deux replis de la feuille, un timide a écrit :

Cet éventail léger que ta main tient à peine,

C'est le sceptre de la beauté

A qui tu dois la royauté. Mais je n'oublierai point, charmante souveraine. Que le caprice est roi lorsque la femme est reine!

Louis ÉNAULT.

LA PAVANE, EVENTAIL DE HENRY TENUE

SERVICE A CHOCOLAT LOUIS XVI, décor or sur fond blanc.

LES PORCELAINES DE LIMOGES

La maison Haviland, dans les deux importantes et belles installations qu'elle a élevées sous la coupole de l'Exposition de Lyon, n'a pas voulu, malgré la haute renommée et la luxueuse richesse de ses porcelaines de Limoges, s'en tenir au déjà vu. Elle a eu cette conscience de n'offrir aux visiteurs, du moins dans ses services de table complets, que des modèles nouveaux, spécialement créés à leur intention.

Nous ne prétendons pas les minutieusem*nt décrire, mais nous avons plaisir à en énumérer quelques-uns :

Service complet, forme « ranson », de style Louis XV, décor or trois tons, jaune, rouge et vert, en relief sur fond blanc; le marli est contourné de découpures en rocaille ;

Service « Chantilly », porcelaine grand feu, sous émail, décor fleurs rose thé et rinceaux Louis XV or jaune et rouge en relief, dont nous reproduisons en relief la pièce principale : un surtout-jardinière ;

Service « Lamballe » (ou « ruban »), décor or deux tons sur fond bleu de four ; au centre, sur fond blanc, une rosace or;

Service à poisson, marli fond bleu décoré d'or et de fleurs en émail

342

LA GRANDE DAME.

ASSIETTE A POISSON, décor peinture au feu de four, avec marli or sur fond bleu de four.

blanc ; au centre, des sujets peints, encadrés d'une bande dorée avec motifs or sur fond bleu pâle;

Service à chocolat Louis XVI, décor or deux tons en relief sur fond blanc ; les pièces, d'une forme élancée et svelte, n'ont pas la raideur habituelle du style Empire;

Service à thé « ranson », genre Louis XV, décor roses myosotis et or, d'une forme originale, d'une élégance exquise et d'une incomparable légèreté ; plats à gâteaux à deux compartiments.

Une transformation considérable, une révolution presque, s'est opérée dans la production limousine, en ces cinquante dernières années; on peut s'en rendre compte facilement dans les musées de Sèvres et de Limoges, dans les collections particulières, dans les vitrines des manufactures où les porcelaines de la première partie de ce siècle, aux profils secs et raides, simplement bordées d'un filet, quelquefois, pour les services riches, décorées de frises ou de barbeaux, d'un dessin froid et sévère, figurent à côté des délicates et pimpantes porcelaines modernes, de formes si gracieuses et si élégantes, d'une coloration si vive, si fraîche, si gaie, si heureusem*nt harmonisée avec le blanc admirable dont est

LES PORCELAINES DE LIMOGES.

343

légitimement fière la grande industrie limousine.

Cette rénovation de la porcelaine artistique, qui a permis à l'industrie de Limoges de maintenir sa supériorité sur les produits étrangers, èst due, pour la majeure partie, à l'initiative intelligente du fondateur d'une des plus grandes manufactures de Limoges, la maison Haviland et Cie, et du propriétaire actuel, son fils et successeur.

M. Haviland père s'occupait à New-York de l'importation des faïences et des porcelaines anglaises lorsque, en 1839, ayant pu constater la préexcellence de la matière employée par la fabrication française, il conçut le projet d'introduire aux États-Unis une vaisselle ayant des qualités d'art plus sérieuses que celle dontse servait alors l'Amérique. Il vint en France; on ne comptait alors à Limoges que des manufactures peu importantes, qui envoyaient leurs porcelaines en blanc à Paris où elles étaient décorées.

M. Haviland se rendit à Limoges, où il fit exécuter dans les fabriques de la ville des modèles de sa création dont il confia la décoration à des peintres instruits par quatre professeurs dans un atelier de cent élèves spécialement fondé par lui à cette intention.

Ayant alors sous la main

344

LA GRANDE DAME.

un personnel habile et supérieurement préparé à la décoration de la porcelaine, il établit à Limoges une manufacture qui ne Larda pas à prospérer et qui, reconstruite pour être mise à la portée des progrès actuels, est devenue, sous la direction de son fils, M. Ch. Haviland, l'une des plus importantes de l'Europe.

Fournissant les marchés de l'Europe et de l'Amérique, des Indes et de l'Australie, etc, la maison Haviland a conformé la décoration et le goût de ses porcelaines aux préférences des pays dont elle alimente la consommation. Ses modèles, pour différents qu'ils soient, n'en présentent pas moins tous la perfection d'exécution et le caractère d'élégance qui, depuis longtemps, ont contribué à fonder sa réputation aujourd'hui universelle.

Les spécimens nouveaux qu'elle a envoyés à l'Exposition de Lyon montrent à quel degré de réalisation artistique et pittoresque, à quelle harmonie et à quelle pureté de coloration est parvenue cette manufacture célèbre.

Etienne CHARLES.

THEIERE FORME R A N S O N

décor deux ors et peinture fleurs sur fond blanc

COMPOSITION DE WALTER CRANE

I DANS leurs productions, tous les peuples artistes montrent une originalité très tranchée, qui vient précisément de ce qu'ils ne voient pas, de ce qu'ils n'expriment pas la nature et la vie comme leurs voisins. Plus ils mettent d'intensité et de personnalité dans leurs oeuvres, moins ils sont aptes à comprendre ou à s'assimiler des conceptions différentes de celles qui leur sont propres. Le génie particulier d'une race s'affirme avec d'autant plus de puissance dans son art qu'elle y met davantage de son âme, de ses instincts naturels, de son caractère. Or l'art anglais se trouve précisément dans ce cas par rapport à l'art français. Le premier a une saveur très spéciale qui ne lui crée aucun point de ressemblance avec le second. On y retrouve les traits généraux qui distinguent les deux nations. Les comparer, ce serait perdre son temps et sa peine. Faire le procès de l'un avec les qualités de l'autre serait injuste et puéril. Ce qu'il faut souhaiter, c'est qu'ils se développent tous deux dans leur sens normal, conformément à leurs traditions, à leur principe et au génie des deux peuples. ■

Ces réflexions me sont suggérées par la lecture attentive de l'étude fort intéressante publiée dans le Magazine of art par M. Day sur l'Exposition française des Arts décoratifs qui a eu lieu récemment à la Graffton Gallery. L'éminent critique y juge nos compatriotes avec une évidente

41

346

LA GRANDE DAME.

sympathie; mais ses appréciations, faites naturellement à un point de vue anglais, ne toucheront sûrement pas ceux qu'elles visent, et passeront pardessus leurs têtes sans qu'ils aient la croyance d'avoir été compris.

En venant, à mon tour, moi, écrivain français, exposer dans ce recueil les idées que j'ai tirées de l'examen de l'Exposition anglaise de la Society Arts and Crafts, ouverte en novembre dernier dans les galeries de Régent street, je ne me fais pas l'illusion que mes opinions trouveront plus de

crédit auprès de ceux qu'elles concernent. Ce n'est pas d'ailleurs sans un grand sentiment de réserve que j'aborde un pareil sujet, car combien y a-t-il d'incertitudes pour un homme qui habite les bords de la Seine à parler de ce qui se passe sur les bords de la Tamise ! J'essayerai toutefois d'exprimer nettement mon avis, et, pour bien faire comprendre de quelle façon on est enclin à apprécier en France les arts décoratifs de l'Angleterre, je commencerai par montrer, par un bref résumé historique, comment ont été différentes leurs destinées et leur évolution dans les deux

pays.

L.-A. TURNER. — Ecran.

L'ART DÉCORATIF EN ANGLETERRE.

347

C.-F.-A. VOYSEY. — Meuble à ouvrage en chêne.

II

Tandis qu'en France, dès le moyen âge, les arts furent protégés et dirigés avec un remarquable ensemble par le clergé, la noblesse et les rois, en Angleterre c'est par caprice, avec intermittences et sans méthode qu'ils se développèrent, tiraillés en sens divers selon l'esprit qui dominait dans les centres où la richesse les sollicitait. Aussi, le style gothique y glissa-t-il à la décadence plus rapidement que partout ailleurs.

Ce fut bien pis lorsque se produisit la Réforme de Luther. Alors l'art cessa tout à fait dans la Grande-Bretagne de faire partie de l'éducation et de la vie publique. Devenu suspect aux fidèles du culte nouveau, banni du temple, considéré comme un élément de corruption morale, il ne s'ali-

348

LA GRANDE DAME.

LÉON SOLON. — Pâtes rapportées.

menta plus aux sources profondes de la vie nationale. Ni les croyances religieuses — qui dans tous les pays et à toutes les époques ont été les fécondes inspiratrices de Part, — ni les passions politiques qui agitent la foule ne le tirèrent de sa torpeur. Si quelques seigneurs et même certains rois, comme Charles 1er, lui font exceptionnellement la grâce de l'admettre dans leurs résidences, c'est en le considérant comme aimable bagatelle, futile divertissem*nt. Son influence reste nulle désormais sur la masse. Les arts ne sont pas, ainsi qu'en France, la langue courante que tout le monde comprend au moyen âge et dans laquelle peintres et « imaigiers » traduisent librement les vices et les vertus de la comédie humaine, les douleurs et les joies des humbles ou des riches. Peu à peu, le public anglais en perd l'usage et en oublie la signification. L'esprit puritain et les scrupules politiques achèvent de désintéresser le peuple des manifestations de l'art en appliquant à celui-ci avec une rigueur extrême le système du selfsupporting. L'art n'étant point considéré par les hommes d'État de l'Angleterre comme un élément d'éducation générale, mais comme un simple divertissem*nt de luxe, ils laissent libre de l'encourager quiconque y prend un plaisir, mais n'entendent point qu'on impose à la majorité de la nation la plus petite charge à cet égard. Telle a été, si je ne me trompe, jusqu'au milieu de ce siècle l'attitude du gouvernement anglais envers les arts.

Qu'est-il résulté de tout cela? Abandonnés ainsi à eux-mêmes, sans direction, sans point d'appui, sans racines dans l'imagination et dans le coeur de la foule, les arts ont suivi alternativement, au hasard des circonstances, les routes banales de l'imitation étrangère, tantôt subissant l'influence d'une société aristocratique qui les poussait aux reconstitutions archéologiques, et tantôt le prestige pernicieux de la mode ou des petites

L'ART DÉCORATIF EN ANGLETERRE. 349

séductions passagères. C'est ainsi que dès le commencement du dix-septième siècle la Société des dilettanti donne l'impulsion de ce mouvement en faveur de l'étude des monuments antiques, d'où devaient sortir, en architecture, William Chambers, l'auteur de Sommerset House, en sculpture, Flaxman, et, clans l'industrie, J. Wedgwood. Mais un art ne se transporte pas comme un colis d'un pays à l'autre. Ce fut donc une tentative vaine, sans lendemain, qui n'eut pour heureuse conséquence que de faire connaître les merveilleux modèles grecs et d'éveiller dans un milieu choisi un sentiment du Beau qu'on ne soupçonnait pas. Puis l'art anglais recommença à tourner avec une activité d'écureuil dans la roue archéologique, faisant succéder aux pastiches des styles Louis XIV, Louis XV et Louis XVI les

imitalions burlesques de la Renaissance et du gothique.

Aujourd'hui, l'art anglais en est là encore. Il n'a pas trouvé sa voie. Mais, du moins, à des symptômes évidents, on reconnaît qu'il la cherche. Il veut se ressaisir. Déjà, durant les deux siècles passés, au milieu des aberrations d'imitation de tous les styles, il a montré parfois une tendance remarquable à revêtir un caractère

d'utilité répondant à un secret instinct du tempérament national. Peintres et sculpteurs furent longtemps réduits à ne cultiver qu'un seul genre : le portrait; c'est tout ce qu'il fallait pour satisfaire les vanités aristocratiques. Dans les industries décoratives, certains meubles, quelques pièces d'orfèvrerie eurent, aux débuts du dixhuitième siècle, un aspect de solidité, une ornementation massive, puissante et sobre, qui n'allaient pas sans prendre des allures de style et n'étaient point dépourvus de quelque originalité virile. Mais ce n'était que par occasion. Le goût anglais est fait, d'indécisions et de contrastes. Soit qu'il ait été faussé par le trop long spectacle de modèles à la fois

LEON S O L O N

LÉON SOLON. — Pâtes rapportées.

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LA GRANDE DAME.

KATHARINE M. W A R D.

Dessin pour tissu imprimé.

bons et mauvais, empruntés un peu partout, soit qu'il ne se dégage que lentement, se fondant davantage sur le raisonnement que sur le sentiment spontané, il est certain qu'il offre un incroyable mélange de qualités heureuses et de défauts criants. En France, quand on dit d'un objet : « Il est dans le goût anglais », cela signifie également : ou bien qu'il est d'une forme simple, bien proportionnée, d'une exécution soignée, d'un dessin sobre, en rapport exact avec sa destination : ou bien qu'il est absolument horrible, sans le moindre sentiment de l'art, de tons heurtés et criards, d'une ornementation à contresens. El, en effet, dans les rues de Londres, dans les habitations fastueuses, dans les clubs, on est frappé de cette perpétuelle contradiction qui, à côté d'un luxe imposant, cossu, de bon aloi, et d'une harmonie agréable, tolère des accessoires qui sont d'une telle laideur qu'une Parisienne en prendrait une crise de nerfs. Comment ceci peut-il se trouver à côté de cela, sans que les yeux anglais en soient offensés, sans qu'un cri d'indignation et de réprobation s'élève? Voilà ce qu'il nous est impossible d'expliquer.

L'ART DECORATIF EN ANGLETERRE. 351

A défaut de spontanéité et de celle sensibilité dans le goût qui fait rejeter tout ce qui n'est pas élégance et harmonie, l'Angleterre, en revanche, possède, quand elle s'y applique, un admirable bon sens. Depuis cinquante ou soixante ans, elle a montré ce que le raisonnement peut produire dans les applications de l'art à l'industrie. Elle a étudié un certain nombre d'objets d'usage, d'ustensiles familiers, en les soumettant aux simples règles du sens commun. Elle a examiné, selon la destination des objets, la décoration qui convient le mieux à chacun d'eux, la forme la mieux appropriée, et elle en a trouvé un certain nombre. Par exemple, elle a longtemps cherché le pot à l'eau qui peut contenir le plus d'eau possible à portée de la main, et sans être exposé à être renversé, huché sur une base trop frôle, et elle a imaginé une forme trapue, pansue, avec une ouverture proportionnée au besoin de servir vite et en abondance. Elle a cherché de même et découvert la meilleure forme de théière qui pût lui convenir, ses brocs, ses larges cuvettes, ses plats avec leurs cloches, et aussi quelques meubles ayant,

sinon de l'élégance, au moins un caractère essentiellement pratique.

Il est vrai qu'actuellement l'Angleterre, en quête d'un style définitif répondant aux besoins de la société moderne et aux exigences de la mécanique à laquelle on demande une fabrication à bon marché, n'arrive pas mieux que la France à la solution du problème. Après s'être attaché aux formes gothiques que les peintres de l'école préraphaélite ont essayé

HEYWOOD SUMNER. — Chrysanthèmes. (Dos de sofa.)

352

LA GRANDE DAME.

ARTHUR L. GWATKIN. — Frise décorative dessinée en relief.

de faire revivre, croyant ainsi revenir aux traditions nationales, de même qu'en France les enthousiastes de ce même style vers 1840, l'art décoratif anglais s'est reporté aux modes du dix-huitième siècle, aux formes de meubles de Chippendale. Puis il a cédé quelque temps, après l'Exposition de 1878, à l'aimable influence japonaise, s'en est vite lassé pour se laisser reconquérir aux types grecs, aux peintures pompéiennes qui décorent aujourd'hui tant d'habitations anglaises, et il continue à osciller sans direction déterminée, sans but, sans parti pris, entre le caprice des amateurs et l'impuissante ignorance des fabricants.

C'est dans ces conditions, et pour réagir contre cette fâcheuse situation qu'a été fondée la Société de Avis and Crafts dont la quatrième Exposition vient d'avoir lieu. Mais, avant de juger à notre point de vue de Français les principales oeuvres qui y ont figuré, il est intéressant de rappeler quels sont les créateurs distingués de cette Association, quels principes d'art ils invoquent et de quelles théories ils souhaitent le triomphe.

MONTGENOD.

VERS LA JOIE (cinquième acte)

THEATRES

COMÉDIE-FRANÇAISE. — Vers la Joie !

La culture des champs vaut mieux que la culture du Moi. Telle pourrait être — et telle est, en effet — la moralité sommaire de la pièce en cinq actes et en vers que M. Jean Richepin vient de faire jouer à la Comédie-Française. Pour dégager cetle moralité, l'auteur de la Chanson des Gueux a eu recours au vieux moyen : du magasin d'accessoires où. depuis des années, sont remisés les fantoches de l'opérette et du vaudeville, il a extrait un jeune prince, un premier ministre, un paysan, un général, une fille des champs, une demoiselle avisée, quelques comparses; il les a réunis dans un décor imaginaire et leur a fait dire des alexandrins. De-ci, de-là, des quiproquos, des scènes de la Mascotte, des farces renouvelées de Molière, des souvenirs de Madame l'Archiduc et du gai répertoire des Variétés; en un mot, et sauf le respect qu'on doit à un

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354 LA GRANDE DAME.

poète jadis aimé, un livret d'opérette pour lequel, étant donnée la majesté traditionnelle du Théâtre-Français, il n'a pas été écrit de musique.

Car Vers la Joie n'est pas autre chose qu'une opérette, et une opérette ennuyeuse. La critique officielle l'a laissé entendre; la critique indépendante l'a carrément affirmé. Jouée sur une tout autre scène, au boulevard, ou dans un des nombreux petit* théâtres dont l'art dramatique s'est enrichi depuis trois ans, la pièce de M. Richepin eût passé inaperçue et n'eût soulevé que d'agréables commentaires. C'est fantaisie de poète, aurait-on dit, fantaisie sans prétention et sans portée véritable, écrite jadis, retrouvée en quelque vieux fond de tiroir et présentée au public pour lui montrer que les anciennes croyances étaient maintenant abdiquées et que le fauteuil de Leconte de Lisle n'était pas, après tout, chose à dédaigner.

Mais voici que les choses se passent autrement. La presse, six mois à l'avance, annonce, à grand fracas, un génial chef-d'oeuvre. La réclame, menée habilement, excite la curiosité et la tient en haleine. Le reportage remet au jour des anecdotes anciennes, des légendes disparues. On reprend M. Richepin sur les bancs de l'École Normale; on fouille les cahiers de l'étudiant et l'on en publie des extraits. On le suit pas à pas dans sa vie aventureuse; on en note les moindres détails, les moindres gestes, les moindres bizarreries de pensée ou d'attitude. Et toute la série des histoires fameuses, des entreprises folles, des escapades extraordinaires! M. Richepin aryen, M. Richepin bateleur. M. Richepin insurgé contre les dieux, M. Richepin bohème, M. Richepin intime, M. Richepin jeune premier rôle, M. Richepin de profil, de face, de trois quarts, de dos — en perspective, dans les nuages, sur la terre, sur la mer, sur le canapé, sur la table des brasseries. Des colonnes et des colonnes d'interviews, ne nous faisant grâce ni d'un boulon, ni d'une pantoufle. Par acclamation — les courriers de théâtre l'ont dit — la pièce est reçue, entrée en répétition et montée avec un luxe et une pompe pour lesquels aucun sacrifice n'a coûté à M. Claretie. Le soir de la première, salle comble. Le Tout-Paris est là, anxieux, impatient, chauffé à blanc. Le rideau se lève et la bouche solennelle et sacrée des premiers comédiens du monde laisse tomber des alexandrins corrects, mesurés, habillés en parade, et l'action se déroule selon la formule consacrée, et les fantoches s'agitent sans vie, sans raison, sans but, et les tirades s'ajoutent aux tirades, et de la scène, par ondes soporifiques, se propage dans la salle un lourd ennui, un ennui profond qui fait bâiller les mâchoires et se fermer les paupières.

Ce n'est pas un conte bleu, cardu conte bleu Vers la Joie n'a ni la légèreté, ni la trame délicate et fantaisiste, ni cette envolée vers le caprice

THEATRES. 355

et la poésie et le vers souple et cristallin que le maître Théodore de Banville mania avec un art si parfait et si captivant.

C'est encore moins une fable, car de la fable — telle que nous la désirerions aujourd'hui — elle n'a pas le caractère précis et documentaire, ni le bon sens solide et un peu naïf, ni la symbolique puissante qui crée des êtres vivants, entiers, fixés dans des silhouettes immuables et profondément humaines.

A l'heure d'angoisse et de sourde appréhension que nous traversons aujourd'hui — le regard dirigé vers l'avenir et l'esprit tourmenté par les grands problèmes sociaux, une pièce de fantaisie comme celle de M. Jean Richepin aurait dû se ressentir de nos inquiétudes et en fixer quelquesunes. Des éléments dont il disposait et qu'il a groupés au gré de son imagination, il aurait fait oeuvre d'écrivain en leur donnant une signification élevée, plus conforme aux désirs de l'intellectualité moderne, aux états conquis par la pensée et par les foules.

Un prince de fantaisie, du moment que l'auteur en fait un disciple de Stendhal, de Barrès, de Renan et de Taine — préoccupé d'analyses et de spéculations abstraites; adonné aux pratiques d'une idéologie passionnée — devrait, en se penchant sur son âme, nous en montrer le mystère et nous en commenter le mécanisme. La psychologie, dont M. Richepin a voulu faire un objet d'ironie, ne conquiert nos préférences qu'à la suite de longues méditations, d'informations multiples et menées avec discernement. Le pessimisme, quand ce n'est pas le pessimisme de M. Paul Bourget, est une conscience et non une maladie; pour arriver à la conscience de soi-même, il faut autre chose que des attitudes, des recherches de style et de décor. Un prince, épris de la philosophie précise de ces temps, ne dédaigne la couronne et le pouvoir que s'il en sent l'inutilité, ou la vanité, ou le poids énorme à porter. Un chef d'Etat philosophe qui gouvernerait avec la volonté de répandre parmi ses sujets les vérités philosophiques serait un chef d'État idéal, un roi bienfaisant dont l'humanité entière garderait le souvenir. Ce serait le tyran imaginé par Renan. Le jeune roi de M. Richepin souffre de trop méditer. Il délaisse le pouvoir et s'en va aux champs. Il s'y réconforte et prête son attention aux paroles d'un paysan, puis, guéri de la psychologie, il reprend sa couronne : où est la logique? Car la moralité est puérile, déjà ancienne et suffisamment rabâchée, qui veut que les travaux de la campagne soient plus salutaires que ceux des villes; que l'activité des champs soit préférable à l'activité de l'esprit. Si la solitude, la méditation, la culture du moi provoquent le renoncement aux honneurs, à la gloire, à la fortune, ce renoncement est un acte trop capital pour que l'on se décide à l'accomplir sans de fortes raisons. Et ce n'est pas une villégiature à travers les prés et les bois et une petite amourette de village qui feraient

356 LA GRANDE DAME.

tomber ces raisons et amèneraient un changement aussi subit et aussi

radical.

Le répertoire des théâtres de genre fourmille de princes charmants qui abandonnent le sceptre et la cour pour suivre dans la montagne quelque jeune beauté vertueuse ou persécutée par le sort. Et puisque M. Jean Richepin, décidé à écrire un conte bleu, a emprunté ses types à ce répertoire suranné, il devait à son talent de les habiller autrement, de leur assurer une logique et une raison d'être moins hasardeuses et surtout moins puériles. Tout en agitant de graves problèmes, ces personnages restent dans la convention de l'opérette, et dès lors nous demandons — et nous avons le droit de le demander à un poète connu — s'il n'eût pas mieux fait de s'en tenir simplement aux données traditionnelles, au prince charmant, aux ministres d'Offenbach, aux paysans de George Sand et aux petites Mascottes sans prétention. Assurément la pièce y aurait gagné : elle aurait été moins longue, d'abord, et nous n'aurions pas à regretter l'erreur d'un écrivain populaire et cette déconfiture si pénible aux véritables amis. Et puis — il faut bien le dire — pendant que la scène de la Comédie-Française prête à de pareilles oeuvres ses comédiens incomparables, sa renommée, son luxe de mise en scène, son appui et ses avantages pécuniaires, d'autres oeuvres attendent leur tour, des oeuvres autrement significatives et belles, signées d'auteurs valeureux et sincères et ignorants de la réclame.

Truguelin, régent du royaume et président du Conseil des ministres, a réuni ses collègues et leur expose la situation. Elle est mauvaise, la situation! Le jeune prince, parvenu à sa majorité, ne veut pas de la couronne. Il préfère la philosophie et le développement de son univers (cf. la Culture du Moi, par Maurice Barrès). Il se dit malade et résolu à quitter la Cour. Truguelin fait venir des docteurs, et comme ceux-ci ne parviennent pas à s'entendre, apparaît alors un vieux paysan, un peu sorcier, un peu rebouteux, qui emmène le prince et promet de le guérir. Bibus — c'est le nom du paysan — installe le prince à la campagne, chez le fermier Nanet. Là, se trouvent la femme du fermier, la fermière Thérèse, les deux fils et, naturellement, une jeune fille. Jouvenette. On conçoit la suite. Le prince aime Jouvenette, Jouvenette aime le prince. Il y a aussi un jaloux. Quelques couplets, quelques tirades, et finalement mariage. Le prince reprend la couronne, il en offre la moitié à Jouvenette, les méchants et les intrigants sont punis et les justes récompensés. Rideau !

Rhétoricien habile, M. Richepin jongle parfois avec le vers, et dans maints passages, à la grande joie de ses admirateurs, il se souvient d'avoir écrit la Chanson des Gueux, son meilleur livre.

DE LA PALFÉRINE.

358 LA GRANDE DAME.

OPÉRA. - OTHELLO

En septembre 1844, l'Opéra donnait la première représentation d'Othello, musique de Rossini et livret d'après Ducis. Le succès lui médiocre.

« Je ne puis pas faire mieux et j'ai la conscience d'avoir réussi selon mon désir. Si le public n'est pas content, c'est qu'il est injuste, » disait Rossini. Le public ne fut pas injuste; il fut indifférent, ce qui est pire. Cet Othello a disparu, comme disparaissent toutes les oeuvres inutiles, incomplètes et caractéristiques à peine de la mode d"une époque.

Quel sera l'avenir de l'Othello de M. Verdi? Partagera-t-il le sort de celui de Rossini, et, devant l'envahissem*nt de nos scènes lyriques par les formules d'un art nouveau, restera-t-il uniquement comme un témoignage de virile inspiration, de verdeur dans la maturité? Nul ne saurait l'affirmer encore.

Pour nous, nous ne pouvons néanmoins nous empêcher de saluer au passage cet artiste octogénaire qui, après une carrière si longue et si remplie, couvert de gloire et d'honneurs, trouve encore l'activité voulue pour achever un semblable labeur, et l'achever avec une inspiration égale à celle des plus beaux jours de sa jeunesse.

Mais s'il faut se garder de trop de sévérité, il faut aussi se prémunir contre un enthousiasme débordant, contre une louange excessive et sans mesure. Une partie de la presse musicale a trouvé mauvais que l'on fît semblable étalage d'admiration; l'autre partie, surenchérissant sur ce qui déjà avait été dit à propos de Falstaff, ne parle de rien moins que d'une formule nouvelle, d'un art inconnu jusqu'à ce jour. Les plus modérés racontent que le Maître, pénétré par la vérité du mouvement actuellement en vogue dans les milieux musicaux, a, tout à coup, changé sa manière et renoncé pour toujours et complètement à ses préférences de naguère, à ce qui fit sa renommée en Italie, en France et dans le monde entier.

C'est là une grosse erreur. Ni Falstaff, ni Othello n'accusent des formules nouvelles, une manière différente de manier et de diriger les masses orchestrales, de conduire le dessin harmonique, de comprendre et d'interpréter le drame.

Habitué aux anciens livrets d'opéra — vieux moule dans lequel se triturent les cuisines théâtrales et les mélanges bizarres — contraint, de par la disposition même de ces livrets, à se conformer à la pauvreté littéraire des librettistes et forcé de modérer l'envol de l'inspiration sous peine de dépasser le scénario étroit, M. Verdi, dans Falstaff comme dans

THEATRES. 359

Othello, est resté l'auteur d'Aïda, comme dans Aïda il était resté l'auteur des Puritains et de Un ballo in maschera.

La version de M. Boïto ne comprend que quatre actes du drame. Celui qui se passe à Venise, c'est-à-dire le premier, a été supprimé! On a ainsi perdu d'entendre M. Maurel crier sous les fenêtres de Brabantio le déshonneur de Desdémone.

Le rideau se lève sur un orage formidable. L'administration de l'Opéra n'a rien négligé pour que le ciel fût sinistre, sillonné d'éclairs éblouissants. La mer et le vent font un bruit terrible. Des vaisseaux courent affolés sur les vagues écumantes ; sur le rivage une population épouvantée s'agenouille et implore la clémence divine, cependant que M. Taffanel, le bâton zigzaguant dans l'air, fait gémir et crier son orchestre déchaîné. C'est très beau.

Mais voici que la tempête s'apaise. D'un navire qui aborde, le Maure de Venise descend avec majesté, et, suivi de son état-major, annonce que les Sarrasins sont défaits. Le peuple prépare un feu de joie et, pendant ce temps, Iago prépare ses filets. Il pousse Rodrigue, un amoureux de Desdémone, contre le jeune Cassio, un lieutenant d'Othello, nouvellement nommé à une place enviée et à laquelle prétendait Iago lui-même. Il ajoute encore que Desdémone n'est pas loin d'aimer Cassio, et c'est là-dessus que va se développer le drame. Exciter Rodrigue au meurtre de Cassio, faire croire à Othello que Desdémone est la maîtresse de Cassio, et obtenir auprès d'Othello la place de celui-ci.

Le feu est allumé; le peuple chante, danse et boit. Cassio s'enivre et, lorsque Iago vient le chercher pour la garde du fort, les épées sortent du fourreau.

Dispute, tumulte; Othello destitue Cassio, le monde s'éloigne et Desdémone reste seule avec son époux. Scène d'amour, serments échangés à la lumière des étoiles, tandis que l'orchestre s'éteint doucement dans un murmure de moins en moins perceptible.

C'est aux sombres intrigues d'Iago que sont consacrés le deuxième et le troisième acte. M. Maurel tient le rôle avec une maîtrise et une puissance parfaites. Le Credo, qui est assurément une des plus belles pages de M. Verdi, a valu au célèbre chanteur le double triomphe de l'artiste lyrique et du tragédien.

Cassio, conseillé par Iago, demande à Desdémone de rentrer en grâce auprès d'Othello. Profitant d'une promenade de ceux-ci, promenade durant laquelle Cassio devait présenter sa requête, Iago, avec quelques paroles, d'abord vagues, ensuite plus précises, éveille la jalousie du Maure. Une fête est donnée. Desdémone, Émilia, sa suivante, Othello et Iago sont ensemble. Au moment où, brûlé par le soupçon, Othello porte la main à son front, Desdémone tend le mouchoir et s'approche pour lui

360

LA GRANDE DAME.

envelopper les tempes; mais Othello jelle le mouchoir et lago s'en empare. Il dira, dans la suite, et dans une scène où M. Maurel s'est affirmé un artiste accompli, qu'il fut donné, comme un gage d'amour, à Cassio. Resté seul, et à ce point tombé dans le piège d'Iago qu'il croit à la faute de Desdémone, Othello pleure son rêve, son bonheur évanoui, son amour cruellement trompé.

Il fait nuit lorsque le rideau se lève au quatrième acte. Dans sa chambre, Desdémone pleure et prie. Devant Émilia, elle évoque son enfance et se rappelle une vieille chanson : le Saule, qu'autrefois chantait sa grand'mère. Restée seule, elle fait une prière et s'endort.

Mais Othello paraît. Dans la nuit, il s'approche du lit, il regarde Desdémone et l'embrasse trois fois.

— Madame, avez-vous dit votre prière? S'il vous souvient de quelque péché non absous par le ciel, implorez-le sur l'heure, car je ne veux pas tuer votre âme !

— Tu parles de tuer. Tu m'accuses sans me dire... Attends jusqu'à demain, attends une heure, une minute!...

Mais l'homme est inexorable; sa main de fer se pose sur elle et... l'étouffe.

Alors seulement, il apprend la vérité. Il se tue sur le cadavre de Desdémone et son corps roule au bas du lit.

Mme Caron et M. Maurel, dans Desdémone et clans lago, ont supérieurement interprété l'oeuvre de M. Verdi. M. Saléza complète le trio. A eux trois, ils ont conquis et enlevé d'enthousiasme les suffrages du public. L'orchestre, sous la direction de M. Taffanel, a été, comme toujours, d'une cohésion et d'une sûreté de premier ordre.

Dans un entr'acte, le maestro Verdi a été accueilli dans la loge de M. Casimir-Perier et décoré de sa main du grand cordon de la Légion d'honneur.

MONTGENOD.

LES

USAGES MONDAINS DE NOTRE TEMPS

A Paris, de nos jours, il faut en prendre son parti, il n'y a plus, à proprement parler, de société — du moins au sens absolu et étroitement circonscrit que l'on attachait autrefois, dans le langage élégant et aristocratique, à ce mot cabalistique.

Il ne nous reste présentement, pour en tenir lieu, qu'un amalgame assez fantaisiste et assez bariolé de gens de plaisir de toute provenance, menant la vie fashionable et formant un ensemble qui n'a rien de bien précis ni de bien déterminé. C'est une manière d'aristocratie, ouverte à quiconque a de la fortune, un nom ou une notoriété, qui commence aux Montmorency et aux Rothschild — à peu près sur le même rang — et qui finit au dernier des rastaquouères, s'habillant chez le tailleur à la mode et ayant des équipages mirobolants.

Il va de soi que, dans un pareil milieu, nécessairement mobile et ondoyant, les usages mondains ont beaucoup perdu de leur régularité, voire de leur fixité, et qu'ils se transforment perpétuellement au point de devenir insaisissables.

Aussi rien n'est-il plus curieux à noter, à une époque où la plupart des traditions de l'ancien faubourg Saint-Germain disparaissent d'année en année, que quelques-unes des règles immuables dont la stricte observation n'est plus, à l'heure qu'il est, que l'apanage exclusif de la très bonne compagnie et des personnes de suprême bon ton.

43

362 LA GRANDE DAME.

Qui sait si ces coutumes patriciennes, auxquelles on reconnaît encore la race, doublée d'un genre particulier d'éducation, et dont la notion exacte se perd insensiblement, ne sont pas destinées à disparaître à bref délai? Qui sait si, dans dix ans, elles ne seront pas complètement démodées et ridicules?

Toujours est-il que, pour l'instant, le monde ultra-select observe encore, dans mille choses, une étiquette et des usages qui ne sont pas du commun des mortels, quoiqu'ils n'en soient séparés, parfois, que par des nuances imperceptibles aux yeux des profanes.

On n'introduit pas un nouveau-né dans le monde, chez les patriciens de race, on n'y marie pas ses enfants, on n'y enterre pas ses morts de la même façon que chez les autres.

Jamais, au grand jamais, par exemple, vous ne verrez des gens d'un chic indiscutable et indiscuté annoncer, selon la formule moderne, la naissance de leur fils Adolphe, ou de leur fille Yvonne. Ils emploieront invariablement le vieux cliché : Madame de X... est heureusem*nt accouchée d'un garçon, ou d'une fille. Monsieur de X... a l'honneur de vous en faire part.

Il y a bien eu, dans ces dernières années, quelques rares individualités de la bonne compagnie qui, pour se donner l'air d'être dans le mouvement et de fronder la tradition, se sont risquées à employer la nouvelle rédaction. Mais leur exemple n'a point été suivi et les innovateurs en ont été quittes pour se poser, bien malgré eux, en parvenus.

Pour les mariages, en revanche, la différence n'est pas, à beaucoup près, aussi accentuée. L'équipage de gala et le grand coupé à housse, avec livrée à la française, n'étant plus guère de mise, depuis la République, que dans quelques unions de familles ducales occupant une situation hors de pair; le vrai chic, dans la plupart des cas, consiste surtout dans une entente complète d'une élégante distinction et d'une confortable simplicité.

Cependant, je dois signaler deux particularités par lesquelles se distingue un mariage de très bon ton : c'est une paire de chevaux de prix, d'un modèle remarquable, au coupé des mariés, attelé à l'anglaise avec livrées sans galons ni fanfreluches, et la soirée de contrat, qui précède de quelques jours la bénédiction nuptiale et à laquelle on attache, dans les sphères vraiment aristocratiques, une importance considérable.

La tradition veut que les cadeaux de noces y soient étalés en grand apparat, selon une étiquette rigoureuse, et je dirai un peu surannée, car on va jusqu'à y exposer aux regards curieux et quelquefois indiscrets de la galerie les objets les plus intimes du trousseau de la mariée.

LES USAGES MONDAINS DE NOTRE TEMPS. 363

Je passe sous silence l'usage fort peu aristocratique et fort inutile, à mon avis, qui s'était introduit, ces temps derniers, de publier dans les gazettes la liste des présents ainsi que les noms des donateurs et qui, par l'abus qu'on en a fait, est déjà presque tombé en désuétude. Le fin du fin, la quintessence du grand style est, à présent, d'éviter, autant que possible, cette publication d'un goût douteux.

Quant aux enterrements, il est de rigueur, dans la bonne compagnie, que la lettre d'invitation qui vous engage à y assister ne soit envoyée qu'au nom des seuls hommes de la famille, les trois ou quatre plus proches parents; elle ne doit être signée d'aucun nom de femme, fût-ce même de celui de la veuve ou de la mère du défunt.

D'ailleurs, les femmes de la société ne vont que relativement peu aux enterrements. Jusqu'à l'avènement du second Empire, elles n'y allaient pas du tout. Mais les grandes dames du monde impérialiste ayant adopté la coutume étrangère d'assister aux services funèbres, cette coutume s'est étendue depuis. Si bien que, de nos jours, les femmes du brillant monde, sans y être rigoureusem*nt tenues, paraissent souvent aux enterrements, ou plutôt à l'église; car, en dehors de quelques circonstances exceptionnelles, elles ne suivent guère le convoi.

Autres points essentiels sur lesquels les usages du grand monde sont absolus et ne souffrent aucune dérogation: les présentations, les invitations, l'ordre des préséances.

Les présentations sont d'importation anglaise. Autrefois, dans un salon de la haute société, on ne présentait personne; tout le monde se connaissant ou étant censé se connaître. Le mélange, la diffusion des relations ne permettent plus aujourd'hui d'éviter entièrement celte formalité; on présente les gens les uns aux autres, lorsqu'ils le demandent ou dans les occasions où le contact est inévitable, comme entre les convives d'un dîner prié se rencontrant pour la première fois. Mais une maîtresse de maison qui se respecte et qui sait son monde ne présente pas, mutuellement, sans une raison spéciale, les visiteurs ou visiteuses de son jour ou de son five o'clock. Rien n'est plus bourgeois, plus provincial que des présentations faites à brûle-pourpoint en pareille occurrence.

Les invitations aux bals et aux soirées, en dehors des très grandes fêtes, où elles sont libellées en nom collectif, ne doivent être adressées que par la femme seulement et ne porter que ces simples mots : La marquise de *** sera chez elle le... Les invitations à dîner, au contraire, sont toujours rédigées au nom du couple qui invite, et à la troisième personne, selon la formule sacramentelle. Ici la pierre de touche, le signe distinctif

364 LA GRANDE DAME.

de la véritable élégance réside dans l'emploi absolument obligatoire de l'ancienne expression : LEUR FAIRE L'HONNEUR de venir dîner chez eux, etc.. et non : LEUR FAIRE LE PLAISIR, néologisme inventé, depuis peu, par des marchands de bonnets de coton enrichis, craignant toujours de ne pas le prendre d'assez haut, et qui est un manque de savoir-vivre d'une impertinence achevée.

Que dire de la manière dont les maîtres de maison doivent placer leurs invités à table? A coup sûr, les préséances, en pareille matière, ne sont plus, ne peuvent plus être aussi inflexibles que jadis. C'est encore une des choses, néanmoins, d'après lesquelles on peut le mieux juger son monde et qui vous donnent, à première vue, la note exacte sur les milieux et les personnes.

Chez les gens de qualité, la place d'honneur est toujours réservée aux ducs et aux duch*esses, et, après eux, aux gentilshommes et à leurs femmes; non d'après l'importance de leur titre, qui ne compte pas, mais d'après l'ancienneté et l'illustration de leur nom. A rang égal, ou à peu près, les étrangers prennent le pas sur les Français; les hommes mariés sur les célibataires; les vieux sur les jeunes.

Il va sans dire qu'à l'époque où nous vivons, ces règles générales sont nécessairement subordonnées, dans une certaine mesure, à des considérations de situation officielle, d'illustration, de susceptibilité, dont le tact et l'opportunité tracent les limites. Ainsi, chez les plus grands seigneurs, lorsqu'on invite un académicien à dîner, le dernier mot de l'élégance et de la distinction est de placer l'immortel à la droite de la maîtresse de la maison; hommage délicat rendu à l'aristocratie du talent par l'autre aristocratie et qui ne manque certes pas de grandeur.

Il n'est pas jusqu'au langage habituel, jusqu'aux locutions familières, jusqu'à la façon de s'exprimer, de causer, d'apposer sa signature qui, clans un ordre d'idées plus personnel, ne décèlent, à ne point s'y méprendre, l'éducation et l'origine; car, même en ce siècle de démocratie débordante, ceux qui sont nés dans la pourpre ne parlent ni n'écrivent comme le vulgaire public. Certaines négligences voulues, certaines expressions employées dans un sens particulier, certaines liaisons omises à dessein et par atavisme, révèlent une catégorie sociale et vous indiquent, sur-lechamp, à qui vous avez affaire.

Un exemple entre mille : si vous entendez un gentleman dire, en abordant un ami : Comment Tallez-vous? ou bien Il est trois heures zet demie, en observant correctement la liaison, vous pouvez être sûr que ledit gentleman n'est pas d'une sélection immaculée. De même, dans la bonne

LES USAGES MONDAINS DE NOTRE TEMPS. 365

société, on n'appelle point les gens par leur titre, si ce n'est, parfois, celui de duc et de duch*esse, mais en le faisant précéder, dans ce cas, de Monsieur ou de Madame. L'art de signer une lettre, depuis le nom patronymique tout court et sans particule, pour ses égaux et ses supérieurs, jusqu'au nom précédé du titre et de la particule, pour ses inférieurs et ses fournisseurs, est également un des signes auxquels la bonne compagnie reconnaît les siens.

Je m'arrête. Aussi bien n'ai-je point voulu faire ici un nouveau traité de civilité puérile et honnête, mais simplement prendre date et essayer de prouver que, malgré tout, de nos jours, il subsiste un code du bel air et des bonnes façons, que mettent en pratique tous ceux qui se piquent d'élégance et de distinction.

Prince d'AUREC.

LES DERNIERES MODES

La vie châtelaine, que l'on mène en ce moment, comporte des devoirs d'élégance, dont il est impossible de s'affranchir, sous peine de commettre une faute de lèse-bon ton. Pour être dans le mouvement, il ne faut pas compter moins

de quatre toilettes par jour.

Le malin, c'est le costume tailleur en tissu côtelé ou en drap vert, dahlia ou chêne, avec jupe et veste à revers de velours, et chemisette faite à gros plis creux en velours foulé hortensia, rouge Rubens ou vert pomme. Si le temps est froid, on met le tour de cou de renard argenté formé de la peau entière de l'animal avec les pattes, la tète et la queue.

L'après-midi, c'est le costume de lainage ondulé, mélangé à du velours ou de la soie brochée de teinte différente. Si le velours compose

compose garniture, on en fait une cuirasse très ajustée, entièrement brodée de soie et de perles.

A l'heure du five o'clock, c'est la toilette d'intérieur en velours ou en peluche écrasée, d'une suprême élégance avec son grand col revers en hermine, ses flots de dentelle, application ornant

le devant et le bas des manches, que l'on fait courtes si l'on a un joli bras. Avec celte toilette, on met des petit* bijoux de fantaisie, épingles papillons ou vers luisants en pierreries et brillants, que l'on pique dans les dentelles.

TOILETTE DE COURSES

LES DERNIERES MODES. 367

La robe du soir, dans les châteaux où l'on reçoit beaucoup, apparaît décolletée et d'étoffe luxueuse dès l'heure du dîner. Les hommes alors sont en habit à revers de velours, avec gilet de satin noir ou blanc, ce qui est la quintessence du luxe masculin.

Pour les toilettes du soir, on emploie beaucoup la bengaline moirée, étoffe très souple dans les tons jacinthe, pervenche, rose ou gris argent, ornées de broderies, dont nous avons précédemment parlé.

Le satin uni ou broché partage avec la bengaline les faveurs de la mode, il se garnit de mousseline de soie de teinte assortie, s'incruste de fines paillettes d'or ou d'argent. Le corsage est le plus souvent drapé ou finement plissé en mousseline de soie et fixé à la taille par une ceinture de velours ou de satin peluche de ton vif. D'autres fois il se fait en satin entièrement brodé et s'ouvre devant et au décolleté sur une chemisette de mousseline ; ce dernier genre est plus nouveau et plus élégant.

Jamais de fleurs artificielles à la campagne, les serres du château doivent fournir aux invités hommes et femmes les fleurs de la saison. A défaut de serre suffisamment garnie, les fleuristes de la capitale sont chargées du service quotidien.

Peu ou pas de bijoux, tel est à la campagne le dernier mot de la distinction.

La toilette de la jeune fille diffère sensiblement de celle que porte la jeune femme, on emploie pour elle des tissus plus légers, on choisit des formes plus simples. La bengaline unie, le taffetas glacé finement broché, le crépon et la mousseline de soie composent des toilettes jeunes et charmantes; la jupe se fait unie et ronde, le corsage plissé avec grosse ceinture bébé à longs pans retombant sur les godets de la jupe.

Jamais de bijoux, bien entendu, pour les jeunes filles; une fleur à la ceinture, une dans les cheveux et c'est tout.

La coiffure du soir diffère sensiblement de celles que portaient nos élégantes l'an dernier. Elle est plus tombante, le petit chignon plus élargi et quelques boucles légères retombent sur le cou; Auguste Petit a trouvé d'étonnantes coquetteries dans ce nouveau genre de coiffure, dont il varie si heureusem*nt les ornements. Tantôt c'est un petit noeud follet en velours tordu, tantôt une aigrette marabout fixée par une agrafe de diamants. Il fixe ces ornements sur le sommet de la tête dans les cheveux ondulés à grandes vagues. Les belles protagonistes de nos modes, Mlle Bartet en tète, savent qu'avec l'aide d'un tel artiste elles arrivent à paraître aussi jeunes qu'elles le rêvent, aussi jolies qu'elles le désirent. Que peut-on demander de plus ?

Au sujet des chapeaux il y aurait encore beaucoup à dire; chacune de nos grandes modistes avec un goût impeccable crée chaque jour

368 LA GRANDE DAME.

des modèles nouveaux; qu'il s'agisse d'une petite toque du matin chiffonnée en velours, d'un chapeau à caractère pour la promenade traditionnelle au Bois, ou d'une mignonne coiffure de théâtre ou de visite, Mme Carlier, la modiste « dans le train », confectionne pour chacune de ses clientes des formes inédites superlativement jolies. Elle a le talent très rare de coiffer jeune, parce qu'elle fait simple et de bon goût : c'est là son secret.

CAPOTE DE THEATRE DE Mme CARLIER

La toilette enfantine trouve sa part d'élégance dans ces réunions châtelaines; quoiqu'elle ait peu varié depuis ces derniers mois, elle a subi cependant quelques modifications bonnes à noter. Les petites jupes sont plus larges, froncées à la taille ou à godets comme celles des femmes. Le corsage froncé ou plissé est plus long de taille. Quant au manteau, il se fait court ou très long dépassant la robe. Un joli modèle créé par la maison Beer est en velours castor formant derrière de gros plis tombant droits; le devant est croisé et le bord de fourrure qui orne le grand col se prolonge jusqu'au bas du vêtement; les manches énormes sont terminées par un poignet à large revers cerné de fourrure.

LES DERNIERES MODES. 369

Les petit* garçons sont fort bien partagés cette saison, on leur a fait des costumes de petit* princes. En voici un particulièrement réussi, composé d'une blouse de drap de soie cerise aux manches énormes, terminées par un poignet brodé d'un point d'arête en soie rouge. La petite culotte est de velours noir avec bas de soie noire et souliers vernis à boucle. Un grand col avec rabat de dentelle complète ce petit costume. Un autre est fait en velours écossais avec col et jabot de batiste plissée. C'est élégant et simple comme tout ce que crée la maison Beer.

La question des dessous avec les modifications qui se sont produites dans la forme des jupes est fort importante. Les jupons de soie, à l'exemple des robes, se font plus larges et plus volumineux dans le bas; le crin et les rouleaux raidis trop encombrants ont été remplacés par un amoncellement de volants de soie et de mousseline superposés que retiennent des noeuds de ruban et dont le froufrou vaporeux et soyeux donne à la femme un cachet de haut luxe. Inutile d'ajouter que la nuance du jupon doit toujours s'harmoniser avec la teinte du costume.

Pour les courses matinales, quelques élégantes ont adopté le jupon de satin noir avec volants plissés et découpés de faille noire, voilés de volants de gros tulle de soie ourlés de sept rangs de petit* rubans comète de satin noir.

A la campagne comme à la ville, c'est par la recherche des détails, le soin délicat qu'on met dans tous les objets de sa toilette que s'affirment le luxe et la véritable élégance chez la femme.

ZIBELINE.

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LE CHIC MASCULIN

L'HABIT DE SOIRÉE

Toutes celles d'entre nous qui sont soucieuses de plaire s'intéressent à leurs toilettes et à tout ce qui peut contribuer à leur parure ; — mais combien en est-il désirant aussi savoir à quelles règles doit se conformer un homme pour être chic.

Nombre d'abonnées nous ont récemment demandé des renseignements sur les modes masculines.

Pour leur complaire, nous publierons une série de notes sur le chic masculin dans lesquelles nous traiterons successivement de tout ce qui touche à la toilette de l'homme: linge, vêtements, cravates, chaussures, bijoux, cannes, gants, porte-cigares et tous accessoires de toilette.

Nous commencerons aujourd'hui par l'habit de soirée.

L'enquête à laquelle nous venons de nous livrer nous oblige à reconnaître que c'est toujours le tailleur anglais qui détient le record du vêtement masculin.

Pour l'homme comme pour la femme, l'élégance résulte de ce que tout, dans sa toilette, depuis son vêtement jusqu'au moindre accessoire, est en harmonie avec l'heure et le lieu où il se trouve.

La récente innovation relative à l'habit, due à l'esprit inventif d'Henry Creed, le grand tailleur de la place de l'Opéra, et qui a été immédiatement adoptée par ses clients du dernier bateau, consiste à adopter pour le théâtre, le cercle ou les dîners intimes, la cheviotte au lieu du drap, réservé aux réceptions plus cérémonieuses.

Cet hiver, l'habit cheviotte remplacera le smoking, qui est complètement délaissé.

Ainsi que nous le représente la gravure ci-contre, il se fait avec col de velours, sans boutons, ni boutonnières, ce vêtement ne se croisant jamais — avec ouverture pour la fleur consacrée et poche à gauche pour le mouchoir.

Le pantalon pareil, plutôt ample, avec le gilet blanc croisé à trois boutons complète cette tenue nouvelle.

Pour l'habit de grande cérémonie, Creed emploie toujours le drap fin avec col de velours et revers uni, ou col et revers en satin soit uni, soit moiré, qu'il applique également à l'habit en cheviotte.

M. DE V.

PARFUMS

Chère et charmante,

Avec toi rien n'est jamais fini, parce que tout recommence. Une fois déjà je t'ai parlé de parfums... et tu veux que je t'en parle encore. Ceci ne m'étonne point; car si tu les aimes, moi je les adore! Les parfums, subtiles émanations des choses, âmes en quelque sorte immatérielles de la matière, voltigent autour de nous; invisibles et présents, ils nous entourent, nous pénètrent et créent autour de nous une atmosphère nouvelle que nous pouvons modifier à chaque instant, tour à tour suave et douce, pleine de molles langueurs ou d'excitations nerveuses. En Orient, les plantes enivrées de soleil prodiguent à l'homme des parfums puissants, dons spontanés d'une nature généreuse. Chez nous, ce sont des produits de l'art — ou, pour mieux dire, de l'industrie — auxquels les ressources de la chimie, science toute moderne, donnent une puissance inconnue jusqu'ici. Aussi doit-on en user avec mesure et discernement, comme de toutes les choses agréables, dont l'abus peut être dangereux. C'est ici que les bons conseils peuvent être fort utiles. Je te remercie de me demander les miens. Mon expérience t'appartient.

Dans ma dernière lettre, je te parlais des parfums de luxe et de

PARFUMS. 373

haute élégance dont une femme aime à retrouver l'essence dans son linge, dans ses vêtements et dans l'air ambiant de ses appartements.

Aujourd'hui, je laisse de côté la poudre des sachets à l'héliotrope, à la violette, au camanga et à la verveine, ainsi que les extraits du Chypre et du Jicky ingénieusem*nt répandus par le vaporisateur, et je me complète en te parlant des parfums plus modestes, mais non moins utiles, que nous appellerons les parfums hygiéniques.

Ce sont d'abord les eaux de toilette, très nombreuses et très diverses aujourd'hui, et parmi lesquelles il est important de savoir choisir.

Dans les grandes agglomérations, où l'air est si promplement vicié, elles ne sont pas seulement utiles : elles sont indispensables. D'abord elles purifient le milieu dans lequel nous respirons, puis elles tonifient la peau, en entretenant chez elle la souplesse et la fraîcheur. Pour obtenir ce résultat, additionne l'eau tiède des ablutions quotidiennes — jamais d'eau froide, tu m'entends! — de l'eau de toilette que tu auras choisie. La teinte légère qui trouble la limpidité du liquide naturel suffira pour t'indiquer que tu as rencontré la mesure voulue.

Si tu n'as pas un goût particulier, tu peux prendre à peu près indifféremment l'hydrol aromatique, l'eau hégémonienne, et mieux encore peut-être l'eau de Cologne russe. Mais, par grâce, prends-la chez Guerlain, roi des parfums, et bientôt, comme toutes celles qui s'y connaissent, tu apprécieras ses qualités supérieures.

Si, par aventure, les senteurs que je viens de t'indiquer ne donnaient pas à l'eau dont tu vas te servir une tonalité suffisante, tu peux y ajouter quelques gouttes — cinq ou six tout au plus — d'extrait de benjoin. Je ne sais rien de meilleur pour raffermir la peau, en resserrant ses pores, et pour éviter le mortel fléau des rides envahissantes.

Une précaution que je ne saurais trop te recommander dans les journées froides, c'est d'éviter le contact de l'air vif avec ton visage. Fais donc précéder tes longues et saines promenades quotidiennes de l'emploi judicieux d'un bon cold-cream. Il y en a de plusieurs sortes. Laisse-toi tenter par la Crème de fraises, si attrayante avec sa belle couleur rosée. Il te suffira d'une couche légère, non seulement pour préserver ton visage — ce qui est le grand point — mais encore pour donner un nouvel éclat à la fleur de ton teint. Si tu le trouves un peu trop vif, tu peux l'adoucir par un imperceptible nuage de poudre de cypris.

Pourquoi me montres-tu tes pauvres mains? Je sais qu'elles ont un peu souffert de ces derniers froids. Mais n'avons-nous pas un remède à toute chose? Prends chaque matin un peu de pâte de velours — ou de pâte royale, si tu veux — et emploie-la en guise de savon pour te laver à l'eau tiède — et tes mains redeviendront demain ce qu'elles étaient hier — blanches, souples et charmantes. Si mes deux pâtes ne t'avaient pas

374 LA GRANDE DAME.

suffi, belle coquette, tu pourrais en prendre une autre — la grenadine —

dont l'effet est plus puissant encore... J'ose le dire infaillible.

Tu te plains de tes savons. Je ne m'en étonne pas. Le savon est l'écueil de la toilette. J'en sais tant qui sont désagréables et nuisibles! Mais ne crains rien! Ceux-là je ne te les nommerai pas! Je ne t'en citerai qu'un seul..., mais il est excellent : c'est le savon ait blanc de baleine, que l'on parfume à toutes les odeurs voulues, à l'impériale russe, à la duch*esse, à la maréchale, aux fleurs d'Italie, au Chypre ou à l'héliotrope. Doué de propriétés adoucissantes, qu'aucun autre savon ne vous offre, celui-ci vous donne une mousse onctueuse et consistante qui enlèverait jusqu'à la tache de sang ineffaçable sur la petite main de lady Macbeth.

Et note bien, ma toute belle, que toutes les choses recommandées ici par la fidèle amie sont d'un emploi absolument inoffensif. Ton postscriptum me glisse une insinuation relative aux fards. Permets que je n'y réponde point aujourd'hui. C'est là une question importante, tout à fait à part, et que nous reprendrons plus à l'aise... un autre jour.

LYS DE FRANCE.

SERVICE RUBAN : décor rose sur fond d'ivoire au grand feu de four

LES PORCELAINES DE LIMOGES

E. GÉRARD, DUFRAISSEIX ET Cie

Si certaines nécessités industrielles ou décoratives, certaines exigences fort légitimes de l'acheteur imposent encore à nos fabricants l'emploi de la peinture au feu de moufle, il est néanmoins bien évident que la peinture au grand feu — au feu de four ■— est la seule solution céramique rationnelle du problème de la décoration de la porcelaine.

Il faut bien avouer, toutefois, que jusqu'à présent la gamme des couleurs de grand feu n'offrait que des tons sans sonorité et en quelque sorte empreints de tristesse. Avec ses tons violâtres, à peu près sa seule ressource pour sortir du gris, la peinture au grand feu semblait vouée au demi-deuil. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi : grâce surtout aux persistants efforts de la maison Gérard et Dufraisseix, on ne peut plus dire que la porcelaine dure est indécorable. On a pu admirer à l'Exposition de Lyon les magnifiques services de la maison Gérard se présentant avec la plus aimable et la plus brillante parure décorative.

La palette mise par la maison Gérard à la disposition de ses artistes permettant à ceux-ci d'atteindre à une variété de coloration tout à fait inconnue autrefois : des gris délicats, des roses, un ton saumon tout à fait particulier, un jaune puissant, d'autres jaunes à teintes soufrées, des verts très fins, des bruns, des bleus, etc. Ne voilà-t-il pas un ensemble très suffisant de ressources décoratives? Il convient d'ajouter que les couleurs de four sont préparées chez MM. Gérard, Dufraisseix et Cie, de façon que le peintre puisse les mêler ou les superposer. C'est là un avantage inappréciable, car non seulement il permet au décorateur une

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LA GRANDE DAME.

grande liberté d'allures, mais encore il assure à la production cette grande sûreté indispensable dans la pratique industrielle.

L'avenir delà décoration au grand feu est donc assuré dès maintenant. Devant les difficultés qu'elle présentait, les fabricants se sentaient pris de quelque timidité et n'osaient s'y livrer que sur une échelle des

plus restreintes. En rendant pratiques les procédés de la peinture au grand feu, grâce aux perfectionnements qu'ils y ont introduits, MM. Gérard, Dufraisseix et Ce ont assuré à ce genre de grandes ressources décoratives. Leurs envois à l'Exposition de Lyon nous montrent qu'un immense progrès vient de s'accomplir dans la production de la porcelaine : la peinture au grand feu a cessé d'être un tour de force.

Ses importants résultats ont pour origine un labeur incessant qui remonte déjà à près d'un siècle. La maison Gérard a succédé à la maison Alluaud, établie dès 1808 dans les locaux actuels. Elle est pourvue d'un outillage perfectionné et occupe plus de sept cents ouvriers. Tous les détails de la fabrication y sont l'objet d'une sollicitude particulière. La maison Gérard ne recule devant aucun sacrifice pour rendre sa production aussi artistique que possible.

Enfin, en parvenant à faire entrer la peinture de grand feu dans le domaine de la pratique industrielle,

la maison Gérard a, en quelque sorte, créé un produit nouveau; en effet, n'est-ce point une chose véritablement nouvelle que cette superbe porcelaine de service décorée logiquement, pour ainsi dire, à l'aide de procédés qui ne font rien perdre à la matière de sa haute valeur céramique?

Nous ajouterons que l'Exposition

l'Exposition Lyon de la manufacture Gérard-Dufraisseix a obtenu un très grand et très légitime succès, et que la plus haute récompense, un grand prix, a été accordée à cette maison importante.

G. DE C.

SERVICE LIMOGES, service à chocolat

LA BRODERIE JAPONAISE

A L'EXPOSITION DE LYON

C'est le véritable caractère des productions d'art d'intéresser à la l'ois par leur technie et par leur style. Dans toute oeuvre de tenue, le moyen matériel est inséparable du sentiment qu'il réalise et assure sa durée. Et ce moyen matériel devient lui-même facteur prépondérant, lorsqu'il s'agit d'un art particulier, comme celui du Japon, où la pensée ne se révèle lumineuse que dans l'effort des recherches, dans le patient labeur des procédés de facture.

De ces vérités essentielles et propres, surtout, à l'art japonais, j'ai eu l'immédiat témoignage dans quelques spécimens de broderie exhibés par M. Tadamasa Hayashi dans la section des soieries à l'Exposition universelle de Lyon.

Et puisque aussi bien, de nos jours, le goût des arts décoratifs est assez répandu dans le public pour que celui-ci prenne plaisir au détail des tentatives réalisées selon cet ordre d'idées, voici, pour sa curiosité, en quoi le moyen matériel employé par M. Hayashi contribue au caractère de son oeuvre.

La broderie japonaise avait, au-dessous de la soie qui composait le dessin, des morceaux de carton, découpés et ouatés, formant relief et contribuant à la saillie des lignes. Mais ces cartons enlevaient à l'étoffe sa souplesse naturelle et aux couleurs leur harmonie soyeuse. M. Hayashi a supprimé le carton. La soie du fond a été tissée exprès à la largeur exigée. Les dessins sont tous d'invention nouvelle et la soie de broderie, faisant corps avec l'étoffe du fond, conserve à celle-ci toute sa souplesse. Il a supprimé le collage et le mouillage de la soie — opérations qui facilitaient le travail, mais qui enlevaient à la soie son ampleur et son lustre. La broderie garde ainsi, grâce à cette suppression, toute la valeur de l'éclat et de la beauté de la soie employée. De plus, M. Hayashi, ayant soumis l'harmonie des couleurs à tous les modes d'éclairage, les effets décoratifs, si attrayants pendant le jour, gagnent encore davantage à la lumière des lustres, à celle du gaz, de l'électricité, des bougies.

Je ne parle ici, bien entendu, que des recherches d'ordre général. Je néglige, et à dessein, la foule des détails techniques par lesquels

45

378 LA GRANDE DAME.

M. Hayashi est arrivé à faire celle broderie que le jury lyonnais a très

judicieusem*nt récompensée d'un grand prix.

A citer encore ce beau paysage d'Arashiyama, composé sur un panneau, et les fleurs éclatantes brodées sur des portières américaines.

Et pour que, de mon admiration pour ces oeuvres parfaites, quelque chose aille au lecteur qui ne soit pas conventionnel ou purement passager, il convient de marquer, en quelques lignes brèves, quel, non seulement, est l'effort personnel de M. Hayashi, mais quels encore le milieu qu'il a créé et le mouvement d'art dont il est un des facteurs les plus puissants.

C'est vers les temps mémorables où l'art moderne, affranchi des entraves traditionnelles, s'engageait dans les voies originales si généreusem*nt accomplies depuis lors, qu'il faut rechercher la date précise à laquelle le japonisme, cessant d'être un objet de curiosités littéraires, devint la source féconde d'émotions nouvelles et comme le conseiller subtil de la pensée picturale.

Les premiers témoignages de ce que j'appellerai la sensibilité japonaise furent méconnus durant de longues années : on en aimait le parfum de légende, le ton précieux et parfois bizarre, les éléments décoratifs, mais on ignorait profondément de quelle vaste imagination et de quel art pénétrant ils étaient le clair miroir.

Ce fut plus Lard, lorsque des artistes de noblesse s'informèrent avec amour de cette civilisation lointaine, qu'ils pénétrèrent avec méthode dans la technique et clans les procédés familiers des ouvriers japonais en étudiant leur maîtrise, leur histoire et les documents par quoi s'attestaient leurs nobles efforts, que le Japon apparut enfin dans toute sa lumineuse beauté, que fut révélée au monde occidental celte âme florissant par delà les mers, forlifiée déjà par des siècles d'énergie.

Et alors seulement les bronzes, les étoffes, les métaux ciselés, les estampes, les laques — considérés comme ornements d'étagère, comme bibelots de luxe — se transformèrent à nos curiosités en éducateurs de l'optique, en facteurs d'un mouvement qu'il est loisible de constater aujourd'hui dans les manifestations les plus diverses de l'activité artistique.

A notre sens du classique, à une vision façonnée par tant de multiples et séculaires formules, le Japon apporta un idéal imprévu, une interprétation harmonique et subtile des phénomènes naturels. Une humanité entière venait de surgir, élégante, cultivée, supérieurement fine et souple, adonnée aux travaux de beauté et aux rêves délicats.

On eut la sensation d'un ciel lumineux, d'une atmosphère transpa-

LA BRODERIE JAPONAISE. 379

rente, d'un monde où l'enthousiasme était serein et calme, d'une nature au sein de laquelle s'épanouissaient des âmes fécondes et belles, et si complexes qu'elles paraissaient naïves. De plus, à notre manière de concevoir l'artiste, sa mission et son caractère, le Japon ajouta une leçon hautaine. Là-bas tout artiste est un artisan, comme nos vieux maîtres

l'étaient jadis. Pour lui, simple ouvrier, mais ouvrier d'art, parcourir du regard des belles couleurs est une volupté et une joie profondes. Lorsque son pinceau traduit le paysage et qu'il en fixe l'harmonie, cette volupté s'accuse par un éclat et une précision qui sont les conditions essentielles de son métier et qu'il a acquises uniquement pour avoir su regarder et avoir su comprendre. De là vient qu'il a spéculé sur les nuances et obtenu ces incomparables combinaisons de couleurs et de métaux, les frissonnements du bambou dans la brise, le vol des oiseaux, les perspectives où le

PANNEAU DE SOIE BRODÉ

382 LA GRANDE DAME.

regard se perd dans l'immensité, la vie des fleurs et des êtres, le charme chanteur des nuits lunaires et des couchants d'apothéose. Reculant jusqu'à ses dernières limites le moyen matériel de son art, ne s'arrêtant qu'au point extrême où ce moyen est définitivement impuissant à rendre une volonté précise, l'artiste japonais a mené la hardiesse et la recherche des expressions à un degré inconnu d'aucun peuple au monde.

Avec quelle joie j'ai profité d'une occasion qui me permettait de vérifier mon enthousiasme, de connaître des pièces uniques du Japon. La bibeloterie courante, de caractère mercantile, ne donne aucune idée de ce qu'est en réalité l'art du Japon. En outre, pour juger et pour apprécier la valeur d'une estampe ou d'un bronze de production moderne, il est essentiel de connaître les étapes parcourues, les tentatives séculaires, les époques mémorables, les écoles qui ont fondé le style et préparé les mouvements; en un mol, participer de l'âme du passé pour connaître son état actuel et s'identifier avec son émotion.

Pareille fortune me fut réservée ces jours derniers. En d'inoubliables heures, j'ai vécu au pays des rêves, dans une contrée où plus rien ne subsiste des réalités ambiantes.

La demeure de magie — n'est-ce pas une demeure magique, celle où reposent des oeuvres d'art? — est rue de la Victoire.

Rien ne la distingue des autres maisons.

On entre, on monte au second étage, et l'on sonne.

Quelqu'un vient ouvrir qui vous introduit dans un salon, très simple, très correct, orné de quelques estampes dont vous avez à peine le temps de vous approcher, car une personne est devant vous, le maître du logis, lui-même, vous invitant à prendre place et vous fixant d'un regard rapide, si rapide qu'on a de la peine à comprendre comment d'un pareil coup d'oeil un homme peut juger et peser un autre homme. Car, en moins d'une seconde, et je l'avoue ici en toute sincérité, je me suis senti taxé, étiqueté, fouillé, examiné par deux yeux brillants comme les escarboucles.

M. Hayashi est Japonais, mais je présume volontiers que c'est un Japonais du dix-huitième siècle, d'un siècle qui là-bas a été analogue au nôtre, et comme le nôtre fait d'élégance, de raffinement, de goût et de courtoisie suprême. De ce siècle défunt, M. Hayashi a l'allure, les manières, la recherche; il en a l'aménité et ce je ne sais quoi d'indéfinissable dans le geste et dans le regard, qu'acquièrent les gens ayant vécu dans les milieux d'art, parmi des chefs-d'oeuvre, en contact permanent avec la pensée des grands maîtres.

M. Hayashi, lors de cette visite, a bien voulu me remettre la collection

LA BRODERIE JAPONAISE.

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de gardes offerte par lui au Musée du Louvre, — cadeau royal qui devait quitter le lendemain la rue de la Victoire pour rayonner dans une des salles du Musée. Et cependant qu'il m'en détaillait les origines, les époques, qu'il enlevait de leurs coussins de soie vert pâle, pour les mettre

en lumière, ces inappréciables joyaux, je ne savais qu'admirer le plus, de ces morceaux de fer où des artisans ont scellé pour l'immortalité leur rêve d'idéal, ou du geste qui les prenait avec religion, avec ce respect absolu et profond de l'artiste véritable pour ce qui constitue les monuments de l'art. Et à combien d'autres témoignages n'ai-je pas reconnu,

BRULE-PARFUMS CISELÉ EN ARGENT MASSIF DOUBLE DOR

384 LA GRANDE DAME.

dans celle demeure, la trace d'un goût original et sûr, infaillible dans son activité!

Les objets précieux, au lieu de s'étaler dans les vitrines coutumières, dans le pêle-mêle banal des étagères ou des crédences, reposent, enveloppés de soie, clans les tiroirs de grands meubles anglais, disposés dans une suite de dix ou douze grands salons. Aux murs, sur des socles ou à l'intérieur de tables vitrées, les objets plus courants, ou ne nécessitant pas des soins particuliers. Et ces salons, d'aspect sévère, silencieux et discrets, témoignent chacun d'une activité distincte de l'art japonais. Ils sont en outre aménagés de telle sorte que l'on peut, en suivant l'ordre établi, avoir une idée complète, documentée, de tout ce que le Japon a réalisé depuis les époques reculées et jusqu'à nos jours.

C'est là un musée dirigé par un homme de goût et par un artiste. M. Hayashi, le propriétaire heureux de ces collections, a contribué plus que tous les autres à répandre le Japonisme en France. A l'Exposition de Lyon, il a montré des soies brodées et exécutées sous sa direction. A l'Exposition de Chicago, il avait créé une section à lui, avec une série d'oiseaux en bronze dont il avait l'ait les dessins et conduit les travaux de fonte. A Tokio, il veut fonder un musée avec des oeuvres d'artistes français. — Un musée français au Japon! — M. Tadamasa Hayashi était l'ami de Carriès; il est l'ami des écrivains, des peintres, des sculpteurs, de Lout ce qui pense et de tout ce qui oeuvre en art. Et il m'en voudrait d'insister ici sur sa personnalité, une des plus originales assurément et parmi les plus intellectuelles de Paris.

JEAN DE MlTTY.

THÉÂTRES

LA nouvelle oeuvre de M. Sardou, Gismonda, telle qu'il l'a conçue et telle qu'il l'a réalisée après douze années de méditations, de recherches historiques dans les bibliothèques françaises et étrangères, peut être exposée comme il suit.

Gismonda, duch*esse d'Athènes, veuve d'un prince nommé Nério et mère d'un enfant de six ans, est une jeune et belle et ardente princesse. Sa beauté et ses grâces sans pareilles, aussi bien que sa fortune, attirent les courtisans, les adorateurs, les chevaliers jaloux de conquérir sa main. Mais la princesse s'ennuie, mais la princesse méprise tous ces faux amoureux, tous ces brillants gentilshommes dont elle connaît la cupidité. Elle s'ennuie... et rien ne vient changer le cours de sa tristesse. Nulle action héroïque, nul exploit magnanime accomplis par un de ces fiers chevaliers, aucune de ces aventures de légende ne vient remuer son âme et toucher son coeur.

Alors — et ici commence le drame — un courtisan, un homme de l'entourage de Gismonda — croyant que le seul obstacle à son désir de devenir l'époux de la duch*esse est l'enfant de Nério — s'empare du petit garçon... et le jette dans la fosse aux tigres... Toute la cour est là, haletante, terrifiée. D'une seconde à l'autre, l'enfant va être dévoré, broyé entre les crocs formidables du fauve! La mère supplie, crie son désespoir, se traîne aux genoux de la cour :

« Sauvez mon enfant! Et ma vie, ma fortune, ma main seront à celui qui me le rendra! »

Les chevaliers se taisent, immobiles. Mais un homme du peuple, un plébéien, un fauconnier, Almério, un fier jeune homme qui depuis longtemps et en silence aimait la princesse, se détache brusquement d'un groupe, s'élance dans l'antre du tigre et ramène, sain et sauf, le petit garçon à demi mort de frayeur.

On devine la suite. Gismonda a fait publiquement le serment d'épouser

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le sauveur de son fils. Mais celui-ci est un manant et, de plus, elle ne l'aime pas. Elle demande au pape de la délier de son serment, mais le pape refuse. Enfin, après des péripéties nombreuses, des scènes pathétiques, émouvantes et dans lesquelles le talent de Sarah s'est déployé plus beau et plus éclatant que jamais, Gismonda, vaincue par tant d'héroïsme, d'amour et d'abnégation, accorde sa main à Almério et réalise le voeu du pauvre ver de terre amoureux d'une étoile.

Faut-il ajouter que la pièce est montée avec un luxe et une minutie étonnants, que les décors de ces cinq actes sont des tableaux remarquables et des reconstitutions très belles des monuments d'Athènes?

MM. Guitry, de Max, Deval, Laroche méritent des éloges. Quant à Mme Sarah Bernhardt, elle a été l'artiste merveilleuse que nous admirons et que nous aimons. Gismonda comptera parmi ses succès les plus purs.

C'est égal! imaginez cette pièce dans un décor moindre, sans l'apparat de la mise en scène, sans les costumes si riches et si miroitants, sans le talent de Sarah! Qu'en resterait-il?...

C'est au Chat-Noir et avec un exquis poème fantaisiste — monté en ombres chinoises par Rivière — que débuta M. Maurice Donnay, l'auteur applaudi de Lysistrata et de cette Pension de Famille que viennent de faire jouer au Gymnase MM. Porel et Carré, les directeurs du Vaudeville. Le passage du poète dans le cabaret de Salis fut de courte durée. Il eut le bon esprit d'en sortir, car de son exode datent son succès et le commencement d'une réputation qui va chaque jour grandissant. Certes, au gré de quelques-uns, il est regrettable que l'auteur de Phryné et d'Ailleurs, en changeant de milieu, ait si complètement changé d'inspiration. Ce n'est plus l'artiste délicat, soucieux d'un rêve subtil, épris de la seule beauté de son idéal. L'ironie, autrefois si fine, est devenue de la blague : elle a passé par la Vie parisienne et s'est adaptée, en entrant au théâtre, aux exigences d'un public de mondains, d'oisifs élégants, de littérateurs superficiels.

La Pension de Famille, — le Family House, — où M. Donnay a placé sa comédie, est aux environs de Nice, tout près de Monaco. Il fallait le voisinage de la roulette pour expliquer la présence, dans cet hôtel meublé, d'une foule de gens bizarres, hétérocl*te, composée d'éléments si divers et si étonnants. La famille Plouff, famille d'Américains : la mère, une toquée que préoccupent les martingales, les combinaisons de jeu; deux jeunes filles, Éva et Sarah, élevées en toute liberté, négligées par leur mère et ne faisant qu'à leur tète. La comtesse Ablanoff, une grande dame russe, malade à la suite d'une secousse morale; Jacques Lameilh, un joyeux poitrinaire; Richomme, professeur de mathématiques et professeur de jeu, inventeur de systèmes infaillibles pour faire sauter la

THEATRES. 389

banque; Mme Aubert, propriétaire de la pension, et son fils, Philippe; André Septeuil, un Parisien qui cherche la gaieté et le repos, etc.

Tout ce monde, dans le premier acte de la comédie — le meilleur, — s'agite, se meut, va, vient, pérore, caquette, s'amuse et fait des mots, des mots bien parisiens, bien boulevardiers et... bien spirituels. Les personnages, une fois campés, dressés dans leur silhouette un peu sommaire, commencent la pièce.

Albine Assaud vient à Nice retrouver son amant, André Septeuil. Elle est accompagnée d'une amie, grâce à laquelle son mari, M. Assaud, a consenti à la laisser partir. Les amoureux sont tout à la joie de se retrouver et le rideau tombe sur leur entrevue. Le reste est selon la formule. Le mari arrive à l'improviste, tire un coup de pistolet sur l'amant et le blesse à la main. Entre temps, il a découvert que Mme Aubert était une ancienne maîtresse, abandonnée par lui avec un enfant. Il est brutal, grossier et son cynisme rend plutôt sympathique son accident conjugal. Les autres personnages accomplissent chacun leur destinée de théâtre, qui est d'amuser le public et de le contenter le mieux selon ses préférences et sa logique de convention.

Pension de Famille est une suite de petit* tableautins, amusants, spirituels souvent, encadrés dans de jolis décors, figurés par des acteurs suffisamment stylés. Si M. Dpnnay n'a eu d'autre prétention, que celle de nous montrer une jolie esquisse d'un milieu non encore exploité au théâtre, il faut l'en féliciter et lui souhaiter tout le succès désirable.

LA PALFÉRINE.

LE CHIC MASCULIN

Voici, pour nos lecteurs, quelle sera, cet hiver, la

chemise à la mode. Le plastron se porte uni, avec une

■ou deux boutonnières — selon la fantaisie. Les plis ou les broderies du plastron ont disparu définitivement. ■■■Et c'est dommage, car un plastron plissé, en fine toile,

■ajoutait je ne sais quelle note élégante à la toilette un

■■■■peu sévère du soir. Les manchettes, boutonnées avec

des boutons à chaînettes, se portent moins larges que

ces derniers temps. Le col haut, ne joignant pas complètement, et les bouts légèrement cassés.

Quant à la cravate de soirée, elle est large et tient la moitié du col, en hauteur. Le noeud est plus mince, moins étoffé qu'il ne se portait jusqu'ici. Pour les cravates de jour, on avait essayé de porter le vert (purée de pois) ou le maure pâle. Mais, à cet égard, chacun choisit la nuance qui sied le mieux à son âge, à ses goûts et surtout à sa physionomie.

La chemise de couleur reste, bien entendu, la chemise d'été — villes d'eaux, bains de mer, villégiatures, etc. Sous aucun prétexte, elle ne se porte à Paris. D'ailleurs, il en est de la chemise comme du reste de la toilette. On est tenu naturellement à se conformer à l'usage généralement adopté, mais l'élégant de profession ajoute toujours à ce qu'il porte une note personnelle, un rien d'originalité (dans le sens intelligent du terme) par quoi se révèle le goût. En toutes choses, l'exagération est blâmable, et c'est la caractéristique de l'homme de distinction d'allier la recherche à la simplicité. D'ARCEL.

BOUTONS JUMELLES POUR MANCHETTES

(Fleurs variées)

LES DERNIÈRES MODES

Les journaux quotidiens ont raconté les splendeurs des derniers grands mariages, ils ont dressé la liste des cadeaux, les richesses des livrées et des voilures de ces cortèges princiers, mais ce qu'ils ont omis de raconter et que nous voulons décrire, c'est l'exquise simplicité des trousseaux.

Celui de Mlle de Crussol, aujourd'hui duch*esse de Cossé-Brissac, a été particulièrement admiré pour l'élégance sobre de ses ornements, la délicatesse des broderies, la beauté des enjolivures et des dentelles.

Point de lingerie de couleur, peu d'accord avec la véritable élégance, mais des batistes aériennes, des linons vaporeux, ciselés de jours et incrustés de valenciennes véritables, formant aux chemises de jour gorgerettes ou volants froncés, retenus par des noeuds de ruban, le bas terminé par des ourlets à jour que surmontent cinq petit* plis cousus. Les robes de nuit à col droit, ornées d'un double petit plissé de batiste ourlé de valenciennes descendant devant en jabot, étaient de formes très nouvelles, avec épaulière à petit* plis cousus formée par la manche.

Que dire des mouchoirs, dont la collection merveilleuse a fait l'admiration des élégantes, venues aux Montagnes-Russes jouir du spectacle de toutes ces coquetteries intimes? La broderie à jour tient le record dans l'ornement de la lingerie: ce sont de larges rivières qui suivent les contours du mouchoir, des dessins grecs, byzantins ou des feuillages que soulignent des valenciennes et des dentelles en point à l'aiguille. Les marques sont très variées; souvent c'est le nom entier dont les lettres sont disposées perpendiculairement et accrochées les unes aux autres; d'autres fois, ce sont les initiales brodées sur un écusson au point sablé

LES DERNIERES MODES. 393

d'un travail de fée. Les jupons étaient de véritables rêves de soie aux nuances tendres, ornés de nombreux volants superposés et voilés de dentelle crème ou noire, suivant la teinte de la soie. L'un était en pékin de soie vert céladon glacé mauve, un autre rose broché Louis XV; il y en avait un tout noir pour les sorties matinales, un autre entièrement blanc rehaussé de mousseline de soie pour le grand jour.

Dans la série des matinées, nous en avons remarqué de fort jolies en foulard rose, bleu ou crème, puis des peignoirs de toilette d'une forme originale, en mousseline côtelée, ornés de volants brodés à dents, descendant jusqu'au bas, avec manches courtes très larges, brodées à même et tombant droit.

Parmi les robes de chambre, il y en avait une en lainage russe ton ivoire, rehaussée d'un grand col fort original en vieux venise, sur salin Liberty crème avec manches courtes en salin Liberty.

Le voile de mariée était une merveille; imaginez une immense pièce de point à l'aiguille, disposée de façon à voiler la chevelure et à envelopper l'immense traîne de la robe; le fond était semé de boulons d'églantine; ces mêmes fleurs s'épanouissaient dans la bordure assez étroite près du visage et très large vers la traîne. Un haut volant de dentelle assortie ornait la toilette de mariée, faite de salin blanc à longue traîne de velours moiré.

Mme la duch*esse d'Uzès, mère de la mariée, restée en demi-deuil depuis son veuvage, portait une superbe robe de velours dahlia ornée de dentelle. Sa fille aînée, la jeune duch*esse de Luynes, était en robe de moire feuille de Bengale, à jupe très ample, à godets tombant droit, avec une longue traîne unie. Le corsage, légèrement drapé, était ouvert sur un devant de mousseline de soie enrichi d'un flou de dentelle application.

Une ceinture de moire blanche formait au bas du dos un gros noeud carré d'où parlaient deux longs pans retombant sur la traîne.

Mme la vicomtesse de Trédern était en robe de velours lavande, ornée de broderies avec petit camail en point de Venise, le tout enrichi de zibeline; la capote de velours était ornée d'ailes d'acier bleuté.

La princesse Amédée de Broglie portait une toilette en velours cerise avec petile coiffure Virot à fond de zibeline, éclairée de noeuds rubis et d'une aigrette blanche.

Au mariage du comte de Pomereu avec Mlle de Mun, qui avait réuni à Saint-Pierre de Chaillot une affluence de jolies femmes, nous avons ' remarqué de bien charmantes coiffures : Mme la comtesse de Mun, en robe de velours noir, était divinement coiffée d'une mignonne capote, chiffonnée en point à l'aiguille faisant aigrette avec choux de côté.

Mme la comtesse de Blacas portait une petite coiffure à fond rose brodé d'or avec bord de zibeline et aigrette, dernières créations de Virot

47

394 LA GRANDE DAME.

qui, à l'occasion des visites prochaines, vient d'inventer des coiffures inédites d'une coquetterie irrésistible.

Est-il rien de plus seyant en effet que ce petit chapeau baptisé le fly, fait en velours rose avec ailes de jais, aigrette marabout blanc et coquet chiffonné de dentelle retombant derrière sur les cheveux; puis cet autre mignon bonichon à fond or et acier, criblé de fines paillettes, orné d'ailes de jais fixées par des boulons en diamants; une aigrette marabout noir s'élève devant et de petites plumes noires retombent derrière en cachepeigne.

La vogue de la broderie s'accentue de plus en plus; les corsages en sont couverts, et les jupes ornées longitudinalement sur les coutures et principalement au lé de devant, qui s'ouvre de côté sur des quilles de velours et de soie brochée.

Les cuirasses de fourrure, dont nous avons annoncé l'apparition dans une de nos précédentes chroniques, jouiront d'une grande faveur ; on les fait en zibeline ou en hermine, avec jupe de drap ou de velours. Redfern compose ainsi des toilettes de visite d'une princière élégance.

A propos des corsages de teinte et d'étoffe différentes de la jupe, signalons l'innovation d'un de nos grands couturiers, qui remplace, la chemisette bouffante, vraiment trop vulgarisée, par une petite veste moulant le buste comme un gant, avec petites basques savamment découpées et revers venant s'agrafer devant au moyen de deux boutons en diamants.

ZIBELINE.

UN SIÈCLE DE MODES FÉMININES

CHARPENTIER ET FASQUELLE, Éditeurs

L'ouvrage publié parla maison Charpentier, sous ce titre : Un Siècle de modes féminines, n'est pas, à proprement parler, un livre, clans le sens que l'on prêle à ce terme.

C'est une suite de planches coloriées, reproduisant les modes, les toilettes, les coiffures de la

femme depuis 1794 jusqu'en celle année de 1894. Nous donnons ici en noir trois réductions de ces planches.

Nul commentaire, nul texte accompagnant ces illustrations ne valent la simple éloquence des parures. Les éditeurs l'ont parfaitement compris et se sont bornés à une simple introduction, sorte de préface où s'énonce la pensée qui a inspiré le travail et les principaux documents consultés.

La tentative est nouvelle; du moins, la forme sous laquelle elle est réalisée dans Un Siècle de modes est la première en date et le point de départ de tout un mouvement de librairie dirigé en ce sens.

Comme la toilette n'est faite que pour le regard et ne s'adresse qu'au regard, la prose la plus chatoyante ne vaudra jamais, pour les professionnels du costume, pour les gens préoccupés d'élégance et de mondanités, la gravure représentant le style, les modes elle goût d'une époque.

De plus, cette absence de texte ajoute à la facilité de consulter l'ouvrage, d'en feuilleter les pages et de s'en faire une idée d'ensemble ou de détail par la simple lecture des dates qui figurent au bas des costumes.

La première planche est consacrée à une mondaine de 1794. La toilette se ressent encore de l'ancien régime, de l'influence de Marie-Antoinette, des falbalas et des attifements si jolis et si légers des marquises pimpantes et des pastorales de Trianon.

Subitement, la mode chance et voici venir le néo-grec, le néo-romain,

1794

396

LA GRANDE DAME.

le décolletage et la presque nudité des déesses de la Révolution : les Incroyables du PalaisRoyal et les habituées des salons où trônait MmeTallien. Les femmes du Consulat, les amies de Joséphine. Et puis l'Empire — la mode officielle, l'effort stérile du Maître d'imprimer à son époque un style original. Ensuite la Restauration : Mme Récamier — les portraits d'Ingres — les manches à gigot, les étoffes

à fleurettes, les mitaines à la simplicité à la fois charmante et gracieuse.

Et les transformations se succèdent, ingénieuses ; et les modes suivent les modes: Louis-Philippe, le second Empire, la République.

Tout cela est d'un attrait particulier, bien fait pour charmer le moment qu'on met à feuilleter l'ouvrage.

Que de souvenirs remués là, dans ces pages ! Que de figures disparues, évoquées par une simple silhouette, une date,

un détail de toilette!

A voir la légèreté du costume porté autrefois par nos aïeules, le lendemain des sombres jours de la

Terreur, ne s'aperçoit-on pas combien ce

monde paraît avide de plaisirs, d'oubli? Et le

second Empire, le temps des élégances,

du luxe, des millions jetés fiévreusem*nt

en amusem*nts, en recherches de vie

magnifique !

Lorsqu'on a tourné le dernier feuillet, que la dernière gravure a terminé la gracieuse vision de toutes ces choses défuntes, mélancoliquement, revient en mémoire, le refrain du poète :

Mais où sont les neiges d'antan ?

Édité avec luxe, d'un format commode, illustré avec recherche et d'après les documents les plus caractéristiques de chaque époque, le volume que vient de faire paraître la maison Charpentier est le grand succès du jour.

MONTGENOD.

1810

1830

TENTURE DE SALLE A MANGER REHAUSSEE DE BRODERIE

TENTURES DÉCORATIVES

Le meilleur témoignage que l'on puisse invoquer en faveur des Arts décoratifs — si tant il est qu'à cette heure, il soit encore nécessaire de dépendre une cause victorieuse, — c'est assurément l'activité intelligente, l'ingéniosité et le souci du style de toute une valeureuse pléiade d'ouvriers d'art qui, depuis déjà un bon nombre d'années, dépense un effort considérable dans, la réalisation de ses voeux. Ces artisans de noblesse, renouant avec le passé, reprenant l'idéal traditionnel qui jadis caractérisa les grandes époques et auquel nous devons les plus généreux monuments de l'art, sont, en ce moment, tout près de créer un siècle, un âge qui datera par ses recherches, par ses beautés, par ses formules. En élargissant le domaine des beaux-arts, ces artisans y ont pris droit de cité, et ce droit leur est aujourd'hui acquis au môme titre qu'aux plus fameux d'entre les maîtres populaires.

Un Gallé, un Delaherche; un forgeron, un verrier, un ébéniste, un

47.

398 TENTURES DÉCORATIVES.

ciseleur, un potier, un relieur vont de pair, et souvent dépassent de cent

coudées les professionnels du portrait ou du paysage.

Les meubles d'art, les bois sculptés, les cristaux taillés, les pièces de fer forgées avec maîtrise, les étoffes brodées et ornées avec goût, les vases moulés en lignes souples et belles sollicitent l'attention et la retiennent plus longuement et plus sûrement que la foule des oeuvres dont s'encombrent les Salons annuels et dont la majorité décèle rarement une pensée originale, une volonté de s'affranchir des formules caduques et si lamentablement ennuyeuses.

Le public, longtemps retenu par les préjugés, et aussi, il faut bien le dire, par un manque absolu d'informations, s'est enfin aperçu que les meubles, les tapisseries, les porcelaines, les bijoux, les objets de luxe,

les objets usuels — conçus par l'industrie et réalisés par l'industrie — lui seraient une joie et un élément d'éducation et de beauté, si des artistes véritables assumaient la lâche de les oeuvrer, d'y attacher leur talent, leur rêve, leur puissance de conception et de réalisation matérielle.

Et dès ce jour, les artisans, les ouvriers d'art, c'est-à-dire les seuls et les véritables arlistes — car la technie, le métier sont inséparables de la pensée, du rêve — encouragés par une minorité et suivis avec intérêt par le grand public, se sont mis résolument à l'oeuvre et ont accompli toute une série d'efforts, dont il est loisible de se rendre compte non seulement dans les expositions partielles du Champ de Mars et des galeries connues, mais encore dans les maisons d'industrie, dans es grandes entreprises qui, avec intelligence et discernement, se sont mises à la tête du mouvement.

Tout ce qui concerne l'ornementation, la décoration des apFEUILLE

apFEUILLE P A R A V E NT

TENTURES DECORATIVES,

399

parlements, la toilette et les mille accessoires indispensables à la vie moderne, ont été l'objet de recherches et de tentatives absolument intéressantes de la part des peintres, sculpteurs, émailleurs, ciseleurs, graveurs, etc.

C'est à ce titre que l'idée réalisée par M. Isaac est significative à noter ; elle est simple, en soi; mais, comme toutes les idées originales, elle était du domaine où n'accèdent que les esprits inquiets de formules nouvelles.

Les tentures dont se décorent les appartements, les rideaux, les tapis, les étoffes avec lesquelles on drapait et on encadrait, avaient le tort d'être d'une uniformité et même d'une banalité fâcheuses. C'étaient les mêmes dessins polychromes ; la même invention dans les couleurs et dans la disposition de ces couleurs; la même harmonie et la même pauvreté d'imagination dans l'ensemble et dans le détail. A moins de recourir aux somptueuses étoffes du Japon et de l'Orient, ou aux tapisseries des Gobelins (les anciennes, s'entend)

ou des manufactures des Flandres, forcément, et quoi que l'on fît, on était amené à demander aux magasins coutumiers les tentures dont le mauvais goût et la criante pauvreté d'invention ont fait longtemps le désespoir des véritables amateurs.

M. Isaac a imaginé ceci : il a pris des morceaux de toile, de peluche ou de velours; il les a trempés dans des bains de couleur, de nuances variées et appropriées au sujet qu'il méditait d'y fixer.

Sur la toile ainsi préparée et à l'aide de moyens spéciaux et dont il est l'inventeur, il a fixé des figurations de paysages, de fleurs ; des tableaux de genre, des oiseaux, des animaux, des ornements.

Dès que l'étoffe, transformée de la sorte en une draperie ou en une tenture réellement artistiques,: a été, par des procédés toujours spé47.

spé47.

PANNEAU DECORATIF

400

TENTURES DÉCORATIVES.

ciaux, bien tendue, bien séchée, les couleurs, se dégradant légèrement, s'harmonisent en une teinte très douce, très délicate et procurent au regard celte caresse particulière qui se dégage de tout ce qui est oeuvre originale et de style personnel.

Voit-on l'avantage pour un amateur de pouvoir luimême indiquer la décoration, le ton des tentures? De pouvoir, en collaboration pour ainsi dire avec l'artiste, ménager entre ces tentures et les objets d'art et le mobilier de son appartement une harmonie, un ensemble, un tout où il n'y ait point de dissonances?...

On pourra éviter ainsi l'affreux papier de couleur, le faux cuir de Cordoue, toutes ces tapisseries banales dont s'encombre la brocante et dont se déshonorent les installations soi-disant artistiques. Imaginez un cabinet de travail, celui d'un écrivain, d'un homme de goût. Jusqu'ici, la tradition le condamnait au vert, à ce vert officiel sans quoi ne saurait exister un bureau de ministère ou de banquier

banquier de commissaire de police. A moins de recourir aux étoffes orientales — très chères lorsqu'elles sont belles — bien vilaines lorsqu'elles sont de pacotille, aux tapisseries de haute lice, l'amateur

PANNEAU EXECUTE PAR MM. JOLLY FILI ET SAUVAGE d'après un modèle de M. Isaac.

TENTURES DECORATIVES 401

choisira sa nuance préférée; il indiquera la fleur, le paysage, l'ornementation qui lui plaisent le mieux. Il créera des tentures en conformité avec son goût, ses idées ; il reposera

reposera regard sur des tonalités ou sur des figurations agréables, inspirées directement par lui et d'une originalité incontestable.

De plus, et c'est là une révolution qui ne tardera pas à s'accomplir grâce à M. Isaac, la toilette de la femme y trouvera de multiples et ingénieuses ressources. Imaginet-on de quel agrément seraient une robe, un morceau d'étoffe — satin, velours, drap, toile — décorés par un peintre, ornés de fleurs ou de dessins conçus et exécutés par un artiste de talent? L'idée fera sûrement son chemin et réunira les suffrages de toutes les personnes inquiètes d'une note nouvelle, intéressante à tant de points de vue à la fois.

Tout le monde ne peut acquérir à prix d'or les tissus fameux, les tapisseries et les étoffes brodées ; et pourtant, ■dans le public, combien de gens de goût, d'intelligence artistique, qui désireraient se créer un intérieur où dominât quelque originalité! Combien, parmi les élégantes qui, avec

le secours d'artistes connus, arriveraient à combiner d'exquises toilettes, aux nuances variant à l'infini et caressant le regard par leur délicatesse! A n'en point douter, la tentative de M. Isaac est louable, non

TENTURE DE PORTE

402 TENTURES DÉCORATIVES.

seulement par son ingéniosité et par son caractère, mais encore parce qu'elle est le point de départ de tout un grand mouvement à venir. Elle introduit dans l'art industriel un élément capable d'en renouveler indéfiniment la vie, la sève. Elle substitue l'originalité sans cesse renouvelée des compositions, au modèle, au cliché, à la copie inerte et continuellement répétée d'une idée première que de fastidieuses reproductions dénaturent et dont elles annulent l'impression esthétique, comme les orgues de Barbarie rendent odieuses les plus belles productions de l'art musical. La méthode trouvée par M. Isaac tend ainsi à abolir le côté industriel de l'art décoratif et à lui assurer définitivement une place égale à ces autres moyens d'expression de notre sensibilité qu'on a appelés beaux-arts et pour lesquels on a créé arbitrairement une classification spéciale; nous voulons dire : la peinture et la sculpture sans applications aux utilités matérielles de notre existence.

C'est grâce à de pareilles innovations que l'industrie désormais réalisera ses tendances vers le style, et se relèvera de la sorte du discrédit où l'avaient abaissée ses produits dans les milieux inquiets de formules d'art.

En tenant compte des besoins de notre époque, des incessants progrès de la science, des exigences si nombreuses et si naturelles d'un public habitué maintenant à tous les raffinements du luxe et à toutes les facilités dont il dispose, la seule voie que pouvait suivre l'industrie était justement celle dont un exemple vient de nous être fourni, à l'occasion de la tentative de M. Isaac, par MM. Joly fils et H. Sauvage. C'est à leur esprit d'initiative que M. Isaac est redevable d'avoir pu donner un corps à sa pensée, d'avoir trouvé les moyens de mettre en pratique ses recherches et son activité picturale.

On peut dire avec justesse que M. Isaac a contracté avec MM. Joly fils et H. Sauvage une sorte d'union. Des apports respectifs de ce mariage de talents d'essence si diverse sont nées les tentures aux nuances délicates et suggestives, ces symphonies de demi-teintes que seule pouvait donner la peinture au pinceau, fixée et développée par la cristallisation des laques.

De leur application intelligente et laborieuse a résulté — après combien d'efforts, de tâtonnements! — ces étoffes qui n'ont plus rien de la polychromie violente et criarde des étoffes jusqu'ici connues, ni les épaisissants, ni le vernis, ni la banalité du dessin et de la couleur.

Les toiles d'emballage aussi bien que le salin, le velours, les tissus les plus fins — une fois préparés et transformés selon les moyens employés par MM. Isaac. Joly fils et H. Sauvage — que ce soit pour les décorations d'intérieurs ou pour servir d'éléments à la toilette — deviennent les souples et légères éloffes dont on voit ici des modèles ;

TENTURES DECORATIVES.

403

les draperies, les tentures, les robes peintes, sur lesquelles la coloration se fixe transparente, alanguie et comme mélancolique. Certaines d'entre ces étoffes ont parfois les tonalités pareilles à des ciels d'automne qui vont se dégradant et qui s'harmonisent en une teinte très douce, caressante et d'une fluidité immatérielle.

On devine aisément avec quelles facilités, sur des fonds de demi-teintes, l'artiste peut imaginer un paysage aérien, des ornements allégoriques, des vols d'oiseaux, des fleurs lumineuses et belles — tout ce que la fantaisie personnelle ou le caprice de l'amateur (les deux ensemble, au besoin) peuvent imaginer et combiner.

On peut s'en faire une idée à peu près par les spécimens que nous reproduisons ici en gravure, mais auxquels il manque le coloris. On appréciera néanmoins quelle infinie variété de compositions ce procédé offre à l'artiste, quelle liberté il assure à sa fantaisie par le concours de la flore et de la faune, ces règnes

mystérieux de la nature où s'élaborent miraculeusem*nt les formes de toute chose. Le créateur de ces sujets ornementaux devient aussi libre dans sa conception et dans les détails de, l'exécution de son oeuvre que le peintre devant sa toile. Grâce à M. Isaac, aucune branche de l'art décoratif ne possédera un pouvoir d'expression aussi étendu, un champ plus large ouvert aux idées et aux formes esthétiques. Incontestablement, tout un avenir se prépare devant cette manifestation éclatante de l'inventive activité d'un artiste décorateur.

Tout un mouvement qui déjà s'établit avec succès et dont les premiers modèles ne sont pas loin d'être des oeuvres parfaites.

ESQUISSE POUR UNE FEUILLE DE PARAVENT

404

TENTURES DECORATIVES.

TOILETTE EN CRÊPE DE CHINE DÉCORÉ DE DESSINS EN RESERVE

Partis de celle idée généreuse entre toutes et dignes de servir d'exemple que l'industrie associée à l'art peut et doit réaliser de belles choses; encouragés dans leur collaboration et clans leurs efforts par l'effective sympathie de nombre de personnes curieuses de tentatives originales, MM. Isaac, Joly fils et- H. Sauvage, par cela même qu'ils ont accusé un souci de rénovation et de style nouveau, ont mérité qu'on s'intéressât à leur artistique labeur et qu'on propageât cet intérêt dans les milieux capables d'applaudir et d'encourager une des branches les plus essentielles des Arts décoratifs.

J. MIRAULT.

PIANO A QUEUE STYLE LOUIS XIV

exécuté en 1894 dans les ateliers de la maison Pleyel, Wolff et Cie

LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE A L'EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 1894

I

PLEYEL

A l'Exposition universelle d'Anvers, dans la seclion des instruments de musique, une exposition, entre toutes, sollicitait l'attention et valait, par sa méritante beauté, qu'on s'y arrêtât longuement.

C'est l'exposition de pianos de la maison Pleyel, Wolff et Cie (1).

Les coutumiers éloges dont on est si prodigue envers les moindres manifestations d'art, la pompe des qualificatifs qu'on emploie généralement pour préconiser d'illusoires succès — seraient ici pour le moins inutiles et n'égaleraient jamais la sobre éloquence de quelques lignes d'histoire musicale.

Car c'est dans l'histoire même de la musique et dans ses développements durant ce siècle qu'il faut chercher les origines, les fastes et les états de l'incessante activité delà maison Pleyel.

Vouloir en dresser une monographie à peu près complète, c'est entreprendre la monographie de l'évolution musicale en France depuis 1830, c'est rappeler le nom de tous les virtuoses illustres, amis glorieux

(1) A l'Exposition d'Anvers, MM. Pleyel, Wolff et Cie étaient hors concours, M. G. Lyon, directeur, faisant partie du jury des récompenses en qualité de secrétaire rapporteur.

48

406 EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 1894

de celle maison qui créa pour eux de si puissants moyens d'interprétation et qui, avec eux, prit sa part du mouvement artistique moderne.

Les Pleyel entrent dans l'histoire à partir du moment où Mozart, parlant du fondateur de la maison, Ignace Pleyel, l'élève de Haydn, disait de lui dans une lettre : « Quel bonheur pour la musique si Pleyel pouvait nous remplacer Haydn! »

Il n'est pas de lettres de noblesse plus éclatantes que ces paroles proférées par Mozart. Elles sont l'orgueil d'une maison dont les directeurs, poursuivant la séculaire tradition, ont chacun, avec des aptitudes diverses et une volonté toujours précise, perfectionné sans cesse et enfin réalisé ce modèle de sonorité expressive, qui est le piano Pleyel.

« Quand je suis mal disposé, disait Chopin, je joue sur un piano de X***, parce qu'il me donne un son tout fait; mais, quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son à moi, il me faut un piano de Pleyel. »

Et il n'est pas d'artiste célèbre qui n'ait passé par la salle Pleyel, qui ne lui ait payé le tribut de son admiration et contribué ainsi à en faire un véritable foyer d'où est née et d'où s'est propagée la musique symphonique. Faut-il citer Hans de Bülow, Ernst Lubeck, le Norvégien Tellefsen, César et Joseph Franck, Arthur de Greef, Joseph Wieniawski, Marmontel, Bizet, Ernest Guiraud, Ed. Lalo, Paladilhe, Delaborde, Dubois, Planté, Diémer, G. Pfeiffer, E. Grieg, Mathias, Saint-Saëns, Massenet, R. Pugno, Théod. Ritter, et Gounod, et Ambroise Thomas, et Chopin, et Liszt, et Rubinstein, et tant d'autres dont la liste serait interminable? Faut-il encore citer toutes les grandes Sociétés de musique de chambre qui sont venues demander à la salle Pleyel une hospitalité largement acquise? La Société des compositeurs de musique y donne non seulement ses concerts, mais elle y a son siège avec bibliothèques, bureaux, et un prix annuel de 500 francs, offert par les directeurs de la maison Pleyel, Wolff et Cie; les Sociétés Sainte-Cécile; Bourgault-Ducoudray; Euterpe; la Société des symphonistes ; la Société nationale de musique; la Société de musique de chambre pour instruments à vent ; la Société de musique française; la Société d'art, etc., etc., et presque toutes les Sociétés de quatuors.

D'après cette nomenclature, où bien des lacunes resteraient à combler, on peut se faire une idée à peu près appproximative du rôle qu'a joué la maison Pleyel dans notre mouvement musical. N'est-ce pas, en effet, un milieu d'art, le plus actif et le plus intelligent qui soit, que celui où ont lieu chaque année, pendant la saison musicale, près de deux cents concerts, où les plus belles pages des maîtres anciens et modernes sont interprétées par les plus connus et les plus grands d'entre les artistes actuels?

408

EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 1894

Nous ne saunons mieux faire que de citer, à ce sujet, la conclusion d'une étude remarquable faite sur l'Art moderne à la salle. Pleyel, par l'éminent critique, M. Arthur

Pougin:

« Mais tout ce qui précède me paraît assez substantiel et les faits y parlent assez haut pour qu'il me semble superflu d'insister davantage sur le rôle si utile et si intéressant que la salle Pleyel a occupé, depuis tantôt un demi-siècle, dans l'ensemble de notre mouvement musical, de ce mouvement si intense et si fécond qui, on peut le dire, a mis la France à la tête de la civilisation artistique et l'a placée définitivement au premier rang. Elle a pris sa grande et large part dans ce mouvement, qu'elle n'a cessé d'encourager de tous ses

efforts; elle a vu se présenter et se succéder chez elle tous les grands artistes français ou étrangers qu'entourait la renommée ou qui étaient prêts à la conquérir; l'Europe n'avait pas un seul virtuose célèbre qui ne vînt demander à son public la consécration d'un talent partout ailleurs reconnu; enfin, avec les virtuoses, les compositeurs s'y sont donné rendez-vous et y ont produit des oeuvres nombreuses, importantes, parfois de premier ordre, et qui ensuite ont rayonné sur le monde musical. Elle a été, en un mol, un milieu éminemment

PIANO LOUIS XVI

panneaux vieux laque et bronze ancien du Japon

PLEYEL. 409

sympathique à l'art, un centre d'attraction pour cet art dans ses manifestations les plus nobles, les plus pures, les plus élevées, et l'on peut tenir pour certain que ce qu'elle a été dans le passé, ce qu'elle est clans le présent, elle ne cessera de l'être dans l'avenir. La salle Pleyel a son caractère, son originalité propre, sa raison d'être, et elle ne négligera rien de ce qui peut les affirmer de plus en plus. »

C'était jadis une loi, chez les grands seigneurs, et comme un point d'honneur qu'ils étaient fiers d'accomplir, de protéger les arts, d'aider les artistes et de s'entourer d'une sorte de cour où le génie et les talents étaient encouragés, aimés, respectés. C'est à un de ces patriciens intelligents que le jeune Ignace Pleyel dut de pouvoir étudier la composition chez Haydn et de vivre dans la même atmosphère que Mozart. Selon l'usage du temps, à peine la renommée avait-elle fait connaître le nom de Pleyel, que celui-ci partit en Italie. Ce voyage était comme la nécessaire consécration des premiers succès. Mais la Révolution approchait. Vers 1783, Pleyel quitte l'Italie et s'engage dans une voie différente. A Strasbourg, comme directeur d'une école musicale entretenue par le cardinal de Rohan, il passe quelques années, et, lorsque cessa la tourmente révolutionnaire, il vint à Paris après un séjour en Angleterre. C'est à Paris qu'il abandonne définitivement la composition pour fonder une manufacture de pianos et un comptoir d'édition. Le comptoir péricl*te, disparaît, mais les premiers instruments ont une vogue immense et pénètrent même à la Malmaison, chez le premier Consul, pour valoir plus tard à Ignace Pleyel le titre de fournisseur de la Cour impériale. C'est à cette époque qu'il passe la direction de la maison à son fils, Camille Pleyel, comme lui compositeur et pianiste de premier ordre. On doit à Camille Pleyel les premiers grands perfectionnements du piano. Avec l'aide de son ami Kalkbrenner, le pianiste célèbre, il transforme l'instrument et lui fait acquérir des qualités nouvelles, et il semble que son application à développer et à faire progresser la facture du piano soit le véritable héritage des artistes et des techniciens qui se sont suivis dans la direction de la maison Pleyel, Wolff et Cie.

Aux deux Pleyel succède Auguste Wolff, neveu d'Ambroise Thomas. Ses études spéciales sur la mécanique et sur l'acoustique, ajoutées au sens profond qu'il avait de l'harmonie, amenèrent la création du petit piano à queue dont le parrain fut Gounod et qui, de nos jours, permet l'interprétation des pièces de concert ailleurs que dans les grandes salles et les locaux aménagés spécialement.

C'est le gendre d'Auguste Wolff, M. Gustave Lyon, qui lui succéda à sa mort (février 1887). Ancien élève de l'École polytechnique, chevalier de

410 EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 1894

la Légion d'honneur, ingénieur breveté du gouvernement, M. G. Lyon a continué la tradition dont il est le dépositaire. On lui doit une foule de perfectionnements dont rémunération serait trop longue pour cette courte élude; le résultat de ses belles recherches a été la création d'un instrument de concert d'une sonorité et d'une douceur inconnues encore jusqu'en ces temps.

Un sociologue, jaloux d'accomplir son rêve humanitaire, trouverait, clans l'organisation ouvrière et industrielle de la maison Pleyel, tous les éléments nécessaires à une étude basée sur la pratique et sur l'intelligence des besoins modernes.

L'usine où se fabriquent les pianos Pleyel forme une véritable petite ville. Elle occupe, dans la plaine Saint-Denis, une superficie de près de 60 000 mètres, avec ses hautes maisons, son chemin de fer, ses chantiers, ses vastes bâtiments, ses ateliers, ses machines. Là vit un monde d'ouvriers, mais d'ouvriers associés à la fortune de la maison, « collaborateurs intelligents et volontaires d'une entreprise commune ».

Elevés pour la plupart par les soins et sous l'oeil bienveillant du patron; indemnisés en cas de maladie ou en cas de service militaire; assurés d'une retraite qu'ils perçoivent même en ne travaillant plus et sans qu'aucune retenue leur ait jamais été faite pour la constituer, les ouvriers de la maison Pleyel, Wolff et Cie, offrent l'exemple assurément rare d'une association heureuse et prospère dans laquelle les membres, pour plus de la moitié, ont entre quinze et vingt ans de séjour à l'usine. Ce détail est significatif.

Pour faire un civet, il faut un lièvre, dit la sagesse du populaire. Pour faire un piano, il faut du bois, vous dira un constructeur de ce genre d'instruments.

Des cinq parties du monde, trois contribuent à la construction du piano. La France, les pays Scandinaves, l'Amérique avec le chêne, le tilleul, le sapin, le noyer et le tulipier; l'Italie, l'Afrique du Nord, avec le charme, l'érable, l'alisier; enfin l'Orient, avec le palissandre, l'acajou, le bois de rose.

Lorsque ces bois ont été séchés clans des hangars aménagés à cet effet, ils passent à la scierie, où de puissantes machines les transforment en table d'harmonie, en sommier, dessous de clavier, appareil de percussion, etc.

Il faudrait, certes, un volume entier pour raconter par le menu la fabrication d'un piano. L'abondance des détails techniques n'intéresserait personne, et, quant aux professionnels, comme ils savent ces choses

PLEYEL. 411

ou sont censés les savoir — ce qui est tout un — ce chapitre spécial n'ajouterait rien à leurs connaissances. Pourtant, que de détails! Vous doutez-vous qu'on empêche l'ivoire de jaunir, cet ivoire coupé en feuilles très minces dans les défenses des bons éléphants? C'est bien simple : on le trempe dans un bain d'eau oxygénée. Vous doutez-vous aussi des soins particuliers dont il faut entourer un piano destiné à traverser les mers pour quelque destination lointaine? On galvanise toutes les parties métalliques, à cause de l'humidité, on dore les cordes, etc.; car la maison exporte dans tous pays, et malgré les chocs, les longs voyages, « jamais, disait Fétis dès 1855, l'accord des pianos n'a été altéré. » D'ailleurs, le meilleur témoignage qu'on puisse apporter en faveur de la maison Pleyel, Wolff et Cie— si tant il est qu'on puisse encore ajouter aux éloges dont elle a été l'objet — ne consiste-t-il pas dans la constatation suivante?

Depuis la date de sa fondation, la maison Pleyel a fabriqué et a vendu 110 000 pianos. Sans commentaires.

Cette activité incessante, ce continuel effort dans la réalisation d'un instrument type, d'un instrument propre à traduire non seulement les nuances les plus délicates, mais encore (et à ceci répondront tous les maîtres du piano qui ont joué sur le Pleyel) la sensibilité même de l'artiste — ont valu à la noble maison toutes les récompenses qu'elle était en droit d'espérer.

Partout où un piano de Pleyel a résonné, il a enlevé avec éclat le succès et les suffrages du public, des artistes, des professionnels.

Il nous faut cependant parler plus spécialement de l'Exposition universelle de 1889, qui a été comme le couronnement glorieux des travaux accomplis successivement par les directeurs de la maison Pleyel, Wolff et Cie.

Au milieu de l'exposition générale des instruments de musique, l'exposition de la maison Pleyel avait un caractère d'exception. Seul, en effet, M. Lyon soumettait à l'examen du jury un ensemble de travaux scientifiques dont les formules précises sur certains points importants de la construclion des pianos permettaient aux facteurs de ne plus opérer par tâtonnements. Des recherches incessantes avaient permis de réaliser de grands progrès depuis les expositions précédentes; les nombreux pianos exposés possédaient tous les perfectionnements apportés par MM. Pleyel, Wolff et Cie dans leur facture courante et, de plus, M. Lyon avait très habilement reconstitué le clavecin en le dotant de qualités que n'avaient pas les meilleurs instruments des siècles passés.

Aussi, il fallait récompenser à la fois le mérite des inventions attachées au nom de Pleyel, les qualités de ses instruments et le goût artistique qui présidait à leur construction.

A l'unanimité des membres du jury international de la classe 13, un

412 EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS 1894

Grand Prix, la plus haute récompense mise à la disposition des jurys, a été décerné à la maison Pleyel, Wolff et Cie.

De plus, dans la section d'Économie sociale, une médaille d'or était décernée à la maison Pleyel, médaille bien gagnée par une série d'efforts constants et heureux pour améliorer le sort des ouvriers.

Aussi bien, la tâche devient malaisée lorsqu'il faut, comme en ces pages succinctes, ajouter des mots à la simple éloquence des titres inscrits dans le passé de cette industrie d'art. Quel commentaire, aussi éclatant que les chiffres et que la somme des efforts réalisés depuis près de cent ans!

Il faut lire les ouvrages consacrés à la maison Pleyel pour se faire une idée de sa popularité, de son mérite. Mais, mieux que toutes choses, il faut entendre chanter cet instrument pour comprendre ce que l'intelligence, la recherche ingénieuse, le sentiment musical peuvent atteindre entre les mains de personnalités comme les directeurs de cette célèbre maison.

Vicomte de G.

BRACELET OR CISELÉ ET AJOURÉ

BIJOUX & ORFÈVRERIE D'ART

La véritable élégance — celle qui caractérise l'homme de distinction — loin de se conformer exactement aux caprices et aux petit* détails de la mode, reste, au contraire, toujours personnelle, toujours originale, — crée elle-même et propage avec intelligence et art ce qu'il est convenu d'appeler le goût.

L'élégance ne consiste pas dans le fait de suivre aveuglément la mode du jour. Combien de personnes pourrait-on citer qui, tout en ne négligeant rien des usages mondains — tout en s'entourant de luxe, de recherches minutieuses dans la toilette et dans la manière de vivre — restent cependant complètement éloignées de la réelle élégance, de cette élégance faite d'esprit, de tenue, de

savoir et de sentiment artistique des choses.

Un trait, un rien révèlent l'homme élégant. Une nuance, un geste suffisent pour trahir la marque d'une distinction native.

Voyez les bijoux, et à quel point il est facile de s'assurer, chez une personne de goût — par un simple regard jeté sur l'épingle de cravate, sur les bagues, sur les boutons du plastron — si réellement ces bijoux ont été acquis avec discernement ou bien si l'amoncellement des pierreries a été l'unique effet auquel on voulait atteindre.

Et si le choix des bijoux est. suffisant pour accuser, chez un homme élégant, son goût et ses préférences, combien ce choix n'est-il pas plus significatif alors que celte personne inspire elle-même le modèle ou l'idée de ces ornements ! C'est là, dirait-on, le chic suprême.

49

BOUCLE DE CEINTURE CISELÉE

Fond vermeil

414

BIJOUX ET ORFÈVRERIE D'ART.

C'est par là que se fait connaître le souci de la tenue : par la collaboration du mondain et de l'artiste chargé de réaliser sa pensée — par le sentiment d'art qui y préside.

M. Camille Gueyton est l'orfèvre désigné pour cette collaboration. Sa maison est de celles qui continuent la tradition des orfèvres de jadis, artisans de noblesse qui créaient le style d'une époque et sertissaient les métaux précieux en des oeuvres restées comme monuments significatifs d'un siècle.

Les pièces que nous reproduisons sont, à cet égard, suffisamment indicatrices.

Ce sont des oeuvres très belles que celte jardinière et ce grand drageoir, ciselés, repoussés sur argent, décorés de palmiers sur un fond de vermeil.

Le sucrier, en forme de pavot; et le cachet-statuette (une jeune fille jetant des graines à des animaux de basse-cour), en bronze ciselé et argenté, avec des parties en marbre rouge antique.

Un cendrier, décoré de fougères; un bracelet, une boucle de ceinture, trois broches figurant un serpent, une lyre, un arc, — toutes pièces ciselées avec art et dans un style très pur, accusant, chez l'orfèvre qui en conçut et en réalisa la forme, non seulement une forte éducation classique, mais encore un sentiment, d'originalité par quoi se traduit l'artisan.

L'idée de M. Gueyton n'est-elle pas charmante d'avoir trouvé pour des boulons de plastron, en or ciselé, les masques de la Musique, de la Tragédie, de la Comédie ?

C A C H E T - S T A T U E T T E

Bronze ciselé et argenté Parties marbre rouge antique

416

BIJOUX ET ORFÈVRERIE D'ART.

BROCHE EN OR CISELÉ

BOUTONS DE PLASTRON OR CISELÉ

(Musique, Tragédie, Comédie)

BROCHE EN OR CISELÉ

Tous ces modèles valent qu'on les considère allentivement. Ils démontrent quelle facilité grande est mise au service des personnes soucieuses de tenue et d'art, lorsque ces personnes, dédaignant les bijoux coutumiers et fabriqués selon des types uniques, désirent avoir quelque ornement selon leur pensée et selon leurs préférences.

L'attention ne serait-elle pas charmante qui consisterait clans l'offre d'un bijou où la fleur aimée, où la devise, où l'allégorie fussent marquées avec des soins artistiques, constituant ainsi une étrenne, un présent véritablement gracieux?

M. Camille Gueyton ■— nous l'avons dit — est l'orfèvre désigné pour ces travaux. Dans ses mains, le métal et les pierreries acquièrent une valeur plus grande, plus belle : celle de réaliser une idée, une fantaisie, de constituer une oeuvre d'art par quoi s'établissent le style actuel et le goût de notre époque. ATLYS.

BROCHE EN OR CISELÉ

TABLE DES MATIÈRES

TEXTE

ALAY (Jeanne d'). Pavillon des Beaux-Arts

à l'Exposition de Lyon 217

ALLYS. Bijoux et Orfèvrerie d'art. ...... 413

ARCEL (d'). Le Chic masculin 390

AUREC (Prince d'). Les Usages mondains de

notre temps 361

BERNAC (Jean). Le Portrait et l'Elégance. . 181

BLÉTON. (Aug.). Le Parc de la Tête-d'Or . . 209

BOUTHORS (R.). Les Grès polychromes. . . . 276

C- (G. de). Gwendoline 4

— Théâtres 44

— La Manufacture de Briare 291

— Les Porcelaines de Limoges 375

CHARLES (Etienne). Soieries et Dentelles . . 225

■— Les Porcelaines de Limoges 341

CONSUELO. Les Arts somptuaires 59

— Les Petit* Salons 83

— Théâtres 117

ENAULT (L.). Au Rideau 9

— Exposition d'art photographique ... 53

— Théâtres 73

— Lady Sybil Eden 109

— Les Objets d'art au Salon de 1894. . 193

— La Maison de Mme Dubufe 289

— L'Éventail. . . . 336

ETINCELLE. Mme Robert de Bonnières .... 37

FIORONTINO (Marcel). Les Plantes d'eaux. . 198

FONTENEILLES. Le Courrier de Paris 105

FOURCAUD (L. de). L'Art décoratif français. 17

— Le Flibustier 76

G, (Vicomte de). Sur la glace 94

— Fêtes mondaines. . . .. . 131

— L'Exposition canine 189

G. (Vicomte de). Les Instruments de musique à l'Exposition universelle d'Anvers. 405 GOUDEAU (Emile). Parisiennes sensations. 33, 69

HUILLARD (Georges). S. M. la Reine de

Portugal 321

JOB (DUC). Le Code de l'élégance et du bon

ton 146, 186, 333

L. (Comte). Verdi 155

L. (Th.). Petit* Salons 21

— Deux Mariages princiers 49

— Musiciens modernes ...... 101

LE ROUX (Hugues). Deux Lettres sur

l'Amour 137, 174

LYS DE FRANCE. Parfums 372

MIRAULT (J.). La Faïencerie de Choisy-leRoi

Choisy-leRoi

— Tentures décoratives 397

MITTY (Jean de). Les Petit* Salons. ... 51, 165

— La Société d'Encouragement à l'Escrime

l'Escrime

— L'Hôtel de Janzé 169, 201

— La Broderie japonaise 377

MONGENOD. Le Carnaval 103

— Les Petit* Salons 124

— Les Mardis à la Bodinière 159

— Les Arts décoratifs 265

— Le Vieil Anvers 305

— L'Art décoratif en Angleterre .... 345

— Théâtres 358

— Un Siècle de modes féminines. . . . . 395 MONTESQUIOU (R. de). Lys visuel 40

PALFÉRINE (La). Théâtres. . 353, 385

PARISIENNE (Une). La Comtesse de Puiseux. 2

2 LA GRANDE DAME.

PIAZZI (Mme A.). Les Portraits de femmes

aux Salons 257

POÈTE (Un). Le Comte R. de Montesquiou. 41

SÉVERAN (Juste). Théâtres 149

THIÉBAULT-SISSON. Le Concours pour les

vitraux d'Orléans 91

V. (G. de). La Vente Guy de Maupassant. 28

V. (M. de). Le Chic masculin 370

VAN BUCK. L'Exposition universelle d'Anvers 297

VARIGNY (Th.). Salon parisien 241

ZIBELINE. Les Dernières Modes. 11, 45, 79,

113, 141, 177, 206, 293, 330, 366, 392

ILLUSTRATIONS

GRAVURES EXECUTEES D ' APRES DES DESSINS ORIGINAUX

ADAN (Emile). Cul-de-lampe. 90

APPIAN (A.). Le Parc de la Tête-d'Or. 209, 213, 215

BLONDEL.. En-têtes 186, 333

— Culs-de-lampe 140, 173, 188, 205

CAUSÉ (E.). En-têtes. 40, 113, 116, 146, 193,

198, 330

— Lettres ornées 91, 105, 146, 186

— Culs-de-lampe. 16, 48, 78, 93, 116, 184,

205, 360, 369

CLAIRIN (G.). Étude 87

— Dessin pour une carte d'invitation . . 133

COMTET. Toilette de soirée 387

COUTY (Edme) Opéra. Gwendoline 5

— — Thaïs 153

— Théâtre de la Renaissance. Izeyl. 73,

75, 77

— Lettre ornée 149

— Eventail 336

CRANE (Walter). En-tête 345

DARGAUD. Lady Sybil Eden (intérieurs de

Windlestone 110, 111, 112

DAVID. Théâtre de la Renaissance. Fédora.

150, 154

DESTÈS (Paul). Comédie-Française. Vers la

Joie 353

DILLON (E.). Le Comte R. de Montesquiou

(Conférence à la Bodinière). 41, 42, 43

— Comédie-Française. Le Flibustier . . 76 ■— Costumes d'enfants de Mme Thirion, 80,

81, 82

— Toilette de Soirée 387

DUBUFE (G.). En-tête 289

— Cul-de-lampe 292

FATALOT. L'Exposition de Lyon. 210, 211, 212

214, 216, 287

— En-tête 241

FEURE (G. de). Toilettes de Félix. . 142, 143

— Éventails. . 337

FLACHAT, CACHET ET Cie. Fauteuil satin

broché Louis XVI 240

— Chambre à coucher de jeune fille. . 267 FLEURY (Mme F.). Étude 25

GAUTIER (St-Elme). En-têtes . . . 293, 372, 329

GERIN (E.). Toilettes de Félix. ... 11, 12, 13

— — de Mme Josselin. ... 14

— Gymnase. La duch*esse de Montélimart

Montélimart 16

— Coiffures de soirée 32

— Variétés. L'Héroïque Le Cardunois.

44, 45

— Gymnase. Dette de Jeunesse. 46, 47, 48

— Palais-Royal. Le Fil à la patte. 46,47, 48

— Sur la glace 94, 95

— Costume de Redfern. . ■. 115

— Gymnase. Famille 120, 121

— Odéon. Le Ruban 118, 119, 123

— En-tête 141

— Chapeaux de Virot 79, 145

— Odéon. Les Deux Noblesses 177

— Toilette de Paquin . . 180

— Toilette de Vernissage. . . 177, 178, 180

— — de Courses 179, 366

— Chapeaux d'Auguste Petit. . . 206, 207

— Capote de théâtre de Mme Cartier . . 368

— Gymnase. Pension de famille 388

— Tenue de soirée 371, 391

GIRALDON (A.). En-tête 137

— Culs-de-lampe 20, 197

GORGUET. Lettre ornée . 101

■— Opéra-Comique. Falstaff 155

GOUTZVILLER. Ecran Louis XVI : 242

— Console Louis XVI 243

— Commode Louis XVI 244

GRIGNY (J.). Grès flammés 24

— La Vente Guy de Maupassant. 28, 31

— Cul-de-lampe 96, 104

GUÉRARD (H.). Carte de Diner 136

GWATKIN (Arthur L.). Frise décorative en

relief 352

TABLE DES MATIÈRES. 3

HAGBORG. La Société d'Encouragement à

l'Escrime 97 à 100

Yanthis 117

HEYWOOD SUMMER. Chrysanthèmes 351

INJALBERT (Ch.). Mlle B. de la T 124

JACQUIN (A.). Près d'Antibes, en avril ... 21

LACHENAL. Faïences 22, 23

LANCELEVEE. Armes de la comtesse de Puiseux

Puiseux

LELOIR (Maurice). Voyage de noces 85

- Gravures extraites des Trois Mousquetaires 128, 129

- En-tête (gravé par Huyot) 361

LEMAIRE (Madeleine). Éventail 339

LEPERE (A.). Parisiennes Sensations. 33 à 36,

69 à 72

LOISEAU (V.). En-têtes 103, 181, 389

— Culs-de-lampe . . 8, 108, 296, 365,389, 394

- Lettres ornées 137, 181, 293

LUCAS (F. H.). En-tête 174

MADRAZO. Dessin pour un Menu 131

MALHER. A l'Exposition canine .... 189, 192

MERSON (L. C). En-tête . . . . 385

MEUNIER (Georges). Lettre ornée 155

- Les Mardis à la Bodinière. 159, 161,

163, 164 MEYNIER (G.). La Maison de Mme Dubufe

(Intérieurs) 290, 291

MOERMAN (L.). L'Exposition universelle d'Anvers. . 297 à 303

- Le vieil Anvers 308 à 311, 315

MONNET. Mme Robert de Bonnières (Meubles)

37, 38, 39

MONNET. Lady Sybil Eden (Intérieurs et

Jardins de Windlestone). ...... 109

— L'Hôtel de Janzé 170, 201

MOREAU (A.). La Fête-Dieu 219

MURATON (Mme Euphémie). Tant Belle et Radiveau

Radiveau

OGIER (E.). Chrysanthèmes .......... 21

— Hêtre de Gaurzy 24

PENNE (O. de). Au retour 83

P. L. Meuble d'appui Louis XVI 245

— Pendule Louis XIV. 246

— Lustre bronze doré 247

POTERLET (H.). L'Art décoratif français. 17, 19

— Les Fleurs à table 65, 67, 68

— Exposition de la maison Henry. . . . 255

— En-tête 390

— Cul-de-lampe 390

RIVOIRE (F.). Fleurs (Étude) 86

— Eventail 338

ROULLET (Gaston). Les Martigues 84

SCHULLER. Cul-de-lampe 374

SPARRE (Mme Emma). Type Suédois 26

STEWART. En-tête gravé par Gusman . . . 105

TEURÉ (Henry). Eventail 340

TURNER (L.-A.). Écran 346

VALLET (Mme Frédérique). Trottinette ... 27

WARD (Katharine M.). Dessin pour tissu

imprimé 350

WOISEY (C.-F.-A.). Meuble à ouvrage en

chêne 347

X... Un Siècle de modes féminines . . 395, 396

REPRODUCTIONS D'APRÈS PHOTOGRAPHIES

Bahut Louis XVI 269

Bijoux et orfèvrerie d'art de Camille

Gueyton . 413 à 416

Billet de Bal 135

BLANCHE (J. E.). La Baronne B. M 263

BORDÉ (P. de). Mme la Comtesse de N 125

Brûle-parfums ciselé 383

GAIN (G.). L'Ouverture de la Pêche 220

CAIN (Henri). Quand elles n'aiment plus. . . 185

Carte d'invitation 132

CLAUDE (Georges). Zaïre 88

Clavecin Louis XV 407

CONSTANT (Benjamin). Mlle Campbell ... 125

— Mme X 260

Cul-de-lampe . . . 412

DAGNAUX (A.). Club des Pannées 217

DURAN (Carolus). Mme C. B 259

DURAND (Simon). Le Marché aux fleurs à

Genève 218

Ecran à boite Louis XVI. 270

Exposition d'art photographique. . . . 53 à 58

EXPOSITION DE LYON. Soieries et Dentelles. 130

225 à 240

Exposition de Munkacsy 51, 52

Faïences polychromes de H. Boulenger et Cie

286, 287, 288

GASQ (P.). Hèro et Léandre, 224

GAUDEZ (A.). Hébé 222

4 LA GRANDE DAME.

GEMITO. E. Meissonier 223

GÉROME (J. L.). Mlle M 127

GOTHERZ (Carl). Lady Dufferin et Ava . . . 257 Grès polychromes exécutés par E. Muller

276, 277, 279, 280

Gwendoline 4

La Comtesse de Puiseux (Salon de la villa

Tamaris) 1

La Grande-duch*esse Xénia 49

LEFEBVRE (J.). Mlle G. H 264

Les Arts somptuaires 59 à 64

Le Salon Parisien 248 à 256

Les Plantes d'eau. Gravures extraites de

Nelumbo

Les Porcelaines de Limoges. 340 à 344, 375, 376 Le Vieil Anvers . 305, 307, 312, 313, 316,

317, 319

L'Hôtel de Janzé 169 à 173. 201 à 204

LOIR (Luigi). Sur la plage 89

MACHARD (J.). Garden-party 261

MANET. Le port de Bordeaux 165

— Jeune femme au bal 167

MEISSONIER (E.). Héraut d'armes 223

MICHEL (G.). L'aurore 222

MONET (Claude). Canal en Hollande 168

MORNARD (Mme de). Rue de la République, à

Senlis 130

Mosaïques exécutées par MM. F. Bapterosses

Bapterosses Cie 281 à 284

Mosaïques exécutées par M. Guilbert Martin.

265, 274, 275

Opéra. Thaïs 151, 152,

— Othello 357

Opéra-Comique. Fidès ..... 122

Panetière 270

Panneau en soie brodée 379

PERRET (Aimé). Retour de Vendanges. ... 221 Piano à queue style Louis XIV, gravé par

Petit 405

Piano de la Maison Gaveau 273

Piano Louis XVI 408

Porcelaines de Limoges 341 à 344

Portière japonaise en soie brodée 379, 380, 381.

S. M. la Reine de Portugal (Palais royaux

de Portugal) 321 à 329

SOLON (Léon). Pâtes rapportées .... 348, 349

Table à ouvrage Louis XVI 271

Tentures décoratives 397 à 404

Vitrail exécuté par L. Bégule 272

Vitrine Louis XVI 268

PLANCHES HORS TEXTE

Entre les pages

La Comtesse de Puiseux 1

Toilette de jeune fille. Mlle Doriel, dans

le Fil à la patte, Palais-Royal . . . 8-9 Toilette de soirée. Mlle Cheirel, dans le

Fil à la patte, Palais-Royal 12-13

Toilette de ville, modèle de Worth . . 16-17

Robe de diner, modèle de Ch. Bianchini. 16-17 La Nuit, pot en grès flammé, par

Dalpayrat 24-25

Madame Robert de Bonnières, héliogravure, d'après le tableau de

J. Tissot 36-37

Toilettes de Mlle Darlaud, dans Famille,

Gymnase 44-45

Mlle Darlaud, dans Famille, Gymnase 44-45

Costume Yseult, modèle de Redfern . . 52-53

Toilette de soirée 52-53

Carnet de Bal, par E. Duez 68-69

Mlle Marsy, dans Cabotins, ComédieFrançaise 76-77

Un Bal masqué parisien 84-85

Entre les pages

Un Bal masqué parisien 88-89

Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII, héliogravure, vitrail exécuté par F. Gaudin, d'après un carton d'E.

Grasset 92-93

Un Bal masqué parisien 96-97

Id 100-101

Toilette de Mlle Brandès, dans Cabotins, Comédie-Française 104-105

Lady Sybil Eden, héliogravure 108-109

Toilette de Mlle Ludwig, dans Cabotins

Cabotins

Théàtre de l'Odéon, Yanthis 116-117

Chapeaux de printemps 120-121

Toilettes de ville, modèles de Worth 124-125 Boucles de ceinture, modèles de C.

Gueyton 128-129

Croix et médailles, modèles de C.

Gueyton 132-133

Corset Léoty 136-137

Toilette de courses 140-141

TABLE DES MATIERES.

5

Entre les pages

Chapeaux de printemps, modèles de la

maison Virot 144-145

Toilette de ville. Mlle Cerny, dans Pelerinage, Gymnase, modèle de

Redfern 148-149

Portrait de Verdi, d'après le tableau

de Boldini 156-157

Falstaff, quatuor des lettres, d'après

un dessin de Myrbach 156-157

Falstaff allant au rendez-vous ..... 160-161

Falstaff à l'hôtellerie de la Jarretière 160-161 Diptyque en argent repoussé, modèle

de C. Gueyton 164-165

Drageoir et boucles de ceinture, modèle de C. Gueyton 164-165

Vicomtesse Alix de Janzé, héliogravure. 168-169 Toilette de soirée, modèle de Worth 176-177 Manteau Crésus, modèle de Redfern 176-177 Toilette de ville Mlle Ratcliff, dans

Ma Gouvernante, Gymnase 180-181

Toilette de ville Mlle Fériel, dans

Ma Gouvernante, Gymnase 180-181

Matinée de printemps, vitrail de Gaudin,

d'après une composition d' E. Grasset. 192-193 Après-midi d'automne, vitrail de Gaudin, d'après une composition de

Grasset 192-193

Cabinet en bois incrusté, exécuté par

E. Gallé 196-197

Cabinet orné d'émaux, modèle de A. Sandier

Sandier

Robe de dîner, damas broché 224-225

Robe de dîner, lampas colorié 228-229

Manteau de soirée, pensées velours

ciselé sur fond satin 232-233

Sortie de bal, grand damas 236-237

Broché coquelicot sur fond satin .... 240-242 Grand buffet Louis XIV, exécuté par

la maison Schmit . 244-245

Grand surtout de table Régence, exécuté par la maison Boin-Taburet . . 248-249 Robe de soirée, grand damas broché . . 264-265 Panneau de tenture, lampas broché

Louis XVI 268-269

Chambre à coucher, exécutée par la maison Schmit 272-273

Entre les pages

Fusil Fauré Le Page 280-281

Salon, de M. Guillaume Dubufe 288-289

Manteau de voyage, modèle de Redfern 292-293

Toilette de courses, modèle de Redfern 292-293

Toilette de Casino 296-297

Toilettes de Casino 296-297

Entrée principale de l'Exposition d'Anvers 300-301

Théâtre annamite, quartier syrien, à

l' Exposition d'Anvers 300-301

Quartier algérien, à l'Exposition d'Anvers 304-305

Les Aïssaouas, à l'Exposition d'Anvers 304-305 S. M. la Reine de Portugal, héliogravure 320-321

Manteau de théâtre, modèle de Redfern 332-333

Toilette de courses 332-333

Chapeaux et Coiffures d'Auguste Petit 336-337 Toilette de soirée. Mlle Linder, dans

L'Article 214, Variétés 336-337

Chapeaux de la maison Virot 340-341

Tête Louis XVI, par H. Tenré 344-345

Portrait de Mme L .., héliogravure,

d'après le tableau de F. Flameng . . 352-353 Toilette d'intérieur. Mlle W. de Boncza,

dans Fiancée, Odéon 356-357

Tête Louis XVI, par H. Tenré 360-361

Manteau de soirée, modèle de Redfern 364-365 Chapeaux de ville, modèles de Mme Carlier

Carlier

Costume d'enfant, modèle de Mme Thirion

Thirion

Surtout de table en porcelaine de Limoges 376-377 Toilette de ville. Mlle Verneuil, dans

Pension de Famille, Gymnase .... 384-385 Toilette d'intérieur. Mlle Rosa Bruck,

dans Pension de Famille, Gymnase 388-389 Toilette de ville. Mlle J. Cheirel, dans

Un Coup de Tête, Palais-Royal.... 392-393 Toilette de ville, Mlle J. Cheirel, dans

Un Coup de Tête, Palais-Royal.... 394-395 Piano Louis XVI, exécuté par la maison Pleyel, Wolff et Cie, héliogravure 408-409

Grand drageoir et jardinière, modèles

de G. Gueyton 414-415

JUANA ROMANI

Si dans un rêve pareil à celui de Platon, la Beauté n'était que la splendeur du talent, ce rêve se trouverait réalisé dans cette jeune femme dont le charme pénétrant et profond ne semble que l'épanouissem*nt de son âme d'artiste, en qui la belle race latine se révèle deux lois, avec une intensité pareille, dans la pureté merveilleuse des formes et dans un sentiment admirable du Beau, qui porte en soi la double aristocratie des lignes impeccables et des goûts élevés, donnant l'exemple de cette logique absolue de l'être, laquelle est le signe des êtres vraiment supérieurs.

Comment a-t-elle appris à peindre? A-t-elle même appris à peindre? Tout ce qui fit le génie de l'art italien semble s'être quintessencié en elle, naturellement, par un fait d'atavisme et d'origine, comme un grain précieux que le vent avait emporté, et qui germe, mûri par d' invisibles soleils. Corrèze, et Titien, et Véronèse revivent en elle, et c'est sans doute d'un caprice de ces grandes ombres qu'est sortie cette lumineuse fleur. Elle est la peinture innée, inconsciente, débordante comme une coupe trop pleine. L'impression de la nature ne lui vient qu'à travers cette séculaire atmosphère d'oeuvres maîtresses qu'elle semble avoir respirée, en même temps que l'air natal, dans les frissons blancs de son berceau. Le ecce, ecce deus ! du poète est vraiment fait pour elle. Un dieu l'habite quand le pinceau s'évertue sous sa petite main. C'est une vaillante, en même temps qu'une inspirée. Chez elle, l'amour éperdu du travail est au même point qu'un effort constant vers le progrès, l'expansion de dons merveilleux qu'elle ne saurait contenir.

Elle a vingt-quatre ans, et son oeuvre est déjà considérable. Elle en avaient dix-sept quand elle envoyait, à l'Exposition de 1888, cette figure de Gitane qui fut immédiatement remarquée et qui révélait un maître délicat et puissant tout ensemble dans le rendu des chairs féminines. L'année suivante, c'était, au Salon des Champs-Elysées, la Femme surprise et le Matin; à l'Exposition universelle, deux portraits et une figure nue qui lui valaient une seconde médaille et la mettaient hors concours à un âge ou peu d'artistes sont admis à exposer. Sa joie lut doublée de l'honneur qui en revenait à sa pairie ; car cette fille de Velletri est passionnément italienne en même temps que vaillamment française. Rien ne peut dire ses enthousiasmes quand elle rêve l'union des deux nations inexorablement soeurs, que l'immonde politique internationale sépare. Elle est alors superbe de lyrisme, car un poète est vraiment en elle, et l'amour des poètes qui seuls, ont chante l'Amour, les entants radieux du pays du soleil. Il était juste que ce lut la Beauté qui lit ce rêve, et cela seul montre combien il est grand et divin.

Les succès succèdent aux succès. L'intérêt, puis l'admiration croissante du public trouvent, dans cette faculté de production incessante, un continuel aliment. En 1890, on applaudit, au Salon, une Hérodlade et une jeune fille aux chats, donnant deux notes si différentes et où apparaît si bien la souplesse du talent de JUANA ROMANI; en 1891, une Judith et une Madeleine ; en 1892, les deux figures exquises de Bianca Capello et de Manuella ; en 1893, enfin, la fille de Théodora et cette Giovanella qui fait penser, tout ensemble, à Léonard de Vinci et à Greuze, une Joconde rieuse, un chef-d'oeuvre de fraîcheur et de fantaisie. C'est une note isolée dans l'oeuvre de l'artiste, que les héroïnes farouches tentent volontiers. Encore une fatalité de race et un lambeau de ce beau paganisme qui pardonnait tout aux caprices de la Beauté, et faisait, des ruines d'Illion, un autel à Hélène, non pas coupable, mais glorifiée. L'instinct de cette fatalité que les sots maudissent seuls, que les lâches, seuls, repoussent, est au fond de la beauté étrange qui fait JUANA ROMANI pareille à son oeuvre. Dans l'attirance profonde et despotique de ses yeux, dans les assauts inconscients de son sourire, dans ces tons fauves de sa chevelure où des filets de sang se mêlent à l'or sombre quand le soleil les traverse, dans cette majesté hautaine du geste qui la grandit quand elle daigne révéler quelque chose d'elle-même.

Car beaucoup qui ne la regarderaient pas bien, la pourraient prendre, à certains instants, pour une bonne enfant rieuse. Mais, chez elle, la Femme n'abdique pas dans l'artiste ; au contraire, son art serait plutôt lait d'un féminisme exagéré. La Fontaine s'est bien demandé ce que peindraient les lions, s'ils savaient peindre. Eh bien, j'imagine que si les grandes charmeresses Dalila, Judith, Lucrèce avaient dû peindre, elles auraient tracé ces ligures à la lois délicieuses et farouches dont nous a charmés, avec quelque effroi en nous, JUANA ROMANI, et dans lesquelles il m'a toujours semblé qu'il y avait beaucoup d'elle-même.

Elle n'en a pas moins admirablement réussi, — car, avant tout, elle est maîtresse absolue de son métier — les portraits d'autres femmes d'un tout autre caractère que le sien ; citons cens de Mme Hériot, de la comtesse du Briche, de Mme de Lurcy, de Mlle Claire Lemaître, qu'elle a si bien enveloppée de sa chevelure noire; que d'autres encore ! Car, chez elle, la fécondité est la caractéristique du talent. Elle produit comme fleurissent les fleurs, comme mûrissent les fruits, en vertu d' un don divin et de la flamme intérieure que le soleil natal a laissée en elle, tenant une place virile, pour ainsi parler, dans les petites assises des femmes peintres, supérieure à toutes par le charme, égale aux maîtres par l'autorité, étonnante avant tout, pour les superficiels, admirable de tous points et surtout pour tous ceux qui aiment l'art.

T. CHARTRAN

L'artiste éminent dont nous reproduisons les traits est né à Besançon le 21 janvier 1849. Elève distingué de l'atelier Cabanel, Théobald CHARTRAN débuta au Salon de 1872 avec un tableau remarqué : Le corps de Mgr Darboy, en chapelle ardente, au palais de l'archevêché de Paris (juin 1871). Aux Salons, de 1874 à 1877, on vit de lui : Jeanne d'Arc, Angélique et Roger, Jeune fille d'Argos au tombeau d'Agamemnon, toiles qui montraient en même temps qu'une heureuse facilité, de précieuses qualités d'arrangement, une science des effets, une habileté de pinceau déjà dignes d'un maître.

Ces brillantes aptitudes étaient consacrées, en 1877, par le grand prix de Rome, qui fit T. CHARTRAN pensionnaire de la villa Médicis. Le premier envoi du jeune maître : Joueuse de Mandore, réunit tous les suffrages de l'Académie ; dès lors, l'artiste, en pleine possession de son talent, remporte à chaque nouveau Salon des succès auxquels la Critique apporte son tribut d'éloges admiratifs. La vision de St-François d'Assise, exposée par CHARTRAN, en 1883, vaut à l'artiste une magnifique page d'Edmond About. Les récompenses officielles se succèdent.

Après une série de portraits où CHARTRAN se montre tour à tour gracieux et sévère, élégant et nerveux, il reparaît au Salon de 1886 avec un fragment du plafond destiné à la salle de Mariages de la mairie de Montrouge ; cette composition, d'un charme profond, d'une belle ordonnance, d'invention piquante et hardie, représente le triomphant Amour qui célèbre les joies du bonheur légitime et s'applaudit d'unir une petite parisienne en robe immaculée, voilée et fleurie à la moderne, avec un jeune athénien drapé à l'antique et chaussé de cothurnes. « Cette scène, écrit M. G. Olmer (Ollendorf) a l'avantage d'être bien conçue, et de nous apparaître parée de couleurs heureuses, dont le jaune est sévèrement exclu. La population va doubler à Montrouge !... »

Les admirables portaits de Mlle Reichemberg, de Mounet-Sully en Hamlet, de Mlle Brandès, où T. Chartran nous révèle un des côtés les plus précieux de son talent, la distinction et la grâce, le portrait d'après nature de S. S. Léon XIII, ceux de M. Emile Blavet (Parisis du Figaro) de M. Belmunte, le grand financier américain, ont classé le jeune maître parmi les premiers portraitistes de ce temps.

JANVIER 1894

Sommaire n° 13

La Comtesse de Puiseux UNE PARISIENNE.

Gwendoline G. DE C.

Au Rideau. L. ÉNAULT.

L'Art Décoratif français. L. DE FOURCAUD.

Les Petit* Salons TH. L.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

La Vente Guy de Maupassant G. DE V.

Planches hors texte

Comtesse de Puiseux.

La Nuit, Pot en grès flammé.

Toilette de soirée.

Toilette de jeune fille. Toilette de ville. Robe de dîner.

Supplément

Parisiennes Sensations, par EMILE GOUDEAU. Illustrations de A. LEPÈRE.

ÉDITION DE LUXE

A dater du 1er Janvier 1894, une Édition de luxe, sur papier « perfection », sera servie à tous les Abonnés sans augmentation de prix.

Nos Abonnés recevront avec le prochain Numéro les titres et les tables du premier volume de la Grande Dame.

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES. . . . Escary.

Autriche

VIENNE; Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holz.

Lechner. BUDAPEST Revai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hostc.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Romo y Fussel.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintze.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG. Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA. Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE. Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS . . . Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et C°.

Ruat.

MONTE-CARLO . . . Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES. Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

FÉVRIER 1894

Sommaire n° 14

Madame Robert de Bonnières ÉTINCELLE.

Lys visuel R. DE MONTESQUIOU.

Le Comte R. de Montesquiou UN POÈTE.

Théâtres G. DE C.

La Vie à Paris ZIBELINE.

Deux Mariages princiers T. L.

Exposition de M. de Munkacsy J. DE MITTY.

Exposition d'Art photographique L. ÉNAULT.

Les Arts somptuaires CONSUÉLO.

Supplément

Parisiennes Sensations, par EMILE GOUDEAU. Illustrations de A. LEPÈRE.

Planches hors texte

Madame Robert de Bonnières, d'après le tableau de JAMES TISSOT.

Carnets de bal E. DUEZ.

Toilettes de Mlle Darlaud E. GÉRIN.

Mlle Darlaud dans Famille E. GÉRIN.

Costume Yseult DILLON

Toilette de soirée DILLON.

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer

MUNICH Ackermann

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER. Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Dupral et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES. Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner

BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance

l'Indépendance

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

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Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Romo y Fussel.

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ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG. Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. MOSCOU Gautier

Grossmann et Knobel. ODESSA. ....... Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA. . Dybwad. STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN. Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°. GÊNES ........ Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

ÉPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat

MONTE-CARLO . . . Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

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TOULOUSE Mlles Brun.

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TROYES.. ...... Lacroix.

VALENCIENNES. . . . Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

MARS 1894

Sommaire n° 15

Théâtres Louis ÉNAULT.

Le Flibustier L. DE FOURCAULT.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Les Petit* Salons CONSUÉLO.

Le Concours pour les vitraux d'Orléans THIÉBAULT-SISSON.

Sur la glace VICOMTE DE G.

La Société d'encouragement à l' Escrime JEAN DE MITTY.

Musiciens modernes T. L.

Le Carnaval MONTGENOD.

Planches hors texte

Jeanne d'Arc au sacre de Charles VII E. GRASSET.

Toilette de ville de M],e Marsy dans Cabotins COMTET.

Toilette de soirée de Mlle Marsy dans Cabotins COMTET.

Un Bal masqué parisien (Reproductions directes).

Un accident survenu à la planche hors texte qui devait accompagner notre article : Les Musiciens modernes, et qui représente le quatuor d'Eugène Ysaÿe à la salle Pleyel, nous oblige à ajourner la publication de cette gravure, qui paraîtra dans un de nos prochains numéros.

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

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MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

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MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES. Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Romo y Fussel.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossrnann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEI Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME. ...... Clausen.

France

AIX-LES-BAINS . . . Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON ....... Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO. . . . Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES. . . . Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

édition du Figaro

La Grande Dame

Avril 1894 — N° 16

SOMMAIRE

Courrier de Paris FONTENEILLES.

LadySybil Eden Louis- ENAULT.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Théâtres CONSUÉLO.

Petit* Salons MONTGENOD.

Fêtes Mondaines G. (VICOMTE DE).

Planches hors texte

Lady Sybil Eden.

Yanthis.

Toilette de Mlle BRANDÈS dans Cabotins.

Toilette de Mlle LUDWIG dans Cabotins.

Toilettes de ville de WORTH. Boucles de ceinture. Croix et Médailles. Chapeaux de printemps.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE. ..... Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Dupral et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES. . . . Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Romo y Fussel.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Flaimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlësinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÈNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel-Cesar.

édition du Figaro

LA GRANDE DAME

Mai 1894 — N° 17

SOMMAIRE

Deux Lettres sur l'Amour (Première lettre) HUGUES LE ROUX

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Le Code de l' élégance et du bon ton Duc JOB.

Théâtres JUSTE SÉVERAN.

Verdi COMTE L.

Les Mardis à la Bodinière MONTGENOD.

Les Petit* Salons JEAN DE MITTY.

Planches hors texte

Portrait de Verdi. Falstaff allant au rendez-vous. Falstaff à l' hôtellerie de la Jarretière. Falstaff (quatuor des lettres). Toilette de courses.

Toilette de ville de REDFERN. Chapeaux de printemps. Corset LÉOTY.

Diptyque en argent repoussé. Drageoir et boucles de ceinture.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Romo y Fussel.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Belinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS . . . Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

ÉPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et C°.

Ruat.

MONTE-CARLO. . . . Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES. . . . Lemaître.

VICHY Bougarel-César,

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs

Eau de Toilette

Cosmétiques

Crèmes

Paris 15 rue de la Paix Paris

Edition du Figaro

LA GRANDE DAME

Juin 1894 — N° 18

SOMMAIRE

L'Hôtel de Janzé JEAN DE MITTY.

Deux Lettres sur l'Amour (Deuxième lettre) HUGUES LE ROUX.

Dernières Modes ZIBELINE.

Le Portrait et l' Élégance JEAN BERNAC.

Le Code de l' élégance et du bon ton Duc JOB.

A l' Exposition canine VICOMTE DE G.

Les Objets d'art aux Salons de 1894 L. ENAULT.

Les Plantes d'eau MARCEL FIORENTINO.

Planches hors texte

Vicomtesse Alix de Janzé. Toilette de soirée. Toilette de ville. Toilette de ville. Manteau Crésus.

Matinée de Printemps. (Vitrail.) Après-midi d' Automne. (Vitrail.) Cabinet en bois incrusté. Cabinet orné d'émaux.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG. Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES . . . Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM ..... Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG. Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Garnier.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO. Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES. Lemaître.

VICHY Bougarel-César,

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs

Eau de Toilette

Cosmétiques

Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

edition du Figaro

LA GRANDE DAME

Juillet 1894 — N° 19

SOMMAIRE

L' Hôtel de Janzé JEAN DE MITTY.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

L'Exposition de Lyon

Le Parc de la Tête-d'Or AUGUSTE BLETON.

Pavillon des Beaux-Arts JEANNE D'ALAY.

Les Soieries et Dentelles ETIENNE CHARLES.

Le Salon Parisien TH. VARIGNY

Planches hors texte

Robe de dîner, lampas colorié. Robe de dîner, damas broché. Manteau de soirée, velours ciselé.

Sortie de bal, grand damas. Grand bufet Louis XIV. Grand surtout de table Régence.

Broché coquelicot sur fond satin.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correrspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l' Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM. Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. MOSCOU Gautier.

Grossmann et Knobel

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEI Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Michel Mermoz.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs

Eau de Toilette

Cosmétiques

Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

édition du Figaro

LA GRANDE DAME

Août 1894 — N° 20

SOMMAIRE

Les Portraits de Femmes aux Salons A. PIAZZI.

L'Exposition de Lyon

LES ARTS DÉCORATIFS

Ameublements, Vitraux, Mosaïque MONTGENOD.

Les Grès polychromes. R. BOUTHORS.

La Manufacture de Briare G. DE C.

La Faïencerie de Choisy-le-Roi J. MIRAULT.

Planches hors texte

Robe de soirée, grand damas broché. Chambre à coucher exécutée par la Panneau de tenture, lampas broché. Maison Schmit.

Fusil Fauré Le Page.

LE FIGARO Ancne Maison QUANTIN

26, rue Drouot, 26 7, rue Saint-Benoît, 7

PARIS PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de L'Indépendance

L'Indépendance

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Haimann et C°.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Michel Mermoz.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

Exposition Universelle de Lyon

VICTOIRE

SIX

Maison fondée en 1850

Épreuves inaltérables au Charbon

Vue de l'Établissem*nt

22, Rue Saint-Pierre, 22 (au premier)

LYON

Eau de Cologne Impériale Extraits d'Odeurs * Eau de Toilette Cosmétiques * Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

CHEMINS DE FER DE PARIS A LYON ET A LA MÉDITERRANÉE

Exposition Universelle à Lyon

Billets d'Aller et Retour à Prix réduits

A l'occasion de l'Exposition Universelle qui a lieu à Lyon, il sera délivré jusqu'au 1er Octobre 1894, par toutes les gares du réseau P.-L.-M., pour Lyon, des billets d'aller et retour de 1re, 2e et 3e classe comportant les durées de validité

suivantes :

Pour un parcours de 200 kilomètres. 4 jours, — — 201 à 300 kilom. 6 jours.

Pour un parcours de 301 à 400 kilom. 8 jours. — — 401 à 500 kilom. 10 jours.

Pour un parcours de 501 à 600 kilomètres. 12 jours.

La durée de validité des billets pourra être prolongée à deux reprises et de moitié moyennant le payement, pour chaque prolongation, d'un supplément égal à

10 0/0 du prix des billets.

Edition du Figaro

LA GRANDE DAME

Septembre 1894 — N° 21

SOMMAIRE

La Maison de Madame Dubufe LOUIS ENAULT.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

L'Exposition universelle d'Anvers VAN BUCK.

Le Vieil Anvers MONTGENOD.

Planches hors texte

Salon de M. Guillaume Dubufe. Manteau de Voyage. Toilette de Courses. Toilette de Casino. Toilette de Casino.

Entrée principale de l'Exposition

d'Anvers. Théâtre Annamite. Quartier Syrien. Quartier A lgérien Les Aïssaouas.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN. Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM. .... Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Jg. Haimann.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Michel Mermoz.

BÉZIERS ...... Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlle Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES. Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

édition du Figaro

LA GRANDE DAME

Octobre 1894 — N° 22

SOMMAIRE

*

S. M. la Reine de Portugal GEORGES HUILLARD.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Le Code de l' élégance et du bon ton Duc JOB.

L'Éventail Louis ENAULT.

Les Porcelaines de Limoges ETIENNE CHARLES.

L'Art décoratif en Angleterre MONTGENOD.

Planches hors texte

S. M. la Reine de Portugal. Manteau de Théâtre. Chapeaux de la Maison Virot. Chapeaux et Coiffure d'Auguste Petit.

Toilette de Soirée. Toilette de Courses. Tête Louis XVI.

LE FIGARO

26, rue Drouot, 26 PARIS

Ancne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l'Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE ..... Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM ..... Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM, .... Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Jg. Haimann.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS . . . Michel Mermoz.

BÉZIERS, Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO . Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel - César.

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs

Eau de Toilette

Cosmétiques

Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

LA GRANDE DAME

Novembre 1894 — N° 23

SOMMAIRE

THÉATRES : Comédie-Française, Vers la Joie DE LA PALFÉRINE.

Opéra, Othello MONTGENOD.

Les Usages mondains de notre temps PRINCE D'AUREC.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Le Chic masculin M. DE V.

Parfums LYS DE FRANCE.

Les Porcelaines de Limoges G. DE C.

La Broderie japonaise JEAN DE MITTY.

Planches hors texte

Portrait de Mme L. Chapeau de Ville. Costume d'Enfant. Manteau de Soirée.

Toilette d'intérieur.

Surtout de table en porcelaine.

Tête Louis XVI.

Ancienne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer.

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l' Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Jg. Haimann.

Russie

ST-PÉTERSBOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlésinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Michel Mermoz.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel-Cesar.

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs

Eau de Toilette

Cosmétiques Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

LA GRANDE DAME

Décembre 1894 — N° 24

SOMMAIRE

Théâtres LA PALFÉRINE.

Le Chic masculin D'ARCEL.

Les Dernières Modes ZIBELINE.

Un Siècle de Modes féminines MONTGENOD.

Tentures décoratives J. MIRAULT.

Les Instruments de Musique à l'Exposition d'Anvers Vicomte DE G.

Bijoux et Orfèvrerie d'art ALLYS.

Planches hors texte

Piano Louis XVI. Toilette de Ville. Toilette d'intérieur.

Toilette de Ville. Toilette de Ville. Grand Drageoir et Jardinière.

Ancienne Maison QUANTIN

7, rue Saint-Benoît, 7 PARIS

Libraires correspondants

Allemagne

BERLIN Asher et C°.

Prausnitz. LEIPZIG Brockhaus.

Max Rube.

Twietmeyer,

FRANCFORT Baër.

MULHOUSE Seiffer.

MUNICH Ackermann.

Buchholz.

Hirth. STRASBOURG. .... Treuttel et Wurtz.

Bouillon et Bussenius.

Angleterre

LONDRES Simpkin, Marshall, Hamilton,

Kent et C°. Hachette et C°. Roques. Dulau et C°.

Algérie

ALGER Ruff.

Amérique

NEW-YORK Brentanos.

Duprat et C°.

Dyrsen et Pfeiffer.

Roth.

Amblard et Meyer.

MEXICO Budin.

BUENOS-AYRES Escary.

Autriche

VIENNE Braumuller.

Brockhaus.

Gerold et C°.

Carl von Holzl.

Lechner. BUDAPEST Révai frères.

Belgique

BRUXELLES L'Office central de l' Indépendance belge.

Lebègue et C°.

Lamertin.

Castaigne.

Diëtrich et C°.

ANVERS Forst.

GAND Hoste.

Egypte

ALEXANDRIE Schuler et C°.

Espagne

MADRID Salon du HERALDO, palais de

la Equitativa.

Grèce

ATHÈNES Beck.

Hollande

AMSTERDAM Feikema Caarelsen et C°.

LA HAYE Van Stockum et fils.

Bélinfante frères. ROTTERDAM Kramers et fils.

Luxembourg

LUXEMBOURG .... Heintzé.

Portugal

LISBONNE Férin et C°.

Gomès.

Roumanie

BUCAREST Jg. Haimann.

Russie

ST-PÉTERSEOURG Eggers et C°.

Wolff et C°.

Zinserling. Moscou Gautier.

Grossmann et Knobel.

ODESSA Rousseau.

VARSOVIE Gebethner et Wolff.

RIGA Kymmel.

Suède et Norvège

CHRISTIANIA Dybwad.

STOCKHOLM Fritze.

Suisse

BALE Georg et C°.

NEUCHATEL Berthoud.

GENÈVE Stapelmohr.

VEVEY Schlesinger.

ZURICH César Schmidt.

Italie

ROME Bocca frères.

Modes et Mendel.

MILAN Dumolard frères.

TURIN Bocca frères.

Casanova.

Roux et C°.

GÊNES Beuf.

BOLOGNE Zanichelli.

PALERME Clausen.

France

AIX-LES-BAINS Michel Mermoz.

BÉZIERS Lajus.

BORDEAUX Féret et fils.

CHARTRES Selleret.

DIJON Rey.

Damidot.

EPERNAY Bonnard.

LANGRES Pourtau.

LE HAVRE Dombre.

LUCHON Lafont.

LYON Cantal.

Chambefort.

MARSEILLE Aubertin et Cie.

Ruat.

MONTE-CARLO Cima.

NANCY Grosjean-Maupin.

NANTES Vier.

NICE Castellani.

REIMS Michaud.

ROUEN Lestringant.

Schneider frères.

TOULON Rumèbe.

TOULOUSE Mlles Brun.

TOURS Defrenne.

TROYES Lacroix.

VALENCIENNES Lemaître.

VICHY Bougarel-César.

Eau de Cologne Impériale

Extraits d'Odeurs Eau de Toilette

Cosmétiques

Crèmes

Paris 15, rue de la Paix Paris

CHRONIQUE ANECDOTIQUE & PETIT COURRIER

Le 6 janvier a été béni, en la chapelle des catéchismes de Saint-Philippe du Roule, le mariage de M. Georges Hainguerlot avec Mlle Blanche d'Adhémar.

Les témoins étaient, pour le marié : M. Maurice Bégé, son beau-frère, et le duc de Reggio, son cousin; pour la mariée: le général Mariani, son oncle, et le baron de Langlade, son beaufrère.

Reconnu parmi les assistants :

Baron Mariani, baronne Hainguerlot, M. Wilkinson, comtesse d'Adhémar, baron Hainguerlot, Mlle Jerningham, Mmes Bégé, Percheron, baronne de Langlade, duch*esse de Reggio douairière, duch*esse de Reggio, baron de Metz, Mlle Claire Hainguerlot, baron et baronne de Nexon, M. et Mme Henry de Lafaulotte, Mlle Mariani, M. A. d'Adhémar, M. Arthur Hainguerlot, comte et comtesse Paul de Pourtalès, marquise de Massa, comte et comtesse de Moltke, etc.

Le mercredi 10 janvier a été béni, à SaintPierre de Chaillot, le mariage du capitaine de Vaulgrenant, fils du général de Vaulgrenant, commandant le 15° corps d'armée, avec Mlle de Chastellux, fille du comte et de la comtesse de Chastellux.

Les témoins étaient pour le marié : le général Picot de Lapeyrouse, son oncle, et le général Jamont ; pour la mariée : ses oncles, le marquis de Vogüé ancien ambassadeur de France, et le lieutenant-colonel comte de Virieu.

Le 11 a été célébré, à la chapelle des Carmes, le mariage du prince Edmond de Polignac avec Mlle Winnaretta Singer.

La messe a été dite par M. l'abbé de Broglie.

Les témoins étaient pour le marié : le prince Camille de Polignac, son frère, et le duc de Doudeauville, son beau-frère.

Pour la mariée : M. Mortimer Singer, son frère, et le duc Decazes, son beau-frère.

Le Saint-Père avait envoyé sa bénédiction aux époux.

Dans l'assistance, strictement limitée aux membres des deux familles, citons : le prince et la princesse de Polignac, le duc et la duch*esse de Doudeauville, M. et Mme Paul Sohège, le duc de Luynes, M. et Mme Singer, duc et duch*esse Decazes, le marquis de Gabriac, comte et comtesse de Gramont, comte et comtesse de Bagneux,

Bagneux, et comtesse de Polignac, comte et comtesse de Gontaut, etc.

Le 11 janvier a été célébré le mariage de Louis-Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès, avec Mlle de Luynes.

Le fiancé, second fils de la duch*esse d'Uzès, née Rochechouart-Mortemart, est devenu le chef de l'illustre maison de Crussol, qui fut la première à recevoir en France le titre ducal en 1565.

La fiancée est la fille de Paul d'Albert de Luynes, duc de Chaulnes et de Picquigny, mort en 1881, et de la duch*esse fille du prince Augustin Galitzin, morte en 1883. Mlle de Luynes est la cousine du duc de Luynes, qui a épousé, comme l'on sait, la première fille de Mme la duch*esse d'Uzès.

Le 13 a été célébré, à l'église Sainte-Clotilde, le mariage de M. Eugène Carette, fils de M. Carette, ancien conseiller général de l'Aisne, et de Mme Carette, née Bouvet, dame du palais de S. M. l'impératrice Eugénie, avec Mlle Marie de Ryckman, fille de Mme la douairière de Ryckman, née de Dieudonné.

La mode est aux mariages. Les fiancés se montrent très modernes dans leurs recherches d'élégances. Ils envoient, comme c'est l'usage, des fleurs à leurs futures tous les matins, mais ils remplacent le bouquet traditionnel par des fantaisies inattendues. Un jour c'est un navire plein de roses, le lendemain un hamac d'orchidées, un autre jour une lyre, un chevalet, une charrette, un vélocipède, un ballon de lilas blancs, une ombrelle de violettes, un éventail de pensées; enfin, tout ce que l'imagination peut inventer de nouveau, de gracieux et d'original.

Un touchant exemple de charité chrétienne qu'on ne saurait, trop imiter:

Mme la duch*esse d'Uzès, dont la bonté est

inépuisable, vient de se charger de faire élever

la fille de Vaillant, l'anarchiste récemment condamné

condamné mort.

Le 13 janvier est mort M. William Henry Waddington, notre ancien ambassadeur à Londres.

LA GRANDE DAME

ÉCHOS DE PARTOUT

Il est d'usage, à Vienne, dans le monde, de ne faire ses emplettes du jour de l'an que la veille

de Noël. Alors les larges avenues de la cité impériale s'encombrent d'équipages, les magasins sont pris d'assaut par une foule élégante, aristocratique, par une foule où il n'est pas rare

de voir circuler, comme simples mortels, les membres de la famille régnante. L'archiduch*esse Clotilde, au bras de son fils, se promenait l'autre jour, sur le Sugar'nt et achetait elle-même | les élrennes.

L'empereur a passé la soirée de Noël chez sa fille, l'archiduch*esse Valérie, avec les deux

petit* enfants de celle-ci dont il rafole.

— L'impératrice est en mer. Toujours hantée par le tragique souvenir de la mort de son fils, elle cherche dans les voyages, dans l'aventure

des excursions lointaines, non pas un oubli qui ne saurait venir, mais un peu de la douceur des soleils cléments. Après un séjour à Madère, son yacht le Miramar l'emportera vers d'autres mers.

— Décembre, le mois des grandes chasses seigneuriales, a mis la vie dans les châteaux.

On n'y danse pas encore, mais l'approche du carnaval a donné le branle aux préparatifs de fêtes, aux invitations, aux commandes.

— Il y a eu de nombreux mariages depuis.

Pâques. Pour janvier, on a annoncé celui de Mlle Mariette Zichy avec le comte G. Majlatb, un couple charmant et sympathique entre tous.

— Comme toujours, le midi de la France attire la noblesse hongroise. Sont déjà partis les Csekonics, les Festetics, dont est la si connue et si spirituelle comtesse Fanny, née Calffy. Ce n'est point sans un certain regret qu'elle a dû quitter

son beau château de Dégh, une merveille d'architecture et de goût, meublé dans le plus pur Empire. Après avoir fait, durant l'été dernier, le voyage d'Amérique, les belles comtesses Sécheny se trouvent actuellement en Corse. Comme elles, la comtesse Irma Radàsky et sa délicieuse jeune fille ont fait une visite à l'Exposition de Chicago. Ce que j'y ai trouvé de mieux, à cette Exposition, nous disait la comtesse, c'est... trois Français !... »

Merci, comtesse!

— On ne patine pas encore, chose inouïe, à cette époque de l'année. Mais loin de désespérer, le Varosliget a fait construire un pavillon neuf, et le baron Otzel, sous le couvert du secret, parle de fêtes inédites sur la glace.

— Grands préparalifs de fêtes chez les comtes

Wenkheim, Karoly, etc. Chez ce dernier, les comtes Szàpàny sont les organisateurs d'un bal monstre.

y

DERNIER CHIC

L'innovation la plus élégante et la plus artistique

artistique se prépare en ce moment est sans

contredit la série de carnets de bal illustrés

à l'eau-forte par Duez.

Jamais, à aucune époque, il n'en a èté créé

de plus exquis ni plus distingués; ce sont de

véritables oeuvres d'art que ne manqueront

de rechercher toutes celles qui ont horreur du

banal.

Autre innovation à signaler : c'est le bracelet

de velours agrémenté d'un bijou ou d'une boucle

en brillant qui retient les longs gants de bal

très haut sur le bras. La nuance des velours est

assortie à celle de la toilette ou à ses accèssoires.

accèssoires. plus raffinées décorent ces rubansbracelets

rubansbracelets petites épingles de pierreries ou

de goulles d'eau en diamants.

Très coquette la mode des mignonnes écharpes

Empire, en satin ou velours incrusté de pierres

précieuses, de perles et de diamants dont on

entoure le petit chignon et que l'on noue au

sommet de la tête en réservant deux petites

oreilles qui s'élèvent en aigrette. Le collier de

satin ou de velours drapé, assorti à la petite

écharpe, est très en faveur; il se fixe sur le col

d'une robe montante ou se place sur le cou avec

les robes décolletées. Ces coquets accessoires

de la toilette féminine rehaussent l'éclat du

teint et, par les pierres précieuses dont ils sont

incrustés, ils valent souvent de petites fortunes,

Les noeuds incroyables ont fait un incroyable

chemin dans le domaine de l'élégance; ils se

font de toutes nuances ; mais, à notre avis, le

noeud noir est le plus distingué, le blanc le plus

élégant.

Pour l'habit de soirée, la dernière élégance consiste à garnir de moire le col et les revers avec une seule boutonnière pour recevoir une fleur.

Le gilet blanc se porte toujours, de préférence croisé, un peu plus fermé dans le haut, très ouvert dans le bas et presque en carré.

Quelques élégants ultra-chic portent le gilet de soirée en velours noir de même forme.

ANNALES MONDAINES

On continue à porter le smoking dans les casinos et au théâtre des stations hivernales; il ne se porte plus en ville en aucune circonstance.

C'est toujours dans la maison Beer, 19, rue de la Paix, que nos lectrices, soucieuses de la tenue

de leurs enfants, trouveront les modèles les plus distingués.

Le comte Robert de Montesquiou vient de

publier un volume ayant pour titre : le Chef des

odeurs suaves. Jusqu'à ce jour nous ne connaissions

connaissions Guerlain, qui fût digne de ce nom ; si

l'auteur nous révèle en ses poésies quelques-uns des parfums de Salammbô, au myrobalon ou au

bdellium, nous ne manquerons pas d'en fournir

quelques extraits à nos lectrices.

Le bouquet de fleurs a déjà beaucoup voyagé

sur le corsage de nos jolies femmes, il a pris

toutes les formes, triomphant ou discret, s'est

niché dans la ceinture, sur la poitrine, sur les

épaules; savez-vous où il a élu domicile cet

hiver? Il se blottit en touffes de chaque côté

de la poitrine ou d'un seul côté seulement, tout

près de l'épaule.

La salle d'armes féminine va se compléter par un « Cercle d'escrime des dames », cercle « fermé » et placé sous le patronage de Mmes la colonelle Dérué, la comtesse Murat, Jean Bertot, Fèlizet, la colonelle Rousset, la comtesse de Longueval, la comtesse de Gantés.

La devise du nouveau Cercle est : Ludus pro forma. Ludus pro patria, c'était déjà une devise de l'escrime. Ludus pro forma, c'est presque aussi beau. Décidément, l'escrime a tous les mérites. La forme, quand il s'agit de la forme féminine, est précieuse, et l'on excuserait Brid'oison, s'il ne bégayait pas, de vanter la fo-orme, ainsi comprise.

Rien de plus justifié, au surplus, que d'affirmer que l'escrime est utile à améliorer et à maintenir les avantages physiques du beau sexe. S'il fallait citer de doctes personnages à l'appui,

on pourrait nommer des chirurgiens émérites qui recommandent et ordonnent à leurs clientes ce traitement... par le fer.

L'escrime est recommandée par les médecins : 1° au point de vue orthopédique, pour combattre la fâcheuse déviation appelée scoliose, et plus fréquente chez les filles que chez les garçons; 2° pour fortifier les muscles de la poitrine, en combinant les mouvements de l'escrime avec des exercices vocaux.

En Amérique, l'escrime féminine est déjà assez répandue. Le Fencers-Club de New-York compte de nombreuses ladies et misses parmi ses membres.

En Angleterre, l'exemple est donné en haut lieu. Les filles du prince de Galles furent les élèves de M. B. Bertrand, le maître d'armes bien connu de Londres.

RENSEIGNEMENTS UTILES

Les dernières séances d'adjudication à la Chambre des Notaires n'ont pas donné de brillants résultats. Cela provient tout d'abord de ce que les mises à prix des immeubles offerts aux enchères sont presque toujours trop élevées, et aussi, il faut bien le dire, de la répugnance de bon nombre de capitalistes à traiter au feu des enchères et sans pouvoir, pour ainsi dire, se rendre compte des conséquences toujours mauvaises d'une acquisition hâtive.

Il n'y a réellement que les transactions amiables, de même que pour les établissem*nts commerciaux et industriels, qui ne ménagent aucune surprise, quelle qu'elle soit, aussi bien aux vendeurs qu'aux acquéreurs.

MM. Besson et Rousselle ne sauraient donc trop engager leurs clients à user de la voie amiable, soit pour la vente, soit pour l'acquisition d'immeubles.

MM. Besson et Rousselle peuvent offrir à l'amiable :

1° Une maison, boulevard du Temple, à l'angle d'une rue, ayant très bel aspect, toujours louée. Revenu brut, 12 650 francs. Charges, 1700 francs. Prix, contrat en mains, 225 000 francs, soit un revenu de 5 pour 100.

2° Un terrain de 854 mètres, avec grand pavillon d'habitation, beaux arbres fruitiers, espaliers, le tout en plein rapport, à Asnières, très bien situé, à cinq minutes de la gare. Prix, 35 000 francs, soit les deux tiers de la valeur. On peut traiter avec 13 000 francs comptant.

3° Un domaine dans le Cher, d'une contenance totale de 155 hectares environ, comprenant : bâtiments, jardins, terres labourables, prés, bois, pâtures, étangs.

Très belle chasse, toujours alimentée de gibier sans qu'il soit besoin de l'y entretenir, gibier d'eau, très belle pêche, à trois heures et demie de Paris, station de Vierzon.

MM. Besson et Rousselle rappellent à leurs clients qu'ils ont à leur disposition, par fractions de 100 000 francs au moins, des fonds à raison de 4,25 pour 100, amortissem*nt compris, dans les mêmes conditions que le Crédit foncier.

BESSON et ROUSSELLE, Administrateurs d'immeubles,

25, rue Le Peletier, Paris.

4 LA GRANDE DAME

PETITE CORRESPONDANCE

A la suite de la publication de l'article dans notre numéro de novembre « Le Jockey-Club et l'Orfèvrerie», nous avons reçu la lettre suivante que nous nous empressons d'insérer :

Paris, le 2 novembre 1803.

Monsieur F.-G. DUMAS, directeur de la Revue la Grande Dame, Paris.

Mon cher monsieur,

Je viens de lire dans le numéro de novembre de la Grande Dame, sous la signature de M. A. Migali, un article intitulé : « le JockeyClub et l'Orfèvrerie » ; mais si intéressant et si bien fait qu'il soit, si documenté qu'il paraisse, il y a cependant quelques inexactitudes qui nous louchent fort et que je ne puis résister au désir de vous signaler.

Il y a d'abord un fait capital oublié ou ignoré de l'auteur, c'est qu'à l'origine, la Commission du Jockey-Club avait cru devoir demander à des concours publics les modèles exécutés pour elle et que cette méthode a été suivie jusqu'en 1880. La petite note que je joins à cette lettre et qui était envoyée à tous les artistes et orfèvres de l'époque vous indiquera les conditions du concours.

Depuis, des considérations dont je n'ai pas à connaître modifièrent cette coutume, et ce fut à la commande directe qu'on eut recours. Aujourd'hui, c'est en effet une Commission de trois membres qui a mission de désigner l'orfèvre ou l'artiste qui exécutera les oeuvres d'art destinées aux courses de l'année.

Mais, pendant les quatorze années où le concours était institué, nous avons eu l'honneur de voir choisir cinq fois les projets envoyés par nous, et vous me permettrez de vous signaler ces choix dont nous sommes très fiers, étant donnés le nombre et le mérite des concurrents.

Nous avons donc réussi deux fois avec Maillet (grand prix de Rome) en 1866, pour la Coupe, et en 1868 pour Deauville; trois fois avec Carrier-Belleuse, en 1874 et en 1879, pour la Coupe, et en 1880 pour le prix Gladiateur; et l'auteur de l'article n'a jamais signalé notre nom d'orfèvres à côté de celui de l'artiste. Notre collaboration avait pourtant sa valeur, puisque l'oeuvre du statuaire était complétée par une ornementation qui émanait de nous, qu'il agissait d'après notre inspiration et que nous courions seuls les chances du concours.

Ceux qui produisent savent bien que c'est l'union intime de l'orfèvre et de l'artiste qui fait une oeuvre complète. C'est d'ailleurs l'opinion très sensée de votre collaborateur, qui fait remarquer lui-même que l'entente est nécessaire entre celui qui commande et celui qui exécute, et, à bien plus forte raison, entre celui qui compose et celui qui traduit l'oeuvre en métal.

Depuis que les objets d'art sont commandés directement à l'artiste par le Jockey-Club, nous avons encore eu l'honneur d'être choisis deux fois par les artistes eux-mêmes : en 1878, par M. d'Epinay, pour le prix Gladiateur ; en 1886, par M. Antonin Mercié, pour le prix Gladialeur.

Vous comprendrez donc qu'il nous était difficile de ne pas nous émouvoir un peu en voyant notre nom oublié sept fois par l'auteur de l'article, lorsqu'il cite avec complaisance les noms d'orfèvres éminents, qui sont nos amis d'ailleurs, dans le tableau dressé par lui pour le prix de la Coupe et le prix Gladiateur, et que nous aurions aimé nous trouver en si bonne compagnic.

Vous excuserez cette réclamation très personnelle, je l'avoue, mais que j'ai cru de la dignité et de l'honneur de la maison Christoffe de vous faire en son nom.

Vous pourrez communiquer ma lettre à votre collaborateur, et je vous prie même de le faire; ce sera un document de plus à mettre dans son dossier des prix de courses, et dont il se souviendra à l'occasion, j'espère.

Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de notre considération distinguée.

HENRI BOUILHET.

CHRONIQUE ANECDOTIQUE & PETIT COURRIER

Le samedi, 3 février, en l'église Saint-Pierre de Chaillot, le R. P. de Nicolay donnait la bénédiction nuptiale à son frère, le comte Théodore de Nicolay, fils du comte et de la comtesse Charles de Nicolay, née de Beauffort, et à Mlle Ducos, fille du commandant Ducos, député de Vaucluse.

Le 5 février, à Saint-Augustin, a été béni le mariage du vicomte de Fadate de Saint-George avec Mlle Mathilde de Chabaud-la-Tour, fille du baron de Chabaud-la-Tour, ancien député, et de la baronne née Tascher. Le mariage religieux a été suivi d'une réception chez les parents de la mariée, dans les beaux salons de la rue de la Boëtie.

Le baron de Thoisy et la baronne, née Delahante, petite-fille de M. Delahante, receveur général du Rhône sous le roi Louis-Philippe, ont célébré, le 9 février, leurs noces d'argent au château de Jondes, près Cuiseaux, dans la Saône-et-Loire.

Jeudi 15 février, brillante assistance à SaintHonoré-d'Eylau, où avait lieu la célébration du mariage du baron Etienne de Moidrey, lieutenant au 6e cuirassiers, avec Mlle Remono, petitefille de sir Edouard Remono, ancien président de la Cour suprême à l'île Maurice, et le premier Mauricien créé chevalier par la reine d'Angleterre. Les témoins du marié étaient le général de Vaulgrenant et M. Léon de Moidrey; ceux de la mariée : M. Alex, de Courson de la Villeneuve et sir Coleville Barclay.

Les notabilités du monde de la finance se sont réunies le 15 février, dans l'église de la Madeleine, pour assister au mariage de M. Roger Lehideux avec Mlle Gabrielle Herbault.

On annonce le prochain mariage de Mlle Hany d'Harcourt avec M. Jean de Courcy, capitaine breveté au 51e de ligne.

Mlle d'Harcourt est la fille aînée du comte Pierre d'Harcourt, frère du duc d'Harcourt. Sa mère, née de Mun, est la soeur du comte Albert de Mun.

On annonce les fiançailles de M. Gabriel de Gosselin avec Mlle Marie Thirouin ; le mariage sera célébré au mois d'avril.

La reine Nathalie de Serbie a quitté Paris, avec sa suite, pour s'installer jusqu'au printemps clans sa jolie villa de Nice. Plusieurs soirées musicales, précédées de grands dîners, avaient été données en son honneur dans les maisons du Faubourg. Parmi les plus élégantes, les plus courues, il faut citer les séances de musique de la princesse Alexandre Bibesco, auxquelles assistaient toutes les célébrités du monde des arts et des lettres.

Mme la duch*esse d'Uzès, qui avait été atteinte d'une légère bronchite, est depuis quelques jours complètement rétablie. Mme la duch*esse d'Uzès garde néanmoins la chambre, et, aussitôt que les médecins le permettront, elle partira avec ses enfants pour le Midi, devançant ainsi de quelque temps le voyage qu'elle devait faire pour rétablir sa santé.

La marquise douairière de Castellane-Courantes vient de s'éteindre à Saumur, dans sa quatre-vingt-huitième année. Elle était fille du baron Martin de Gray, député de la Restauration ; son mari, le marquis de Castellane, commandait à Niort, en 1848, le 9e régiment de chasseurs, C'était le cousin du fameux maréchal de Castellane.

Tous les représentants des grandes familles françaises se trouvaient, dimanche dernier, réunis à Saint-Pierre de Chaillot, où l'on celébrait, à midi, les obsèques du comte Gramont d'Aster.

Les draperies noires, frangées d'argent, qui ornaient le portail et l'intérieur de l'église, étaient rehaussées aux armoiries de la famille, qui se composent des armoiries réunies des maisons de Gramont, d'Aure et de Comminges. On lisait au bas la fière devise de la maison : Soye que io soye (Je suis ce que je suis).

Le deuil était conduit par le comte Vladimir de Montesquiou-Fezensac, assisté des proches parents : le comte de Vergennes, le baron de Rascas, le comte Max de Béthune. Au défilé : les ducs de la Trémoille, de Gramont, de Broglie, de Noailles, de Montesquiou-Fezensac, de Lesparre, de Rohan, de Maillé, de Luynes, de Clermont-Tonnerre, de Massa, de Blacas, de Cars, d'Albuféra, de Montmorency, d'Ayen, de Narbonne, de la Force, de Polignac; les princes

2 LA GRANDE DAME.

de Sagan, d'Arenberg, de Tarentc, J. Murat;

les marquis de Luppé, de Ganay, de Jaucourt, etc., etc.

ÉCHOS DE PARTOUT

La cour de Russie est actuellement, ainsi

composée :

Premières grandes charges : Un grand chambellan,

chambellan, grands maîtres, un grand échanson,

un grand veneur, un grand maréchal, un grand

écuyer tranchant, un grand écuyer.

Viennent ensuite :

Trente-cinq maîtres de la cour, dix-sept écuyers, six veneurs, un directeur des théâtres impériaux, deux grands maîtres des cérémonies, seize titulaires faisant fonctions de maréchaux de la cour, un maréchal de la cour, neuf maîtres des cérémonies, huit faisant fonctions de maîtres des cérémonies, cent soixante-treize chambellans, deux cent quarante-neuf gentilshommes de la chambre, vingt-quatre médecins,

vingt-trois aumôniers, dix dames à portrail, quatre demoiselles d'honneur à portrait, et cent quatre-vingts demoiselles d'honneur.

Heureusem*nt que le budget impérial est là !

Les salons madrilènes sont dans la plus grande animation.

Samedi 10 février, bal chez la marquise de Squilhache.

Squilhache. : Mme de Radowitz, ambassadrice

ambassadrice la marquise de Linarès, la

comtesse de Pinohermoso, de Castellanos, la

duch*esse de Tetuan, la duch*esse de Valencia, la marquise de Velasquez, la marquise de Laguna, de Canovas del Castillo, de Narvaez, la

baronne Marie de Rommel, etc., etc.

— L'impératrice Frédéric a accompli jeudi dernier le trente-sixième anniversaire de son mariage. A cette occasion, l'empereur et l'impératrice d'Allemagne ont envoyé a leur mère et belle-mère un grand panier rempli de lis, violettes, orchidées et gardénias, les fleurs favorites de Sa Majesté.

— On nous annonce de Vienne la mort du prince Nicolas Esterhazy de Galantha, comte princier d'Edelstelten, comte héréditaire de Farchenstein palatin héréditaire du comtat d'Oldenbourg, chambellan autrichien et chevalier de la Toison d'Or.

— De très beaux bals on! eu lieu, cet hiver, à Bruxelles :

Le vicomte et la vicomtesse de Spoelbrech ; de Lovenjeret, la vicomtesse de Sousberghe, le baron et la baronne de Nothomb, la comtesse

de Lannoy, la comtesse d'Hanis de Maeekerke, Mme Emile Van Hoorde. etc.

— Un peu languissante, à son début, la saison de Nice vient d'être merveilleusem*nt ranimée par le bai costumé que M. et Mme Thomson ont

donné dans leur superbe villa, qui a les proportions d'un palais. La fête a été féerique. On

entrait par le grand escalier en marbre blanc, bordé de plantes rares, garni de laquais poudrés et en culottes courtes. La maîtresse de

maison portait une toilette de satin lilas orné

de violettes de Parme. Les salons de Mme Thomson ont vu défiler toute la haute société niçoise, la colonie étrangère, le monde officiel et l'armée,

Un Anglais, M. de Saint-Léger, en colonel du

régiment de highlanders dont il est lieutenant,

et M. d'Anzac, en arlequin, ont conduit le cotillon.

— La reine d'Angleterre a quitté Osborne le 16 février pour se rendre à Windsor avec la princesse Frédéric d'Allemagne et le prince et la princesse de Battenberg. Sa Majesté, qui partira pour Florence au mois de mars, tiendra deux drawing rooms au palais de Buckingham, à Londres, l'un le 27 février, l'autre le 6 mars.

— Cette année, le concours hippique commencera de bonne heure. La journée d'ouverture

est fixée au mercredi 28 mars, pour finir le lundi 16 avril.

— La maladie du Tsar a fort émotionné le

grand monde, et tes fêtes de la saison ont forcément

forcément un arrêt.

Les portraits de la grande-duch*esse Xénia

Alexandrowna et de son fiancé, le grand-duc

Alexandre Michaïlowitch, sont exposés partout

et publiés dans les journaux de l'empire. Les noces grand-ducales auront lieu après les fêtes de Piques; elles seront célébrées avec la solennité

solennité

— On annonce de Rome les fiançailles de don Fabrice Alassino, duc d'Auticoli. fils du prince don Camille Massino, avec la princesse Eugénie

Bonaparte, fille du prince Napoléon-Charles

Bonaparte et nièce de l'impératrice Eugénie.

Ce mariage unit des descendants des Bourbons

et des Bonapartes. Le duc étant, par sa mère, le

petit-fils de la duch*esse de Berry, mère du

comte de Chambord, remariée morganatiquement

morganatiquement le comte Lucchesi-Palli, duc della

Grazia. La princesse Eugénie est la nièce de S. Em. le cardinal Bonaparte, chef de la première branche de la famille, qui porte le titre de prince de Canino et Musignano, issue du prince Charles et de la princesse Zénaïde, fille de Joseph Bonaparte, roi de Naples et d'Espagne.

— L'infant D.Antonio et l'infante dona Eulalie d'Orléans, venant de Strasbourg, sont arrivés à

CHRONIQUE ANECDOTIQUE ET PETIT COURRIER. 3

Paris, accompagnés de la marquise dé Potesdad et de M. Pover y Fobar, secrétaire du prince.

- Mme Maria Deraismes vient de mourir des suites d'une cruelle maladie, en son domicile de la rue Cardinet.

La vaillante propagandiste des revendications féminines, figure parisienne par excellence, est trop connue pour qu'il soit besoin de raconter ici son existence célèbre; elle était née en 1833.

— Lecomte Murat, venu à Paris pour le mariage de son fils avec Mlle Thérèse Bianchi, est retourné à son château de la Bastide-Murat pour classer et commenter les nombreux papiers du roi de Naples, dont il vient d'hériter.

— Très brillant, le dernier mardi de l'ambassade de France à Madrid, avec l'élite de la société madrilène : l'infante Isabelle y assistait. Son Altesse a ouvert le bal avec M. de France, secrétaire d'ambassade. Parmi les invités de M. Roustan : duch*esse de l' Infantado et ses filles, M. Canovas del Castillo, duch*esse de Valencia, les ambassadeurs de Russie, d'Autriche, d'Angleterre, duc de Veraguas, M. Eusebio Blasco, etc.

— Chez la vicomtesse de Trédern, les répétitions sont commencées pour la reprise des célèbres mardis musicaux de l'hôtel de la place Vendôme. Le premier aura lieu probablement à la fin de ce mois ou au commencement de l'autre. Ce jour-là, on jouera des fragments du Roi de Lahore, de Mireille et d' Esclarmonde.

— Le samedi, 3 mars, chez Mme Aubernon de Nerville, on exécutera la jolie musique que M. Sauzay avait faite pour le Sicilien de Molière, qui fut représenté l' an dernier, rue d'Astorg.

— Sous ce titre: « Premiers vers », la Revue des Deux Mondes, dans son numéro de février, publie une très jolie poésie de Mlle de Hérédia.

— M. et Mme Lefèvre-Pontalis reprennent leurs soirées hebdomadaires dans leurs salons de la rue des Mathurins.

— Mme la duch*esse de Magenta a donné sa démission de présidente du comité dès dames de la Société de secours aux blessés; elle a été nommée présidente d'honneur. C'est Mme Février, femme du grand chancelier de la Légion d'honneur, qui a été choisie comme remplaçante de la duch*esse de Magenta.

— Mgr le duc d'Aumale a présenté au comité des Dames de la Croix-Rouge la nouvelle présidente, ainsi que les deux nouvelles sous-présidentes, Mmes Henri Taine, veuve de l'illustre académicien, et Fourichon, veuve du regretté amiral.

— M. le baron de Mackau, président du comité du Grand Bazar de Charité, a présidé, l'autre jour, à l'hôtel Continental, l'assemblée générale des dames patronnesses. L'ouverture du Grand Bazar aura lieu le 9 avril. Cent quarante OEuvres différentes ont demandé à tenir les comptoirs à celte vente, qui est, on le sait, une des plus fréquentées et des plus aimées par le public.

— La vente de charité organisée par Mme la comtesse Hoyos, dans les salons de l'ancien hôtel

Galliéra, au profit des différentes oeuvres françaises et hongroises, est fixée au 2 avril.

— Décidément il n'est plus permis d'aller au théâtre sans être ganté, et ganté des deux mains.

La tendance à s'affranchir de cette élégante coutume a complètement disparu, et il n'est pas d'homme de goût qui oserait se montrer, dorénavant, au spectacle sans être ganté d'une façon irréprochable.

Le gant, pour le théâtre, est gris perle légèrement brodé noir ou tout à fait uni. Le gant de Suède, d'une teinte lavande très passée, abandonné depuis longtemps, tend à reparaître. Son succès est assuré, car il est des plus agréables à porter.

— On verra, d'autre part, dans le texte de notre Revue, le compte rendu détaillé et illustré de la séance d'escrime offerte au Grand-Hôtel par la

Société d'Encouragement à l'Escrime. S'il convient de féliciter sans réserve celle société sur l'intérêt et les multiples attraits que comportait son programme, il nous faut faire des restrictions pour ce qui concerne les organisateurs de la soirée. Non seulement on avait distribué quatre ou cinq fois plus de places que n'en contenait la salle, mais encore le public a dû stationner dans l'humidité et les courants d'air un temps infini, avant de pouvoir pénétrer à l'intérieur. Le contrôle n'existait presque pas; les multiples réclamations du public, réclamations dont nous nous faisons l'écho, engageront certainement à plus de circonspection les organisateurs des séances à venir.

THÉATRES DE SOCIÉTÉ

M. et Mme Lucien Jullemier avaient invité lundi dernier, leurs amis à assister, à la Bodinière, à la représentation de : Ah! le bon billet! revue de l'année 1893, en deux actes et trois tableaux.

Gros succès pour la commère, Mme Charles Bourget, et pour le compère, M. Henry Aubépin. Le piano était tenu par M. J. Griset. Les honneurs étaient faits par M. et Mme Lucien Julle mier, assistés des commissaires : MM. Charles

4 LA GRANDE DAME.

de Mauny, de Montherlaud, de Lesseux, Sallandrouze de Lamornaix, de Libus, d'Ivernoy, Fanart, le comte Frochot.

M. le vicomte R. Chandon de Briailles et la vicomtesse, née Clermont-Tonnerre, sont partis pour Corfou, où ils vont passer trois mois.

L'idée des bals collectifs dans une salle louée pour la soirée l'ail décidément son chemin. Le monde artistique se prépare pour une fête de ce genre qui sera donnée bientôt. La femme de M. G. Guinard, le peintre bien connu, est l'une des principales organisatrices. Le costume sera de rigueur.

DANS LES CERCLES

L'assemblée générale annuelle des membres

du Cercle de la rue Royale a réélu l'ancien président

président Cercle, M. le général comte Friant.

ainsi que le comité, dont les pouvoirs expiraient

le 5 février.

Au Cercle de l'Union, on a accepté et voté différentes propositions, comme celle qui supprime le payement d'une somme de cinq cents francs que chaque nouveau membre était obligé de verser à son entrée au Cercle, en outre de la cotisation annuelle de quatre cents francs, D'autres réformes seront faites au règlement pour rendre la vie plus agréable au Cercle. M. le duc de Noailles, l'ancien président, bien que réélu à l'unanimité des voix, n'a pas cru devoir conserver ses fonctions. Il a démissionné et sa résolution est irrévocable. Rappelons à ce propos que les autres présidents

présidents Cercle ont été : le duc de Luxembourg, de 1828, date de la création du Cercle, à 1856: Le duc de Rauzan, de 1856 à 1863; Le prince de Montmorency-Luxembourg, de 1863 à 1870 : Et le duc de Rivière, de 1870 a 1890.

Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

Au moment où vont commencer les visites et se renouer les relations, il est intéressant de signaler quelques innovations au sujet des cartes et du papier à lettres.

Quelques mondaines font graver leurs cartes en capitales azurées sur parchemin, la forme est carrée et de dimension moyenne.

Les cartes sous enveloppes non fermées ne s'envoient plus au jour de l'an, on dépose soimême une carte cornée; si l'éloignement est un empêchement à cet usage, on envoie sa carte sous pli cacheté en y ajoutant quelques mots aimables. Beaucoup de nos mondaines réputées pour leur amabilité font remettre à leurs relations un petit mot autographe,sur papier à lettres de teinte pâle, gris mauve, vert d'eau, bleu mourant. Le chiffre s'imprime en camaïen et en lettres minuscules sur écusson. Le papier est de forme carrée, il se plie en deux, dans une enveloppe longue, que l'on ferme au moyen d'un cachet de cire placé à l'un des bouts. La cire doit être choisie de même nuance que le papier, d'un ton plus foncé.

Une bien jolie innovation à signaler : Ce sont les petit* noeuds Louis XV, en velours miroir, de toutes teintes assorties aux toilettes et entièrement cloutés de diamants; le collier se fait en même velours clouté fixé de côté par des coques.

Cette parure, qui donne à la toilette un cachet de haute élégance, vient d'être créée par Auguste Petit. Il est également inventeur du noeud Louis XVI, en paillettes, qui est si coquet placé au sommet de la coiffure et un peu en avant, puis l'aigrette de plume fixée dans un cornet de morpho, des ailes de papillon constellées de pierreries, et mille autres trouvailles charmantes que nos jolies femmes vont inaugurer dans les fêles prochaines.

Quant aux chapeaux de visite et du soir,

Auguste Petit a créé des merveilles en velours, en

fourrure, en tissus criblés de paillettes d'acier, d'or ou de jais, de toutes formes, arrangées avec

un caprice et un art sans égal.

Parmi les petites coiffures, en voici une avec fond de loutre, éclairée de bouquets de violettes devant et deux noeuds très enlevés en velours violettes de Parme faisant cache-peigne. Une autre est formée de touffes de violettes retenues par une agrafe de perles et diamants avec aigrette, manteau de velours.

Beaucoup de jolies toques pour visites, très larges sur les cheveux bouffants, une entre autres est ravissante, chiffonnée en velours vert myrte, ornée de choux, de velours absinthe; des touffes de violettes sont fixées en cache-peigne; devant, merle en aigrette.

Les chapeaux ronds, dans les mains d'un artiste tel qu'Auguste Petit, sont de véritables coiffures d'art d'une superbe allure qui mériteraient d'être conservées dans le musée des modes. Voici un modèle en feutre noir lisse, rehaussé de six longues plumes amazones et de touffes de dahlias en cache-peigne, véritable chef-d'oeuvre, puis un autre tout noir orné d'un panache prince de Galles, fixé par une boucle d'acier. Encore bien charmante la capeline de feutre ornée de chrysanthèmes violets et blancs et d'un superbe panache de plumes derrière.

Veut-on savoir quelles sont les fleurs qui ornent cet hiver nos chapeaux et nos corsages ? Ce sont les violettes, les dahlias et les roses.

La mort du tsar a mis un arrêt momentané aux réceptions annoncées; cette suspension de plaisir donne à nos coquettes parisiennes le loisir de veiller à leur beauté; en effet, elles ont mille moyens de rester toujours belles malgré les ans, malgré les fatigues de la vie mondaine; elles suivent toutes, les recettes de jeunesse de Ninon de Lenclos, qui conserva sa beauté jusqu'à l'âge le plus avancé en usant journellement de la Véritable Eau de Ninon.

Cette eau n'est pas un fard, elle tonifie et embellit la peau, empêche et détruit les rides, les boutons, les taches de rousseur. C'est le talisman de la jeunesse de nos mondaines que délivre la parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre. Son prix est de 6 francs et 10 francs le flacon, franco, contre mandat-poste de 6 fr. 50 et 10 fr. 85.

ÉCHOS ET NOUVELLES

Toujours beaucoup de mariages en celle saison Frileuse. Viennent d'être célébrés ceux du général prince Murat avec Mme Hainguerlot, du duc de Brissac avec Mlle de Crussot, de M. Charles Pochet de Tinan avec Mlle de Caraman-Chimay, du comte Robert de Pomereu avec Mlle de Mun, de M. René Guillemin, secrétaire de l'ambassade de France, à Saint-Pétersbourg, avec Mlle Isabel Hart, de M. du Petit-Thouars avec sa cousine éloignée Mlle Letitia Bonaparte-Wyse, du vicomte de Malherbe avec Mlle de Laya, du vicomte Ernest de Saint-Exupéry avec Mlle de Piépape, etc.

Une femme très distinguée, d'une rare intelligence et du plus grand esprit, qui tenait à la fois aux lettres, à la politique et au monde, Mme la vicomtesse Lepic, vient de s'éteindre inopinément en son hôtel de la rue Perronet.

Elle a publié une série de romans attachants et très remarqués en même temps que des livres ingénieux et aimables que nous rcommandons à la jeunesse. Pour l'Honneur, Une Sous-Préfète, le Marchand d'allumettes sont encore très recherchés.

Ceux qui ne l'ont connue qu'à distance pourront dire : c'est une femme brillante qui vient de s'éteindre. Ceux qui ont pu l'apprécier de plus près diront avec émotion : c'est un grand coeur qui a cessé de battre.

Dans les réunions châtelaines dont les chasses à courre sont le prétexte, on a beaucoup remarqué la dentition extraordinairement blanche et saine de la princesse de M..., de la comtesse de R... et de plusieurs autres mondaines. Beaucoup de coquettes envieuses se sont demandé, comment ces grandes dames, qui brillèrent, il y a vingt ans, avaient pu conserver des dents si admirables Une indiscrétion nous a mis au courant de ce secret, que nous nous empressons de dévoiler à nos lectrices : elles ont eu recours à la pâte, à la poudre et à l'élixir dentifrice des Bénédictins du Mont-Majella, dont M. E. Senet est administrateur à Paris, 35, rue du Quatre-Septembre.

A la galerie Georges Petit, 12, rue Godot-deMauroi : Exposition d'oeuvres nouvelles de MM. Arthur Jacquin et Ch. Ogier. Ces deux artistes y retrouvent leur succès des années précédentes.

Dans le même local, l'éminent paysagiste Louis Japy a su attirer les nombreux admirateurs de son talent avec des Souvenirs de Picardie où le peintre a exprimé la nature avec sa sincérité et son émotion habituelles.

RENSEIGNEMENTS

Mme Henri Schmahl, la dévouée directrice de l'Avant-Courrière, qui avait pris l'initiative du mouvement que l'on sait en faveur de la femme, vient d'obtenir un premier succès à la Chambre qui a enfin adopté la loi sur « la capacité des femmes mariées à disposer du produit de leur travail personnel. »

Les mamans qui tiennent à l'élégance et à la simplicité de la toilette de leurs gentilles fillettes trouveront dans les salons de la maison Beer, 19, rue de la Paix, des toilettes, des manteaux, des layettes et des coiffures que cette maison a su établir à des prix très raisonnables, pour sa jeune clientèle.

Je veux signaler aujourd'hui des jaquettes de formes inédites, absolument charmantes. Un très joli modèle pour grande fillette est en drap beige moulant la taille à basques ondulées et grands revers avec col pouvant s'ouvrir ou se fermer à volonté.

Un autre très joli modèle est en drap cuir bleu soldat avec grand col découpé en créneaux sur les épaules, formant devant de longs revers faits en velours serti d'astrakan.

Un autre encore est en drap faisan. Puis il y a de très élégants manteaux de fillettes en velours Liberty très ample, tombant droit, orné d'un grand col de guipure fixé sur les épaules par de longs bouts flottants en ruban de satin noir.

Beaucoup d'autres nouveautés seraient à signaler ; une visite dans les salons de cette maison en apprendra plus que nous ne pourrions écrire.

L'hiver est pernicieux pour les femmes dont la peau est délicate et fine. Il ne ménage pas les rougeurs, les gerçures, les crevasses et, qui pis est, les engelures ! Prévenez ces petit* inconvénients de l'hiver, au moyen de la Pâte des Prélats qui donne aux mains les plus vulgaires une forme effilée. En outre, elle blanchit, lisse, satine la peau, l'empêche de rougir et prévient ou détruit les gerçures. Son prix est de 5 et 8 francs le pot. franco par mandat-poste de 5 fr. 50 et 8 fr. 50, adressé à la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre.

Le 12 décembre, de quatre à six heures, à la Bodinière (18, rue Saint-Lazare), une causerie de M. Jean de Mitty, sur Baudelaire. Récitation par Mme Allys Arsel.

Au programme des séances suivantes : Stéphane Mallarmé, Aloysius Bertrand, Barrès, Renan, etc.

CHRONIQUE FONCIÈRE

Placer ses capitaux devient, aujourd'hui, pourles rentiers, une grosse préoccupation.

Les valeurs de Bourse dites « de tout repos» atteignent des cours tellement élevés qu'elles offrent ordinairement aux capitalistes une somme inférieure à 3 pour 100.

Les personnes prudentes se retournent, ajuste raison, vers les placements immobiliers.

Nous sommes à même d'indiquer des immeubles dans tous les prix, donnant du bon 5 pour 100, c'est-à-dire en déduisant le cinquième du revenu brut pour faire face aux nonvaleurs et aux réparations d'entretien et en tenant compte encore des frais de contrat.

Pour tous renseignements, s'adresser à M. Rousselle, administrateur d'immeubles, à Paris, rue Richer, 3, tous les jours, de quatre à six heures.

PARMI les expositions françaises à Anvers, nous remarquons la maison Louis VUITTON, dont les Malles et Sacs de voyage luttent avec tant de succès contre les fabrications étrangères. Cette maison, fondée par Louis VUITTON en 1854, au n° 4 de la rue des Capucines, à Paris, se distingua, dès le début, par une fabrication spéciale inconnue jusqu'alors, et les Ateliers de fabrication installés rue du Rocher furent bientôt trop petit*. En 1860 ils furent transférés à Asnières où ils se trouvent encore aujourd'hui. L'année 1867, avec sa grande Exposition, donna un nouvel essor à la maison Louis VUITTON qui y avait obtenu une médaille de bronze;

l'année suivante, Louis VUITTON exposa au Havre des Malles en zinc à fermeture hermétique, qu'il venait de créer pour les voyages d'outremer, une médaille d'argent lui fut décernée ; les Magasins furent, cette même année, installés, 3, rue des Capucines, et 3, rue Saint-Arnaud (aujourd'hui rue Volney).

Après l'année terrible, la reprise des affaires obligea à de nouveaux agrandissem*nts, et c'est à cette époque que s'ouvrirent les Magasins actuels (1, rue Scribe). 1872 vit la création de la Malle ravée, modèle qui envahit le monde entier, et que plus tard (1889) la maison dut abandonner par suite des contrefaçons sans nombre. En 1878,

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M. L. VUITTON, malade et fatigué, ne voulut pas participer à l'Exposition, et, en 1880, il passa sa maison à son fils. En 1885, ce dernier, après avoir considérablement agrandi les Ateliers d'Asnières, ouvrit une Succursale à Londres et modifia complètement le système de fermeture. Dès son installation à Londres, 289, Oxford Street (1er mars 1885), après bien des démarches, il parvint à se faire admettre à l'Exposition nationale de cette ville, Exposition dans laquelle il obtint, une médaille d'argent, seule récompense décernée à l'article de voyage, et c'était la fabrication française qui l'emportait.

En 1889, M. VUITTON fut nommé membre du Comité d'installation de la Classe 39. Ses produits obtinrent une médaille d'or. De cette année date l'abandon de la toile rayée, remplacée par le modèle actuel, et la fabrication des articles en cuir qui obtinrent un véritable succès à Paris, à Londres et à Chicago, La

même année, la maison de Londres fut transférée au n° 454 dans le Strand, le magasin d'Oxford Street étant devenu de beaucoup trop petit.

En 1890, l'Exposition française de Londres vit la maison VUITTON mise « hors concours », et, en 1893, elle fut seule de son industrie pour représenter la France à Chicago. Nous la retrouvons à Anvers avec les produits d'une fabrication défiant toute concurrence étrangère, tant au point de vue de la Malle ellemême qu'à celui de la serrurerie, Nous devons, pour terminer, faire remarquer que, en dehors de la résistance de la serrure, chaque client devient propriétaire d'une clé spéciale, absolument incrochetable et dont personne ne possède la même. Ce client seul peut avoir toutes ses malles, valises, etc., sur la même clé, supprimant ainsi les ennuis du trousseau et des erreurs de clés. L'invention de cette serrure remonte à 1889.

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Pour la Chevelure

des Dames

C'EST avec raison qu'ont été abandonnés les anciens shampooings, toujours longs à sécher et provoquant, surtout par les temps humides, la névralgie et la migraine.

Le seul véritable shampooing est l'Antiseptique Lenthéric

(Shampooing français). Les cheveux lavés dans ce liquide sèchent instantanément et prennent un brillant extraordinaire. De plus, ce lavage spécial ne les défrise pas s'ils ont été ondulés, mais fait au contraire revenir l'ondulation. Le nettoyage est très simple et se fait en 10 minutes. L'Antiseptique Lenthéric favorise la croissance des cheveux, aussi a-t-il été adopté par les élégantes Américaines dont on sait le souci pratique pour tout ce qui concerne l'hygiène de la chevelure.

L'ANTISEPTIQUE LENTHÉRIC, 245, rue Saint-Honoré, se vend 4 francs le petit modèle et au litre 12 francs.

Toutes autres marques ne sont qu'une imitation grossière et pernicieuse dont il faut se méfier.

L'Antiseptique Lenthéric, SHAMPOOING FRANÇAIS, est déposé ; les contrefacteurs seront poursuivis.

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Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

Si les dames s'en mêlent la gent ailée sera sauvée et la Société des Agriculteurs de France aura remporté un grand succès.

En effet, on prête à quelques femmes dans le train l'idée généreuse de renoncer aux parures de plumes dont une mode cruelle orne depuis trop longtemps leurs chapeaux.

Elles auront fort à faire celte saison; certaines modistes ont adopté pour orner leurs nouveaux modèles de chapeaux des ailes d'oiseaux, des oiseaux entiers et des fantaisies de toutes sortes qui sont, ma foi, d'un très joli effet sur les mignons toquets du matin.

Auguste Petit, dont le talent est d'embellir la femme, a trouvé pour cet hiver de bien jolies formes de chapeaux. Pour le matin, c'est le gentil petit chapeau genre toque en astrakan ou en chenille et feutre tressés, orné de touffes de dahlias jaspés, la fleur en vogue de la saison, et d'un noeud de velours violine.

Un bien joli modèle est en feutre satin noir, les bords relevés de côté avec ornement de plume Prince dé Galles fixé par un noeud de ruban noir et une agrafe de jais.

Dans cette catégorie de chapeaux, dont la forme de moyenne grandeur est si seyante, Auguste Petit a créé de ravissants modèles cette saison. Tel est, par exemple, celui-ci fait d'un simple plateau de satin tourné avec art et rehaussé d'un simple noeud noir et de touffes de roses violines. Un autre est en velours cerclé de rubans piqués, orné de grandes plumes amazones ton noir, fixées de côté par un noeud de satin noir.

Parmi les petites coiffures de théâtre, il y en a de charmantes dans les salons de cet artiste du chiffon, 7, rue de la Paix. A vrai dire, ce sont plutôt des coiffures, composées d'un brin de fleur, de velours, de dentelle ; c'est un rien sur la tête, mais un rien charmant.

A défaut de beauté, la femme élégante est tenue à avoir du charme, de la grâce, l'attrait d'un teint éblouissant et d'un visage aimable. En effet, aujourd'hui il n'est plus permis à une femme

d'être laide. Avec beaucoup d'esprit et d'habileté il est facile de se rendre attrayante, en recourant toutefois à l'art inépuisable de la cosmétique dont les ressources sont immenses. Nous avons un moyen infaillible de nous donner l'attrait de la beauté avec le Duvet de Ninon, poudre à la fleur de riz, impalpable, adhérente et absolument invisible, qui blanchit la peau, la satine et rafraîchit le teint ; elle existe en quatre nuances : blanche, rosée, bise et naturelle. Son prix est de 3 fr. 75 ou 6 francs à la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre. 50 centimes en plus par mandat-poste.

RENSEIGNEMENTS

Déjà les journées et les soirées sont fraîches; il faut songer aux vêtements chauds et douillets. Nos grandes maisons de couture font en ce moment dans leurs salons des expositions fort intéressantes où les élégantes trouveront toutes les nouveautés de la saison. C'est ainsi que la Maison Beer, 19, rue de la Paix, expose tous ses modèles inédits de robes, chapeaux, manteaux, costumes pour fillettes et garçonnets.

A côté de toilettes toujours simples, mais d'une grande élégance, les mamans trouveront là des vêtements pratiques d'étoffes chaudes et légères, de teintes solides pour suivre les cours.

Parmi ces modèles inédits, il y en a de très nouveaux comme formes et ornements. Nous ne parlons pas non plus des étoffes de la saison dont la Maison Beer s'est assuré le monopole, ce qui explique une fois de plus la renommée de cette maison.

La description de quelques toilettes prises chez Worth pourra intéresser nos lectrices.

Toilette de promenade, en lainage ondulé vert myrte, jupe à godets ouverte sur un jupon de satin broché fond vieux rose. Petite veste courte fendue dans le dos sur un dessous de soie rose broché faisant dépassant. Manches très bouffantes en lainage ondulé ouvertes à la saignée sur soie rose. Chemisette à jabot en mousseline de soie noire.

Toilette de visite en velours vert olivier, jupe unie à godets, corsage en satin vert bourgeon entièrement pailleté sur les épaules, ornement de velours formant berthe. Col et ceinture de velours dahlia.

Chemisette en satin merveilleux dahlia, finement plissé, formant des croisés devant; jupe dahlia plus foncé. Ceinture et col noir.

Toilette de théâtre en peau de cygne gris, vieil argent, jupe à larges plis tombant droit. Corsage finement pailleté d'acier avec épaulières et corselet de velours gris enserrant la taille. Col drapé en satin peluche géranium.

Inutile de vous désespérer plus longtemps de la chute de vos cheveux. Avec l'Extrait Capillaire des Bénédictins du Mont-Majella, vous conserverez vos tempes et votre nuque garnies; vos cheveux ne blanchiront pas, prendront de la vigueur et seront plus abondants. M. Senet, 35, rue du Quatre-Septembre, administrateur et dépositaire, se charge de l'envoyer à nos lectrices sur leur demande et contre mandat-poste de 6 francs et 85 centimes en plus pour le port.

DERNIER CHIC

Le pays des dollars est celui des inventions excentriques.

Veut-on savoir quel est le dernier cri du luxe et de l'élégance féminine au delà de l'Océan?

C'est de porter, soit au corsage, soit à la ceinture, d'une façon apparente, un petit mouchoir en dentelle très fine avec initiales en brillants.

Les élégantes de San-Francisco, notamment, ont adopté depuis peu cette mode que New-York a bientôt suivie, et l'on cite telle et telle femme de millionnaire qui arborent à leur corsage des mouchoirs en dentelle de quatre-vingt-dix mille francs ornés d'initiales en brillants.

De nos courses à travers vaux et montagnes, il nous reste force taches de rousseur et vilains points noirs que l'on appelle tannes. Le meilleur moyen de s'en débarrasser en peu de jours, c'est d'employer l'Anti-Bolbos, préparation spéciale qui détruit les points noirs et évite leur réapparition sans occasionner aucune irritation de la peau. Son prix est de 5 francs ou 10 francs le flacon et 50 centimes en plus si on désire le recevoir franco par la poste. La Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre, se charge de toutes les expéditions.

Exposition Universelle d'Anvers

Nous sommes heureux d'annoncer que la Maison F. Tronel et Cie, l'importante fabrique de tulles soie, de Lyon (5, rue du Griffon), vient d'obtenir la médaille d'or à l'Exposition d'Anvers. Nous avons parlé, dans notre précédent numéro, de l'exposition de la Maison Tronel, à Anvers, une des plus remarquables qui aient été organisées jusqu'à ce jour dans les tulles de soie, et nous avions dès lors prévu son succès. Nous constatons avec plaisir que notre prévision s'est réalisée et que la « marque Tronel », déjà récompensée dans plusieurs Expositions précédentes, a affirmé, une fois de plus, sa réputation acquise et hautement méritée.

BIBLIOGRAPHIE

Autour d'une tiare (1075-1085), par EMILE GEBHART. — Bibliothèque de Romans historiques. — 1 vol. in-18 jésus, broché (Paris, Armand Colin et Cie, éditeurs) 3 50

L'auteur de ce roman a voulu opposer l'une à l'autre, ainsi qu'il l'avait fait dans l'Italie Mystique, les deux religions qui se sont partagé, au moyen âge, la conscience des hommes : le Christianisme désespéré des moines affolés par l'Apocalypse et la terreur du Démon, et le Christianisme des âmes nobles, éprises d'amour et d'espérance, que l'Évangile enchantait et qui se reconnurent, un siècle et demi après le temps de cette histoire, dans la communion de saint François d'Assise. Le récit est encadré dans le pontificat de Grégoire VII, le plus douloureux qu'ait vu l'Église. La figure austère, l'âme inflexible du pontife, les scènes inouïes, les désastres sans nom de son règne, la ruine morale du monde religieux, le brigandage des barons, la révolte de l'Empereur, l'humiliation impériale de Canossa, la prise de Rome par Henri IV, l'effroyable conquête de la ville par! les Normands, l'exil et la mort du pape à Salerne, tel est le fond historique du drame, auquel un conte d'amour est intimement mêlé. Une idylle, l'histoire de deux enfants, traverse cette tragédie dont le dernier acte s'achève, en une paix profonde, près du lit de mort de Grégoire VII.

La Chanoinesse, par ANDRÉ THEURIET. 1 vo! lume in-18 Jésus, broché (Paris, Armand Colin

et Cie) 3 50

Le nouveau roman d'André Theuriet possède au

plus haut point les qualités qui ont valu tant de succès aux précédentes oeuvres de l'auteur de Sous Bois et de Sauvageonne : — descriptions fidèles et émues de ce pays lorrain qu'il connaît et qu'il aime, caractères originaux franchement tracés, personnages bien vivants, détails curieux de la vie provinciale. C'est au début de la Révolution que se déroule dans

le Barrois le drame héroïque et amoureux de la Chanoinesse. D'après des souvenirs locaux et des notes inédites, l'auteur a cherché à peindre par leur côté intime les moeurs révolutionnaires en province, chez les bourgeois des petites villes, les nobles campagnards et les paysans. Une conspiration pour favoriser la fuite du roi, l'arrestation de Louis XVI à Varennes, l'invasion prussienne en Argonne. fournissent les principaux épisodes autour desquels se développe l'intrigue de ce roman très habilement construit, très émouvant et où l'intérêt se soutient jusqu'à la dernière scène.

Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

La chasse est devenue chez nous un sport élégant, que pratiquent bon nombre de nos élégantes. Grandes chasses à courre ou chasses à tir sont le prétexte de réunions d'autant plus brillantes que les femmes se plaisent à prendre part aux exploits des hommes; leurs costumes pour la chasse à tir ne varient guère : ils se composent d'une jupe courte taillée en abat-jour, faite en drap ou en velours de chasse de tons vert, dahlia ou pain brûlé, avec corsage-veste moulant la taille et croisé devant, agrafé par de larges boutons; les basques sont courtes et ondulées; le petit col officier, avec cravate fixée par une épingle d'or représentant une cravache, complète le costume.

Comme coiffure, c'est le chapeau en feutre avec voilette de dentelle application crème.

Pour les chasses à courre, la mode est aux

vestes cintrées derrière, droites devant, faites en

veau marin avec jupe en drap de teinte assortie.

Le bouton envoyé par l'amphitryon aux invités indique les couleurs de l'équipage ; les hommes et les femmes doivent harmoniser leurs costumes à ces couleurs.

L'habit rouge peut suppléer au costume spécial indiqué par le bouton, quand les invités n'ont pas le temps nécessaire pour se faire confectionner un costume ; mais il est toujours beaucoup plus « dans le train » d'adopter la tenue de l'équipage.

Ce qui est indispensable pour les femmes, c'est de se garantir le visage contre l'air trop vif au moyen d'une voilette un peu épaisse et de soins appropriés. Pour les mains des chasseresses, il y a la Pâte des Prélats qui leur donne blancheur et douceur, empêche les engelures et les gerçures. Elle est souveraine pour les personnes dont la peau rougit au moindre contact du froid. Son prix est de 5 et 8 francs ; elle né" se trouve qu'à la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre, qui l'envoie contre mandatposte. Dans ce cas, il faut ajouter au prix 50 centimes en plus pour le port et l'emballage.

Pour les réunions châtelaines, pour les grands

mariages qui se préparent, voici une ravissante toilette d'enfant ou de jeune fille, créée par la maison Beer, 19, rue de la Paix : elle est en tissu, de soie Moscowa rose, petite jupe froncée d'une coupe très gracieuse, corsage également froncé, serré dans une ceinture drapée en velours glacé rose, grosses manches courtes en mousseline de soie rose entièrement plissées ; le décolleté du corsage est orné d'un col revers très joliment découpé avec incrustations de guipure ancienne.

DERNIER CHIC

Les fleurs favorites sont les dahlias et les roses, roses noires ou violines. Les couleurs : c'est le vert, l'aubergine, le pain brûlé pour le jour ; le blanc, la violette de Parme, le vert céladon pour le soir.

La nuance des cheveux : c'est le blond cendré, ou le blond doré, cela dépend du teint, car il y à une mode pour notre chevelure comme pour la couleur de nos robes!

Par exemple, le grand chic, c'est d'avoir un teint frais et des dents blanches, très saines, une bouche bien soignée; en mettant dans un verre d'eau tiède quelques gouttes d'Elixir dentifrice des pères bénédictins du Mont-Majella, on obtiendra une mixture très agréable, qui est sans rivale pour conserver les dents, raffermir les gencives et donner à la bouche une fraîcheur et une haleine embaumée. Nous recommandons ce moyen aux fumeurs et aux jolies femmes. Le prix est de 3 francs le flacon et de 50 centimes en plus par mandat-poste adressé a l'administrateur et seul dépositaire, M. Senet, 35, rue du Quatre-Septembre.

RENSEIGNEMENTS

Vous me demandez, madame, quelle est la toilette d'une fillette ou d'une jeune fille pour aller aux cours. Je vous dirai d'abord que le costume le plus simple est celui qui sera le plus comme il faut, celui qu'il est préférable d'adopter. Le costume simple peut être très élégant; cela

dépend de la coupe, de la façon. Adressez-vous

de notre part à la maison Beer, 19, rue de la

Paix ; elle s'est fait une spécialité de ces costumes

simples, solides et élégants; vous y verrez un

charmant modèle en lainage zibeline, avec ceinture

et col de velours; le corsage est particulièrement

charmant; il forme trois plis fixés par de petit*

boutons de velours fantaisie.

Un autre est en popeline écossaise, étoffe solide

à laquelle on revient beaucoup cet hiver.

Je comprends votre ennui, car, quelque jeune

que paraisse le visage, les cheveux blancs lui

donnent un aspect de vieillesse. Je ne vous conseille cependant pas d'avoir recours aux teintures, qui sont toujours plus ou moins nuisibles ;

mais vous pouvez sans crainte aucune, et en toute sûreté, faire usage de la Poudre Capillus ; s'employant à sec, elle ne vous occasionnera

jamais aucune douleur névralgique ; elle remplace

remplace avantageusem*nt les teintures que les

femmes qui en ont essayé se félicitent de l'heureuse chance qu'elles ont eue de la connaître.

Cette poudre rend aux cheveux gris ou blancs

leur nuance naturelle. Pour la première commande,

commande, est indispensable d'envoyer un échantillon

échantillon ses cheveux; pour les suivantes, une

pincée de poudre dans du papier de soie. La

boîte, selon la grandeur, est de 5 et 8 francs

à la parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre,

Quatre-Septembre, centimes en plus par mandat-poste.

Évitez les contrefaçons en vous adressant directement

directement la parfumerie Ninon.

Nous nous faisons un plaisir d'annoncer aux amateurs du grand art musical que M. Paul Viardot a repris ses cours et ses leçons, 16, rue de Bruxelles.

MARIAGES

Il y a en ce moment une véritable épidémie de grands mariages.

Viennent d'être célébrés ceux du vicomte Molitor avec Mlle Champy, du prince André Poniatowski avec une charmante et richissime Américaine, Mlle Elisabeth Sperry, du comte de Berthier de Sauvigny avec Mlle de Chezelles, de Mlle Borius avec M. Charles Corps, capitaine du génie.

Parmi les prochaines unions nous remarquons celles du prince Murat avec Mme la baronne Hainguerlot, du prince Serge Belosselsky-Belozersky avec Mlle Tucker-Whittier, de Mlle Giuseppina Crispi, fille du grand homme d'État italien, avec le prince Linguaglossa.

CHRONIQUE FONCIÈRE

Me Rousselle, licencié en droit, ancien principal clerc de notaire à Paris, est à même, par suite de ses nombreuses relations avec les principales éludes de Paris, d'indiquer un certain nombre de maisons de rapport à vendre, situées dans tous quartiers et dont les prix varient de 80,000 à 800,000 francs.

Il a également à vendre plusieurs hôtels situés boulevard Malesherbes et aux environs de l'Arc de Triomphe.

Tous ces immeubles sont tous de bonne construction et bien situés.

Pour tous renseignements, s'adressera M. Rousselle, administrateur d'immeubles, à Paris, rue Richer, n° 3. — Tous les jours, de 4 à 6 heures.

Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

La scapologie fut, dit-on, inventée par un cordonnier de Genève. Ce philosophe très perspicace avait imaginé de comparer les déformations des chaussures de ses clients avec celles de leur caractère. Après avoir réuni une somme importante d'observations, il en tira quelques lois curieuses. En les appliquant, il émerveilla plusieurs fois ses concitoyens et porta les plus amusants diagnostics.

Deux cas, entre autres, firent quelque bruit, Un jeune homme, sur le point de se marier, également épris des deux soeurs, vint trouver le cordonnier psychologue avec des bottines de l'une et de l'autre, et le pria de lui marquer celles de la jeune fille avec laquelle il aurait le plus de chances de bonheur.

La propriétaire des bottines élues devint une épouse accomplie; sa soeur, au contraire, s'étant mariée aussi, abandonna son mari pour courir les aventures.

Une autre fois, un étranger apporta une paire de souliers dont l'aspect suggéra au fameux cordonnier les plus fâcheuses remarques. « C'est un forban, » dit-il. Quelques heures après, on vint de la police chercher les chaussures de l'étranger. On l'avait arrêté pour un crime qu'il venait de commettre.

Rien d'ailleurs, dans cet ordre d'idées, ne répugne à la raison. On comprend facilement qu'une personne vaniteuse qui songe à faire parade de sa personne ne pense pas, comme l'hypocrite, à dérober son aspect, ni, comme l'observateur, à regarder : elle marche la tête haute, elle se montre; elle doit par conséquent user le derrière des talons de ses chaussures.

Les fourbes, par contre, marchent courbés, les yeux vers la terre; leurs semelles sont, de préférence, usées sur la pointe. Les personnes braves et franches marchent droit; l'usure est à peu près égale partout. Les êtres sans ordre ni tète verront leurs chaussures s'éculer, s'user d'un seul côté.

On pourrait ainsi facilement multiplier ces réflexions; mais il n'en est pas moins vrai que voilà un moyen ingénieux d'investigation psychique.

Avis aux femmes qui ne voudraient pas laisser surprendre les petit* dessous de leur caractère.

Avec la mode des coiffures si larges, si bouffantes, il faut avoir une chevelure très fournie pour l'exécuter. Rien ne donne aux cheveux plus de force, de vigueur que l'Extrait capillaire des Bénédictins du Mont-Majella ; il en arrête la chute, les fait repousser lorsqu'il n'y a pas calvitie complète et en retarde toujours la décoloration. Ce flacon, de 6 francs, est expédié franco de port et d'emballage, contre un mandat-poste de 6 fr. 85 adressé à M. Senet, administrateur et seul dépositaire, 35, rue du Quatre-Septembre.

ÉCHOS ET NOUVELLES

Les attristantes nouvelles qui nous arrivent de Livadia mettent un arrêt dans les réceptions et les dîners officiels.

Les grands mariages sont donc en ce moment les seules occasions mondaines; il est vrai qu'elles sont nombreuses. On vient de célébrer le mariage de M. Olivier du Taigny, chef adjoint du cabinet du président de la République, avec Mlle Schloesing, auquel assistait Mme Casimir-Perier, accompagnée du colonel Chamoin, officier d'ordonnance; celui de Mlle de Loverdo avec M. Alexandre Feyneau de Maismont.

En raison des tristesses qui s'abattent sur la maison impériale de Russie, le mariage du prince Serge de Belosselsky-Belozersky, fils du généralmajor de cavalerie russe et de la princesse née Skobeleff, avec Mlle Tucker-Witlhier, a été célébré dans la plus stricte intimité.

Le Tsar honorait d'une affection particulière la famille Belosselsky-Belozersky.

La reine d'Angleterre vient de donner son consentement au mariage du prince Adolphe de Teck, frère de la duch*esse d'York, avec lady Margaret Grosvenor, fille du duc et de la duch*esse de Westminster.

Toutes les jolies femmes qui ont assisté à la première de Fiancée à l'Odéon ont dû commettre des péchés d'envie en admirant la beauté brune de Mlle de Boneza, une débutante qui obtint aux derniers concours du Conservatoire un premier prix de comédie. Ses prunelles ardentes, son regard de flamme ont été fort admirés. Toutes nos jeunes envieuses obtiendront une expression séductrice, des yeux flamboyants, en faisant usage de la Sève sourcilière, qui allonge les cils, épaissit et brunit les sourcils, et donne aux yeux une flamme suggestive. On la trouve à la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, au prix de 5, 8 et 15 francs. 50 centimes en plus par mandatposte.

RENSEIGNEMENTS

Toutes les femmes dont le souci est d'être bien coiffées, d'avoir un chapeau jeune et seyant, pourront voir clans les salons de Mme Carlier, la modiste en vogue, 31, avenue de l'Opéra, une exposition des plus suggestives. Toques du matin, chapeaux de visites, coiffures du soir, sont chiffonnés par des mains de fées. Nos lectrices trouveront en Mme Carlier un conseil toujours désintéressé et sûr et une amabilité devenue légendaire.

Vous obtiendrez un feint éblouissant en faisant usage de l'eau de Brise exotique, préparée avec des sucs de plantes et de fruits des pays lointains : elle adoucit la peau, lui donne une blancheur et une fraîcheur enfantine, empêche et fait disparaître les rides, enlève à l'épiderme toute sécheresse, le préserve des atteintes de l'air vif. Son prix est de 6 francs et 8 francs, à la Parfumerie Exotique, 35. rue du Quatre-Septembre.

CHEMINS DE FER DE PARIS A LYON & A LA MÉDITERRANÉE

Fète de la Toussaint

La Compagnie, voulant faciliter les voyages à l'occasion de la Fête de la Toussaint, a décidé que les billets d'ALLER et RETOUR à prix réduits délivrés sur son réseau, du Mardi 30 Octobre au Vendredi 2 Novembre inclus seront tous indistinctement valables, pour le RETOUR, jusqu'aux derniers trains de la journée du Lundi 5 Novembre.

Cette durée de validité pourra être prolongée à deux reprises et de moitié (les fractions de jour comptant pour un jour), moyennant le payement, pour chaque prolongation, d'un supplément égal à 10 % du prix des billets.

CHRONIQUE FONCIÈRE

M. Rousselle, licencié en droit, administrateur d'immeubles à Paris, a à vendre à l'amiable un bel Hôtel sis à Paris, avenue Hoche.

Cet Hôtel, élevé partie sur cave et partie sur terre-plein d'un rez-de-chaussée, de deux étages carrés, doubles en profondeur, et d'un troisième sous combles, comprend :

Au rez-de-chaussée, salle de billard, grand cabinet de travail et loge de concierge;

Au premier étage, grand salon et petit salon, salle à manger, 3. chambres à coucher, cabinet de toilette, salle de bains, lingerie, office, cuisine, water-closets ;

Au deuxième étage, même distribution;

Au troisième étage, plusieurs logements et chambres de domestiques ;

Dans la cour, écurie pour 4 chevaux et remise pour 2 voitures, communs.

Le tout d'une contenance de 410 mètres environ.

On en demande 500,000 francs contrat en mains, c'est-à-dire y compris les frais d'acquisition à la charge du vendeur.

Et encore un joli Hôtel à Passy avec beau jardin, le tout d'une contenance de 725 mètres environ.

Le prix demandé est de 185,000 francs.

6, Boulevard des Capucines, PARIS

479 Fifth Avenue, 41 St., NEW-YORK

LE Linge de table fabriqué par la GRANDE MAISON DE BLANC, au point de vue du dessin, du goût et du prix, est à la tête des fabrications du monde entier; les Linges fantaisie couleur ou dentelle, les Rideaux et la Lingerie pour Trousseaux ont fait depuis trente ans une réputation universelle à la GRANDE MAISON DE BLANC. Dans toutes les Expositions elle a remporté les plus hautes récompenses.

Encouragés par ces succès et pour répondre aux désirs d'une Clientèle d'élite, les Directeurs ont ouvert récemment

UN RAYON DE SOIERIES, DE ROBES DE BAL

GAZE, ETC.,

et ont donné au rayon de Gants une nouvelle extension.

Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

ÉCHOS ET NOUVELLES

Un coup d'oeil dans la salle, à la millième de Mignon: Mme la comtesse Greffulhe, née princesse de Caraman-Chimay, en toilette de salin blanc, manche bouffante de salin blanc; dans les cheveux, rivière de diamants mêlés à des fleurs d'iris.

Mme Carnot, dans une admirable robe de moire blanche, couverte de dentelles noires ; corsage forme péplum, orné d'un large galon d'or ; triple rang de diamants au cou ; dans les cheveux, pouf de plumes blanches et cerise, éclairé d'une aigrette.

La comtesse de Guerne, la grande cantatrice mondaine, en faille rose; la comtesse Potocka, en blanc avec des rubans de velours cerise; la marquise de Saint-Paul, robe pékin mauve et violet, avec la jeune duch*esse d'Uzès, née de Luynes, en toilette vert d'eau et, dans les cheveux, un véritable diadème en diamants de toute beauté; Mme Edouard Hervé, en toilette bouton d'or ; la comtesse de Janzé, en noir ; Mmes Ullmann, Victor Desfossés, etc.

Parmi les hommes : Mgr le duc d'Aumale, ganté de noir, à cause d'un deuil ; très entouré par les académiciens présents à la soirée. Le monde des grands cercles, les directeurs des grands journaux; le monde musical au grand complet; les peintres en renom, et, à leur tête, M. Carolus Duran, dans un habit noir de coupe merveilleuse à rendre jaloux M. Arthur Meyer lui-même; la critique, et, naturellement, son pontife, M. Sarcey, dont le plastron à petit* plis s'ornait de gros boutons en pierreries. C'est de mauvais goût, cela, monsieur Sarcey ! M. de Blowitz et sa chevelure absalonnienne ; le sâr Peladan, sans le pourpoint habituel, mais avec un gilet en soie incarnadine et gantelets à crispin. A côté de lui, M. Claretie, une fluxion à la joue, mais souriant quand même, etc., etc.

Le grand Bazar de la Charité a fermé ses portes. La recette des vingt-six jours a été de 712 375 francs,, dépassant la recette de l'année précédente de 100 595 francs. Il est entré, durant ces trois semaines de vente, trente-cinq mille personnes. Pas de commentaires à ce résultat qui

honore la charité parisienne. Lorsqu'on pense que, pendant la saison, il n'est pas de jour où une personne du monde ne soit sollicitée pour une oeuvre charitable, il est aisé de se figurer l'argent que la société dépense pour le soulagement des misères.

La princesse E. de Polignac a organisé, dans la seconde quinzaine de mai, un concert de bienfaisance à la salle d'Harcourt. Il s'agissait de venir en aide à l'orphelinat de Chantelle, fondé par M. l'abbé de Broglie. Au programme : Wagner, Gabriel Fauré, Clément Jannequin (1550), prince Edouard de Polignac—interprétés par la comtesse de Guerne, Mme Grammacini, MM. Auguez, Leneuve, Pierron et les chanteurs de Saint-Gervais, sous la direction du consciencieux et parfait artiste, M. Bordes.

Ce n'est pas aux lecteurs de la Grande Dame qu'il convient de faire connaître l'oeuvre musicale du prince de Polignac. Le prince est une des grandes personnalités de l'aristocratie, et son oeuvre est celle d'un parfait et subtil musicien.

Puisqu'il est question de musique, rappelons que, sous les auspices de personnalités mondaines et artistiques, se fonde, en ce moment, l'OEuvre d'éducation musicale. Son but est de généreuse noblesse. L'OEuvre d'éducation musicale se propose de répandre gratuitement une éducation artistique permettant d'interpréter les oeuvres d'art avec un respect absolu et une conscience intelligente. Trop souvent, l'exécution d'une page de grande maîtrise ne sert qu'aux intérêts et à la réputation professionnelle des artistes de théâtre ou de concert. Les moyens par lesquels s'affirme une virtuosité quelconque, les soins qu'on ménage au triomphe immédiat de cette virtuosité, en un mot, le cabotinage, ont fini par lasser le public et lui faire désirer une interprétation conforme à ses goûts et à ses actuelles connaissances musicales. L'honneur de cette tentative revient à Mme de Labrély, qui reçoit les adhésions, 22, rue Jacob, au Pavillon d'Angleterre.

Soirée musicale chez la vicomtesse de Trédérn, pour l'audition de fragments d'oeuvres de Wagner, Bohms, Saint-Saëns, Widor, Ribaudi, Mozart, etc. Les interprètes étaient des amateurs

mondains : comtesse de Guerne, Mme Kinen, princesse A. de Broglie, Mmes Taine, de Lagrolet, Mlles de Trédem, Taine, Baude, Bourgaud, Guenia ; MM. Pastré, Pierron, Gauthier, Lehideux, marquis de Thoisy, vicomte R. de Vibraye, comte Doria, comte d'Aulan, de Lamothe, marquis de Pothuau, de Poli, vicomte de Matharel, Villaret, Dhorne et Perrin, et un artiste, M. Saleza.

Les choeurs étaient chantés par des dames du monde, entre autres :

Comtesse de Bresson, comtesse de Ruffieu, comtesse de Lur-Saluces, comtesse de Champeaux, comtesse de Saint-Genys, comtesse de Barbentane, comtesse de Lapeyronse, comtesse de Ferré, baronne L. de Pierrebourg, baronne de Villemaret, Mme d'Ivernois, de Langaudie, Deseilligny, Mlles de Tanlay, de Villemaret et Pierron.

M. Maton tenait le piano d'accompagnement. Grand succès pour tous, notamment pour la maîtresse de la maison dans le quintette de Proserpine, de Saint-Saëns ; le troisième acte d\Aïda et le quintette du Bal masqué, de Verdi.

M. Ernest Carnot, le second fils du Président de la République, est fiancé à Mlle Marguerite Chiris, fille du sénateur des Alpes-Maritimes. M. Ernest Carnot a vingt-sept ans, et a fait, en qualité d'inspecteur de la Compagnie des Messageries Maritimes, deux grands voyages, l'un en Extrême-Orient, avec des études spéciales sur le Tonkin et la Cochinchine ; l'autre dans l'Amérique du Sud, au Brésil et au Chili par les Cordillères. Il est de retour depuis deux mois. Le mariage aura lieu dans les premiers jours de juin. Des deux autres fils de M. Carnot, l'aîné, M. Sadi Carnot est lieutenant au 27e de ligne, à Dijon, où il fait avec beaucoup de zèle et de conscience son service d'officier ; l'autre, le plus jeune, M. François Carnot, termine ses éludes à l'École Centrale comme élève laborieux et très remarqué. Ces trois jeunes gens, on peut le dire sans flatterie, car c'est la vérité, sont très simples, très modestes, très travailleurs, et ne cherchent en aucune façon à se prévaloir du litre et de la grande situation de leur père.

La présence du prince de Galles à Paris a été fêtée comme de coutume. L'héritier d'Angleterre a déjeuné et dîné en ville et est allé au théâtre, aux Salons, au Polo, au Bois ; il a serré beaucoup de mains, a souri à beaucoup de monde, a causé à beaucoup de personnes, et s'en est retourné chez lui, heureux des témoignages de sympathie que lui prodigue la société parisienne. M. Arthur Meyer, qui partage avec M. Frédéric Febvre la gloire d'être l'ami des

princes, a même interviewé le futur roi d'Anglelerre sur les choses de la Politique. Le prince de Galles lui a assuré qu'il aimait énormément la France, qu'il aimait encore mieux Paris, et que, dans trois semaines, il reviendrait dans la capitale. Ce bon M. Arthur Meyer !

Quelques mariages : Tout d'abord, félicitations au jeune Américain

qui, dernièrement, à New-York, s'est rendu

célèbre en établissant le record du mariage a la

minute. Une soirée : le jeune homme en question

fait un tour de valse avec une jeune tille, la reconduit

reconduit sa place, lui demande sa main, l'obtient,

appelle le maître de la maison, pasteur protestant,

le prie de bénir l'union, et part en voyage de

noces. Exquis.

Lady Victoria Blackwod, fille du marquis et de la marquise de Dufferin et Ava, avec l'honorable Wiliam Lee Plunkett, fils ainé de l'archevêque de Dublin.

Le baron de Gouvion Saint-Cyr, lieutenant au

21e dragons, avec Mlle Simonis de Dudezeele. Les témoins : le colonel de Villars et le comte de Saint-Cyr ; le colonel de Lestapis et M. Jacques Ginoux de Fermon.

Le vicomte de Ludre avec Mlle Louise de Maillé, dernière fille du comte de Maillé, député de Maine-et-Loire, et de la comtesse née de Plaisance. La fiancée a pour soeurs la duch*esse de la Force et la comtesse Pierre de Grammont. Un de ses frères a relevé le titre de duc de Plaisance. Son

autre frère, le comte François de Maillé, a épousé

la fille du duc de Fezensac.

Le comte Melgar, grand-maître de la maison de Don Carlos, a fait savoir aux Blancs d'Espagne que le mariage du duc de Madrid avec Mlle de Rohan-Chabot a été célébré dans l'intimité la plus stricte. Ce mariage a été béni par le cardinal Schoenborn, avec la seule assistance de LL. AA. RR. le prince don Jaime, des infants don Alfonso et dona Maria de Las Neves ; LL. AA. SS. le prince et la princesse Alain de Rohan, leurs proches parents et leurs suites.

Le comité central légitimiste, c'est-à-dire le comité des Blancs d'Espagne, a fait parvenir à la duch*esse de Madrid un bracelet orné de la tête de Henri IV gravée sur pierre fine, entourée de diamants, avec le drapeau blanc fleurdelisé et la bannière herminée de Bretagne. Les carlistes espagnols ont fait parvenir un bracelet aux armes de Navarre; on parle encore d'autres cadeaux, notamment d'un riche coffret artistique offert par les dames du parti de la succession salique. On sait que le comité des Blancs d'Espagne en France a pour président le comte Urbain de Maillé, pour secrétaires MM. Maurice de Jonquières et le comte de Cibeins.

Les nouvelles du mariage de la princesse Joséphine de Belgique nous arrivent au moment de notre tirage. Ce n'est donc que le prochain mois que nous pourrons en rendre compte à nos lecteurs.

Quelques dîners:

Chez Mme W. Moore, la plus Parisienne des Américaines, un grand dîner en l'honneur du duc de Leuchtenberg et de la duch*esse qui, légèrement souffrante, n'a pu accompagner son mari. Parmi les convives : le prince Henri d'Orléans, lady de Grey, duc et duch*esse de Morny, lady Paget, vicomte et vicomtesse de la Rochefoucauld, marquise de Galliffet, marquise d'Hervey de Saint-Denis, prince Aymon de Lucinge-Faucigny, etc.

Chez la comtesse de la Salle de Rochemaure, en l'honneur du prince Henri d'Orléans. Citons parmi les convives : l'amiral de Jonquières ; Mgr de Ragnan, référendaire de Sa Sainteté ; marquis et marquise de Miramon-Fargues ; comte de Bengy-Puyvallée ; vicomte de Beaupré ; comte et comtesse de Lhomel ; baron Géry de Rommel ; baron Edmond de Grandcour, etc.

J. DE MITTY.

Si l'été tient ses promesses, on portera beaucoup de toilettes claires, de tissus transparents et légers. Pour que le visage de nos élégantes rivalise de fraîcheur avec leur toilette, elles vont faire une séance à la Parfumerie Exotique, 35. rue du Quatre-Septembre. C'est là qu'elles trouvent l'Anti-Bolbos, ce produit merveilleux contre les petit* points noirs du nez, du menton et du front, et le Savon à l'Anti-Bolbos préparé aux mêmes bases et qui est si précieux pour les personnes dont la peau est grasse, afin d'éviter le retour des points noirs qui ternissent le plus beau teint.

COMTESSE S...

DERNIER CHIC

Une nouveauté à signaler : ce sont les voilettes de tulle illusion, voilant à demi le chapeau, froncées derrière de manière à former un gros chou de tulle. Les teintes bleu marine, pervenche, marron ou soufre sont les préférées.

Auguste Petit, toujours à la recherche de tout ce qui peut embellir les Parisiennes et rehausser leur teint, vient d'imaginer toutes sortes de petit* cols drapés en taffetas glacé, de ton vif ou tendre, selon la carnation de la femme. Leur forme est nouvelle. Au lieu de s'agrafer derrière, ils forment de chaque côté, près de l'oreille, deux sortes de coques retenues par deux épingles de nourrice en perles fines ou pierreries. La ceinture a la même forme. Les coques se placent de préférence derrière. Cela donne un cachet tout particulier d'élégance à la toilette la plus simple. Les colliers sont toujours de teinte assortie au chapeau et à ses ornements.

Comme chapeau de voyage, la petite toque en paillasson pain brûlé, marron ou bleu marine, est tout à fait jeune et gentille, avec ses petit* bords tout retroussés inégalement, et simplement ornée de choux de ruban glacés surmontés de deux plumes-couteaux. Une autre forme, également

créée par Auguste Petit, est tout à fait seyante, avec ses petit* bords plats, sa calotte basse et de gros choux de ruban d'où émergent de côté des coques en aigrette. C'est simple et charmant.

Pour les messes de mariage, je veux signaler la gentille coiffure Thaïs, si simple; si jeune, la petite capote en paille de couleur, ornée de roses noires et de plumes ; puis celte autre, composée d'ailes et de fleurs, d'une légèreté qui sied si bien au visage. Pour l'après-midi, dans les casinos en vogue, nous verrons le grand chapeau Louis XVI, puis le paillasson crème que Petit sait, en coiffeur habile, orner à l'air du visage.

Pour purifier et parfumer l'haleine, pour rendre à la bouche toute sa fraîcheur, mettez dans un verre d'eau tiède quelques gouttes d'Élixir dentifrice des Bénédictins du MontMajella. Ce moyen est recommandé aux jolies femmes et aux fumeurs pour conserver leurs dents intactes, saines, et raffermir les gencives. C'est un véritable trésor pour l'hygiène de la bouche. L'Élixir. la Pâte et la Poudre dentifrice des Bénédictins du Mont-Majella se trouvent, au prix de 3 francs, ou 3 fr. 50 par mandat-poste, chez M. E. Senet, administrateur, 31, rue du Ouatre-Septembre.

RENSEIGNEMENTS

A l'approche des villégiatures, les mamans s'inquiètent, de la toilette de leurs bébés et de leurs fillettes pour lesquels on a créé de ravissantes choses cette saison. La recherche se porte cet été sur l'exécution de plus en plus soignée, sur la finesse et la délicatesse des détails. C'est surtout dans la maison Beer, 19, rue de la Paix, que l'on peut se rendre compte du travail de patience et du goût que l'on met aujourd'hui dans la toilette enfantine; points à jour, incrustations de dentelle, petit* plis deviennent, dans les mains de celte maison modèle, de véritables oeuvres d'art. Nous avons remarqué ces derniers jours de jolies toilettes pour fillettes et jeunes filles en crépon beige, très largement ouvertes en coeur sur une chemisette de taffetas moiré finement rayé crème et vert d'eau ; la forme de cette chemisette est charmante et serait également très seyante pour dames. A noter de ravissants petit* costumes en taffetas à mignons damiers avec col et ceinture en taffetas glacé rose vif et jolie berthe carrée en guipure très fine. Puis de ravissantes petites mantes qu'envieraient les jeunes mamans, des chapeaux charmants et mille autres créations à l'occasion des départs pour la campagne.

Pour avoir des yeux expressifs, le regard étincelant, employez la Sève Sourcilière de la Parfumerie Ninon, 35, rue du Ouatre-Septembre. Elle allonge les cils, elle épaissit les sourcils et communique ainsi une grande beauté au visage le plus ordinaire et le moins agréable. Son prix est de 5 francs et 50 centimes en plus par mandatposte adressé à la Parfumerie Ninon, seule dépositaire.

Le Costume Féminin, depuis l'époque gauloise jusqu'à nos jours, par MOXTAILLE. Tome premier, allant jusqu'à la fin du règne de Louis XVI, un volume in-16 colombier, G. de Malherbe, éditeur, 54, rue Notre-Dame-des-Champs, Paris. — Prix, 5 francs.

L'auteur de cet ouvrage, dont le nom fait autorité en matière de mode, n'a voulu se poser ni en innovateur ni en érudit. Son but a été simplement de condenser, en un volume de format commode et d'un prix modéré, la substance des ouvrages considérables déjà publiés sur l'histoire du costume, mais qui, par leur rareté, leurs dimensions ou leur prix, sont difficiles à consulter.

De substantielles notices accompagnent 59 dessins hors texte de Saint-Elme Gautier, consciencieusem*nt reconstitués d'après les documents les plus authentiques et qui font défiler sous nos yeux, dans ce premier volume, les transformalions de la mode féminine depuis l'époque gauloise jusqu'à la fin du règne de Louis XVI. Le

livre est imprimé avec le plus grand soin et se présente très artistiquement sous une charmante couverture de Grasset.

CHRONIQUE FONCIÈRE

MM. Besson et Rousselle, administrateurs d'immeubles, à Paris, rue Le Peletier, 25, sont toujours à la disposition des abonnés et des lecteurs de la Grande Dame pour leur fournir gratuitement tous les renseignements qui peuvent leur être nécessaires pour leurs placements fonciers par voie d'acquisitions ou de privilèges ou hypothèques.

Par les nombreuses demandes qu'ils ont reçues, MM. Besson et Rousselle savent que les abonnés de la Grande Dame ont compris l'avantage des placements fonciers sur les placements en valeur de Bourse. Point n'est donc besoin de longues phrases pour recommander ces placements.

MM. Besson et Rousselle se bornent à offrir aujourd'hui de vendre à l'amiable :

Une belle maison, rue d'Argenteuil, près la rue des Pyramides, très solidement construite; revenu, 20 000 francs environ; tout est loué. Prix : 465 000 francs.

Comme propriétés de campagne, MM. Besson et Rousselle recommandent : une belle propriété en Normandie (Orne), comprenant château, parc, communs, ferme; contenance, 50 hectaresCelle propriété, qui a coûté plus de 350 000 francs, est à vendre meublée pour 250 000 francs (grande ligne à proximité).

Une petite propriété au parc Saint-Maur, très confortable. Contenance, 600 mètres environ. Moyens de communication très faciles avec Paris. Prix : 12 000 francs.

BESSON et ROUSSELLE, licenciés en droit.

6, Boulevard des Capucines, PARIS

479 Fifth Avenue, 41 St., NEW-YORK

LE Linge de table fabriqué par la GRANDE MAISON DE BLANC, au point de vue du dessin, du goût et du prix, est à la tête des fabrications du monde entier ; les Linges fantaisie couleur ou dentelle, les Rideaux et la Lingerie pour Trousseaux ont fait depuis trente ans une réputation universelle à la GRANDE MAISON DE BLANC. Dans toutes les Expositions elle a remporté les plus hautes récompenses.

Encouragés par ces succès et pour répondre aux désirs d'une Clientèle d'élite, les Directeurs ont ouvert récemment

UN RAYON DE SOIERIES, DE ROBES DE BAL

GAZE, ETC.,

et ont donné au rayon de Gants une nouvelle extension.

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Exposition Universelle de Lyon

fisses ne Soie, Dentelles et Broderies

LISTE DES PRINCIPAUX EXPOSANTS

ATUYER, BIANCHINI & FERIER, 20, 21,

22 et. 23, place Tolozan, Lyon. — Maison fondée le 1er janvier 1889. — Soieries unies et hautes nouveautés, velours unis.

BACHELARD (J.) & Cie, 12, quai Saint-Clair et 23, rue Royale, Lyon, successeurs de J.-P. Million et Servier. — Maison fondée en 18.13 par J.-P. Million ; usine, 108, rue Bossuet. — Produits exposés: soieries unies, façonnées et imprimées, velours unis et nouveautés pour robes et confections.

BARDON, *, & RITTON, 1, 2 et 4, grande rue des Feuillants, Lyon. — Maison fondée en 1844. — Usines de tissage à Nantua, Condrieu, Morestel et Champier. — Soieries unies et façonnées, armures et nouveautés pour robes, modes et confections, velours noir et couleurs, tissus teints en pièces.

J. BÉRAUD & Cie, 18, place Tolozan, Lyon. — Soieries haute nouveauté, unies et façonnées, pour robes et confections. — Velours.

BONNET & Cie (Les petit*-fils de G.-J.), 8, rue

du Griffon, Lyon. Successeurs de C.-J. Bonnet et Cie. — Maison fondée en 1810. — Usine de filature, de moulinage et de tissage à Jujurieux (Ain). — Produits exposés : soieries noires, nouveautés et couleurs.

BOUFFIER & PRAVAZ fils, 16, rue Lafont, et 1, rue de la République, Lyon, et 28, rue du Sentier, Paris. Friday street, à Londres. Usines de teinture et apprêts à Lyon. — Ancienne maison Riboud, fondée à la fin du XVIIIe siècle. — Crêpe crêpé, crêpe français, anglais, lisse, mousseline soie, grenadine, crêpe des deux mondes, crêpe lyonnais, crêpe de Chine, crêpe nouveauté et tulle.

BOUVARD, *, & MATHEVON fils, 26, place Tolozan, Lyon. — Étoffes pour ameublements, étoffes façonnées pour robes, tissus brochés or et argent.

BROSSET-HECKEL & Cie, 18, place Tolozan, Lyon. — Produits exposés : satins, taffetas, armures, doublures.

La Maison Brosset-Heckel fut fondée à la fin du XVIIIe siècle. A M. Luquiens, le fondateur, succéda son neveu, M. Louis Heckel. Le gendre de celui-ci, M. Brosset-Heckel, lui succéda à son tour et, après une longue et méritante carrière, se retira pour laisser la suite des affaires à son fils, M. BROSSETHECKEL,

BROSSETHECKEL, propriétaire. Les produits de cette maison, plus particulièrement attachée à la fabrication du satin, sont réputés justement dans le monde entier. Leur rare perfection a été reconnue et récompensée chaque fois que, dans les Expositions, la Maison BROSSET-HECKEL apportait le témoignage de son effort. Ces récompenses ont été les plus hautes qu'il se puisse accorder, puisque deux fois la Légion d'honneur a été accordée aux chefs de cette maison. En 1889, lors de l'Exposition universelle de Paris, le grand prix lui était encore décerné. De pareils titres se passent de commentaires.

GHATEL, *, & TASSINARI(V.), Lyon, 11, place Croix-Pâquet. Paris, 5, rue Louis-le-Grand. — Maison fondée en 1762 par Camille Pernon. — Produits exposés : étoffes de soie pour ameublements, nouveautés pour robes, ornements d'église.

GHATILLON (V.), 1, quai de Retz, 27, place Tolozan, Lyon. — Produits exposés : damas et moires façonnés et nouveautés pour robes.

CHAVENT père & fils, Lyon, 1, rue du Théâtre et 2, rue Puits-Gaillot. — Produits exposés : soieries, nouveautés pour robes.

DOGNIN & Cie, 37, rue du Sentier, Paris; 1, rue de la République, Lyon; 112, rue de Vauxhall, Calais; 55, Friday street, Londres. Usines à Lyon-CroixRousse et à Villeurbanne, cité Lafayette. — Produits exposés: tulles de soie unis, dentelles et broderies mécaniques et dentelles brodées à la main.

DUCHAMP (E.), Lyon, 31-33, rue Royale. — Maison fondée en 1886. — Soieries unies et façonnées, noires et couleurs, nouveautés.

Usine de tissage mécanique à Lyon-Charpennes ; installation à Neuville-sur-Ain d'une usine de tissage mue par l'électricité (transport de force à 7 kilomètres).

GAUTIER, BELLON & Cie, 27, place Tolozan, Lyon. — Maison fondée en 1839. — Soieries, fabrique de velours en tous genres.

GAUTHIER-PÉJU (J.), 19, place Tolozan, Lyon. Usine et apprêt Lyon-Charpennes; maison à Paris, 39, rue du Sentier. — Tulles unis et nouveautés, applications et chenillage sur tulles unis et armures.

GINDRE & Cie 2, rue Puits-Gaillot, Lyon. — Maison fondée en 1828. — Soieries unies noires et

couleurs teintes en flottes et teintes en pièces. Tissus unis et nouveautés pour doublures.

Chaque jour ta fabrique de soieries lyonnaise tend davantage à se localiser en quelques mains puissantes.

Les grandes installai ions mécaniques rendent. toute concurrence impossible. Le bon marché auquel elles peuvent produire par suite de la division et de la régularité du travail, la rapidité de leur production qui s'impose de plus en plus on présence des variations et des exigences de la mode, enfin la perfection qui permet d'obtenir un outillage de premier ordre, rendent de plus en plus leur emploi indispensable.

C'est ce qu'ont compris plusieurs fabricants lyonnais, parmi lesquels nous citerons en première ligne la Maison GINDRE ET Cie. Cette maison, une des plus anciennes de la place, vient de faire construire en pleine Croix-Rousse, ce centre de fabrication unique au monde, d'immenses ateliers, où tous les travaux de tissage et accessoires s'accomplissent, dans des conditions d'exécution inconnues jusqu'à ce jour, grâce à un outillage des mieux compris et des plus perfectionnés.

Les produits de la Maison GINDRE, soieries unies principalement, teintes en flottes et en pièces, sont appréciés dans le monde entier.

Celle puissante maison possède des comptoirs sur les principaux marchés de vente tels que Paris, Londres et NewYork.

Son siège principal est a Lyon, 2, rue Puits-Caillot, et sa remarquable usine à la Croix-Rousse, 29. rue Saint-Pothin.

Nous la recommandons fout spécialement aux acheteurs d'étoffes unies.

HENRY (J.-A.), 2, quai de Retz et 24, rue Lafont, Lyon.— Maison datant de plus d'un siècle. — Produits exposés : étoffes unies et façonnées en soie pure et mélangée pour ornements d'église et ameublements, tissus soie pour les Indes, velours soie, schappe et lin pour ameublements, broderies d'or et de soie en tous genres, filés d'or fin, mi-fin et faux pour broderies et tissus, filés en flottes pour les Indes, passem*nterie, galons systèmes franges glands enjolivures, or fin, mi-fin et faux galons soie pour ornements d'église, tissus d'art, livrés tissés.

LAMY (Antoine), * , & Cie, 3, quai de Retz, Lyon; 112, rue Richelieu, Paris. — Maison fondée en 1300. — Produits exposés: soieries haute nouveauté pour robes et pour ameublement, foulards impressions.

LEROUDIER & Cie, 19, place Tolozan. Lyon. — Broderies artistiques.

Genres religieux, ameublements de tous styles, robes et nouveautés.

Première récompense à toutes les Expositions.

PERMEZEL (L.), O. *, & Cie, 7, rue de l'ArbreSec et 8, rue Pizay, Lyon. Maisons de vente: Paris, 15, rue d'Uzès. Londres, 27, 30 A. Cheapside, NewYork 473-475, Broome street. Usine à Voiron (Isère). — Maison fondée en 1870. — Fabrication : tissus teints en pièces, unis et façonnés, satins, tissus pour doublures, ameublement, ombrelles, chapellerie, tissus écrus pour impressions, nouveautés pour l'Orient.

PIOTET (J.-M.) & ROQUE (J.), 4 et 2, grande rue des Feuillants, Lyon. — Maison fondée en 1861. Suite de la maison Yéméniz (ameublement), fondée en 1820. — Manufacture, rue Imbert-Colomès, Lyon ; tissage mécanique, à Vernaison (Rhône) ; maison de vente, ameublement, 17, rue Vivienne, Paris. — Produits exposés: étoffes de soie pour robes, velours et ameublement.

PONGET père & fils, 26, place Tolozan, Lyon. Maison de vente, 12, avenue de l'Opéra, Paris. — Maison l'ondée en 1849. — Produits exposés : soieries unies, pékin, quadrillées, nouveautés façonnéesr iches.

RIBOUD frères, 20, rue des Capucins, Lyon. — Maison fondée en 1779. — Spécialité velours noir et couleurs pour robes et confections. Spécialité noir et couleurs solides pour tailleurs.

SGHULZ & Cie, 8 et 10, rue du Griffon, Lyon. — Maison fondée en 1825. — Produits exposés: soieries haute nouveauté riches pour robes et confections, étoffes unies couleurs en tous genres.

TAPISSIER frères, 4, rue Puits-Gaillot, Lyon.

— Produits exposés: soieries noires, rubans crépons nouveautés.

La Maison TAPISSIER fabrique ses produits à Lyon et dans toute la région: Ain, Loire, Haute-Loire, Isère, Ardèche, Jura, et jusque dans le Nord. La grande extension de cette fabrication implique le développement de la maison et son grand nombre d'affaires. En outre des crêpons en tous genres, pour robes de bal et autres usages ; en outre des rubans noirs, faille, salin et armures de toutes qualités et de toutes dimensions: des armures noires, etc., la Maison Tapissier fabrique un Drap de France en faille de Lyon, dit Grease proof, que. par un procédé spécial, elle rend apte à ne pas se cirer ou se graisser, et dont le succès, malgré les demandes affluant tous les jours, n'est pas prés d'être épuisé. La Maison Schlesinger et Mayer, de Chicago, s'est assuré le monopole de cet article pour les Etats-Unis.

La Maison Tapissier frères est de ces grandes industries dela cité lyonnaise dont l'actuelle Exposition dit éloquemment l'importance et l'excellence des produits.

TRESCA frères & Cie, 8, rue du Griffon, Lyon, successeurs de Jaubert, Audras et Cie (ancienne Maison Bellon frères et Conty. — Maison fondée en 1834).

— Usines et tissage mécanique à Vizille, à Voiron, à la Murette, à Sainte-Eulalie. à Pont-en-Royans (Isère), à Charlieu (Loire), à l'Arbresle et à Lyon (Rhône).— Produits exposés: soieries unies et façonnées noires et couleurs, haute nouveauté.

TRONEL (F.) & Cie, 5. rue du Griffon, Lyon. — Usine mécanique et hydraulique à Nantua (Ain) ; ateliers d'apprêts à Fontaines-sur-Saône (Rhône).

Fondée en 1876, dans des conditions modestes, la Maison TRONEL a pris aujourd'hui un grand développement. Grâce à l'énergie de son fondateur, Francisque TRONEL. elle a réussi, après une activité incessante de dix-neuf années, à se créer une importante clientèle tant en Europe que dans le Nouveau Monde. Deux usines ont été créées, l'une pour la fabrication, l'autre pour l'apprêt du tulle. A l'usine de Nantua (Ain), une chute d'eau actionne 37 métiers de tulle et leurs accessoires: machines d'ourdissage, dévidage, bobinage, ainsi qu'une dynamo-électrique de 70 lampes. Les pièces fabriquées à Nantua sont ensuite envoyées à l'usine de Fontaines-sur-Saône pour y être apprêtées. Comme réalisation de progrès intelligents, la Maison TRONEL est une des rares grandes maisons de commerce ayant à elle el chez elle tout le matériel nécessaire pour prendre le fil de soie pur et rendre à la consommation le tissu fabriqué et manutentionné. De nombreuses récompenses ont couronné l'effort industriel de la Maison TRONEL : Amsterdam (1683), méd. argent; Anvers (1888), méd. bronze et argent; Paris (1889), méd. argent; Moscou (1891), méd. argent; Chicago (1891), méd. argent.

Actuellement, la Maison TRONEL expose ses beaux produits aux Expositions de Lyon et d'Anvers.

Dans notre numéro spécial, consacré à l'Exposition d'Anvers, nous aurons l'occasion de rendre compte des créations de la Maison TRONEL ET Cie ; nos lectrices y trouveront un particulier intérêt.

Imprimerie

B. ARNAUD

Siège social à Lyon : 3, place Saint-Nizier Succursale à Paris, 56, rue Turbigo

L'IMPRIMERIE Arnaud a fait sous la Coupole de l'Exposition de Lyon deux installations considérables : un salon de réception et un atelier modèle dont l'heureuse disposition, l'excellente tenue et le superbe aménagement sont également admirés.

Dans le salon, la maison Arnaud a réuni en tableaux une série étonnamment variée de ses travaux: imprimés commerciaux, factures, lettres, cartes, étiquettes artistiques, mandats, diplômes, actions, obligations, etc., travaux présentés avec beaucoup de goût. Un simple coup d'oeil jeté sur ces magnifiques spécimens d'impression permet de se rendre compte de la réputation universelle que possède la maison B. Arnaud; nous voyons, en effet, figurer sur les panneaux des travaux qui, pour être commerciaux, n'en ont pas moins un caractère profondément artistique et qui ont été exécutés pour tous les points du globe : France et colonies, Alsace-Lorraine, Espagne, Portugal, Belgique, Hollande, Amérique, etc. Ce qui frappe tout particulièrement l'esprit, c'est la finesse, la distinction et la netteté des impressions lithographiques en report de gravures sorties de la maison Arnaud et qui imitent à s'y méprendre la taille-douce. D'ailleurs, c'est elle qui, sur ses presses, dans son atelier de l'Exposition, a tiré les lithographies hors texte que contient ce fascicule de la Grande Dame.

L'une de ses principales spécialités est la reproduction des vues d'usines, des médailles et des marques de fabrique, imprimées vert américain ou vert Arnaud (création déjà célèbre de la maison).

Nous ne pouvons moins faire que de citer aussi les albums industriels exécutés par elle d'après un procédé particulier de gravure dont un des principaux avantages est de donner au dessin une extraordinaire vigueur de touche en même temps qu'une délicatesse remarquable.

Pour ce genre de travaux, la Maison Arnaud est supérieurement organisée; car, à défaut de documents existants, plans ou photographies, elle tient à la disposition de sa clientèle un personnel de dessinateurs émérites pour relever sur place les dessins d'après nature.

La vaste installation qu'elle possède à Lyon, et qui se compose de toute une immense et belle maison de cinq étages occupant plus de 300 ouvriers, la met à même d'exécuter les travaux les plus divers d'imprimerie, de lithographie et de gravure.

On peut, à son atelier de la Coupole, se rendre compte de la perfection de ses moyens par les imprimés sortant des presses sous les yeux mêmes de la foule qui, chaque jour, regarde et admire ce spectacle intéressant. Un portrait de M. Carnot sur soie, deux vues panoramiques de Lyon, la vue générale de l'Exposition, un album de vues de Lyon et de l'Exposition sont unanimement loués; mais il est surtout une pièce qui attire et retient l'attention des amateurs: c'est un spécimen du magnifique menu imprimé sur beau satin par la Maison Arnaud et qui figurait à la table d'honneur du grand banquet offert le 24 juin, dans la salle de la Bourse, au président Carnot.

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Exposition Universelle de Lyon

Bonoît DELAYE

Photogravure

ARTISTIQUE ET INDUSTRIELLE

Materiel

D'IMPRIMERIE

L'EXPOSITION des différents clichés de la Maison Delaye, clichés qui concernent les plus récents et les plus ingénieux procédés

procédés à l'imprimerie, met hors de pair cette industrie et assure à ses ateliers un rang unique

à Lyon. On y remarque de superbes portraits en simili-gravure, en photolithographie ; des menus clichés reproduits en galvanoplastie

et héliogravure sur cuivre. Une vue du coteau de Fourvières, d'après photographie, reproduite en similiVue

similiVue l'Établissem*nt

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gravure de 0m,90 de largeur, est une oeuvre parfaite et dont il convient de louer hautement la Maison Delaye.

La Maison Benoît Delaye a été fondée, en 1884, pour le matériel et les fournitures d'imprimerie. Dès cette époque, elle représentait à Lyon et dans les départements limitrophes MM. Deberny et Cie, les fondeurs de caractères de Paris. M. Delaye, quelque temps après, obtint les dépôts de la Maison Ch. Lorilleux, pour Encres et Produits, et ceux de la Maison G. Peignot, pour les Blancs, Filets et Garnitures. Ce sont là d'importants dépôts et dont on pourra se faire une idée lorsque nous rappellerons qu'ils alimentent les imprimeries de toute la France méridionale. En 1886, M. Delaye créa ses ateliers de stéréotypie et de galvanoplastie, qui prirent immédiatement une grande extension. En 1890, M. Delaye

Delaye ses premiers essais de photogravure et, en 1891, après de concluantes expériences, il installa dans des locaux spéciaux (23, chemin des Choulans, à Lyon) cette nouvelle et artistique industrie, aidée par les perfectionnements les plus récents. Cet atelier de photogravure est sous la direction intelligente de M. L. Hemmerlé, ancien opérateur des Maisons Michelet, Rougeron-Vignerot et, en dernier lieu, Krakow, de Paris. Les soins incessants de M. Hemmerlé lui ont d'ailleurs valu d'être associé par M. Delaye en ce qui concerne la photogravure et les procédés de reproduction. Actuellement, la Maison Delaye est la première maison de ce genre à Lyon. Elle y représente les plus grandes maisons de matériel d'imprimerie françaises et est organisée de telle sorte qu'elle peut fournir les imprimeries de tout le midi et du centre de la France.

Médaille d'Or, 1891 : Saint-Etienne

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CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

La vélomanie gagne la haute société ; elle vient de s'introduire à la cour d'Angleterre.

Les princesses Maud et Victoria, sur le désir de leur mère, la princesse de Galles, viennent de commencer leur éducation vélocipédique. C'est par le tricycle qu'elles ont débuté.

Le costume le mieux approprié à ce genre de sport se compose, pour les femmes, d'un pantalon de zouave plissé à larges plis en lainage croisé, beige, tabac, bleu marine ou gris, avec guêtre de peau de chamois souple et souliers assortis. Avec le costume de ton gris nous conseillons la guêtre un peu fragile, mais très élégante. Le corsage se fait à basquines, prend très bien la taille et se boutonne devant, avec petit* revers clans le haut, laissant apercevoir le col rabattu et le petit jabot de linon ou de batiste qu'on peut varier de teinte. Comme coiffure, le petit chapeau canotier en paille jaune ou tabac, orné de gaze avec ailes en aigrette. Les gants sont de peau blanche.

Le costume d'homme se compose d'un pantalon de montagne fixé aux genoux, porté avec des guêtres de cuir ou de toile et un maillot de laine blanche; ce maillot de tricot est parfois remplacé par la chemise de flanelle avec la petite veste à plis creux et ceinture de cuir. Chaussures de cuir naturel.

Puisque nous traitons de l'élégance, on nous permettra un conseil. Les hommes comme les femmes, les femmes surtout, redoutent les cheveux blancs; si par négligence on les a laissés venir, l'Eau capillaire de Ninon leur rendra progressivement leur couleur primitive sans occasionner aucune douleur de tête, et en outre elle empêchera leur chute. Le flacon est de 6 francs pris à la pharmacie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre ; on joindra 50 centimes en plus par mandat-poste.

DERNIER CHIC

La grande mode: organiser un match au Club de lawn-tennis de l'île de Puteaux et le gagner.

Le handicap réservé aux dames s'est terminé par la victoire de Mme Girod contre la duch*esse d'Ayen.

Le tennis est décrété sport extra-select par excellence; une société des plus élégantes a suivi ce tournoi qui a duré une semaine.

La toilette pour les dames est celle des gardenparties : robes claires, chapeaux à plumes. Comme types voici les deux toilettes portées par Mlle Darlaud aux deux grandes journées d'Auteuil.

1° Toilette en broderie anglaise noire sur fond de nansouk blanc. Corsage froncé à l'encolure, grosses manches s'arrêtant au coude; jupe légèrement froncée autour de la taille, très ample dans

le bas, terminée en dents arrondies, soulignées de valenciennes retombant sur le fond de soie blanche ; large ceinture-écharpe en mousseline de soie ourlée de valenciennes, gros noeud à la taille derrière et longs pans retombant sur la jupe. Ravissant chapeau de paille jaune avec fond mou en velours noir et panache de plumes blanches. Gants longs de Suède blanc.

2° Jupe de barège blanc moulant les hanches, très large dans le bas et sans couture, avec large bande de guipure couvrant le lé de devant et celui de derrière; large ceinture de taffetas blanc. Figaro très court en moire changeante blanc et fleur de lin, devant et col de guipure. Chapeau de paille noire, orné de plumes noires.

Quelle imprudence d'attendre que le teint se fane, que la peau se ride pour prendre les précautions avec l'aide desquelles on conserve la jeunesse et la fraîcheur! N'est-il pas plus sage de prévenir le mal en soignant l'épidémie? Pour cela, il ne faut user que d'excellents produits. Les poudres surtout sont souvent falsifiées et nuisibles. Avec la Fleur de pêche, cette poudre de riz spéciale, aux sucs de fruits exotiques, on conserve la jeunesse et la beauté. Elle existe en quatre nuances : blanche, rosée, bise et naturelle. Son prix est de 3 fr. 50 la boîte, 50 centimes en plus par mandat-poste adressé à la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre.

Les mamans élégantes nous sauront gré de porter à leur connaissance l'exposition de fin de saison et la vente des modèles d'été que la maison Beer, 19, rue de la Paix, organise en ce moment. Elles trouveront là à des prix exceptionnels les plus exquis modèles de robes, manteaux, chemisettes, chapeaux, qui ont encore affirmé le succès de celle maison qui se recommande par son goût, la coupe de ses vêtements et les prix raisonnables qu'elle a su établir pour sa jeune et élégante clientèle.

RENSEIGNEMENTS

A cette époque de l'année, toutes les journées sont prises par les préparatifs de départ; il s'agit de ne rien oublier. Pour les jours de chaleur on fera bien de se munir d'une provision d'Essence de toilette des Bénédictins du Mont Majella : elle renferme des propriétés toniques et salutaires; elle a un arome délicat et vivifiant; elle embellit le teint, purifie, adoucit et assouplit la peau. Aussi est-elle très recherchée par les femmes coquettes et élégantes, soucieuses de leur beauté et de leur santé. Son prix est de 3 francs et 50 centimes en plus contre mandat-poste adressé à M. Senet, administrateur, 35, rue du QuatreSeptembre.

LA Maison F. TRONEL ET Cie a son siège commercial à Lyon, 5, rue du Griffon. Fondée en 1876, dans les conditions les plus modestes, elle a grandi peu à peu, grâce à l'énergie et à l'activité de son fondateur, M. Francisque TRONEL. Elle a réussi, par un travail de dix-neuf années, à se créer une vaste clientèle et une situation importante, tant par le chiffre de ses affaires que par l'étendue de ses relations en Europe et en Amérique.

Pour aider à ce résultat, deux usines ont été créées, l'une pour la fabrication, l'autre pour l'apprêt du tulle. Ainsi ont été obtenues cette régularité du tissu qui en fait la beauté, sa blancheur et sa souplesse, qui lui donnent son cachet et en ont fait une marque spéciale, la « marque Tronel » dont la réputation est établie dans le monde des acheteurs.

Le tulle se fabrique dans l'usine de Nantua (Ain). Une chute d'eau actionne les métiers de tulles et leurs accessoires : machines d'ourdissage, dévidage, bobinage, etc., ainsi qu'une dynamo-électrique. L'usine travaille jour et nuit.

Les pièces de tulles fabriquées à Nantua sont envoyées ensuite à l'usine de Fontainessur-Saône pour y être apprêtées. L'usine, des plus importantes de la région, se compose de trois bâtiments. Le principal possède trois étages, éclairés par 105 fenêtres; chaque étage, ainsi que le rez-de-chaussée, forme un atelier de 32 mètres de long sur 13 mètres de large, qui occupe un nombreux personnel.

Comme progrès, la Maison F.TRONEL ET Cie

est une des rares maisons de commerce ayant « à elle et chez elle » tout le matériel et l'organisation consistant à prendre le fil de soie pur, et à rendre à la consommation le tissu fabriqué et manutentionné suivant les besoins du jour. En un mot, la Maison peut dire avec fierté que, par son organisation et son outillage, elle représente la vraie maison de fabrique dans toute l'acception du mot.

La Maison F. TRONEL ET Cie a pris part à diverses Expositions universelles, et a eu la bonne fortune de mériter diverses récompenses, savoir :

1883. Amsterdam, 1 méd. de bronze;

1885. Anvers, 2 méd. bronze et argent ;

1889. Paris, 2 méd. d'argent;

1891. Moscou

1893. Chicago hors concours ;

1894. Elle expose actuellement aux deux Expositions de Lyon et d'Anvers.

LA Maison F. TRONEL ET Cie a organisé à Anvers l'une des plus belles Expositions qui aient été faites jusqu'à ce jour dans ces genres de tissus. Le coup d'oeil en est féerique : au milieu de flots de mousselines à crépons se détachent des tulles, malines de couleurs d'une beauté et d'une fraîcheur charmantes; on y voit tout ce que la femme élégante peut rêver de gracieux et de léger. Entre autres, nous pouvons citer trois robes de bal, entièrement brodées à la main, qui sont de véritables oeuvres d'art. Cette Exposition mérite une mention spéciale ; elle attirera certainement tous les regards des visiteurs et des négociants.

— I —

CHRONIQUE DE L'ÉLÉGANCE

Assurément les faiseurs d'almanachs mondains ont fait erreur en fixant la fin de la saison thermale aux derniers jours d'août. Septembre, avec ses journées encore tièdes, est particulièrement propice à une saison de malades vraiment soucieux de leur hygiène et de leur santé.

C'est ce qui explique l'affluence encore très grande de baigneurs qu'on trouve à cette époque de l'année dans notre charmante station de Royat, affluence qui se remarque principalement à l'hôtel et la villa Saint-Mart, dirigés avec un soin particulier par le propriétaire, M. H. Cousteix, dont le. grand souci est de donner à sa clientèle toujours si nombreuse le bien-être et le confortable qu'il a su réunir dans sa maison, tant au point de vue du logement que de la nourriture.

L'ouverture de la chasse marque l'époque des réunions châtelaines; on reçoit beaucoup en cette saison, et les maîtresses de maison s'ingénient à varier les menus, à trouver des combinaisons nouvelles pour l'ornementation du couvert et des innovations dans le service de la table.

Le linge de soie, si en faveur à Paris durant la saison hivernale, est remplacé par les services damassés, brodés à la main de semis et de guirlandes de fleurs; l'hortensia, mis à la mode par le comte Robert de Montesquiou-Fezensac, avec ses tons dégradés, compose l'ornement le plus exquis que l'on puisse trouver. Les iris, l'orchidée, la glycine avec les violettes et les boulons d'or sont encore les plus riches broderies.

Pour ces diners de campagne la toilette des femmes doit avoir un caractère de simplicité, pas de brocart ni d'étoffes somptueuses, mais de petites soies brochées, des moires d'été, du barège de toutes teintes, de l'algérienne, du crépon, de la mousseline de soie.

Pas de diamants, mais des épingles de pierreries, des papillons et des libellules aux ailes d'émail.

Quelques fleurs naturelles piquées sur le côté de la coiffure, qui se porte toujours très bouffante, très large. L'important est d'avoir un teint élouissant, sans hâle, sans taches de rousseur. Pour cela il suffit d'employer l'Eau de Brixe Exotique préparée avec des sucs de plantes et de fruits. Cette eau adoucit et blanchit la peau, empêche et fait disparaître les rides en rendant à l'épiderme toute sa vie et sa souplesse. Le prix du flacon est de 6 francs et 10 francs, et 8 cent. en plus par mandat-poste adressé à la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre.

DERNIER CHIC

Voyager avec toute sa maison, n'est-ce pas le suprême du confortable? M. E. Bisson a réalisé

ce rêve, avec son boat-house le Pinson, véritable maison flottante pourvue de tous les agréments et le luxe désirables. C'est ainsi, du reste, que les Anglais, gens pratiques, entendent la vie sur l'eau.

Le dernier chic de l'élégance féminine : avoir un teint de lis et de roses, le conserver durant toute sa vie. Pour cela il suffit de suivre la recette de jeunesse et de beauté de la belle Ninon de Lenclos qui resta belle jusqu'à l'âge le plus avancé, en usant de la Véritable Eau de Ninon, qui donne au teint un éclat incomparable, rend à la peau toute sa souplesse et détruit ainsi les rides, évite les rougeurs et les boutons qui gâtent le plus joli visage.

On la trouve aux prix de 6 francs et 10 francs à la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre. 50 centimes et 85 centimes en plus par mandat-poste pour les frais de port et d'emballage.

Rectification. — C'est une erreur d'impression qui nous a fait dire dans notre dernier article que l'eau Capillaire de Ninon se trouve à la pharmacie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, c'est Parfumerie Ninon qu'il faut lire.

RENSEIGNEMENTS

On prêle à Mme la duch*esse d'Uzès l'intention de reprendre des projets que son grand deuil lui avait fait abandonner. Il est fort possible, en effet, que l'on représente l'hiver prochain, dans un salon ami, un ouvrage auquel elle a collaboré. Souhaitons que cet intéressant projet soit prochainement réalisé.

M. Camille Saint-Saëns a été — nos lectrices le savent — nommé commandeur de la Légion d'honneur.

Les titres? Tout le monde les connaît : Etienne Marcel, Henri VIII, Ascanio, Samson et Dalila, etc.

Ce que l'on connaît moins, c'est M. SaintSaëns poète. Il a pourtant fait beaucoup de vers. Ce que l'on connaît moins encore, c'est SaintSaëns naturaliste. Oh! rien de Zola ! naturaliste dans le bon sens (dans le saint sens) du mot.

Naguère M. Saint-Saëns voyageait dans le sud de l'Europe. Un hasard le fit se rencontrer avec un Parisien, docteur ès sciences naturelles des plus érudits. On parla de Paris, puis :

« Pourquoi voyagez-vous? demanda le docteur, qui venait de reconnaître le musicien.

— Moi, répondit Saint-Saëns, je suis naturaliste. Et vous, monsieur?

— Moi, je suis musicien. »

Alors, de l'air le plus simple du monde :

« Mais, en effet, reprit Saint-Saëns, je me rappelle, maintenant Vous êtes, n'est-ce pas, l'illustre, le sublime auteur d'Ascanio?... »

Femmes raisonnables, mères soucieuses de l'élégance simple et correcte, du confortable dans l'habillement de vos chers bébés et de vos fillettes et même de vos grandes fillettes, adressezvous à la maison Beer, 19, rue de la Paix, qui doit sa grande réputation et tout son succès à l'habileté, le soin, la coupe savante des vêlements, manteaux ou robes qu'elle exécute à des prix très raisonnables et avec ce goût si parisien qu'apprécient toutes les femmes vraiment élégantes.

On a beaucoup écrit sur la chute des cheveux, on a inventé bien des lotions réputées infaillibles, mais on n'a encore rien trouvé d'aussi efficace pour les rendre souples et soyeux, pour en arrêter la chute et en retarder, le plus souvent même éviter complètement la décoloration, que l'Extrait capillaire des Bénédictins du Mont-Majella, que l'on trouve chez M. E. Senet, seul dépositaire, 35, rue du Quatre-Septembre. Le flacon est de 6 francs et 6 fr. 85 par mandat-poste.

CHRONIQUE ANECDOTIQUE & PETIT COURRIER

ÉCHOS MONDAINS

Le monde parisien vient de perdre, avec

Maxime du Camp, une des personnalités les plus originales, les plus brillantes et les plus sympathiques de notre galerie contemporaine. Il était quelque chose et quelqu'un.

Tout le monde remarquait cette silhouette élégante et fine, et même un peu hautaine ; non pas, certes, par infatuation ou par orgueil, mais plutôt par une sorte de sauvagerie, à la fois fière et timide, qui lui faisait fuir la promiscuité des foules, où des contacts douteux l'auraient trop fait souffrir.

Ne pour le monde, où sa distinction naturelle

lui assurait tous les succès, il a préféré aux

distractions d'un commerce frivole la solitude

un peu farouche, qui lui permettait de se concentrer

concentrer un labeur sévère et fécond.

Maxime du Camp a beaucoup produit, et ses oeuvres, marquées au coin d'une originalité puissante, ont pris place parmi celles qui resteront. Les Souvenirs et Paysages d'Orient, le Livre posthume, les Mémoires d'un suicidé, les Lettres sur l'Egypte et la Nubie, les Chants modernes, les Etudes sur les Beaux-Arts, le Chevalier au coeur saignant, l'Homme au bracelet d'or, les Souvenirs littéraires, et surtout ses deux grands ouvrages d'histoire contemporaine : Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, les Convulsions de la Commune lui valurent à l'Académie française un fauteuil qui lui fut décerné — chose rare — par l'unanimité des suffrages de ses futurs collègues. Un peu cassé, voûté et blanchi en ces dernières années, Maxime du Camp avait gardé plus longtemps qu'un autre la sveltesse et l'élégance de la jeunesse. On se retournait sur le boulevard pour voir passer cette taille haute et mince; on devinait la force sous cette stature nerveuse, et l'on devinait la puissance unie à la douceur sous les traits de ce visage dont la pâleur orientale s'encadrait d'une barbe fine et soyeuse.

Maxime du Camp est mort le jour même où il accomplissait sa soixante-douzième année, à Bade, où il passait chaque année plusieurs mois dans une intimité auguste. C'etait un spiritualiste : un mystique, s'il faut en croire quelquesuns, de ceux qui l'ont connu davantage. Affligé des débordements d'un matérialisme qui semble monter toujours, c'est lui qui a dit un jour celte belle parole : « Plus l'homme s'accorde de liberté sur la terre, plus il doit regarder du côté des choses invisibles. »

Le grand événement littéraire du mois de février a été la réception officielle de M. Brunetière à l'Académie française. Ayant à faire l'éloge de son prédécesseur, John Lemoine, on était impatient, dans le public, de connaître l'opinion du critique de la Revue des Deux Mondes sur la presse, sur son rôle, sur son passé, sur son avenir. Le discours de M. Brunetière a été ce qu'il devait être: une charge à fond de train contre le journalisme contemporain. Le successeur de M. Buloz a manié la férule avec une vigueur et un parti pris dont on a été justement étonné dans ce monde de la presse qui, pourtant, depuis quelques années, lui fut si bienveillant et le combla de tant d'éloges.

La réponse de M. le. comte d'Haussonville a été celle d'un homme d'infiniment d'esprit, d'un grand seigneur du dix-huitième siècle. Depuis bien longtemps, sous la coupole, on n'avait parlé une langue aussi jolie, aussi fine, aussi traditionnelle. Tout en rendant justice aux réels mérites de M. Brunetière, M. le comte d'Haussonville, très malicieusem*nt, a fait ressortir tout ce qu'avait de choquant et de pédantesque cette critique outrancière, un peu étroite, sans vision et quelquefois sans justice. Qui ne se souvient de la campagne de M. Brunetière contre Baudelaire?

De plus en plus suivies, les séances de la Bodinière. Il n'est presque pas d'après-midi que deux longues files d'équipages armoriés n'encombrent la rue Saint-Lazare. Les matinées de M. Maurice Lefèvre. consacrées à la jolie chanson du dix-huitième siècle et du commencement de la Restauration ; les conférences de M. Vanor, du comte Robert de Montesquiou-Fezensac, de M. Georges Street, et de tant de lettrés délicats et de musiciens aimés, ont fait de la coquette salle de M. Bodinier un des lieux de rendez-vous préférés du public aristocratique.

C'est encore à la Bodinière que, dans une séance musicale, consacrée aux maîtres Liszt, Rubinstein, Saint-Saéns, s'est fait entendre le fameux violoniste Sarasate, l'émule et le rival de. Sivori, qui vient de mourir.

Sivori ! deux générations l'ont applaudi, deux générations l'ont aimé. Il appartenait à cette

2 LA GRANDE DAME.

brillante phalange de virtuoses dont Wagner disait, parodiant la parole célèbre de Frédéric de Prusse : « Il m'en faudrait une légion pour former un bon orchestre. »

Jusqu'à ces dernières années, quoique bien vieux — il était né en 1815, — il n'était pas de journée qu'il ne soumît son violon — un stradivarius valant la rançon d'un roi —aux plus durs traitements de gammes, de doubles cordes, de sons harmoniques, de staccati. Avec Sivori disparaît une des figures de la virtuosité, dont Paganini, Liszt, Vicuxtemps, Litolff, Léonard ont été les initiateurs.

Et puisqu'il s'agit de musiciens, n'oublions pas Rubinstein, en ce moment à Paris.

La princesse A. Bibesco, une de ses plus brillantes élèves, la plus brillante peut-être, offrait l'autre jour, en son honneur, un déjeuner intime auquel étaient conviées des personnalités du monde, de l'Académie, des arts. Après le déjeuner, le maître s'est assis au piano, et durant deux heures, devant l'auditoire charmé, il a véritablement fait chanter cet instrument ingrat qu'est le piano, cet instrument qui, pour d'autres doigts que ceux d'un artiste, justifie bien la sainte répulsion de Reyer. On espère que le public pourra entendre Rubinstein, chez Colonne, un de ces dimanches.

Le comité pour l'érection d'un monument à Gounod s'est réuni l'autre jour, sous la présidence d'Ambroise Thomas. Il a été lu une lettre du Conseil municipal par laquelle on concède à la statue de Gounod un emplacement au parc Monceau. De plus, et malgré les 103000 francs de la souscription organisée dernièrement, une représentation aura lieu à l'Opéra, une représentation de gala, consacrée, bien entendu, aux seules oeuvres du maître, et dont le produit servira, avec les sommes déjà perçues, à ériger un bronze digne de cette gloire française.

Deux grands mariages en perspective, deux unions dans la plus haute aristocratie d'Europe. M. de la Rochefoucauld, fils du duc de la

Rochefoucauld-Doudeauville, député de la Sarthe,

chef des droites de la Chambre, ancien ambassadeur

ambassadeur France à Londres, président du JockevClub,

JockevClub, fiancé à Mlle Louise Radziwill, fille

du prince Constantin Radziwill et de la princesse,

née Blanc. Mlle Louise Radziwill, qui vient d'entrer dans sa dix-neuvième année, achève,

en ce moment, ses études à Neuilly. D'autre part, le prince Wladimir Orloff, fils de l'ancien

ambassadeur de Russie en France et frère du

prince Orloff, qui, jusqu'à l'année dernière, fut

attaché à l'ambassade russe, doit épouser dans quelque temps la princesse Olga BelozerskyBeilzersky.

BelozerskyBeilzersky. type plus populaire, plus aimé, que celui de l'ancien ambassadeur? De la race des grands seigneurs d'autrefois, riche, lettré, aimable, spirituel, artiste, il aima la France par-dessus tout et s'y fixa après avoir quitté cette carrière diplomatique dans laquelle il remporta tant de succès. Il mourut à Samois, dans sa seigneuriale demeure de Bellefontaine, où son nom et sa charité sont restés légendaires.

Un autre grand mariage est celui du marquis Starrabadi di Rudini, fils du marquis di Rudini, l'ancien président du Conseil des ministres d'Italie, avec donna Ortensia de la Gandara, belle-fille et fille du prince de Serignano et de la princesse, mariée en premières noces au marquis de la Gandara. Ce mariage se fera en avril, et, à cette occasion, le marié prendra le titre de prince de Militello.

Ce n'est pas à Nice, comme plusieurs de nos confrères l'ont annoncé, mais bien au cap Martin, que se rendront ces jours-ci LL. MM. l'empereur et l'impératrice d'Autriche. L'empereur, très âgé, malade et portant au coeur le souvenir de la mort tragique de son fils; l'impératrice, à laquelle ni les voyages, ni les aventures à travers les pays perdus et les lointains océans, n'ont apporté un peu de consolation à la douleur qui martyrise ses jours, — trouveront sous le beau soleil du Midi, sous ce ciel clément et doux, non pas l'oubli, mais la tranquillité bienfaisante et le charme d'une nature de rêve.

Les souverains trouveront au cap Martin cette autre infortunée princesse, l'impératrice Eugénie, dont on ne saurait, sans un serrement de coeur, invoquer le nom et la lamentable existence. Après avoir rayonné sur le plus beau trône qui fût au monde, le trône de France, après avoir été la plus heureuse des femmes comme la plus heureuse des mères, adulée, encensée, chantée par les poètes et admirée par l'univers, la comtesse de Pierrefonds, vieillie, oubliée, passe maintenant, dans la vie, sous ses longs voiles de deuil, semblable à quelque tragique et douloureuse figure shakespearienne. Quelle plus poignante destinée que la sienne, et quel respect n'inspirent pas au passage cette figure ridée par la souffrance et ces yeux brûlés de larmes !

C'est du Midi encore que nous arrivent d'inquiétantes nouvelles sur la santé de M. de Giers, le chancelier russe, l'ami du Tsar, et le fidèle ami de la France. L'âge très avancé de M. de Giers fait concevoir des craintes sérieuses à son entourage.

Malade aussi, et assez gravement, la princesse de Bulgarie. Des médecins de Vienne, appelés

CHRONIQUE ANECDOTIOUE ET PETIT COURRIER. 3

en toute hâte à Sofia, ont dressé des bulletins peu rassurants sur sa santé.

Et pendant que les amis, les. parents et les peuples prient: pour la santé des vivants et demandent à Dieu la vie des princes, d'autres prient pour les morts, pour ces morts dont ■Baudelaire a dit magnifiquement l'angoisse, lorsque l'oubli se fait autour de leurs tombeaux. La Société de secours aux blessés, la CroixRouge, présidée par Mer le duc d'Aumale, son président actuel, a fait célébrer l'autre jour, à la Madeleine, un service solennel en mémoire du maréchal de Mac-Mahon et des officiers, sousofficiers et soldats tombés au champ d'honneur.

Le duc et la duch*esse d'Audiffred-Pasquier, le général de Biré, le duc de Gramont, le çonite et là comtesse de Germiny, le général de Villenoisy, le comte de Lambertye, le marquis de Montgon, les comtes de Caby, de. Marlemont, etc., ont suivi, l'autre semaine, le convoi du vicomte de Fontanges de Conzan.

La messe mortuaire a été dite à Saint-Philippe du Roule.

■ Les deuils, dans la haute société parisienne, ont été d'ailleurs assez rares durant le mois de février. Les grands salons sont restés ouverts, et les fêtes, les bals, les solennités musicales, théâtrales et artistiques ont été presque quotidiens. Très courue l'Exposition des femmes peintres et sculpteurs au Palais de l'Industrie. La princesse Bonaparte, la comtesse Vigier, la marquise d'Hervey de Saint-Denys, la baronne de Vimont, la marquise de Castellane, la comtesse, de la Rochefoucauld ont été les visiteurs de la première heure.. On a admiré les tableaux de Mlle. Drevet, de Mme Gabrielle Debillemont, de Mme Marguerite Barbe, fille de l'ancien ministre, etc.

La redoute organisée à la salle des Mathurins — dont nous avons dit quelques mots dans notre précédent numéro — a obtenu le plus brillant succès. Beaucoup d'artistes: peintres, sculpteurs, musiciens, poètes, et des costumes comme en dessinent les artistes, lorsqu'ils se déguisent eux-mêmes.

Dîner d'apparat, chez Mme Marie Colombier : le comte Robert de Montesquiou-Fezensac, le baron de Vaux, MM. Lalou, Lucien Bonaparte, La Fargue, l'explorateur Soler, Manoury, Franck-Holman, Mme de Rute, etc. Musique après dîner, avec des artistes de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. Le clou de la soirée a été la Chanson, dite par un député, M. Jourdan.

Le prince et la princesse de Chimay ont offert,

la semaine dernière, un grand dîner. La voilà

donc restaurée, cette belle tradition française,

qui naguère, dans l'aristocratie de cour et plus

encore peut-être dans l'aristocratie de province,

faisait d'un dîner une sorte de solennité où se

déployait fastueusem*nt le luxe séculaire des

nobles maisons. La lumière des lustres, la table surchargée de vaisselle rare et d'argenterie précieuse — chaque pièce était un chef-d'oeuvre, — les fleurs, les livrées éclatantes, les satins, les têtes poudrées à la maréchale, les mets exquis,

les vins savoureux ; les convives aimables, gais,

spirituels, — marivaudant, riant, causant, — le

marquis railleur, le chevalier sentimental, le 1

vicomte amoureux, l'abbé malicieux, le duc

grave et le baron ivrogne ; et les femmes, les

femmes telles que nous nous les figurons d'après

les pastels du temps,—si charmantes, si jolies, si

charmeuses, si fines! Voyez-vous Talleyrand ou

le prince de Ligne, ou le cardinal de Retz, présidant

présidant dîner, entourés de ce que la

société d'alors possédait de plus élevé, de plus

célèbre. Des dîners qui coutaient une ferme de

Normandie et pour lesquels Vatel se passait

une épée en travers du corps ! Mais ces choses

sont mortes et la tradition, pour être restaurée

dans ses grandes lignes, n'en devra pas moins

se conformer aux tristes exigences d'une époque

avant tout pratique.

Chez la princesse de Chimay étaient priés :

le duc et la duch*esse de Gramont, le prince et

la princesse Pierre de Caraman-Chimay, la comtesse

comtesse Guerne, la comtesse Ghyslaine de Caraman-Chimay,

Caraman-Chimay, comte de Ségur, le vicomte de

Contades, le comte de Montesquiou-Fezensac,

Emile Wauters, le marquis de Modène, de Borda.

Mme la comtesse de Rolland,dont la crémaillère

fut, l'année dernière, un bal, le plus splendide

de la saison, promet, pour après Pâques, une

série de fêtes qui seront une véritable réjouissance

réjouissance tous ses nombreux amis. Son magnifique

magnifique de l'avenue du Trocadéro — un véritable

véritable renferme de beaux salons, vastes,

luxueux, qui peuvent contenir un nombre d'invités

d'invités égal à celui du Palais de l'Elysée,

Les nécessites du tirage nous obligent de

remettre au prochain numéro le compte rendu râ de la belle fête de charité organisée par Mme de

Löwenthal dans l'hôtel de Janzé.

Le Contre de quarte a donne son dîner habituel

habituel Café Anglais. Parmi les convives :

MM. Théophile et Gaston Legrand, le comte

d'Elva, le comte de Lyonne, le docteur Landolf,

Cayron, de la Frémoire, Jauret des Clauzières,

Clauzières,

4 LA GRANDE DAME.

DERNIER CHIC

En ce mois de mars, il faut se garantir contre les brusques changements de température en faisant usage de l pâte, de la poudre et du savon des Prélats, si précieux pour éviter tous les désastreux effets du froid sur l'épiderme. Ces produits sont la propriété exclusive de la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre.

La mode actuelle réprouve les cheveux blancs.

La nuance qui a toutes les faveurs du moment, c'est le blond vénitien. Avec la Poudre Capillus on obtient à sec la nuance désirée, sans avoir

à redouter aucune névralgie. Pour se procurer

cette poudre, il suffît d'en faire la demande, et d'envoyer un échantillon des cheveux à la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, qui en a seule la propriété.

Dans les fêles de cet hiver, on a beaucoup remarqué la dentition extraordinairement blanche et saine de la princesse de M..., de la

comtesse de R... et de plusieurs autres mondaines. On s'est demandé comment ces grandes dames, qui brillèrent il y a quelque vingt ans, avaient pu conserver des dents si admirables. Elles ont eu recours à la pâte, à la poudre et à l'élixir dentifrices des Bénédictins du MontMajella, dont M. E. Senet est administrateur à Paris, 35, rue du Quatre-Septembre.

SPORT

Le Tir aux pigeons (Cercle des Patineurs du Bois de Boulogne) est actuellement le rendezvous des meilleurs fusils. A la dernière séance, la poule handicap a été

gagnée par le comte du Taillis, — six pigeons, —et la poule de 30 mètres par le vicomte Clary, — trois pigeons. La poule à un louis d'entrée a été gagnée par

le comte de Sainte-Aldegonde, qui a tué six pigeons sur six.

CHRONIQUE FONCIÈRE

MM. Besson et Rousselle appellent particulièrement l'attention de leurs lecteurs sur les occasions suivantes en immeubles :

1° Belle maison à Paris, boulevard Sébastopol, avec une seconde façade sur une autre voie; contenance, 933 mètres. Revenu net, 70 000 francs; à vendre, 1300 000 francs.

Faculté pour l'acquéreur de conserver un prêt de 800 000 francs au taux de 4 fr. 80 pour 100, amortissem*nt compris:

2° Maison, même boulevard, avec seconde façade sur une autre voie; contenance, 367 mètres. Revenu net. 24 000francs ; à vendre, 475000 francs.

Faculté de conserver un prêt de 300 000 francs au taux de 4 fr. 80 pour 100, amortissem*nt compris;

3° Maison à Paris, boulevard du Temple, à l'angle d'une rue, toujours louée. Revenu net, 11000 francs. Prix exceptionnel, 175 000 francs. Très pressé;

4° Maison sur l'avenue de Saint-Mandé, entièrement neuve, solidement construite, 16 mètres de façade: contenance, 225 mètres. Revenu net actuel, 9500 francs, susceptible d'augmentation; expropriation possible sous un temps rapproché. Prix, 180 000 francs.

Faculté de conserver prêts;

5° Trois jolis pavillons d'habitation à Joinvillele-Pont, à vendre ensemble ou séparément, au prix de 9000 francs et de 10 000 francs :

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Tous ces immeubles constituent d'excellents placements. MM. Besson et Rousselle fourniront gratuitement tous les renseignements qui leur seront demandés.

BESSON et ROUSSELLE, anciens principaux clercs de notaire, gérants de propriétés.

25, rue Le Peletier. Paris.

Supplément

ECHOS, (CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

ÉCHOS MONDAINS

Est-ce à M. le comte Robert de Montesquiou; est-ce à l'initiative de quelques gens du monde inquiets de tentatives originales; est-ce encore aux professionnels de la Bodinière, que l'on doit les conférences dans les salons? Il serait difficile dé le savoir. Tant il est que depuis quelque temps, dans la bonne société, l'usage s'est répandu des matinées durant lesquelles une célébrité, appartenant au monde des arts, des lettres, du théâtre, de l'église, est priée de parler, de

traiter.un sujet quelconque, ce sujet fût-il pris aux spéculations les plus arides de la philosophie. A la vente de charité de Mme de Löwenthal, organisée dans ce merveilleux hôtel de Janzé, M.Got, le doyen de la Comédie-Française, a parlé d'Emile Augier. Chez lady Caithness, duch*esse de Pomar, trois conférences ont eu lieu, pendant ce mois de mars; trois conférences d'un haut intérêt scientifique, psychologique et moral, dues à des personnalités comme MM. Charles Richet, Paul Rognon et H. Marion. Et une quatrième conférence ne doit-elle pas avoir lieu, toujours en l'hôtel de Pomar, dans laquelle M. l'abbé Petit traitera du Mysticisme chrétien! Aussi bien, M. Zola, qui ne néglige rien de ce qui peut faire valoir son talent, s'est-il décidé à parler,en public, au théâtre de la Gaîté, et au profit de la caisse de secours de la Société des Gens de Lettres. M. Zola lira un chapitre de Lourdes, son futur roman ; il racontera les extases de Bernadette, la protagoniste d'une oeuvre appelée —

faut-il le dire? — à un très grand succès de librairie. Espérons pour le prochain académicien une fortune différente de celle de M. Brunetière, en Sorbonne.

Quelques rancunes qu'ait suscitées le discours de réception de M. Brunetière à l'Académie française, il n'est pas une personne de bon sens qui ne lui reconnaisse une très haute»et très belle conscience littéraire — une des plus belles de ce temps — et qui ne proteste contre une cabale inexplicable, inexpliquée, et qui provoquerait une légitime colère si elle ne provoquait un sourire de pitié N'a-t-on pas poussé la... légèreté jusqu'à huer au passage les voitures de maître, emportant

emportant sous le coup d'une émotion réelle, des dames venues pour assister à une conférence libre, ouverte à tous ceux qui s'intéressent aux manifestations de l'esprit? C'était une protestation — on l'a, du moins, prétendu — contre les salons académiques! La jolie protestation! N'est-ce pas faire le procès de tous les salons de Paris, de tous ceux où l'on cause réellement, et que les chroniques mondaines se lamentent de voir disparaître ou de voir disparus? Faudra-t-il aller manifester devant l'hôtel de Mme Aubernon de Nerville, rue d'Astorg, qui, samedi dernier, réunissait l'élite du monde aristocratique, artistique et lettré ; ou aux quinzaines de Mme Charpentier, la femme de l'éditeur; ou encore chez Mme Adam, où tout ce qui a un nom à Paris était venu, il y a quelques jours, applaudir le petit théâtre, une merveille de goût et d'interprétation?

Mais ce sont là incidents futiles, et dont M. Brunetière, qui est homme d'esprit, ne doit même plus se souvenir à l'heure qu'il est. Le soir même de ces scènes tapageuses, il était chez Mme Conrad Jamesson, en compagnie de son nouveau confrère à l'Académie, le poète J. M. de Hérédia, en train d'écouter Mlle Eustis, la nièce de l'ambassadeur des États-Unis, qui, avec sa soeur, Mme Kinen, a joué du Paderewski comme, seule en sait jouer la princesse Alexandre Bibesco. Cette dernière, d'ailleurs, sur les prières et même les supplications de l'assistance : Mmes la vicomtesse de Trédern, la princesse Gortschakoff, la vicomtesse Vigier, la baronne S. de Rothschild, la comtesse de Lur-Saluces, etc., a consenti à tenir à son tour le piano et à traduire, avec une extraordinaire puissance d'évocation, la pensée des maîtres comme Schumann, Rubinstein, Chopin et Frank. De plus en plus, la bonne musique s'implante dans les moeurs de la société. Un chroniqueur aurait fort à faire s'il voulait, toutes les semaines, noter seulement les grandes maisons où l'on consacre à la musique des matinées et des soirées entières. Voulez-vous un aperçu? Chez Mme Fauqueux, un opéra-comique de Poise: Joli Gilles, interprété par la maîtresse de maison, Mlle de Labarrière, Mme Vogt, MM. Meletta, Aude, Roques. Chez la princesse Alexandre Bibesco, tous les samedis, Rubinstein,

lorsqu'il est de passage à Paris, Paderewski, Diémer, Servais, Mme Krauss, Sarasate. Chez Mme la vicomtesse de Trédern, des opéras entiers, avec orchestre, choeurs,'.; mise en scène. Chez Mme la baronne de Kameritz : les chansons de 1830. avec Cooper et Aliguez, et les chansons espagnoles de la baronne Scotti. Chez la duch*esse de la Torre se l'ait entendre Mme la comtesse de Guerne. Chez la princesse de Gortschakoff, séances avec Mme Karol. de l'Opéra-Comique, Salmon, Ladislas Gorski, etc. Chez Mme Aubernon de Nerville, séances avec MM. Le Lubez et Millot, les deux premiers ténors mondains du moment. Et chez Mme la vicomtesse de Janzé, dans celte inoubliable fête de charité organisée par Mme la baronne de Löwenthal, où, devant un véritable parterre de duch*esses, se faisaient entendre Mme Krauss et Louis Diémer. Et à ce propos, ne convient-il pas de faire remarquer de quelle vogue méritéc jouit, en ce moment, la célèbre cantatrice? C'est là un légitime succès, car nulle, mieux que Mme Krauss, n'a plus profondément traduit l'inspiration des maîtres et leur magique vision.

Durant ce mois de mars, dont il est question ici, il n'a pas été de jour qu'une solennité artistique n'ait eu lieu. A la chapelle des Pères dominicains, la comtesse André Mniszech et la comtesse Mathilde Ducos ont chanté un duo de SaintSaëns et le Crucifix, de Faure. Chez la baronne Boissy-d'Anglas, les compositeurs Paladilhe et Thomé ont été les héros d'une fêle musicale, dans laquelle la maîtresse de maison, Mme Boissyd'Anglas elle-même, a chanté avec talent et une incontestable science musicale. Miss Gertrude Auld, une élève de Mme Marchesi, a donné un brillant concert dans les salons de l'ambassade d'Angleterre, aimablement mis à sa disposition par lady Dufferin. Chez Mme Beulé, matinée musicale avec la baronne Scotti, le comte de Gabriac, Mlle Wormèse, Mlles Mendelssohn. Chez la baronne Caruel de Saint-Martin, en l'honneur de la comtesse d'Eu, séance musicale avec le violoniste White, la baronne de Muritibe et la princesse Alex. Bibesco. Et à toutes ces manifestations d'art, le même public dilettante et d'information musicale aussi complète que celle des professionnels : la princesse Jeanne Bonaparte, la marquise de Farget, Mme Le Roy, la vicomtesse de Croy, la baronne Sipière, la baronne de Saint-Didier, la baronne Double, la marquise d'Hervey de SaintDenys, la marquise de Castellane, la comtesse Potocka, la duch*esse de Morny, la princesse de Tarente, la comtesse Alan de Montgomerv, la comtesse Murat, la vicomtesse de Janzé, Mmes Munroë, de Gheest, Jules Porgès, etc.

En revanche,— faut-il s'en plaindre, faut-il s'en réjouir? — les dîners se font plus rares. Il y en a

bien peu à mentionner pour ce mois. Excepté les déjeuners du dimanche à Chantilly, chez le duc d'Aumale, nous ne citerons que les dîners de la marquise de Tamarit, où étaient conviés l'infante Eulalie, le duc et la duch*esse de Najera, le duc de Levina, le marquis et la marquise de Novallas; les dîners de l'ambassade d'Angleterre en l'honneur du prince de Galles ; les dîners de la princesse Bibesco, en l'honneur de la reine Marie de Naples, de la princesse Marguerite; et un autre grand dîner, suivi de réception, chez Mme Alexandre Cohen.

Il ne s'agit pas, bien entendu, des grands dîners de fiançailles et de mariage qui font exception et qui, ces derniers temps, ont été assez fréquents. Sans parler des fiançailles du duc de, Madrid avec une Rohan-Guémenée, et dont la Grande Dame se réserve d'entretenir longuement ses lecteurs — car c'est là le grand événement de la saison, et par conséquent méritant un chapitre spécial — rappelons le mariage de Mlle Eugénie Blavet, la fille de notre confrère Blavet, du Figaro, avec M. Edouard Chigot, inspecteur de la garde civile indigène du Tonkin et de l'Annam, chevalier de la Légion d'honneur, — célébré à Notre-Dame de Lorette, avec une pompe et une élégance presque princières. Quatre amis personnels de M. Emile Blavet : R. Pugno, Hollman, Sellier et Soulacroix, se sont fait entendre pendant la cérémonie. Un lunch a réuni ensuite les parents et les intimes. Encore, les mariages du baron Emmanuel de Villars avec Mlle Charlotte de Saisset, petite-fille de l'amiral et cousine du général comte de Geslin; de M. Raymond de Cugnac, avec Mlle Berthe Ellie; du marquis René de Saint-Léger, lieutenant au 14e chasseurs, avec Mlle Marguerite David ; du capitaine comte Charles de Montalivet, petit-fils du ministre de LouisPhilippe, avec Mlle Duvergier de Hauranne, petitefille du célèbre écrivain de la monarchie de Juillet. Et enfin, pour le prochain mois, le mariage du prince Jean-Georges de Saxe, avec la duch*esse Marie de Wurtemberg, fille du duc Philippe et de l'archiduch*esse Marie-Thérèse d'Autriche, et celui de M. Georges-Charles-Victor-Léopold Hugo, le petit-fils du grand poète, avec Mlle Ménard-Dorian. Cette union sera célébrée à la fin d'avril.

Et les réceptions, et les soirées dansantes, et les bals ? La saison va commencer bientôt. La duch*esse de Maillé annonce un bal rose. La duch*esse de Pomar a donné un bal blanc, avec un Quadrille des Anges, réunissant les noms les plus connus de l'armoriai : grâce, beauté, fortune, jeunesse. Un ravissem*nt pour les yeux! L'autre jour, bal costumé chez la comtesse de Trobriand, avenue des Champs-Elysées. Les honneurs étaient faits par Mme de Trobriand, aidée de sa fille, la belle Mme Stern, et de sa

petile-fille, la comtesse de Maleissye. Succès colossal et cotillon monstre.

Les réceptions ont continué leur cours régulier. A signaler, parmi les plus suivies, les soirées politiques du duc de Broglie, et les raouts de la vicomtesse de Saint-Georges. La présence du prince de Galles à Paris, présence fort courte, du reste, avait fait ouvrir quelques salons. Mais l'héritier de la couronne d'Angleterre a décliné bien des invitations, à cause du temps très court qu'il avait à consacrer à ses amis. Il s'est embarqué à Marseille, sur son yacht Britannia. à bord duquel il se propose de visiter le littoral méditerranéen. Il est probable qu'il a profité de son séjour dans le Midi pour rendre visite aux souverains d'Autriche, installés au Cap-Martin, pendant près de trois semaines. L'empereur et l'impératrice, voyageant dans l'incognito le plus strict, n'ont d'ailleurs reçu que de rares visiteurs, parmi lesquels le prince et la princesse de Monaco et l'impératrice Eugénie.

JEAN DE MITTY.

L'Hippique est le concours de l'élégance, nos femmes y luttent de fraîcheur et de beauté. Sous celte lumière crue il faut avoir un teint pétri de lis et de rose pour paraître jolie. Mais nos coquettes Parisiennes ont mille petit* moyens de rester belles ; elles suivent toutes la recette de jeunesse de Ninon de Lenclos. qui conserva sa beauté jusqu'à l'âge le plus avancé, en usant journellement de la Véritable Eau de Ninon. Cette eau n'est pas un fard, elle tonifie, embellit la peau, empêche et détruit les rides, les boulons, les taches de rousseur. C'est le talisman de jeunesse de nos mondaines que délivre la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre.

Voici le premier sourire d'Avril; c'est la dernière heure du Carême austère. Saluons Pâques fleuries! C'est l'heure où la nature, la grande coquette, va essayer ses robes de printemps. Le printemps ! il a comme toutes choses des revers; le pire est de faire naître sur le visage de nos jolies mondaines de vilains petit* points noirs, et alors adieu le charme, la beauté. Pour parer à cet inconvénient, il n'y a que l'Anti-Bolbos qui réussisse dans tous les cas à détruire ces affreux points noirs qui surgissent sur le nez, le front et le menton. Le savon à l'Anti-Bolbos contribue à les faire disparaître. Pour plus de détails, s'adresser de notre part à la Parfumerie Exotique. 35. rue du Quatre-Septembre.

Comtesse S.

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NOTES D'ART

L'Exposition des dessins originaux de Maurice Leloir, dessins destinés à l'illustration des Trois Mousquetaires, d'Alexandre Dumas, a obtenu le succès auquel était en droit de s'attendre cet artiste consciencieux, subtil évocaleur des élégances de jadis, du joli temps des robes à paniers et des satins fanfreluches. Après avoir fait revivre, avec une grâce et une poésie parfaites, l'exquise Manon, de l'abbé Prévost, voilà que M. Leloir, pénétrant, pour ainsi dire, dans la pensée du grand Dumas, fait sortir de leur cadre et restitue par le charme du crayon ces immortels mousquetaires dont il n'est personne au monde qui ne connaisse les aventureux et épiques exploits. Duels, amourettes, intrigues, chevauchées, estocades, combats merveilleux et merveilleuses légendes, tout cela vibre, tressaille intimement dans la suite des dessins à l'aide desquels Leloir a commenté la fabuleuse histoire du cadet de Gascogne. Aussi, la vente, organisée le 14 et le 15 mars, dans les salons de la rue de Sèze, a atteint le chiffre de 75 850 francs! L'exemplaire unique, avec aquarelles originales, s'est vendu 8000 francs. « La Sortie des gardes françaises, par le faubourg Saint-Antoine, se rendant au siège de la Rochelle », a trouvé acquéreur pour 1600 francs; « la Rencontre des quatre mousquetaires avec ce bon M. de Tréville, » 850 francs; « Nous allons avoir l'honneur de vous charger », 650 francs; le portrait d'Anne d'Autriche, 720 francs, etc., etc. Nous sommes heureux de féliciter notre collaborateur de ce succès, qui n'est pas le premier et qui est loin d'être le dernier.

Quel est l'artiste, ou la personne inquiète des choses de l'art, qui ne connaisse le nom de M.Théodore Duret? Critique, collectionneur, analyste, lettré et surtout, et avant tout, artiste, au sens le plus élevé et le plus subtil du terme, M. Théodore Duret a eu ce beau courage et cette belle conscience d'aimer, d'apprécier, d'estimer la magnifique pléiade des Indépendants, à une époque où les noms seuls de Manel ou de Degas suscitaient le rire stupide et provoquaient le mépris. Aujourd'hui que Whistler, Pissaro, Claude Monet, Renoir, Sisley, Mme Berthe Morizot, Jongkind, Courbet, Cézanne. Degas, Manet se sont définitivement imposés au respect et à l'admiration de tous, ce n'est pas le moindre mérite de M. Théodore Duret d'avoir deviné le glorieux avenir de ces peintres et d'avoir, à l'heure première, prodigué sa sympathie effective à ceux-là qui marquent, en ce moment, une des plus magnifiques étapes de l'art pictural en France et dans le monde entier. La collection de M. Duret, composée exclusivement de ces noms aimés, s'est dispersée au feu des enchères, et le succès de cette vente a démontré éloquemment, et mieux

6, Boulevard des Capucines, PARIS

479 Fifth Avenue, 41 St., NEW-YORK

LE Linge de table fabriqué par la GRANDE MAISON DE BLANC, au point de vue du dessin, du goût et du prix, est à la tête des fabrications du monde entier; les Linges fantaisie couleur ou dentelle, les Rideaux et la Lingerie pour Trousseaux ont fait depuis trente ans une réputation universelle à la GRANDE MAISON DE BLANC. Dans toutes les Expositions elle a remporté les plus hautes récompenses.

Encouragés par ces succès et pour répondre aux désirs d'une Clientèle d'élite, les Directeurs ont ouvert récemment

UN RAYON DE SOIERIES, DE ROBES DE BAL

GAZE, ETC.,

et ont donné au rayon de Gants une nouvelle extension.

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que ne pouvait le faire tout commentaire, avec quels soins intelligents, quelle patience et quel parfait discernement M. Durel avait su réunir sa collection. La Grande Dame reproduira une partie de ces oeuvres remarquables ; c'est le moyen le plus efficace de vulgariser, en des milieux jusqu'ici réfraclaires, une formule et une vision artistiques inconnues jusqu'à ce jour.

Les mêmes noms se trouvent réunis sur le catalogue du legs, réellement royal, que vient de faire à l'État cet honnête et consciencieux artiste qui eut nom Caillebotte. Lui aussi, à l'époque des début, encouragea et admira les impressionnistes. Coeur généreux, esprit ouvert et clairvoyant, Caillebotte fut l'ami et l'on peut même dire le frère de Manet, de Courbet, de Pissaro, de Cézanne et de ce Renoir qu'il nomma son exécuteur lestamentaire et qu'il chargea de porter à l'Etat ce cadeau d'incomparable magnificence. Le musée du Luxembourg possédera donc des Degas, des Cézanne, et même — bien qu'il fût un timide et que l'admiration qu'il professait pour ses amis empêchat Caillebotte de mettre en évidence un réel talent, — quelques paysages du donateur.

En marge du beau roman de Thaïs, d'Anatole France, M. Gallet a écrit un livret d'opéra, et Massenet une musique ensorcelante, d'un dessin mélodique à la fois très simple et très subtil, une musique faite de charme et de poésie. L'auteur de Werther et de Manon a trouvé dans Mlle Sanderson l'interprète rêvée : beauté, jeunesse, talent et une incomparable douceur de voix.

Signalons à la galerie Petit une Exposition d'impressionnistes, et dans l'atelier de M. Raffaëlli une autre Exposition comprenant les oeuvres de ce maître, et dont nous aurons à parler.

J. DE M.

RENSEIGNEMENTS

Avec les bals, les fêtes, les réunions, ce qui préoccupe le plus les femmes c'est leur coiffure. Le dernier cri de la mode exige que les cheveux soient très fournis, très bouffants autour du visage, et forment auréole avec quelques légères boucles naturelles retombant sur la nuque; pas de mèches fausses surtout, mais des cheveux bien vivants, bien à soi. Pour cela, il faut conserver sa chevelure, en arrêter les chutes si fréquentes au printemps; il est donc indispensable de lotionner le cuir chevelu avec l'Extrait capillaire des Bénédictins du Mont-Majella, qui non seulement les empêche de tomber, mais les fait repousser et en retarde la décoloration. Seul dépôt chez M. E. Senet, 35, rue du Quatre-Septembre.

Le dernier chic, pour les toilettes de bébés et de fillettes, c'est la simplicité, une simplicité qui sied au jeune âge et qui peut devenir très élégante : tout dépend de la coupe qu'aura le vêtement et de sa nuance. C'est à Mme Thirion, 19, rue de la Paix, que revient l'honneur d'avoir créé ce genre de toilettes, vraies toilettes de petites princesses, et cela sans ornements coûteux, mais tout simplement par le choix de jolies teintes, d'étoffes inédites, et en créant des modèles aux formes gracieuses et d'une coupe irréprochable, et aussi bien française.

C'est dans ces accoutrements si simples et si charmants que nous entrevoyons aux ChampsElysées et au Bois nos chers bébés et nos jolies fillettes, qui peuvent à leur aise se livrer à leurs joyeux ébats.

Au moment des premières communions nous pensons être agréables aux mères de famille en leur signalant les modèles d'orfèvrerie religieuse créés par la Maison C. Gueyton, 8, place de la Madeleine. La planche hors texte que nous publions dans notre numéro, et qui représente une croix et des emblèmes ciselés sur fond vermeil, montrera la réelle valeur artistique de ces objets. Nous appelons également l'attention de nos lectrices sur la seconde planche de modèles de la Maison Gueyton, représentant des boucles de ceinture ornées de fleurs ciselées. Elles apprécieront certainement ces spécimens d'art mondain et élégant.

Une innovation télégraphique!

Désormais, plus d'indiscrétion à craindre du domestique à qui l'on confie une dépêche à porter au bureau télégraphique. Il suffît de se procurer le nouveau bloc : « le Télégramme discret », édité par Henry, A la Pensée. C'est une suite de formules pointillées et gommées, sur lesquelles on libelle sa dépêche et qui ainsi est remise close à l'employé, dont la discrétion à lui est professionnelle.

Petite correspondance. — A Mme la COMTESSE C. Les photogravures représentant un Bal Parisien, publiées dans notre précédent numéro, ont été exécutées d'après les clichés photographiques de la Photographie Nouvelle (H. Mairet), 17, boulevard Haussmann; grâce au procédé de M. Mairet, ces clichés ont été pris pendant le bal même. Ce moyen d'exécution sur place donne celte intensité d'expression que vous avez bien voulu remarquer.

Supplément à La Grande Dame de Mai 1894

SERRURERIE A CLEF DIAMANT

Nous recommandons à nos lectrices une invention utile, agréable, intelligente et appelée, croyons-nous, à rendre de réels services dans l'avenir. Un fabricant de serrures a trouvé le moyen de nous débarrasser de ces lourds et encombrants trousseaux de clefs et de les remplacer par une seule clef, une seule petite clef, pesant à peine 15 grammes et ouvrant toutes les serrures indistinctement. Un véritable Sésame, ouvre-toi, que son inventeur, M. Charles Deny, a appelé le Passe-partout Diamant.

Il est au moins inutile de montrer les avantages d'une pareille invention. Munie de cette petite clef, suspendue à la châtelaine, sa

maîtresse peut à loisir fermer et ouvrir les portes de ses armoires, de ses meubles, de sa propriété de campagne, du jardin, etc., sans le désavantage de porter, comme jadis, ce lourd trousseau dont les seuls geôliers ont le privilège. Et encore n'est-il pas dit que ceux-ci ne viendront pas au Passepartout Diamant, ce qui serait plus pratique et plus intelligent. L'inventeur, M. Charles Deny, a prévu toutes les difficultés : bien que chaque serrure ait une clef différente, on peut les laisser aux domestiques, puisque.ces clefs n'ouvrent que la seule serrure pour laquelle elles ont été faites. Seule, la Clef Diamant les ouvre toutes. Une maîtresse de maison peut ainsi exercer une surveillance continuelle sur l'office, sur la lingerie, sur les mille détails de la vie familière, sans le désavantage indiqué plus haut. Aucune dégradation n'est à craindre : des ouvriers spéciaux ont la charge de poser ces serrures nouvelles, sans préjudice aucun pour la valeur d'un meuble ancien ou d'un meuble de prix.

LA GRANDE DAME

Définition. — Au moyen d'une combinaison mathématique, qui est la base de l'invention de M. Charles Deny, le promoteur de la Clef Diamant est parvenu à établir 12000 combinaisons différentes, ayant chacune un ou plusieurs passe-partout différents. Chaque combinaison pouvant elle-même renfermer 1000 à 1500 serrures différentes, suivant les besoins des propriétaires auxquels sont attribuées ces combinaisons. Partant de ce principe, et après en avoir étudié minutieusem*nt toutes les applications, M. Charles Deny est arrivé à faire des serrures de toutes formes, de toutes dimensions et pour tous usages. Depuis la forte serrure d'une grille- ou d'une porte cochère, jusqu'à la plus minuscule serrure de meuble, de malle et même des cadenas. Lorsqu'il s'agit de remplacer d'anciennes serrures, et pour éviter toutes dégradations, M. Charles Deny se conforme strictement aux dimensions de ces dernières.

Observations à suivre pour les commandes

Lorsqu'il s'agit d'une commande, les indications suivantes sont nécessaires :

1° Le sens de l'ouverture, en se plaçant à l'extérieur de la porte; 2° La distance à laquelle se trouve l'entrée du bord de l'ouverture; 3° L'épaisseur du bois que le canon de la serrure doit traverser.

Pour les serrures de prix, soit en cuivre ciselé, serrure antique pu de valeur artistique, M. Ch. Deny les transforme sans dégradation. Pour les meubles, le plus simple, dans la plupart des cas, est d'adresser à l'inventeur les anciennes serrures, qui les transforme et les remplace par d'autres de mêmes dimensions.

Avantages du système

1° Plus de trousseau ;

2° La facilité de porter la Clef Diamant dans une poche, pendue à une châtelaine ou à une breloque ;

3° Sa légèreté ;

4° Plus de recherche de clef, ayant toujours à la main celle qui les remplace toutes.

LA GRANDE DAME

Incrochetabilité absolue, obtenue après de longs efforts, et prouvée par des expériences faites dans les grandes administrations, Compagnies de chemins de fer, maisons de banque, etc.

Indépendamment de ces avantages, les serrures de M. Ch. Deny possèdent encore les suivants : elles ne craignent pas l'humidité et fonctionnent dans l'eau comme dans l'endroit le plus sec. La Clef Diamant, bien que légère, puisqu'elle ne pèse que de 12 à 15 grammes, est très solide; elle est faite en acier de qualité supérieure.

Au point de vue de la commodité, il est marqué sur chaque serrure un numéro correspondant à celui des clefs de

ladite serrure. De cette façon, quelqu un, tout en laissant indistinctement ses clefs dans un même tiroir, trouve immédiatement celle dont il a besoin. Ainsi est supprimé l'ennui de faire enlever une serrure lorsqu'on a besoin d'une clef supplémentaire, ou bien une réfection de peinture entraînée par cette dépose.

Fonctionnement. — Tous ces avantages établis, on se rend compte de la commodité d'un système aussi pratique, permettant de conserver toutes choses sous clef, tout en ayant constamment accès à toutes les portes. On peut alors confier à ses domestiques soit les clefs isolées, soit un passepartout spécial allant sur les différentes serrures ressortant des occupations de chacun et que vous renfermez ainsi dans ses attributions. On évite ainsi l'abus de ces clefs restant accrochées dans un coin, à la disposition de quiconque veut s'en servir, ou d'un étranger voulant en abuser. Les hôtels, les maisons particulières, les villas, les administrations, etc., trouveront à ce système un avantage sur lequel il est à peine besoin d'insister.

Références. — M. Charles Deny, bien que son invention datât d'hier, a recueilli l'adhésion d'une foule de notabilités parisiennes et de province. Il en tient une liste et la met à la disposition des clients.

Maisons de rapport. — S'adressant aux propriétaires d'immeubles à loyer, M. Charles Deny leur propose, pour eux et pour les locataires, une

LA GRANDE DAME

sécurité inconnue jusqu'à ce jour, tout en diminuant le travail du concierge et en lui facilitant la surveillance. Il donne pour les portes d'entrée, soit pour les portes bâtardes, soit pour les portes cochères ou grilles, une serrure ayant une clef particulière pour le concierge, et deux sortes de clefs spéciales et toujours différentes pour chaque appartement. L'une de ces clefs à destination des domestiques, ouvrant à la fois la porte cochère et la porte de service de l'appartement.

Charles DENY,

48, rue des Acacias

Serrurerie à CLEF DIAMANT

absolument incrochetable

ATELIERS: 20, rue de l'Arc-de-Triomphe, Paris. — MANUFACTURE à Friville-Escarbotin (Somme)

Supplément

ECHOS, CORRESPONDANCE, RENSEIGNEMENTS

ÉCHOS MONDAINS

Ceci n'est pas une plaisanterie : il s'en est fallu de peu que le prince de Galles ne fût la victime du Geste de la rue de Tournon. On va voir comment. A son retour du Midi, l'héritier présomptif de la couronne d'Angleterre se trouvait à déjeûner, le mercredi matin — le fameux mercredi — chez la marquise de J...rt. En se levant de table, il manifesta l'intention d'aller le soir à l'Odéon, où l'on donnait la première du Ruban. Or, chaque fois que le prince va à l'Odéon —ce qui lui arrive bien rarement, d'ailleurs, — il a pour habitude de dîner chez Foyot, et justement dans la petite salle où Laurent Tailhade fut vielime de l'explosion. L'honorable Fortescue, aide de camp du prince de Galles, allait même téléphoner au théâtre et au restaurant—pour retenir les places — lorsque le prince de P..., de qui nous tenons ces détails, parla de Thaïs. « Venez donc voir Sanderson, monseigneur. Elle est admirable dans ce rôle! »

Le prince réfléchit un moment, et... se décida pour Thaïs.

Nous garantissons la rigoureuse exactitude de celte histoire, dont les moralistes ne manqueront pas de tirer un enseignement. Mais, quel que soit celui-ci, il ne reste pas moins avéré que la couronne d'Angleterre doit une fière... reconnaissance au prince de P... On en a fort parlé dans le monde, et chez la comtesse Hoyos, lors de la vente de charité organisée clans l'hôtel de l'ambassade, l'anecdote courait les salons.

Quel admirable livre à écrire sur la charité parisienne, sur cette sorte de religion qui unit les éléments les plus variés et les plus disparates de la société dans un sentiment unique, inébranlable, planant au-dessus des haines de partis, des préjugés, des coteries ! Il n'est pas de jour qu'une oeuvre nouvelle ne se fonde, et il n'est pas d'oeuvre nouvelle qui ne réunisse immédiatement des moyens d'existence. Rue de la Boétie, au Grand Bazar de la Charité, où cent cinquante comités tiennent tour à tour les comptoirs, l'encombrement est tel et l'affluence des visiteurs si grande qu'il faut réellement jouer

des coudes avant de pouvoir déposer son obole dans la bourse d'une dame quêteuse. C'est par des centaines de mille francs que se chiffrent ces ventes, et c'est par des millions que la société parisienne paye son tributaux pauvres. Et cela ne l'empêche ni de s'amuser, ni de rire, ni d'être la plus raffinée et la plus élégante du monde.

Voici d'ailleurs, pour le seul mois d'avril, quelques-unes des fêtes qui ont eu lieu. Et combien que le défaut de place nous empêche de mentionner !

Bal costumé chez la comtesse de Trobriand, avec l'orchestre de Waldteuffel. Comme jadis aux bals de l'Impératrice, un groupe de quatre adorables jeunes femmes représentait les quatre saisons. Bal et séance musicale chez la baronne Sipierre secondée par sa fille, la jeune comtesse du Bourg de Bozas. Soirée d'ouverture à l'hôtel Spitzer, où Mme Coche, la fille du grand collectionneur, faisait représenter l'opéra-comique de Sedaine : Rose et Colas. Grand bal chez Mme Gandolfi, dans son palais de l'avenue du Bois. Dîner de cent couverts, suivi de réception, chez la duch*esse de Pomar. Soirée chez la comtesse de Saussine, où l'on a entendu des vers inédits du comte R. de Montesquiou. Matinée chez la duch*esse de Belluné et représentation théâtrale. Bals chez la baronne James de Rothschild, la duch*esse de Gramont, la marquise de Barbentane, la comtesse de Riancey; chez Mme d'Arnal de Serres, la marquise Guilhem de Polhuau. Sauterie blanche et rose chez la baronne Gustave d'Adelsward, boulevard de Courcelles, en l'honneur de ses nièces, Mlles d'Amboix de Larbont. Le blanc était représenté par Mlles de Gramont, de Partz, de Gramedo, de Vaulogé, de Barbentane, de Montsaulnin, de Jaucourt, de Rothschild, de Courcy. Le rose, par un petit nombre de jeunes femmes, parmi lesquelles : duch*esse de Morny, comtesse de Bryns, baronne de Boutray, etc. Et comme danseurs, les marquis de Bonneval, de Bérenger, le prince de Lucinge-Faucigny, les comtes Antoine de Contades, de Boisgelin, de la Béraudière, etc. A citer encore une crémaillère chez le marquis de Breteuil, dans sa splendide habifalion Louis XVI de l'avenue du Bois. Les conférences chez la duch*esse de Pomar; les séances musicales

chez Mme Krauss et chez M. Diémer. Un opéracomique, chez le comte André Martinet. Dîners d'apparat chez Mme des Coutures, chez la marquise de Jaucourt, chez lady de Grey, chez Mme Standisch, chez la vicomtesse de Fiers, chez Mme Godefroy Cavaignac, etc. Réceptions, dîners et soirées à l'ambassade d'Allemagne, chez la comtesse Hoyos, la marquise Dufferin, à l'ambassade espagnole, du Danemark.

La saison bat son plein. Le Concours hippique, présidé cette année par le comte de Juigné, a eu une vogue extraordinaire. Certains jours, les tourniquets ne laissaient plus passer personne. Impossible de se caser quelque part.

Le comte de Brissac est élu président du Cercle Agricole. Vice-présidents : l'amiral de Dompierre d'Hornoy, le prince de Lueinge-Faucigny, le baron Reille et le vicomte de Durfort.

A Sainte-Clotilde, a été célébré le mariage du vicomte François-Gabriel de Rochas-d'Aiglun, sous-lieutenant au 21e chasseurs d'Afrique, avec Mlle Marie-Madeleine-Claire Gaillard.

Nous avons annoncé le mariage du comte Armand de La Rochefoucauld avec Mlle Radziwill, fille du prince et de la princesse Constantin de Radziwill. Le mariage se fera à Ermenonville, le superbe domaine de prince Radziwill. Rappelons que le duc de Doudeauville a six enfants : une fille de son premier mariage avec Mlle de Polignac : la duch*esse douairière de Luynes; et de son second mariage : le vicomte de La Rochefoucauld, qui a épousé Mlle de La Trémoïlle; Mlle Elisabeth de La Rochefoucauld, qui a épousé le prince Louis de Ligne; le comte Armand, le fiancé d'aujourd'hui ; Mlle Marie de La Rochefoucauld, qui a épousé le marquis d'Harcourt, et le comte Jean de La Rochefoucauld.

Mlle de Tredern épouse prochainement le vicomte Marc de Beaumont, fils du général de Beaumont et de feu la comtesse, née de Castries. Par la mère, le vicomte de Beaumont est neveu de la maréchale de Mac-Mahon. La jeune fiancée a deux frères : le duc François de Brissac et M. Henri de Tredern, et deux soeurs : l'une mariée au prince Ernest de Ligne, l'autre au comte Gabriel de Sesmaisons.

L'Infante Eulalie, qui, depuis février, est installée avec ses deux jeunes fils, don Alfonso et don Luiz, à Versailles, à l'hôtel des Réservoirs, à la porte même du parc, semble trouver un charme tout particulier dans cette villégiature.

Accompagnée de son chambellan don Pedro Jover, la princesse monte presque tous les matins son cheval favori Mignon pour faire une promenade dans les allées de Trianon et les bois qui avoisinent Versailles. L'après-midi on peut la voir au parc, avec Mlle de Podestad, sa demoi-

selle d'honneur, et son mari l'Infant don Antonio, qui vient de temps en temps passer quelques jours à Versailles auprès de la princesse, jouer au lawn-tennis, passe-temps qu'elle affectionne particulièrement. Elle porte alors un costume de flanelle blanche serré à la taille par une ceinture de peau blanche fermée par une fleur de lis d'or, avec souliers de daim blanc et chapeau canotier aux larges bords garni de ruban blanc. Le prince est vêtu d'un pantalon de flanelle blanche, serré aux hanches par une large ceinture de soie, et d'un veston de flanelle blanche avec raies bleues. Il porte des souliers blancs vernis et un béret basque également blanc, incliné légèrement sur l'oreille gauche.

Mme Roger-Miclos, qui a quitté Paris depuis un mois, vient de nous revenir avec une ample moisson de lauriers!

Ses concerts à Berlin ont obtenu le plus grand succès et ont été suivis par l'élite de la société artistique et mondaine.

Pour ne citer que quelques noms : princesse de Furstenberg, comtesse Schouvalof, comtesse Benkendorf-Hindenburg, comtesse Oriolla, comtesse de Durckheim; Mme Herbette; le consul de Grèce et Mme d'Adelssen; le ministre de Suisse et Mme de Roth ; comte et comtesse Hochberg; duc de Sagan; Mme Vom Rath, M. et Mme de Penalver, M. et Mme Simrock, etc., etc.

A Dresde, l'éminente artiste a été demandée pour se faire entendre à la cour de Saxe, où elle a obtenu un brillant succès.

Enfin, à peine arrivée à Paris, elle s'est fait entendre le 23 avril à la Salle Pleyel en compagnie de M. Delaborde. On peut facilement imaginer le succès de ce concert, où deux si éminents virtuoses prêtaient leur concours.

Le 16 avril, la reine Victoria a quitté Florence pour se rendre à Cobourg, où elle va assister au mariage de deux de ses petit*-enfants, le grandduc Ernest-Louis de Messe et la princesse Victoria-Melitta, fille du duc d'Edimbourg.

La reine se trouve très bien de son séjour dans le pays toscan. La villa Fabricotti, où elle avait élu domicile, est une des plus artistiquement aménagées parmi celles qui s'élèvent sur les riantes collines des bords de l'Arno.

Sauf le jour où elle a reçu la visite de Humbert Ier et de la reine Marguerite, la reine d'Angleterre a vécu très retirée, clans la seule compagnie de sa fille et de son gendre, Béatrice et Henry de Battenberg, de ses dames d'honneur lady Churchill et miss Phippo, et du général Ponsonby. Son plus grand plaisir était de se promener dans le parc de la villa dans une petite charrette anglaise attelée d'un joli petit âne. Cependant elle a fait plusieurs promenades dans les endroits

où va le Tout-Florence, principalement aux Cascine.

Avant de rendre compte de la fête de charité organisée par Mme la comtesse Hoyos, dans l'hôtel de l'ambassade d'Autriche-Hongrie, le vendredi et le samedi du commencement d'avril, la Grande Dame tient à honneur de remercier M. le comte et Mme la comtesse Hoyos de la bienveillance, très flatteuse, avec laquelle ils ont bien voulu lui faciliter ses informations, et de l'accueil, tout d'amabilité, qu'ils ont réservé à ses rédacteurs. La Grande Dame exprime ici à l'ambassadrice et à l'ambassadeur d'Autriche sa gratitude respectueuse.

C'est dans l'hôtel Galliera, propriété actuelle de l'ambassade d'Autriche, et dans les appartements jadis habités par Mer le comte de Paris, que la vente de charité a eu lieu. La terrasse de l'hôtel, comme le jardin — ce jardin célèbre et unique à Paris — avaient été mis à la disposition des invités. Quatre grandes oeuvres se sont partagé les bénéfices de la fête ; bénéfices assez sérieux pour qu'il vaille la peine d'en faire mention : 70000 francs : — la Société de Bienfaisance austro-hongroise et le Patronage austro-hongrois, dirigés par Mme la comtesse Hoyos ; Vestiaire et Asile des enfants prisonniers et l'Union des ateliers de femmes, présidés par Mme la comtesse de Biron. A part les dames patronnesses, tout le Paris aristocratique serait à citer s'il fallait mentionner le nom des dames vendeuses qui. pendant ces deux jours, n'ont pas connu une seule minute de repos.

Dans le vestibule, était installé le comptoir de fleurs : Mmes les princesses de Ligne et de Lucinge-Faucigny, marquise de Lubersac, comtesse de Fitz-James, Mlles de Luçay.

Dans le premier salon, comtesses Zichy, Lützow, Revertera, de Mun, de Ganay, de Grey, etc.

Dans le second salon, autour de la comtesse Hoyos et de la comtesse de Biron, les ambassadrices d'Espagne, de Belgique et de Danemark; les duch*esses de Gramont et Decazes; marquises de Jaucourt et de Moy.

Dans le troisième salon, l'ambassadrice des Etats-Unis-; l'ambassadrice d'Angleterre, lady Terrence Blackwood ; marquises de Moustiers, de Flers, de San Carlos, etc.

De ces sortes de solennités, lorsqu'on veut en rendre compte, une phrase s'impose d'elle-même sous la plume, et, bien qu'un peu usée, n'en exprime pas moins clairement l'idée qu'on veut émettre : le Tout-Paris s'y est donné rendez-vous. Ce Tout-Paris se trouvait en effet à l'hôtel Galbera, mais un Tout-Paris aristocratique, mondain, trié sur le volet. Il y était par charité, comme il va partout où il y a des infortunes à

— 5-

secourir. El le bon poète F. Coppée l'avait convié par ces vers :

Donner, l'homme est presque divin, Qui, n'ayant dit « non » a personne,

A froid quand le pauvre frissonne,

Et défaille quand il a faim.

Ce n'est peut-être pas ce qu'il a fait de mieux, mais c'est certainement ce que M. Coppée pouvait faire de mieux. Et cela a suffi.

DE LA PALFÉRINE.

La duch*esse de V...,dontles succès mondains ne

se peuvent compter tant le nombre en est grand,

reste toujours belle, et malgré les ans elle a conserve

conserve mains jeunes, blanches, potelées, les

doigts effilés avec les ongles rosés, des mains de

duch*esse enfin qui font bien des envieuses parmi

ses nombreuses amies. Son secret de jeunesse est

pourtant bien simple, elle emploie tout simplement

simplement Pâte des Prélats, qui blanchit, lisse,

satine la main et l'empêche de rougir. Son prix

est de 5 et 8 francs le pot. Franco contre mandat

de 5 fr. 50 et 8 fr. 50 adressé à la Parfumerie Exotique,

Exotique, rue du Quatre-Septembre.

Par ces brillantes et chaudes journées dont nous gratifie le printemps, n'avez-vous pas été, en flânant, jeter un coup d'oeil, l'après-midi, dans les Champs-Elysées, au moment où fillettes et bambins espiègles se livrent à leurs ébats? Si oui, vous avez remarqué, comme nous, combien la mode enfantine est différente des années passées. Plus de vêtements longs et encombrants, mais des toilettes vraiment jeunes, enfantines, charmantes, révélant un goût vraiment français. Nous devons cette heureuse transformation à la Maison Beer, 19, rue de la Paix, dont les innovations et les créations toujours charmantes sont très goûtées par le monde élégant.

COMTESSE S...

RENSEIGNEMENTS

On voit surgir chaque jour des spécifiques infaillibles pour guérir tous les maux de l'humanité ; toutes ces panacées ne font qu'aggraver le mal, il vaut donc mieux, il est plus prudent et plus logique de le prévenir. Contre la chute des cheveux si fréquente au printemps, contre leur décoloration, l'Extrait Capillaire des Bénédictins du Mont-Majella est infaillible. Le flacon de 6 francs est expédié franco contre un mandat de 6 fr. 85, adressé à M. Senet, administrateur, 35, rue du Quatre-Septembre.

A la suite de la publication dans notre dernier numéro des planches, reproduisant des modèles de la maison Gueyton (croix, médailles et boucles de ceinture), nous avons reçu un trop grand nombre de demandes de renseignements pour qu'il nous soit possible de répondre à toutes et d'une manière satisfaisante. Nous prions donc nos correspondants de bien vouloir s'adresser directement à M. G. Gueyton, 8, place de la Madeleine.

Quant à nous, nous bornerons notre réponse à publier dans le présent numéro deux nouvelles planches de modèles de cette maison : un diptyque représentant l'Assomption et saint Michel et des modèles de drageoir et de boucles de ceinture, le tout en argent repoussé.

Nous ne doutons aucunement du grand succès qu'obtiendront derechef ces nouvelles créations artistiques et religieuses.

DERNIER CHIC

Une innovation charmante, ce sont les manchettes à revers et les cols droits rabattus comme ceux des hommes, faits en toile fine très gommée que l'on met avec les petit* costumes du matin. Ces mêmes parures se font également en linon et en batiste avec ourlet à jours.

En guise d'ornements il faut signaler les incrustations de cuir découpé, d'un effet très original sur les robes de drap d'été crème, beige ou grises; celte dernière nuance compose un costume d'une haute élégance incrusté de cuir blanc.

On a imaginé pour nos ombrelles des sticks très nouveaux en bois laqué de toutes teintes pâles, terminés par une poire en cristal enfermée dans un réseau d'or.

Il fut un temps où l'outrage des ans était irréparable. Aujourd'hui les femmes coquettes qui ont le souci d'être belles et de le rester toujours, suivent les conseils de la belle des belles, de Ninon de Lenclos, dont la Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, détient, tous les précieux secrets. Avec la Véritable Eau de Ninon et le Duvet de Ninon, celte poudre invisible et adhérente qui blanchit et diaphanéise 1'épiderme, elles sont sûres d'acquérir et de conserver toujours la beauté.

La Grande dame : revue de l'élégance et des arts / publiée sous la direction de F.-G. Dumas (2024)
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